Le soldat gascon
On connait les Gascons et leurs ancêtres, Aquitains puis Vascons, pour être d’abord des guerriers. Mercenaires, mousquetaires ou soldats, fidèles à des rois ou indépendants, le Gascon est de toutes les guerres.
La guerre des Gaules
L’Aquitaine est le pays le moins connu des Gaules. Dans Commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César ne s’étale pas sur la conquête de l’Aquitaine par les Romains. Ce qui est normal, puisque ce n’est pas lui qui l’a conquise mais Publius Licinius Crassus (fils du triumvir Marcus Licinius Crassus). Toutefois, auparavant, en -78, les Aquitains avaient vaincu des légions romaines.
La conquête de l’Aquitaine s’articule en deux parties.
Des débuts classiques
La première partie concerne les Romains et les Sotiates, peut-être des Celtes installés en Aquitaine. C’est contre ces Sotiates que Crassus se bat en premier lieu. Les Sotiates se battent comme les Gaulois – ce qui renforce l’idée qu’ils ne sont pas Aquitains mais Celtes. Ils ont une forte cavalerie, une garde royale fidèle et possèdent une ville fortifiée, comme les Gaulois. Mais ce système militaire se révèle insuffisant face aux Romains.
Durant le siège de leur capitale, César mentionne également que les Sotiates sont de bons « sapeurs ». Ils tentent de creuser des galeries jusque dans les positions romaines, sans succès. Au moment de la reddition de la cité, le roi Adcantuan tente une dernière sortie avec ses soldures, sa garde, sans succès également. Cette première partie de la campagne militaire en Aquitaine est semblable aux autres conquêtes sur la rive droite de la Garonne. Les peuples celtes, excellents guerriers et fidèles à leurs chefs, ne peuvent cependant pas lutter efficacement face au génie militaire romain.
Les Aquitains adaptent leur stratégie
La deuxième partie est différente, les autres peuples d’Aquitaine se liguent et appellent à l’aide des chefs venant du Sud des Pyrénées, en Hispanie Citérieure. Ces hommes-là ont l’expérience de la guerre contre les Romains et se battent comme eux. Dans toute la guerre des Gaules c’est l’unique exemple d’un changement tactique face aux légions romaines. Les combats seront difficiles pour Rome. Les Aquitains refusent le combat frontal contre les légionnaires, un combat dans lequel les Gaulois se laissaient entrainer. Ils attaquent les lignes de ravitaillement de Crassus. Ce dernier est forcé d’attaquer le camp « romain » des Aquitains. Et ce n’est qu’en profitant d’un accès mal défendu que Publius Crassus peut vaincre l’armée des coalisés aquitains.
Après ces combats, l’Aquitaine sera vaincue, les peuples enverront des otages aux Romains pour garantir leur nouvelle allégeance. Toutefois, en -52, le roi celte Teutomatos, roi des Nitiobroges recrutera des mercenaires aquitains pour se joindre à l’armée de Vercingétorix.
Ce qu’il faut retenir c’est que dans les sept années de la guerre des Gaules, les Aquitains seront les seuls à adapter leur stratégie pour tenter de résister à l’invasion romaine.
Les Vascons
« Les Vascons, dévalant de leurs montagnes, descendent dans la plaine, dévastant vignes et champs, incendiant les maisons, emmenant en captivité plusieurs personnes avec leurs troupeaux. À plusieurs reprises le duc (franc) Austrovald marcha contre eux, mais il ne tira d’eux qu’une vengeance insuffisante. » C’est ainsi que Grégoire de Tours décrit les Vascons en 587. Ils sont les cousins des Aquitains et viennent des versants sud des Pyrénées. Peu christianisés, parlant toujours leur ancienne langue, ils sont le reflet non romanisé des Aquitains. D’ailleurs, l’arrivée des Vascons en Aquitaine n’entraine pas de troubles comme cela avait pu être le cas avec les Wisigoths.
Vers 630, la Novempopulanie devient la Vasconie. Pendant des siècles ils vont lutter pour maintenir leur indépendance. Ils se battent contre les Francs au nord et les Wisigoths au sud, puis contre les Arabes, comme le 9 juin 721 à Toulouse, première victoire majeure des peuples chrétiens d’Europe occidentale face aux Omeyyades.
Les cavaliers vascons
Eudes d’Aquitaine se fait nommer princeps Aquitaniae (prince d’Aquitaine), il est à la fois duc de Vasconie (de la Garonne aux Pyrénées) et duc d’Aquitaine (de la Loire à la Garonne). L’ironie de l’histoire ramène à l’Aquitaine étendue du temps des Romains. Et les Vascons ? Ils sont toujours là, et ils sont renommés dans l’art de la cavalerie et de l’infanterie légère. En 721, Eudes fait appel à eux. En 732, à Poitiers, ils sont encore là et prennent à revers les Arabes, englués face au mur de boucliers des Francs.
Les cavaliers vascons sont le symbole de leur indépendance. Ils sont si réputés que Charlemagne fait entrer son fils Louis le Pieux dans son nouveau royaume d’Aquitaine habillé comme un cavalier vascon. Plus tard, ce même Louis le Pieux rejoindra son père dans sa guerre contre les Saxons, habillé en vascon. La tactique de ces fameux cavaliers est d’attaquer l’ennemi en lançant des javelots sur lui, puis de simuler une retraite avant de revenir à l’assaut pour de nouveau harceler les lignes adverses.
L’infanterie des Vascons combat de façon similaire, une infanterie légère qui harcèle l’adversaire en lançant des javelots. Cette façon de combattre durera longtemps, et au début du XIIIe siècle, les dardiers ou dardassiers gascons sont reconnus dans les différentes armées des seigneurs de Gascogne ou quand ils sont recrutés par d’autres, comme les comtes de Toulouse.
Les Gascons sont des mercenaires recherchés
La défaite à la bataille de la Castelle (1063) du duc de Vasconie face au duc d’Aquitaine (entre la Garonne et la Loire) sonne la fin du temps des Vascons. À partir de là, ce qui sont nommés Gascons se battront souvent pour des étrangers ou entre eux. Durant la croisade des albigeois, on retrouve ces fameux dardiers au service de Toulouse, mais également d’autres Gascons escaladant la falaise de Montségur pour prendre la forteresse rebelle.
Plus tard, durant le Moyen-âge tardif, les Gascons se font connaitre dans un autre type d’arme, l’arbalète. Les arbalétriers gascons sont, comme leurs homologues génois, des mercenaires de renom. On les retrouve chez les Anglais et les Français durant la guerre de cent ans. Jusqu’à ce que les armes à poudre se répandent, ces arbalétriers seront dans les rangs des rois de France.
La guerre de cent ans c’est aussi l’époque des routiers, ces Gascons du parti anglais qui ravagent les campagnes du parti français, en face d’autres cavaliers gascons, dont on connaissait leurs chevaux pour leur maniabilité. C’est aussi le temps de Lahire et de Xantrailles, les lieutenants, gascons, de Jeanne d’Arc. Dans le camp des Armagnacais ou avec Gaston Fébus, pour les Anglais ou pour les Français, les Gascons sont partout durant cette longue guerre.
Le temps des cadets et des mousquetaires
La création d’une armée régulière en 1445 en France puis la bataille de Castillon en 1453, changent la donne. Désormais, il faudra se battre pour les rois de France ou de Navarre. C’est le temps des capdèths, les fils cadets de la petite et nombreuse noblesse de Gascogne, sans le sou. Ils prennent la route vers le Nord et s’engagent dans les armées françaises au XVIe siècle. L’avocat et historien agenais Florimond de Raemond parle de la Gascogne comme « un magasin de soldats, la pépinière des armées ». D’autres choisissent la Navarre, au côté d’Ignazio Loiolakoa (Ignace de Loyola). De nombreux Gascons tomberont face à l’Espagne lors de la conquête de la Haute-Navarre entre 1512 et 1529.
Sous Henri IV, la mode à la cour est au gascon, le vert galant amène avec lui une suite d’hommes aux accents étrangers aux yeux de Paris. La cour se remplit de Gascons et avec elle les soldats de la maison militaire du roi. Plus précisément, c’est chez les mousquetaires où ils sont les plus nombreux. Le mousquetaire le plus connu est évidemment d’Artagnan, capitaine des mousquetaires du roi. Fidèle à Louis XIV, il meurt durant le siège de Maastricht en 1673.
D’Artagnan, celui de Dumas comme celui de l’histoire, représente le combattant gascon tel que l’on imagine : courageux, audacieux et fidèle. Et l’œuvre de Dumas amorce le début d’une série de livres de capes et d’épées où le héros est presque toujours gascon : Le bossu, Le capitaine Fracasse, Le capitan, ou encore Cyrano de Bergerac.
En fait, les soldats gascons seront appréciés dans les combats. D’ailleurs, jusqu’au XVIIe siècle, les Gascons seront différenciés des Français dans les armées car ils sont considérés comme des troupes d’élite.
Les différences s’estompent
Bien entendu les soldats gascons ne sont pas tous des nobles, ceux issus du peuple sont également nombreux dans les régiments de l’armée comme le régiment de Navarre, le régiment de Béarn, le régiment d’Aquitaine, le régiment d’Armagnac ou bien le régiment d’Auch. Mais, la grande enquête de Colbert sur la noblesse puis plus tard la Révolution Française changent une fois de plus le destin des soldats gascons. En effet, à partir de la chute de la monarchie, il est beaucoup moins aisé de situer les unités composées en partie ou intégralement d’hommes de Gascogne. Et l’on identifiera surtout des hommes comme, durant les guerres napoléoniennes, le maréchal Lannes, un Gascon, ou le Béarnais Bernadotte, qui fut roi de Suède. Peut-être, les temps de troubles favorisent l’audace gasconne !
Le XXe siècle et aujourd’hui
Depuis la Révolution et surtout depuis la IIIe république, les hommes sont de plus en plus mélangés dans des circonscriptions militaires, au lieu d’être recrutés au sein d’une même région. Manœuvre habile permettant de mélanger les hommes issus de milieux sociaux différents et surtout de pays historiques différents, et permettant de limiter l’usage des différentes langues de France au profit du seul français.
En 14-18, comme tous les autres, les soldats gascons verseront leur sang dans les tranchées. Il est difficile d’avoir le chiffre exact de nombre de Gascons morts dans cette guerre, en revanche on peut en faire une estimation : probablement plus de 71 000 morts.
Landes : 11 596 morts ; Hautes-Pyrénées : 6 194 morts ; Pyrénées-Atlantiques (Iparralde, le territoire basque situé en France y compris) : 14 075 morts ; Gers : 7 538 morts ; Ariège gasconne #3 800 morts (sur tout le département 7 652 morts) ; Gironde gasconne : #17 600 morts (sur tout le département 20 580 morts) ; Haute-Garonne gasconne : #6 000 morts (sur tout le département : 12 422 morts) ; Lot et Garonne gasconne : 2 500 morts (sur tout le département 7 568 morts) ; Tarn et Garonne gasconne : #2 000 morts (sur tout le département 5 463 morts).
Depuis, seront créés en Gascogne des bataillons de chasseurs pyrénéens (plus précisément les 6ème, 7ème et 8ème qui sont gascons et les 9ème et 10ème venant d’Iparralde) ou des unités de parachutistes (1er régiment de hussards parachutistes de Tarbes, 35ème régiment d’artillerie parachutiste de Tarbes, 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Bayonne), ou encore l’école des troupes aéroportées de Pau. Mais les Gascons ne sont plus identifiés.
L’histoire militaire des Gascons reste toutefois exceptionnelle, tant par le nombre de ses exploits que par la qualité de ses hommes.
Lois Martèth
écrit en orthographe nouvelle
Références
Et l’Aquitaine devint romaine, Jean-Pierre Brèthes, 2012.
Armement et auxiliaires gaulois (IIe et Ier siècles avant notre ère), Lionel Pernet, 2013.
Géographie politique du Sud-Ouest de la Gaule pendant la domination romaine Jean-François Bladé, 1893.
Charles Martel. Poitiers. 732. Jean-Marie Borghino.
Les Aquitains et les Gascons au haut Moyen-Âge : genèse de deux peuples , Guilhem Pépin.
Les chevaux de guerre vascons et gascons Guilhem Pépin.
Des guerriers oubliés : les lanceurs de javelots basques et gascons , Guilhem Pépin.
Corporations et confréries d’archers et d’arbalétriers à la fin du Moyen Âge, Valérie Serdon-Provost.
Les Cadets de Gascogne, toute une histoire
De l’influence du gascon sur la langue française Maxime Lanusse
Erreinu zaharra, NAFARROA 1512.
Régiments français d’Ancien Régime, wikipédia.
4ème demi-brigade chasseurs pyrénéens, wikiMaginot.