1

Jazz in Marciac

Marciac est une bastide du Gers dont peu de gens auraient entendu parler s’il n’y avait le festival international de musique Jazz in Marciac. Revenons sur cette réussite.

Marciac est une bastide fondée en 1298

La bastide de Marciac - Restitution partielle duplan médiéval (plan S. Abadie)
La bastide de Marciac – Restitution partielle du plan médiéval (plan S. Abadie)

Marciac est fondée en 1298 en paréage entre l’abbé de La Case-Dieu, le comte de Pardiac et le sénéchal de Toulouse au nom du roi de France (Philippe IV le bel). Ce sénéchal s’appelle Guichard de Marzé,  et donne son nom à la nouvelle bastide. Qui sont ces personnages ?

L’abbé de La Casa-Diu. Avant Marciac, le comte de Bigorre et l’évêque d’Auch avaient fondé l’abbaye de La Casa-Diu en 1135. Elle se situe près de Beumarchés [Beaumarchès], au confluent du Boès [Bouès] et de l’Arròs. C’est une abbaye importante située sur la route des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. Outre Marciac où l’abbé possède une maison forte (elle jouxte l’actuelle mairie), l’abbaye fonde également Plaisance en 1322.

Le comte de Pardiac. Le comté de Pardiac est un démembrement du comté d’Astarac vers 1023. Sa capitale est Montlesun [Montlezun] situé à quelques kilomètres de Marciac. Aujourd’hui, il ne reste que des ruines du château des comtes de Pardiac.

Le sénéchal de Toulouse. Guichard de Marzé (vers 1260-1317) appartient à une riche et noble famille du Beaujolais où elle possède des vignes. Guichard est nommé sénéchal de Toulouse et d’Albi en 1296.

La bastide de Marciac

Marciac- la place principale
Marciac – la place principale

La bastide de Marciac occupe 27 hectares entourés d’une enceinte percée de huit portes et d’un fossé. D’ailleurs, on peut encore voir un bout de cette muraille côté nord. Récemment, un projet viserait à reconstruire une partie de la muraille et la porte du Houga.

La place centrale fait 1 hectare et devait comporter une halle pour le marché. C’est la plus grande place du Gers.

Marciac a des formes parfaites, régulières, symétriques, bref les concepteurs ont cherché la cité idéale. Ainsi, elle s’inscrit dans un rectangle de 7 ilots en longueur et 7 en largeur. Chaque ilot fait 90 mètres sur 60. Pourtant, les ilots qui jouxtent la place centrale son plus grands, conférant à la place un aspect monumental.

L’église à 5 flèches culmine à 87 mètres, ce qui en fait le plus haut clocher du Gers. Et cela fait dire aux mauvaises langues que Marciac compte 5 clochers et 400 cloches ! il faut naturellement comprendre 4 sans cloches. Aujourd’hui, il ne subsiste que le clocher et le portail du couvent des Augustins ; son cloitre se trouve aux Etats-Unis.

Marciac se réveille au son du jazz

Hélas, comme beaucoup de bastides, Marciac n’est plus qu’un bourg rural endormi. De plus, elle est loin des voies de communication. Bien malin qui pourrait dire où se trouve Marciac !

L'Astrada à Marciac
L’Astrada à Marciac

En 1978, le Foyer des jeunes et de l’éducation populaire de Marciac organise un festival d’un jour de Jazz New Orleans. L’année suivante, il passe à 3 jours avec la participation du saxophoniste Guy Lafitte (1927-1998) et le trompettiste Bill Coleman (1904-1981), tous deux résidant dans le Gers. En 1992, le festival dure 8 jours puis passe à 16 jours dès 2009. Le petit festival est devenu un grand ! D’ailleurs, Jazz in Marciac est le festival de jazz le plus couru d’Europe. Les plus grands s’y produisent : Dizzy Gillespie, Oscar Peterson, Stéphane Grappelli, Wynton Marsalis, Nina Simone, Ray Charles

Jean-Louis Guillaumon
Jean-Louis Guilhaumon

Depuis 1984, les concerts se jouent sous un grand chapiteau qui peut contenir jusqu’à 6 000 places assises. Puis, en 2011, on inaugure la salle de concert L’Astrada. Et des concerts gratuits se jouent sur la place centrale.

En fait, on doit cette réussite à l’Oranais Jean-Louis Guilhaumon, enseignant affecté à Marciac en 1979 pour préfigurer la création d’un collège. C’est chose faite en 1982 et Jean-Louis Guilhaumon sera Principal jusqu’à sa retraite.

Adjoint au maire de Marciac depuis 1977, Jean-Louis Guilhaumon devient maire en 1995, conseiller régional, vice-président chargé du tourisme et du thermalisme au Conseil régional de 2004 à 2015, président de la communauté de communes et président de l’association qui gère le festival Jazz in Marciac.

Du jazz toute l’année

Classe de jazz au Collège de Marciac
Classe de jazz au Collège de Marciac

Jazz in Marciac n’est pas qu’un festival d’été. En effet, le jazz est ancré dans la vie de la bastide et contribue largement à son animation toute l’année.

Revenons au collège de Marciac. Jean-Louis Guilhaumon le met en place en 1982. Mais, le collège voit ses effectifs péricliter. Il va fermer en 1993 car à peine 93 élèves sont inscrits. Alors, il ouvre des ateliers d’initiation à la musique de jazz. C’est un succès : 118 élèves s’inscrivent et le collège retrouve son dynamisme. Aujourd’hui, plus de 200 élèves y sont inscrits, la moitié venant d’autres départements que le Gers. On réhabilite le collège, on ouvre un internat. Et, lors de chaque festival, les collégiens se produisent sur scène et dans les restaurants.

Le trompettiste et musicien américain Wynton Marsalis (1961- ), qui conduit des actions pédagogiques reconnues, dit du collège de Marciac : « Je voyage tout le temps, partout, jusqu’en Chine et je ne connais aucune école ailleurs comparable à ce collège de Marciac. C’est vraiment unique ».

Classe de jazz au collège

Émile Parisien
Émile Parisien, saxophoniste et ancien élève du Collège de Marciac

Le célèbre saxophoniste lotois Emile Parisien (1982- ) fait ses études au collège de Marciac. Il joue avec les plus grands pendant le festival Jazz in Marciac. Et c’est aujourd’hui une vedette internationale.

En fait, le jazz est présent toute l’année à Marciac. Un espace muséographique ouvre : Les Territoires du jazz. Des jazzmen de renommée internationale proposent des stages et Master classes tout au long de l’année.

La salle de l’Astrada propose des concerts mensuels d’octobre à juin. Sa directrice explique : « Nous sommes un lieu de diffusion avec 50 levers de rideaux par an, de création, de formation avec des artistes en résidence, et d’éducation artistique pour une dizaine d’établissements scolaires. »

Les retombées du festival Jazz in Marciac

Le festival Jazz in Marciac amène des retombées économiques importantes pour la bastide. En effet, il draine plus de 220 000 visiteurs chaque année. Pour les recevoir, plus de 1 000 bénévoles s’activent. Les candidatures viennent de toute l’Europe pour vivre cette aventure.

Son chiffre d’affaires se compte en millions : billetterie, mécénat, subventions, etc. Aussi, en 2015, la Chambre régionale des comptes s’intéresse à Jazz in Marciac et fait des propositions pour améliorer le fonctionnement de l’association et pérenniser le festival.

Jazz in Marciac 2005
Jazz in Marciac 2005

Tout comme le collège de Marciac qui évite la fermeture grâce au jazz, la ville entière profite du jazz. Il faut loger et nourrir bénévoles et festivaliers.

Ainsi, l’ancienne école devient un hôtel 5 étoiles. Un Village Vacances de 350 lits du groupe Pierre & Vacances s’installe. Le conseil régional labellise Marciac Grand site d’Occitanie.

La commune se développe : on crée des lotissements, une zone d’activité économique, une zone commerciale, une station d’épuration avec lagunage, un pôle culturel de 500 places, …

On réhabilite la place centrale de la bastide, restaure le patrimoine bâti ancien, les monuments historiques font l’objet de travaux. Des équipements modernes font aussi l’objet d’une grande attention : réhabilitation du groupe scolaire, création d’une maison de retraite, création d’un complexe sportif, … L’INSEE constate un développement de l’économie locale et une augmentation du nombre d’emplois.

C’est la démonstration qu’un festival de jazz peut avoir des retombées économiques importantes et permettre le développement d’une commune rurale de 1 300 habitants.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Marciac. La maison des abbés de La Casedieu –Stéphane Abadie  Bulletin Monumental Année 2016 174-2 pp. 195-200
Jazz in Marciac
Site de la mairie de Marciac
Le fabuleux destin de Marciac, J. Barnouin, P.-H. Ardonceau et B. Deubelbeiss, 2014




Larressingle, village fortifié

Larressingla, Larressingle en français, est un beau village fortifié du Gers. Certains disent que c’est une « réduction de Carcassonne ».

Le castrum de Larressingle

Le château de Larressingle
Le château de Larressingle

Au XIe siècle, l’abbé Hugues, fondateur de l’abbaye de Condom, et héritier des ducs de Gascogne, devient évêque d’Agen et de Bazas. En 1011, il laisse sa charge abbatiale de Condom et fait don à son successeur de ses terres de Larressingle. C’est ainsi que les abbés en deviennent propriétaires. Puis, ce seront les évêques de Condom à la création de l’évêché en 1317.

Le conflit en Aquitaine entre le roi d’Angleterre et le roi de France nécessite la fortification des bourgs et des villes. Ainsi, les abbés de Condom fortifient le village. En 1285, l’abbé de Condom et le roi d’Angleterre établissent un paréage. On rehausse les tours. La justice est partagée. Et la garnison est anglaise. Cependant, la guerre en Aquitaine ne semble pas avoir touché Larressingle.

Plus tard, en 1589, les Ligueurs s’en emparent et en font une base pour leurs opérations en agenais et en condomois. Mais, vite, Antoine-Arnaud de Pardaillan de Gondrin (1562-1624) fera sa soumission à Henri IV et rendra Larressingle en 1596.

À partir de 1610, Larressingle ne fait plus partie de Condom et devient communauté à part entière.

Château de Cassaigne
Le château de Cassaigne

Finalement, les évêques de Condom abandonnent le château de Larressingle pour le château de Cassanha (Cassaigne) tout proche et plus commode. Monseigneur d’Auterroches, dernier évêque de Condom (1763-1792) fait même enlever la toiture de l’église Saint Sigismond pour utiliser la charpente dans son château de Cassaigne.

À la Révolution, Larressingle est vendue comme bien national. Dépecé et vidé de ses plus belles pierres, le village est progressivement abandonné. Seules trois familles habitent dans l’enceinte. Les autres préfèrent s’établir à l’extérieur.

Larressingle est un village défensif

Église_Saint-Sigismond
Église Saint-Sigismond

Un rempart polygonal crènelé de 270 mètres, quasiment intact, entoure Larressingle. Les courtines font 14 mètres de haut. Sept contreforts carrés renforcent l’enceinte. Un fossé large de 10 mètres complète l’ensemble.

On y accède par une porte fortifiée ; un pont fixe remplace le pont-levis. Une quarantaine de maisons s’adossent aux courtines ; elles pouvaient abriter environ 300 personnes. Une seule rue polygonale fait le tour du donjon et de l’église.

Au centre, s’élève un château avec un donjon à quatre étages. L’intérieur est en ruine mais on y voit encore l’escalier à vis qui permettait d’accéder aux étages supérieurs éclairés par des fenêtres géminées.

Saint Sigismond
Saint Sigismond en Vercingétorix

Jouxtant le château, l’église romane Saint-Sigismond n’offre que des meurtrières pour toute ouverture. Elle est classée au titre des Monuments Historiques. Ce sont les ateliers Monna de Toulouse qui réalisent la statue qui orne l’église, dédiée à Saint Sigismond. Curieusement, ils livrent une statue de Vercingétorix, reproduction de celle de Millet, érigée en 1865 à Alésia. Et voilà Saint-Sigismond avec une remarquable moustache !

L’ensemble château et église constitue un élément de défense impressionnant pour servir de refuge aux habitants.

À proximité de Larressingle, le pont d’Artigues est classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en tant que passage des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle.

Enfin, Larressingle se classe parmi les Plus beaux villages de France.

Un sauvetage inespéré

Edouard Mortier duc de Trévise
Edouard Mortier, duc de Trévise (1883-1946)

Le château et l’église sont en ruines. Larressingle appartient à de nombreux propriétaires. Les maisons adossées aux remparts les protègent, ainsi que les contreforts.

Si Violet le Duc restaure la cité de Carcassonne, Larressingle doit son sauvetage à Édouard Mortier, duc de Trévise (1883-1946). En 1920, Édouard Mortier fait une randonnée à bicyclette ; il remarque la beauté du village. Un an plus tard, il fonde La Sauvegarde de l’Art Français dont il assure la présidence de 1921 à 1946.

Le duc de Trévise parcourt la France. Ses articles dans la presse attirent l’attention du public sur l’état pitoyable du patrimoine français. D’ailleurs, c’est un de ses articles qui empêche que la vache qui orne la porte de l’évêché d’Alan en Comminges ne soit vendue à un Américain par un antiquaire peu scrupuleux.

Un mécénat inattendu

Il a l’idée d’aller aux États-Unis pour sensibiliser les Américains à la sauvegarde du patrimoine français, non seulement en cessant d’en acheter des morceaux, mais surtout en finançant sa restauration. Son voyage dure 6 mois entre 1925 et 1926.

C’est un triomphe. « The Duke » (les Américains ont du mal à prononcer son nom) fonde 12 comités locaux réunissant chacun un capital dont les revenus iront aux restaurations d’un monument. Le comité de Saint-Louis s’intéresse aux monuments de Toulouse, celui de Saint-Paul à l’église d’Alan en Comminges, celui de New-York aux boiseries de la chambre du château de Bayonne dans laquelle fut payée la rançon de François 1er, celui de Boston à Larressingle.

Il fait adopter chaque maison du village par des dames de Boston. Les fonds recueillis permettent de restaurer quatre contreforts, l’enceinte et 12 maisons du castrum de Larressingle. Les petits-enfants de ces bienfaitrices viendront à la fin du XXe siècle visiter le village et découvrir ce que leurs grand-mères avaient permis de sauver.

Depuis, sous l’égide de la mairie et de l’association des Amis de Larressingle, les travaux de restauration se poursuivent.

Dessin de Pierre Bénouville dans "Larressingle en Condomois, description et histoire"
Dessin de Pierre Bénouville dans « Larressingle en Condomois, description et histoire »- 1892 (Gallica)

Un site touristique remarquable

Si l’on en croit la légende, le nom de Larressingle viendrait d’un siège de l’armée romaine. Le village leur aurait résisté et Crassus, lieutenant de César, aurait ordonné la retraite à ses soldats avec ces mots : Retro singuli, c’est-à-dire « en arrière un par un ». Les experts proposent diverses hypothèses pour sa toponymie.

Aujourd’hui, les Amis de Larressingle animent la « réduction de Carcassonne » ; ils reçoivent près de 130 000 visiteurs chaque année.

Outre les visites guidées du castrum, un camp médiéval permet de découvrir les techniques de l’art du siège d’un château avec des reconstitutions de machines de guerre et des démonstrations de tirs.

Grands et petits peuvent s’initier au tir à l’arc, à l’arbalète, frapper une monnaie, s’habiller en chevalier.

Un site gascon à découvrir, situé entre Condom et L’Arromiu (La Romieu).

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia.
The extraordinary village of Larressingle in Gers.
Sauvegarde de l’art français, Larressingle et La Mothe-Chandeniers : un même modèle innovant et efficace de mécénat culturel.
Larressingle en Condomois, description et histoire, Georges Tholin et Joseph Gardère, Auch, 1892.
Visiter la petite Carcassonne du Gers




Paul Lacôme, musicien gascon

Paul Lacôme est un grand musicien et compositeur du XIXe siècle. Il compose plus de 200 œuvres, dont une vingtaine d’opéras comiques, d’opéras bouffe et d’opérettes. S’il mène une brillante carrière à Paris et à l’international, il n’oublie pas sa Gascogne natale.

Paul-Jean-Jacques Lacôme d’Estalenx

Paul Lacôme  cliché Nadar — Bibliothèque nationale de France
Paul Lacôme (1838 – 1920) – Cliché Nadar — BNF

Plus connu sous le nom de Paul Lacôme, il nait en 1838 au Houga dans l’Armagnac Noir.

Très tôt, il baigne dans la musique. Sa mère, Clémentine d’Estalenx, est la petite-fille d’Angélique Bouillon (1733-1814) qui dirigeait la musique de la reine Marie Leszczynska, épouse de Louis XV. Angélique avait épousé Jean-François d’Estalenx et eut un fils unique, Jean-Jacques, le grand-père de Paul Lacôme, qui revint au Houga en 1779. Et il en fut le maire de 1804 à 1830.

Son père, Auguste Lacôme, est musicien amateur et lui apprend quelques principes d’art musical. D’ailleurs, à 14 ans, le jeune Paul a déjà écrit un opéra.

Malheureusement, les parents de Paul Lacôme décèdent. Alors, sa tante, Elvire d’Estalenx, célibataire et sans enfant, s’en occupe ; elle l’adoptera en 1870. Elle est passionnée d’art, de poésie, de théâtre et de musique.

Côté études, Paul Lacôme est interne au collège d’Aire sur l’Adour. Là, il compose des morceaux pour la fanfare du collège et il en prend la direction. Il prend des cours de musique auprès de José Puig i Alsubide, un Catalan organiste de la cathédrale d’Aire. Ce sera son seul professeur.

En 1863, la revue illustrée Le Musée des familles organise un concours de composition d’un opéra bouffe en un acte. Paul Lacôme remporte le 1er prix. Alors, il part à Paris où son œuvre doit être jouée. Mais elle est déprogrammée au dernier moment. C’est une grande déception.

Une brillante carrière à Paris

Paul Lacôme - Jeanne, Jeannette et Janeton (1876)  © Wikimedia Commons
Paul Lacôme – Partition de Jeanne, Jeannette et Janeton (1876)  © Wikimedia Commons

En 1866, il repart pour Paris. Son succès est rapide. Ainsi, ses œuvres sont jouées à l’Opéra-Comique et aux Bouffes-Parisiens. Cela lui permet de côtoyer Jules Massenet, Gabriel Fauré, Camille Saint-Saëns, Léo Delibes, etc. Paul Lacôme est curieux et ouvert ; il recueille deux chants d’Espagnols venus se louer au Houga pour les travaux des champs. Et il les donne à Guiseppe Verdi qui les insère dans son opéra Don Carlos.

À partir de 1872, ses pièces sont jouées dans divers théâtres. En 1873, il entre aux Bouffes-Parisiens avec Le Mouton enragé puis La Dot mal placée qui fait plus de 100 représentations. En 1874, il joue l’Amphytrion à l’Opéra-Comique.

De même, en 1876, Jeanne, Jeanette et Janneton remporte un immense succès aux Folies-Dramatiques. La carrière de Paul Lacôme est définitivement  lancée. De plus, ses œuvres sont éditées par une société d’édition musicale fondée par Wilhelm Enoch et Georges Costallat, originaire de Bagnères de Bigorre. Leur collaboration dure 40 ans.

Paul Lacôme écrit des opéras comiques à succès, comme Le Beau Nicolas en 1880, La Gardeuse d’oies en 1888, Le Maréchal Chaudron en 1898. Il écrit aussi des opérettes : La Fille de l’air en 1890, Les Quatre filles Aymon en 1898.

Le public d’aujourd’hui connait peu ses œuvres mais on continue à les jouer dans tous les pays. Son œuvre la plus connue est L’Estudiantine. Elle a été reprise dans la bande originale du film Titanic. D’ailleurs, de nombreuses formations musicales ont pris ce nom : Anglet, Ciboure, Bayonne, Saint Jean de Luz, Saint-Juéry, Ajaccio, Roanne, etc.

Musique Originale du film Titanic d’après l’Estudiantina de Paul Lacôme

 

L’ami Emmanuel Chabrier et l’Espagne

Emmanuel Chabrier (1841-1894)
Emmanuel Chabrier (1841-1894) © Wikimedia Commons

Paul Lacôme donne des conférences. Il est aussi critique musical dans 25 revues. Grand ami d’Emmanuel Chabrier, il voyage souvent en Espagne et introduit en France la vogue de la musique espagnole. D’ailleurs, il écrira lui-même quelques pièces sur des musiques espagnoles.

Adolphe Desbarolles (1801-1866), qui remet à l’honneur la chiromancie lui prédit : « Vous feriez une magnifique carrière si vous n’aimiez pas tant votre pays natal ». Il est vrai que Paul Lacôme partage sa vie entre Paris et Le Houga.

 

Paul Lacôme n’oublie pas sa Gascogne natale

Le Houga - Église Saint-Aubin
Le Houga – Église Saint-Aubin © Wikimedia Commons

En 1882, Paul épouse Gabrielle du Lau-Lusignan de Laujuzan, commune proche du Houga. Ils ont deux fils dont l’un disparait au Chemin des Dames en 1917. Son dernier fils dépouille les mémoires et la correspondance de Paul Lacôme et écrit La vie sincère de Paul Lacome d’Estalenx publiée en 1941.

Sa femme continue l’exploitation de la propriété familiale. Et Paul Lacôme rentre souvent au Houga. D’ailleurs, il y tient l’orgue. La Messe de Noël est un spectacle qui attire la foule. Il écrit plusieurs cantiques et chants de Noël.

Dans Le Courrier de l’art du 23 novembre 1882, Octave Fouquet écrit : Volontiers le maestro du Houga parle de la vigne paternelle, des métairies où s’élève le bétail, des poulets qu’il nourrit et qui le lui rendent. Pour un peu il signerait, non pas vigneron, comme Paul-Louis, mais viticulteur, appellation plus noble et de formation savante, latine, méridionale. Pour tout dire d’un mot, M. Lacome, dès son début dans la vie, a su prendre une attitude, et cela lui a réussi. Voilà au moins quinze ans que son nom et sa personne sont célèbres dans le quartier de la nouvelle Athènes, où cependant il n’a jamais passé plus de cinq mois par an. Au commencement de juin, aussi invariable que le soleil, Lacôme quittait Paris pour aller se livrer aux soins que réclame la culture de la vigne. Il ne revenait que les vendanges faites et sa récolte vendue.

Paul Lacome seul, avec son professeur et caricatureDe gauche à droite :
Portrait de Paul Lacôme –  © Alix de Selva
Caricature de Paul Lacôme –  © Alix de Selva
Paul Lacôme et son professeur José Puig i Alsubide – © Alix de Selva

Le Gascon rentre en Gascogne

En 1900 – il a 62 ans – Paul Lacôme décide de rentrer définitivement au Houga. Là, il écrit une Fantaisie pour violon en hommage au poète d’Agen Jansemin (Jasmin, 1798-1864).

Deux ans après, il fonde l’école de musique de Mont-de-Marsan qu’il dirige pendant 10 ans. C’est maintenant le Conservatoire départemental de musique.

Parallèlement, il obtient des subventions pour sa commune et les communes voisines pour entretenir le patrimoine. Nombre d’églises du secteur lui doivent leur restauration. Et il s’occupe de faire installer le télégraphe au Houga, un bureau de poste, etc.

Il meurt en 1920 à la suite d’un accident de voiture à cheval. Il a 82 ans. Le Journal des débats politiques et littéraires du 9 janvier 1921 lui rend un vibrant hommage : Bref, celui qui vient de disparaitre fut un artiste doué d’une grande facilité, mais qui ne s’y abandonnait pas ; qui sut, dans un genre où il n’est que trop facile de s’abaisser, garder toujours une tenue, une distinction rares et, vraiment, si l’on s’avisait un jour d’écrire l’histoire de la musique légère au théâtre (mais qui donc s’en soucie aujourd’hui?), il serait souverainement injuste de n’y pas classer en bon rang l’auteur de Jeanne, Jeanette et Janneton.

Le souvenir d’un grand compositeur

De nombreuses personnalités sont présentes à l’inauguration d’une stèle au Houga en 1924. Joseph de Pesquidoux y prononce un discours : « … Ce monument est ici, et pour cet homme, est à sa place. Paul Lacôme d’Estalenx a rayonné par l’art, par la pensée, par le cœur… ». On chante la messe avec les airs composés par Paul Lacôme. Puis on joue son opéra-comique Ma mie Rosette devant 5 000 personnes. Filadèlfa de Gèrda (Philadelphe de Gerde) déclame des vers en gascon. Suivent des danses gasconnes et un défilé avec concours de costumes d’Armagnac et de Bigorre.

La maison natale de Paul Lacôme devient Monument Historique. Une association perpétue son souvenir.

De gauche à droite :
Joseph de Pesquidoux © Wikimedia Commons
Stèle en hommage à Paul Lacôme au Houga © Wikimedia Commons
Filadèlfe de Gèrda © Wikimedia Commons

Références

Œuvres musicales de Paul Lacôme, Gallica
La vie sincère de Paul Lacôme, Bulletin de Société archéologique du Gers, 1941
Le Houga: Paul Lacome d’Estalenx est mort il y a 100 ans, La Depèche, 16 janvier 2022
Hommage au compositeur Paul Lacome d’Estalenx, grand homme du Houga, Le Journal du Gers, 23 octobre 2022




Les Cercles de Gascogne

Les cafés associatifs fleurissent dans les communes dépourvues de commerce. C’est un moyen d’entretenir un lien social. Cette idée n’est pas nouvelle. Dans les Landes et en Gironde, ce sont les Cercles de Gascogne.

L’origine des Cercles de Gascogne

Enseigne du Cercle des Travailleurs de Bazas
Enseigne du Cercle de l’Union des Travailleurs de Bazas (1883)

Les Cercles de Gascogne naissent après la Révolution de 1789 dans le Bazadais et la Haute-Lande. D’abord réservés aux notables, les « Cercles des Messieurs » s’ouvrent progressivement aux commerçants, aux métayers, aux bergers, aux résiniers et aux autres professions ouvrières.

À leur apogée, sous la IIIe République, on y parle politique, on y lit les journaux, on y commente l’actualité, on y refait le monde autour d’une pinte. C’est un espace démocratique et convivial.

François Mauriac (Destins, Paris, 1922) voit le rôle politique et électoral joué par les Cercles : il enlevait tous les quatre ans pour le compte du ministre quelques centaines de voix au député de l’arrondissement, le Marquis de Lur. Il était admiré. Il avait formé un cercle à Vindis où désormais le samedi, après la paye, les paysans venaient boire et parler politique.

Cependant, les statuts des Cercles sont stricts.

Le Cercle de Saint-Symphorien

Le cercle de Saint-Symphorien en Gironde est créé en avril 1898. Il précise : La société a pour but de resserrer les liens de fraternité qui déjà unissent ses membres et de leur faciliter l’économie par les moyens de coopération qu’elle possède (art. 2). On peut parler de tout, mais Les questions politiques et religieuses sont formellement interdites (art. 3). Pour y entrer, il faut avoir 21 ans, jouir de ses droits civils et politiques et réunir la majorité des suffrages exprimés (art. 5). La première mise de fonds est de vingt francs (art 7).

Puis, la cotisation annuelle est de trois francs payables mensuellement. Et gare aux retardataires car Les membres en retard sur le paiement de trois cotisations auront leur nom affiché pendant huit jours dans la salle du Cercle. Ils cesseront de faire partie du Cercle s’ils ne s’acquittent pas pendant ces huit jours (art. 8).

Le cercle de Saint-Symphorien
Le cercle de Saint-Symphorien

Les Cercles prennent le statut d’association

La loi de 1901 sur les associations officialise les statuts des Cercles. Ils se nomment Cercle de l’Union, des Républicains, des Démocrates, des Citoyens, des Travailleurs, de la Concorde et de la Paix, de la Fraternité, de l’Avenir, etc.

Les femmes y sont interdites jusque dans les années 1950.

Logo des Cercles de Gascogne
Logo des Cercles de Gascogne

Les Cercles catholiques d’ouvriers

Albert de Mun (1841-1914)
Albert de Mun (1841-1914)

Parallèlement, Albert de Mun (1841-1914) fonde en 1871 « L’œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers ». Royaliste légitimiste, sensible aux questions sociales, il souhaite rechristianiser le monde ouvrier. D’ailleurs, il pense que des drames comme celui de la Commune de Paris ne peuvent être évités que si les classes dirigeantes s’intéressent aux ouvriers.

Aussi, il s’inspire du modèle du « Cercle de Montparnasse » créé par un membre de la congrégation de Saint-Vincent de Paul. Et il fonde l’Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers à Bordeaux en 1872 ; elle rassemble des adultes et des jeunes. Et il leur en confie la gestion.

Des cercles similaires ouvrent à Saint-Seurin, à Saint-Nicolas et aux Chartrons. Au total, en 1878, il en existe 375 dans tout le pays. Ils comptent 38 000 ouvriers et 800 notables.

Maison du premier Cercle Catholique ouvrier à Paris en 1865
Maison du premier Cercle Catholique ouvrier à Paris en 1865

Les Cercles catholiques d’ouvriers sont des lieux faits pour conserver leur foi, leurs mœurs et leur patriotisme. On y pratique des activités de détente, des activités d’éducation et des activités religieuses.

De plus, ce mouvement s’accompagne d’initiatives pour aider les ouvriers. Et il est à l’origine de nombreux syndicats agricoles, dans le bâtiment ou de métiers. D’ailleurs, la plupart des Cercles ont des caisses d’entraide pour venir en aide aux malades ou aux chômeurs.

Si certains Cercles fusionnent rapidement dans d’autres œuvres (Bordeaux en 1895), d’autres subsistent jusqu’au début des années 1930.

Les nouveaux Cercles de Gascogne

Le Cercle de l'Union à Pissos (40)
Le Cercle de l’Union à Pissos (40)

L’évolution de la société fait disparaitre les Cercles de Gascogne, les uns après les autres. Et ils auraient sans doute tous disparu sans le travail remarquable du Parc naturel des Landes de Gascogne qui accompagne leur renouveau.

Alain Crenca, adjoint au maire de Pissos, crée en 1998 la Fédération des Cercles de Gascogne. Elle compte aujourd’hui 23 Cercles ou cafés associatifs. Grâce à son travail, de nouveaux Cercles ouvrent comme Sort en Chalosse en 2012, Saint-Justin en 2015. Des projets existent au-delà de l’aire traditionnelle des cercles, comme à Nassiet en Chalosse.

La carte des Cercles de Gascogne
La carte des Cercles de Gascogne

En reconnaissance de son travail, la Fédération et le Conseil départemental des Landes signent en 2014 une convention d’objectifs pour aider la Fédération des Cercles de Gascogne dans sa mission de coordination des activités des Cercles.

Les Cercles fonctionnent sous la forme d’associations de type loi de 1901. Ils sont accessibles à tout le monde. Sur le modèle des Bistrots de Pays, ils sont un lieu essentiel de la vie locale.

D’ailleurs, beaucoup accueillent le siège d’associations locales. Comme dans les premiers Cercles, on vient y prendre une consommation (on ne dit plus boire une pinte…), jouer aux cartes, lire le journal. Modernité oblige, on vient aussi y déjeuner, participer à des banquets, participer à des lotos, à des soirées musicales ou à des présentations théâtrales.

Cercle de Gascogne et culture gasconne

Jean-Luc Lagrave, Président du Cercle gascon de negòcis © Bernard Dugros
Jean-Luc Lagrave, Président du Cercle gascon de negòcis © Bernard Dugros

Les cercles n’oublient pas la culture gasconne. On peut jouer aux quilles dans certains cercles ou faire bruler la halha de Nadau. Les Cercles présentent aussi une vitrine de produits locaux ou régionaux et font office de lieu d’information touristique.

Citons le Cercle gascon de negòcis, créé en 2021 à Capbreton, qui rassemble une trentaine d’entreprises à l’ADN Gascogne.  Elle a été spécialement créée pour mettre en relation les entrepreneurs qui partagent les valeurs simples et intègres de la Gascogne et développer l’économie locale dans une optique juste et durable, précise leur site Linkedin. et dont l’objectif est de créer un label « Produit en Gascogne » ou « Produit en pays gascons ». Jean-Luc Lagrave, son président, espère bien que d’autres se joignent à eux. Et on y entend parler gascon !

 

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Fédération des Cercles de Gascogne
Cercles et sociabilité en Gascogne (XIX°-XX° siècles), Annales du Midi, Bernard Traimond, 1981
Histoire et vies des cercles de Gascogne, Jean-Jacques Fenié, Patrice Clarac, Isabelle Loubère, 2014




Lourdes et Garaison, la Vierge en Bigorre

Le culte marial est très présent en Bigorre. Et pour cause ! Ce sont deux apparitions de la Vierge et deux sanctuaires qui y ont vu le jour. Celui de Lourdes est de loin le plus connu mais celui de Garaison est beaucoup plus ancien.

La Vierge et le sanctuaire de Garaison

Chapelle N-D de Garaison
Chapelle N-D de Garaison

En 1515, la Vierge apparait trois fois à Anglesa [Anglèse], une jeune bergère de 12 ans, fille de Guillaume de Sagazan, dans un champ de la commune de Montlong [Monléon-Magnoac].

Pierre Geoffroy, chapelain de l’église, nous rapporte le récit des faits en 1613. Anglesa était assise près d’une fontaine lorsque la Vierge lui apparait et lui dit : « Ne craignez rien, je suis la Vierge Marie, mère de Dieu. Allez dire au Recteur de Monléon qu’il doit bâtir ici une chapelle, car j’ai choisi ce lieu et j’y répandrai mes dons ». Plutôt sceptique, le curé demande des preuves.

Une seconde apparition, puis une troisième devant la famille d’Anglesa et ses voisins assemblés achèvent de le convaincre. Alors, la Vierge leur dit : « Cherchez dans votre panetière, et chez vous dans le coffre du pain ». Et c’est vrai, le pain blanc a remplacé le pain noir dans toutes les maisons ! Aussitôt, des foules arrivent de partout pour prier sur la fontaine près de laquelle une croix est érigée. Une chapelle est construite en 1540.

L’histoire de ces apparitions figure dans une série de tableaux sous le porche de l’église.

Les miracles de Garaison

L'entrée de la chapelle de N-D de Garaison
L’entrée de la chapelle de N-D de Garaison

On attribue de nombreux miracles à la Vierge que l’on appelle « Notre Dame de la Guérison », garison en gascon, ce qui aurait donné le nom de Garaison. Mais, en 1590, lors des guerres de religion, un huguenot jette la statue de la Vierge au feu. Contre toute attente, elle sort intacte du brasier. À Toulouse, Postal, un condamné à mort, prie avec ferveur Notre Dame de Garaison. Il est sauvé car la corde qui devait le prendre se rompt trois fois en suivant.

La chapelle attire une foule nombreuse de pèlerins. D’ailleurs, Pierre Geoffroy nous dit que : « depuis trois ou quatre heures de l’après-midi jusqu’à la nuit, on dirait que la foire se doit tenir le lendemain ».

Quant à Anglesa, elle se retire au couvent de Fabas et y meurt en 1582. Ses cendres sont ramenées à Garaison en 1958.

La vocation d’enseignement de Garaison

Jean-Louis Peydessus (1807-1882)
Jean-Louis Peydessus (1807-1882)

L’enseignement est une des missions du sanctuaire qui possède une école de musique pour former les chanteurs nécessaires à la liturgie. Le célèbre baryton François Lay (1754-1831) sort de cette école avant de connaitre le succès à Paris (voir article sur Francis Lay).

En 1836, le Père Jean-Louis Peydessus (1807–1882), originaire du Louron, arrive à Garaison ; il fonde une congrégation et une école.

En 1841, une école de commerce est fondée. Mais, en 1903, le collège ferme. Il sert ensuite de camp d’internement pour des prisonniers allemands et autrichiens de la 1ère guerre mondiale. Parmi eux figure le médecin, théologien et philosophe Albert Schweitzer (1875-1965).

Puis, en 1860, l’« Accueil du Frère Jean » ouvre à Garaison et accueille jusqu’à 100 pensionnaires choisis parmi les plus pauvres. C’est une initiative du Frère Jean qui est allé à pied jusqu’à Rome pour voir le Pape car son supérieur et l’Evêque de Tarbes ne croient pas à son projet. Ensuite, il parcourt inlassablement les routes pour chercher des fonds. C’est une réussite. L’ « Accueil du Frère Jean » accueille encore 80 pensionnaires.

En 1923, d’anciens élèves rachètent les bâtiments et rouvrent le collège. Il accueille aujourd’hui 700 élèves de la maternelle à la Terminale. Ses élèves viennent de toute la région et du val d’Aran. Les résultats de réussite des élèves sont remarquables.

Les apparitions mariales de Lourdes

Bernadette Soubirous en 1863
Bernadette Soubirous en 1863

En 1858, la Vierge apparait dans une grotte à Lourdes à une autre bergère de 14 ans, Bernadette Soubirous. Là, ce sont 18 apparitions en l’espace de six mois. Bien sûr, des enquêtes de police ont lieu. L’évêque lui-même interroge Bernadette Soubirous dans une chapelle de la cathédrale de la Sède à Tarbes. Cette chapelle est conservée et doit être restaurée pour l’ouvrir au public dans le cadre d’un grand projet de valorisation de la cathédrale.

Que soi era Immaculada Concepcion [Je suis l’Immaculée Conception]. C’est ainsi que la Vierge se présente à Bernadette Soubirous. En effet, tout comme Anglesa, Bernadette ne parle que le gascon. La foule se rend à la grotte. Ils sont 8 000 le 4 mars 1858. Les autorités font barricader la grotte mais les apparitions continuent. Finalement, Napoléon III fera rouvrir la grotte.

La grotte

La Grotte miraculeuse à Lourdes (Hautes-Pyrénées), peu de temps après les apparitions (1858) et avant les premiers aménagements (1864)
Lourdes – la Grotte miraculeuse, peu de temps après les apparitions (1858) et avant les premiers aménagements (1864)

La Vierge demande de boire l’eau et de manger l’herbe (lire l’article) : Anatz béver en’a hont e v’i lavar. Anatz minjar aquera èrba que troberatz aquíu. Alors, Bernadette creuse le fond de la grotte et découvre une source dont elle boit l’eau. Il n’en faut pas plus pour que des personnes l’imitent et remplissent des bouteilles qui sont distribuées dans la ville.

En 1858, Catherine Latapie qui a deux doigts « pliés et paralysés », trempe la main dans la source et la ressort, les doigts guéris. C’est le premier miracle que reconnait l’Eglise.

L’Eglise reconnait les miracles

Quatre ans plus tard, l’Evêque de Tarbes reconnait officiellement les apparitions de Lourdes : « Nous jugeons que l’Immaculée Marie, Mère de Dieu, a réellement apparu à Bernadette Soubirous, le 11 février 1858 et les jours suivants, au nombre de dix-huit fois, dans la grotte de Massabielle, près de la ville de Lourdes ; que cette apparition revêt tous les caractères de la vérité, et que les fidèles sont fondés à la croire certaine. Nous soumettons humblement notre jugement au Jugement du Souverain Pontife, qui est chargé de gouverner l’Eglise universelle ». L’évêché achète des terrains et construit plusieurs églises. Dès lors, le pèlerinage de Lourdes supplante celui de Garaison et celui de Bétharram, tout proche, où la vierge est apparue en 1515.

Ainsi, on inaugure en 1871 une église construite au-dessus de la grotte des apparitions. Mais elle devient vite trop petite. Alors, on lance le chantier de la basilique du rosaire en 1883. Puis, l’année suivante, on place une statue de la Vierge dans la grotte.

Devant l’afflux de guérisons dites miraculeuses, l’Eglise met en place un bureau médical chargé d’étudier chaque cas de guérison supposée de transmettre le dossier à un comité médical international puis à l’évêque qui, après enquête canonique, peut déclarer le miracle. Sur 6 000 dossiers déposés, l’Eglise reconnait 67 miracles.

En 1866, Bernadette Soubirous part au couvent des sœurs de la charité de Nevers. Elle y meurt en 1879 à l’âge de 35 ans. Elle est canonisée en 1933.

Lourdes- La basilique vue depuis le château
Lourdes – La basilique vue depuis le château

Le miracle est aussi économique

Lourdes qui est une petite bourgade, tire profit des apparitions. Il faut héberger les nombreux pèlerins et curieux qui se rendent à la grotte.

Lourdes - dessin de 1846
Lourdes – dessin de 1846

On construit des hôtels qui font de Lourdes la seconde ville hôtelière de France en termes de capacité, après Paris. Des commerces d’articles religieux ouvrent près des sanctuaires. Les pèlerins sont nombreux et la ville est prospère.

Mais les temps changent. La durée des pèlerinages raccourcit. De même, les pèlerinages organisés diminuent au profit des individuels. Alors, pour retenir les pèlerins, les hôteliers se font la guerre des prix, ce qui conduit à un défaut d’investissements. Les pèlerins désertent les hôtels de la ville et ne les remplissent plus qu’à 54 % en haute saison, et seulement à 47,5 % en basse saison.

Une rue commerçante près des sanctuaires
Lourdes – Une rue commerçante près des sanctuaires

La crise du COVID aggrave les choses. Il faut réagir. Enfin, on prend conscience qu’il faut sortir du mono-prix, mono-clientèle et mono-produit comme le dit Christian Gélis, président du syndicat des hôteliers.

L’Etat, la région et le département mettent la main à la poche : 100 millions d’Euros à investir sur 10 ans ! Construire de nouvelles infrastructures, rénover la ville, adapter et rénover au gout du jour la capacité hôtelière, faire revenir les pèlerins et les touristes, etc.

En un mot, renouveler le miracle de Lourdes.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Jean-Louis Peydessus, apôtre marial de la Bigorre, Gaetan Bernoville, 1958
Les merveilles de Nostre Dame de Garason
, Pierre Geoffroy, 1607
La Triple Couronne de la sainte Vierge, Père Poiré, 1630
Notre-Dame de Garaison depuis les apparitions jusqu’à la Révolution française, 1500-1792, P. Bordedebat, 1901
www.garaison.com




La main d’Irulegi

La main d’Irulegi trouvée le 18 juin 2021 en Navarre est une découverte majeure pour tous les héritiers des Vascons. Elle est la preuve que notre langue ancienne a laissé des traces écrites.

La main d’Irulegi

Irulegi - plan de situation
Irulegi – plan de situation

Jusqu’à récemment, la langue euskarienne ne possédait pas de preuve de son existence avant le IVe siècle de notre ère. En plus de cela, les premières traces écrites connues du basque dataient, avant cette découverte, du XVIe siècle. Mais depuis peu, en novembre 2022, a été traduit le premier mot d’une série de cinq, sur un objet découvert le 18 juin 2021 sur la colline d’Irulegi.

Officiellement la découverte de cet objet apporte la preuve écrite la plus ancienne de la pratique du proto-basque. Cette langue était parlée dans un espace bien plus large que l’Euskadi actuelle. En effet, c’est dans tout l’espace aquitain que le proto-basque était utilisé, espace allant du Couserans jusqu’au début du massif des Cantabres et de l’estuaire de la Gironde jusqu’à l’Ebre. Les locuteurs de cet ensemble de langues étaient les Aquitains. Ces derniers deviendront les Vascons durant le Haut Moyen-Âge, et c’est à partir du XIe siècle que les textes différencieront les Gascons des Basques.

Irulegi - le champ de fouilles
Irulegi – le champ de fouilles

L’objet en lui-même est une main droite en bronze de 14,31 cm de hauteur, 12,79 cm de largeur et d’une épaisseur de 1,09 mm. Le texte gravé sur cette main est composé de 5 mots, 40 signes sur 4 lignes. Enfin, la main de la colline d’Irulegi date du 1er siècle avant JC, plus précisément du dernier tiers du 1er siècle, au moment de la guerre sertorienne (-80 av JC à -72 av JC).

Le système d’écriture révélé par la main

D’après Javier Velaza, professeur de philologie latine à l’université de Barcelone, les inscriptions suivent un système semi-syllabique emprunté au système d’écriture ibérique. Un semi-syllabaire est un système mixte employant dans le même temps des signes correspondants à des lettres et d’autres signes correspondants à des syllabes. Cependant, le professeur remarque que sur cette main est inscrite une variante. Le signe « T » est à l’heure actuelle inexistant dans l’écriture ibérique ; il est nécessaire d’ajouter que ce symbole figure déjà sur deux pièces frappées en territoire basque. « Les Basques ont emprunté le système d’écriture ibérique en l’adaptant à leurs caractéristiques » fait-il remarquer.

La main d'Irulegi
Irulegi – La main

Le premier mot inscrit sur la main est quasi transparent : sorioneku. Il est comparable au basque actuel, zorioneko signifiant « de bonne fortune ». Ainsi, cela prouve qu’il s’agit d’une inscription proto-basque et non ibérique ou celtibérique. D’après Jean-Baptiste Orpustan, professeur honoraire des universités Michel de Montaigne Bordeaux III, spécialiste en lexicographie, linguistique historique, littérature, onomastique, traduction en langue et littérature basques, les langues ibériques et proto-basque étaient des langues voisines et probablement proches d’un point de vue phonétique et structurel mais elles étaient sans doute deux langues bien distinctes.

Le basque actuel ne permettant pas de traduire les autres mots, en plus de deux millénaires, l’euskara a changé et son vocabulaire n’est plus forcément le même. Sabino Arano Goiri, fondateur du nationalisme basque avait créé de nombreux néologismes afin d’éviter une trop grande hispanisation du basque.

La fonction de la main d’Irulegi

Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d'Irulegi
Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d’Irulegi.

Au sujet de l’objet en lui-même, il avait surement une fonction apotropaïque.  C’était un objet conjurant le mauvais sort pour les habitants de la maison où on l’a trouvé. On a découvert une main similaire  à Huesca, mais sans inscription dessus ; cette main devait avoir la même fonction.

Aujourd’hui encore, on trouve des objets ayant la même fonction à l’entrée des maisons, sacré-cœur de Jésus, crucifix, fer à cheval, médaille de saint Christophe dans les voitures etc… Nos ancêtres n’étaient pas si différents de nous.

Seul témoignage de notre langue passée ?

Tumuli de Vielle-Aubagnan (plan de situation)
Tumuli de Vielle-Aubagnan – plan de situation

La découverte de cette main peut remettre en lumière une autre découverte datant de 1914 par Pierre-Eudoxe Dubalen : les tumuli de Vielle-Aubagnan.

Dans ces tumuli, parmi le matériel découvert (restes de cotte de mailles, casques, lance tordue…) Dubalen trouve également des restes de phiales (coupe sans pied ni anse). Sur ces coupes, des inscriptions sont présentes.

 

Première inscription de Vielle-Aubagnan

Sur ce premier phiale on pourrait  lire :

  • anbailku : lecture en 1956 de René Lafon, spécialiste de la langue basque
  • anbaikar : lecture en 1980 de Jürgen Untermann, linguiste
  • binbaikar : lecture de 1990, Jean-Claude Hébert, linguiste.

Seconde inscription de Vielle-Aubagnan

  • betiteen : 1956, Lafon,
  • titeeki : 1980, Untermann,
  • kutiteegi : 1990, Hébert.Si, dans ces coupes, le symbole « T » n’est pas présent, comme sur la main d’Irulegi, les deux phiales et la main démontrent une appropriation d’un des systèmes d’écriture ibérique dans l’espace aquitain. Et cela peut démontrer que les peuples de langue proto-basque étaient donc capables d’écriture, peut-être même de littérature (cf. utilisation apotropaïque de l’écriture sur la main d’Irulegi).

On constate également que les deux phiales dateraient de la fin du 2e siècle avant J.-C. La main d’Irulegi, elle, date du début du 1er siècle av. J.-C. On peut donc admettre que ces objets sont presque contemporains.
La main date de la guerre sertorienne (-80 à -72) et les phiales de la fin du 2e siècle av JC.

Utilisation partielle ou générale en Aquitaine ?

Cependant, si on ne peut conclure à une utilisation généralisée de l’écriture dans tout l’espace aquitain, nous pouvons acter de l’usage au moins partiel de l’écriture dans l’espace dit aquitain. Ces peuples-là étaient donc capables d’écrire et même de s’approprier un système d’écriture et le modifier à leur guise. La découverte de la main d’Irulegi est définitivement une découverte majeure.

Enfin, il est légitime de ne pas s’étonner que ces peuples soient capables d’écrire. Après tout, une partie des Celtes de la Gaule préromaine utilisaient les systèmes d’écriture ibérique et l’alphabet grec entre autres. La doxa déclarant que les Celtes avaient une culture essentiellement orale provient principalement du fait qu’ils avaient une transmission orale de leur culture/religion/histoire. Si les Celtes étaient capables d’écrire, tout comme les Ibères et les Celtibères, alors les Aquitains le pouvaient également.

Loís Martèth

écrit en orthographe nouvelle

Références

La mano de Irulegi
L’âge du Fer en Aquitaine et sur ses marges. Mobilité des hommes, diffusion des idées, circulation des biens dans l’espace européen à l’âge du Fer sous la direction de Anne Colin, Florence Verdin, 2011
L’ibère et le basque : recherches et comparaisons, Jean-Baptiste Orpustan, 2009
Les deux phiales à inscriptions ibériques du tumulus numéro III de la lande « Mesplède », à Vielle-Aubagnan (Landes).




Gustave Lassalle-Bordes, un peintre maltraité ?

Le Bézollais Gustave Lassalle-Bordes est un peintre remarquable. Ayant travaillé avec les plus grands, il trouvera finalement la paix dans son Gers natal.



G. Lassalle-Bordes apprend la peinture

Gustave Lassalle-Bordes nait en 1814 ou 15 dans le Gers, probablement à Besòlas [Bézolles], où se situe sa maison. À 17 ans, il monte à Paris afin d’étudier la peinture.  Il est alors l’élève du célèbre Paul Delaroche (1797-1856), spécialiste de la peinture historique.

Il travaillera aussi avec d’autres peintres d’histoire comme Charles-Philippe Larivière (1798-1876).

Paul Delaroche – Autoportrait

En 1835, il commence à exposer et attire l’attention. Ainsi, l’année suivante, le peintre Jules-Claude Ziegler (1804-1856) le prend dans son équipe pour réaliser un marché qu’il enlève justement à Paul Delaroche. Il s’agit de réaliser une grande fresque pour l’église de La Madeleine appelée L’histoire du christianisme.

Très vite, l’État lui commande en direct un tableau que Gustave présentera au Salon de 1837. À cette occasion, c’est le réputé Eugène Delacroix qui le remarque.

Jules Ziegler – Histoire du christianisme, dôme de l’église de la Madeleine (fresque)

G. Lassalle-Bordes élève de Delacroix

Eugène Delacroix par Nadar

Gustave rejoint l’atelier du maitre en 1838. Outre son travail d’assistant, il occupe aussi celui de massier, c’est-à-dire qu’il assure un certain nombre de tâches d’intérêt commun comme la gestion des finances de l’atelier.

Notre Gersois sera le principal assistant de Delacroix pendant plus de 12 ans. Dès le départ, les relations sont bonnes et Gustave admire la créativité et le sens esthétique du grand peintre. D’ailleurs, Delacroix précise dans une de ses lettres : je vous remercie bien de l’amitié que vous témoignez et qui est devenue aussi pour moi une nécessité.

Toutes ces lettres, Delacroix les envoie à Bézolles. Car Gustave n’oublie pas son Gers natal et s’y rend régulièrement pour se reposer. Et lors de ses absences, le maitre l’incite à revenir assez vite, comme on peut le lire dans plusieurs lettres dont celle du 31 octobre 1842 : J’espère que votre séjour à la campagne vous aura délassé des fatigues que vous a causées la coupole [coupole de la bibliothèque de la Chambre des pairs au palais du Luxembourg], à laquelle vous avez travaillé avec tant d’abnégation et, je puis dire, avec succès.

La mort de Cléopâtre, œuvre majeure

En 1845, Lassalle-Bordes peint un tableau, La mort de Cléopâtre, qu’il exposera au Salon de 1846. Le peintre en recevra une médaille d’or.

Charles Baudelaire (1821-1867), alors critique d’art et journaliste, note l’originalité et la beauté de la toile. Il écrit :

Ce qu’il y a d’assez singulier dans la Mort de Cléopâtre, par M. Lassale-Bordes, c’est qu’on n’y trouve pas une préoccupation unique de la couleur, et c’est peut-être un mérite. Les tons sont, pour ainsi dire, équivoques, et cette amertume n’est pas dénuée de charmes.

La mort de Cléopatre

Cléopâtre expire sur son trône, et l’envoyé d’Octave se penche pour la contempler. Une de ses servantes vient de mourir à ses pieds. La composition ne manque pas de majesté, et la peinture est accomplie avec une bonhomie assez audacieuse ; la tête de Cléopâtre est belle, et l’ajustement vert et rose de la négresse tranche heureusement avec la couleur de sa peau. Il y a certainement dans cette grande toile menée à bonne fin, sans souci aucun d’imitation, quelque chose qui plaît et attire le flâneur désintéressé.

La brouille avec Delacroix

Le 4 septembre 1848, Delacroix écrit à Lassalle-Bordes en vacances à Bézolles : Je pense souvent aussi et avec bien du plaisir à nos travaux ; ce souvenir me reporte à tant de choses qui ont changé que j’ai peine à croire que de tels moments puissent renaître. Quand serons-nous ensemble devant une belle muraille, la brosse en main, n’ayant pas d’autres soucis que de faire le mieux possible !

Toutefois, Eugène Delacroix conçoit ses œuvres, leur composition et laisse leur réalisation à son principal assistant, Lassalle-Bordes. Ainsi Delacroix en conserve le prestige et la technicité du Gersois est passée sous silence, du moins c’est ce que ressent notre peintre. Et il s’en accommode de moins en moins.

En 1849, suite à une morsure de chien à Bézolles, Lassalle-Bordes écrit ne pas pouvoir revenir auprès du maitre. Il restera plusieurs mois dans le Gers (au moins six mois), laissant des travaux inachevés. Delacroix en est fâché car il doit trouver d’autres assistants, moins formés et moins talentueux. Et les chantiers trainent. Delacroix suspend le salaire qu’il lui verse, les liens se distendent. Mais le summum arrive l’année suivante. Gustave accuse Delacroix d’être intervenu pour empêcher le baron Haussmann (1809-1891), préfet de la Seine, de lui donner à décorer tout le sanctuaire de l’église de Belleville, nouvellement construite.

Il écrira : il fut trouver ces messieurs et les supplia de ne pas me donner ce travail, parce qu’il avait besoin de moi, qu’il ne pourrait pas me remplacer, et que ses travaux allaient être arrêtés. Il était lié avec Fould, il était depuis quelques mois membre du conseil municipal de Paris je fus sacrifié, malgré l’annonce que ces messieurs m’avaient faite de ces deux commandes qui, par leur importance, me permettaient de montrer ce que j’avais acquis d’expérience dans la peinture ornementale. 

La déception

Le Gersois n’avait peut-être pas bon caractère. Cependant, au XIXe siècle, les relations entre maitre et élèves changent et ces derniers ne sont plus prêts à rester dans l’ombre. S’il reconnait volontiers les qualités de composition de Delacroix, Gustave admet mal que trois ans de travail à peindre la coupole du Luxembourg par exemple soient ignorés. Pour lui, l’exécution, la luminosité, l’ambiance finale, le rendu sont l’œuvre du réalisateur et non du concepteur. Aussi, il attend une plus grande reconnaissance du maitre.

D’ailleurs, il écrira :

Un fait assez drôle se passa au Luxembourg. Le bibliothécaire, M. Carré, me saluait depuis trois ans avec une très grande déférence, croyant saluer Delacroix. Un jour, un de mes amis vint me demander et du bas de l’échafaudage m’appela « Lassalle ». Je descendis. Quand je fus seul, M. Carré s’approcha de moi et nie dit :
— Vous n’êtes donc pas M. Delacroix ?
— Non, monsieur, je suis son élève.

— Mais c’est bien M. Delacroix qui est chargé de faire ce travail ! Comment se fait-il que je ne l’ai jamais vu ?
— Il vient à des heures où vous n’y êtes pas.
— Comment cela ! Mais je suis toujours à mon poste !
À partir de ce moment. M. Carré me prit en belle affection, et m’avertit que je faisais là un métier de dupe.

G. Lassalle-Bordes s’installe à Auch

Après sa brouille avec Delacroix, en 1851, Gustave quitte la capitale et s’installe à Auch. Fort de ses médailles, des critiques positives et de sa collaboration avec Delacroix, il trouve un emploi de professeur de dessin dans les écoles communales et reçoit plusieurs commandes.

Eglise Saint-Nicolas de Nérac – Choeur

Par exemple, il est chargé en 1854 de la décoration de l’église Saint-Nicolas de Nérac. Ou encore le marquis de Pins lui confie en 1865 la décoration du château de Montbrun (Gers) récemment reconstruit.

Cette même année, il milite pour la réalisation d’une galerie de portraits d’illustres Gersois.

Ainsi, il fournit huit portraits qui décoreront la Salle des illustres de l’hôtel de ville d’Auch en 1868. Hélas, l’accueil est mitigé. Pourtant il continue à exposer et réaliser des commandes dont une série de tableaux religieux pour la cathédrale de Condom.

Le souvenir

Enfin, en 1872, il est nommé professeur de dessin au lycée d’Auch.

En 1879, Gustave Lassalle-Bordes écrit au critique d’art Philippe Burty (1830-1890) ces mots douloureux : (…) en 1854 je quittais Eug. Delacroix, le coeur brisé, après une affreuse déception. J’ai su qu’il avait souffert autant que moi de cette séparation. Delacroix, à qui j’avais voué un attachement si grand, que j’avais aidé avec tant d’abnégation pendant dix ans, dans les travaux les plus ardus qu’il était incapable physiquement d’entreprendre, étouffa l’affection qu’il avait pour moi dans un égoïsme qui a brisé ma carrière d’artiste, et serait une tache dans ma vie si je ne lui pardonnais pas le mal qu’il m’a fait.

Philippe Burty

Il ajoute : Mais de ce mal est résulté un bien pour moi, car j’ai trouvé dans mon pays natal un accueil bien flatteur et des amitiés bien douces, qui, somme toute, valent mieux que les fumées de la gloire.

Il meurt en 1886 à Auch. On retrouvera dans un grenier des centaines de dessins de grande qualité.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Delacroix et ses élèves d’après un manuscrit inédit, Romantisme, Anne Larue, 1996
Correspondance d’Eugène Delacroix
Salons de 1846,Baudelaire, vol. II, p. 77-198.
Gustave Lassalle Bordes au Musée d’Occitanie (Toulouse)
Gustave Lassalle Bordes – Oeuvres diverses sur Wikimedia

https://www.ladepeche.fr/article/1999/07/15/238101-le-sejour-gascon-de-cleopatre.html




Bona santat! Bonne santé !

Pour la nouvelle année, parlons santé… à la gasconne en nous appuyant sur les proverbes collectés par lo gran amassaire Honoré Dambielle.

L’alimentation base de la santé

En 400 avant J-C, Hippocrate pose les bases de la médecine. Selon lui, les maladies sont des phénomènes naturels qu’il faut donc combattre avec des remèdes naturels. Et il conseille d’observer les symptômes visibles du patient qui montrent les changements internes qui s’opèrent en lui. Ainsi, il s’intéresse plus à la disposition de l’individu face à la maladie qu’à la spécificité ou les causes de la maladie contractée.


Joseph de Chesne (1546-1609) promoteur de la bonne santé
Joseph de Chesne (1546-1609)

Toutefois, il faudra attendre le Lectourois Joseph de Chesne (1546-1609) pour prendre en compte la diététique en médecine, donc pour considérer que ce que l’on mange a une influence sur la santé.

Et de vanter les vertus de l’ail ou des fruits par exemple. Voir l’article Le bien manger.


Maurice Mességué ou la bona santat par les plantes
Maurice Mességué

Les plantes seront ainsi, très tôt, employées à des fins médicinales. Pourtant, la phytothérapie prendra tardivement des lettres de noblesse et Maurice Messegué (1921-2017), fils du Gers, en sera un illustre représentant.

De tot un pauc e un pauc de tot


Honoré Dambielle
Honoré Dambielle (1873-1930)

De tout un peu et un peu de tout. Avec sagesse, nos ancêtres considèrent que la bonne santé se situe entre le manger insuffisant qui affaiblit le corps et le trop manger.

Se bos pas este flac
Desarrupo l’estoumac

Se vòs pas èster flac
Desarrupa l’estomac

Si tu ne veux pas être faible
Ouvre l’estomac [litt: desserre l’estomac]

Toutefois, peut-être parce que l’occasion de trop manger n’est pas si fréquente dans les temps anciens, nos proverbes valorisent surtout le manger et même le beaucoup manger :

Qui minjo plan e hort
Aujo pas poou de la mort

Qui minja plan e hòrt
Auja pas páur de la mòrt

Qui mange bien et fort [beaucoup]
N’a pas peur de la mort

La bona santat et l’humour gascon 


Chabrot
Le chabrot gascon

Il n’y a pas de sujet tabou pour un Gascon. De plus, il ne se laisse pas influencer trop facilement, même par le médecin. Et ce proverbe l’illustre bien :

Après la soupo, un bouhat de bin
Descoumando lou medecin

Après la sopa, un bohat de vin
Descomanda lo medecin

Après la soupe, une lampée de vin
Décommande le médecin

De même, l’enquêteur Renaud Lassalle enregistre pour Eth Ostau Comengés un conte de santé : sense era aiga de vita que seria mòrt [sans eau-de-vie il serait mort]

Déjà, Joseph de Chesne avait prévenu : Pour éviter les goitres et le crétinisme, dus à l’eau des montagnes, le Gascon préfère boire du vin.

Ainsi, même si les consommations baissent partout en France, la Gascogne reste un bon consommateur de vin. Ce qui ne nous empêche pas de vivre vieux puisque nous sommes la cinquième région de France (sur 19) où l’espérance de vie est la plus forte.

Vaincre l’indigestion


Miqueu Baris
Miqueu Baris

Probablement, pendant les réveillons de Noël et de la Saint-Sylvestre, vous avez été servit de la cuèisha [litt. : servis de la cuisse] c’est-à-dire que vous avez eu droit aux meilleurs morceaux. Et votre système digestif a été mis à rude épreuve. Heureusement, le Landais  Miquèu Baris (1947- ) vous offre de retrouver la bona santat dans Las potingas deu posoèr de Gasconha [les remèdes du sorcier gascon]

Com har tà suenhar ua maudeverzuda

S’avetz ua maudeverzuda o simplament ua deverzuda mau aisida, en seguint deus vòstes chaps de fin d’annada, qu’existeish ua potinga de mairana, plan coneishuda dempuish bèra pausa. Lo carbon vegetau que permet de har baishar las en·hladas deu vente, la maudeverzuda, la caguèra, lo mau de còr e la vomidera. Aquera solucion qu’es tanben eficaça en cas d’intoxicacion alimentària. […]. Alavetz, com son passats los arresopets de Nadau e de Cap d’An, ne trantalhitz pas de seguir aqueths conselhs, que vs’asseguri!

Comment faire pour soigner une indigestion


Le charbon végétal pour retrouver la bonne santé
Le charbon végétal

Si vous avez une digestion difficile, en suivant de vos gueuletons de cette fin d’année, il existe un remède de grand-mère, bien connu depuis très longtemps. Le charbon végétal permet de diminuer les ballonnements, l’indigestion, la diarrhée, les nausées et les vomissements. Cette solution est aussi efficace en cas d’intoxication alimentaire. 

[…] Alors, comme les réveillons de Noël et du Jour de l’An sont passés, n’hésitez pas à suivre ces conseils, je vous assure !

 

Bona annada, bona santat !

An passat adiu! An navèth salut!  [An passé, adieu ! Nouvel an, bonjour !] C’est donc le moment de souhaiter à tous une bonne année. Et de le faire à la gasconne :

A un aute còp, brave monde ! Bona annada, plan granada!
[À une autre fois, braves gens ! Bonne année et prospérité !]


Jean-Louis Lavit

Et, cette année, laissez donc l’Irish coffee [le café irlandais], el café español [le café espagnol] pour les glorias de chez nous, ces cafés traditionnels parfumés à l’armagnac. Pour les gourmands, ce peut-être un canard, c’est-à-dire un sucre trempé dans de l’armagnac. Ou encore laissez-vous tenter par un bon gasconhaliure (gascogne-libre) comme le commissaire Magret de l’excellent écrivain gascon Jean-Louis Lavit. D’ailleurs, vous pouvez visiter son univers en parcourant le site du comissari Magret.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Nos proverbes gascons – Cinquième série : l’homme et son travail, Honoré Dambielle




Le Couserans et ses noëls du XVIIIe siècle

Nos aïeux racontaient les mystères de Noël à leur façon, a còps escarrabilhada, gailharda e crostillosa [parfois pleine d’humour, joyeuse et libre]. Louis Lafont de Sentenac a collecté pour nous quelques noëls du XVIIIe siècle.



Les noëls en Ariège

Louis Lafont de Sentenac est trésorier de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts. Il a recueilli des textes, des noëls du XVIIIe siècle en Ariège. Et il les présente dans son ouvrage, Recueil de  noëls de l’Ariège en patois languedocien et gascon, publié en 1887.

De plus, cet ouvrage a obtenu une médaille de vermeil au Congrès des Félibres d’Aquitaine, tenu à Foish (Foix) le 18 mai 1886.

Recueil des noëls de l'Ariège de Louis Lafont de Sentenac

Notons que le département de l’Arièja [Ariège] est la réunion de parçans différents : le comté de Foish [Foix], la seigneurie de Mirapeish [Mirepoix], le Coserans [Couserans] autour de Sent Guironç [Saint-Girons] et Sent Líser [Saint-Lizier]. Ainsi, l’auteur nous précise que trois idiomes y sont présents : celui de Foix (Foix et Pamiers), le languedocien de Mirepoix, le gascon du Couserans.

Une tradition plus large des chants de Noël

Père Godolin (1580-1649)

Selon la tradition catholique, les anges chantent les premiers noëls au-dessus de la crèche pour célébrer la naissance du Christ. Mais on ne sait pas de quand datent ces chants. Toutefois, le plus ancien noël français conservé, Entre le bœuf et l’âne gris, est du XVIe siècle. De même, plus près de chez nous, le Toulousain Pèire Godolin (1580-1649) en a écrit plusieurs dont Nouel.

Ces chants sur la Nativité ont bien sûr un sens religieux. Pourtant, ils sont destinés avant tout à une utilisation populaire, car Noël est une fête populaire. Ainsi, ils sont en langue vulgaire et de musique simple pour rester accessible à tous.

D’ailleurs, Louis Lafont de Sentenac écrit dans sa préface : la langue romane vulgaire, qui a joué aussi un rôle brillant, a donné naissance à un grand nombre de poésies, et principalement à des cantiques connus sous le nom de Noëls, « récits naïfs et touchants créés par le peuple et conservés par lui dans le sanctuaire du cœur ; plusieurs ont traversé les siècles et sont arrivés jusqu’à nous. »

Recueil de noëls de l’Ariège

L’ouvrage présente 69 noëls en languedocien (de Foix, Pamiers, Mirepoix…) et seulement 9 nadaus [noëls] en gascon coseranés, en gascon du Couserans.

  • Revelhatz-vous cheria
  • Ah! Quin mainatge!
  • Celebren la neishença,
  • L’angel Gabriel
  • Ara que Diu es descenut

  • Nadau! Per amor de Maria
  • Helas qu’una novèla
  • Hilhetas sortish de la tuta
  • Senheton qu’es nescut.

En fait, les phrases, les mots sont ceux du parler quotidien. Car, même si l’on parle d’événements religieux, ce sont des chants profanes. Par exemple, voici le début du quatrième chant :

L’angel Gabriel
Ba anouça à Mario,
Bierj’ aymablo :
Bous bengui anounça
Lou Hill de Diu bous cau pourta.

L’angel Gabriel
Va anonçar a Maria,
Vièrja aimabla:
Vos vengui anonçar
Lo Hilh de Diu vos cau portar.

L’ange Gabriel / va annoncer à Marie, / Vierge aimable : / je viens vous annoncer / Le Fils de Dieu il vous faudra porter.

Côté graphie, Sentenac précise qu’il a retenu celle de la grammaire béarnaise de Lespy. En effet, en 1887, aucune norme n’existait encore : Pour l’orthographe, nous avons adopté celle de nos philologues méridionaux. L’abbé Couture, Luchaire et Bladé n’écrivent pas Diou, Faouré, Fill, Païré, mais bien Diu, Faure, Filh, Payre, selon l’antique usage.

« Nadal Tindaire » par Gilbert Rouquette

Le chant IX, un dialogue entre bergers

Le chant de Noël IX, Senheton qu’es nescut présenté ici, est un exemple de la simplicité voire de la fraicheur et la candeur de ces textes.

Segnetou qu’es nescut ! / Senheton qu’es nescut!

Grafia de Sentenac

Segnetou qu’es nescut !
Ount ? ount ? ount !
A Bethleem.

Chœur des bergers

Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable !
Ja y bau, ja y bau
Ana adoura Jesus coum’ cau.

Un seul

Bos y ana tu, Jouan-Guillem,
Adoura Jesus en Bethleem,
Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Ja y bau, ja y bau
Adoura Jesus coum’ cau.

Autre

Bos y ana tu, Bourthoumiu,
Ana adoura le Hil de Diu,
Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Ja y bau, ja y bau
Adoura Jesus coum’ cau.

Tous

Bourthoumiu et Juan-Guillem,
Anem toutis à Bethleem,
Aquech Diu qu’es tant aymable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Sans plus tarda, sans plus tarda :
Anem toutis per l’adoura.

Grafia classica

Senheton qu’es nescut!
Ont? ont? ont!
A Bethleem.

Chœur des bergers

Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable!
Ja i vau, ja i vau
Anar adorar Jesus com’ cau.

Un seul

Vòs i anar tu Joan-Guilhem,
Adorar Jesus en Bethleem,
Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable,
Ja i vau, ja i vau
Adorar Jesus com’ cau.

Autre

Vòs i anar tu, Borthomiu,
Anar adorar lo Hilh de Diu,
Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable,
Ja i vau, ja i vau
Adorar Jesus com’ cau.

Tous

Borthomiu e Joan-Guilhem,
Anem totis a Bethleem,
Aqueth Diu qu’es tant aimable
Que n’ei nescut dins un estable,
Sans plus tardar, sans plus tardar:
Anem totis per l’adorar.

Le petit Seigneur est né !

Le petit Seigneur est né !
Où ? où ? où !
À Bethleem.

Chœur des bergers

Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable !
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.

Un seul

Tu veux y aller toi, Jean-Guilhem,
Adorer Jésus à Bethleem,
Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable,
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.

Autre

Tu veux y aller toi, Berthoumieu,
Adorer le Fils de Dieu,
Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable,
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.

Tous

Berthoumieu et Jean-Guilhem,
Allons tous à Bethleem,
Ce Dieu est si aimable
Qu’il en est né dans une étable,
Sans plus tarder, sans plus tarder :
Allons tous l’adorer.

(Noël du Couserans, du XVIIIe siècle)

Castillon en Couserans
Castillon en Couserans

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Recueil de Noëls de l’Ariège en patois languedocien et gascon, Louis Lafont de Sentenac, 1887.




Le chapon de Noël, une tradition ?

Mangerez-vous un chapon au repas de Noël ? D’ailleurs, est-ce traditionnel ? Histoire et gastronomie.



Le chapon…

Pline l'Ancien donne une origine possible du chapon dans Naturalis Historia
Pline l’Ancien -Naturalis historia – BM du Mans

Mais, un chapon, qu’ei aquò ? En fait, le chapon est un jeune coq que l’on castre, puis que l’on nourrit de céréales et, le dernier mois, de produits laitiers. Cela développe peut-être son appétit car le coq se met alors à manger énormément jusqu’à atteindre cinq ou six kilos.

Afin de limiter la consommation de poularde grasse et économiser le grain, on aurait imaginé, à Rome, en l’an 162 av. J.-C., de donner du lait à des jeunes coqs. En tous cas, c’est ce que nous dit Pline l’Ancien (23-79) dans le livre X de son Naturalis historia [Histoire naturelle]. Par la suite, les Romains nous ont probablement apporté ce plat.

… un grand succès

En tous cas, le succès du chapon ne se démentit pas au cours des siècles. D’ailleurs, Guilhem IX d’Aquitaine (1071-1126), que l’on considère comme le premier troubadour, écrit un poème Farai un vers, pos mi sonelh dont un couplet précise :

Guillaume IX d'Aquitaine dit combien il s'est régalé de deux chapons.
Guillaume IX d’Aquitaine – BnF

A manjar mi deren capos,
E sapchatz agui mais de dos;
Et no·i ac cog ni cogastros,
Mas sol nos tres;
E·l pans fo blancs e·l vins fo bos
E·l pebr’ espes.

Ils m’ont nourri de chapons,
Et sache que j’en ai eu plus de deux;
Et il n’y avait ni cuisinier ni cuisiniers,
Mais seulement nous trois;
Et le pain était blanc et le vin bon
Et le poivre abondant.

Deux chapons pour trois personnes, quel luxe ! Ou quels estomacs !

Le repas de Noël ne peut commencer qu’après le jeûne !

Joan Amades

L’ethnologue barcelonais Joan Amadès (1890-1959) nous dit que Noël était, dans les temps anciens, en période de jeûne.

Pourtant, grâce à un tour de passe-passe, nos ancêtres ont pu se régaler de chapon au repas de Noël…

Influit pel corrent popular, lo concili d’Aquisgran tengut en 817 convenguèt que los capons devián pas èsser considerats coma de carn e aital, donc, los fidèls ne podián manjar per Nadal, sens trencar l’abstinéncia.

Influencé par le courant populaire, le concile d’Aix-la-Chapelle tenu en 817 convenait que les chapons ne devaient pas être considérés comme de la viande et que les fidèles pouvaient donc les manger à Noël, sans rompre l’abstinence.

Les premières recettes de chapon

Parmi les livres de cuisine qui nous sont restés du Moyen-âge, on trouve le chapon farci provenant du livre de cuisine catalan, Llibre de Sent Soví, 1324.

A FARSIR CAPONS:
Si vols farcir capons, aytantost com los capons seran morts fets los plomar lo pus gint que sapiats ab los peus e ab lo coll e traets lo gavaix per lo coll que lo pits no sia escorxat, e trae ne lo ventrell e ço qui es dedins. E puys metets los dits per los pits e pertits la cuyr de la carn, e puys metets los en aygua tebea un poch; el farsir pren porch fresch menys de conna e deves lo lombrigol e un poch de molto si t vols e carnsalada grasa, e, corn lo hauras molt capolat e puys picat en un morter, mit hi ous cruus e salsa a picar e ages un poch d agras e sagi de porch fresch fus per mills metra a farcir, e puys mit ho enfre la carn e lo cuyr e puys enastats los e ligats los be e unta los mentre couran ab ous e ab safra debatuts ab del sagi fus, e fets salsa de pahons lo lir no nie (?).

Une recette de chapon dans l'ouvrage culinaire de 1324 Leo Llibre de Sent Sovì
Llibre de Sent Sovi

En gros, après avoir plumé et vidé le chapon, le cuisinier, anonyme, propose de le farcir avec de la chair de porc. Œufs, vinaigre, parfums de safran et de sauge complètent le tout. Finalement, une base toujours en vigueur par chez nous.

La concurrence au chapon

Lors de la croisade des Alnbigeois les troupes du Roi de France dégustaient des chapons
Prise de Marmande par le futur Louis VIII au cours de la Croisade des Albigeois

Si, dans les temps anciens, seule la poularde était une vraie concurrence au chapon, on trouvera rapidement l’oie. Ainsi, la Cançon de la Crosada [Chanson de la Croisade] précise (CXIX) :

A l’intrat de setembre, cant fo passatz aost,
Asetzeron Moissac de totas partz mot tost.
Lo coms Baudoïs i fazia gran cost:
Mota auca i manjet e mot capo en rost,
Aisi co m’o contè sos bailes e·l prebost.

À l’entrée de septembre, quand aout fut passé,
Ils assiégèrent activement Moissac de toutes parts.
Le comte Baudouin y faisait grande dépense :
Il y mangea force oies, force chapons rôtis,
Ainsi que me le contèrent son bailli et le prévôt.

La recette de chapon de Gascogne

Puis, avec la découverte de l’Amérique, la dinde fera son apparition. Notons que, plus grosse, elle peut nourrir plus de personnes.

Vincent Marqués chroniqueur du Jornalet donne sa recette.
Vicent Marqués – La Bona Taula – Lo Jornalet

Actuellement, quelques historiens de la cuisine publient des livres des plus intéressants. Citons ceux de l’archéologue toulousaine Sylvie Campech (1964- ) ou du cuisinier écrivain catalan Vicent Marqués (1950- ). Ce dernier recherche depuis 40 ans toutes les données possibles sur la cuisine en Catalogne ou dans le sud de la France. Outre ses livres, l’écrivain publie des recettes sur le site du Jornalet.

Donc, voici le chapon farci que l’on trouve dans toutes les régions du sud de langue d’oc, collecté par Vicent Marqués.

Chapon farci
Chapon farci aux marrons et aux champignons
Base du chapon farci

Ingrédients: pour le farci, mélange de viande (ou de jambon, parfois de poulet), saucisses, pain frit à l’ail,  foie de volaille, un œuf, une demi-douzaine d’ail et des herbes. Pour six portions, un chapon d’environ 2 kg, du poivre, du sel, de la graisse d’oie et de la ficelle de cuisine.

Préparation: Nettoyez et flambez le chapon, salez et poivrez l’intérieur. Mélanger les ingrédients du farci et en remplir le chapon (ce mélange peut être un peu doré au préalable). Ensuite on va le coudre, lui attacher les pattes, le saler, le poivrer, et l’enduire de graisse. Puis on le met au four ou dans une casserole.  Si vous choisissez la casserole, versez une cuillerée de graisse et retournez régulièrement le chapon d’un côté de l’autre. Il peut être garni de champignons ou de toutes sortes de légumes frits, à l’étouffée, ou mijotés dans la même casserole. 

Pourtant, au-delà de cette base commune, chaque région apporte sa touche particulière.  Par exemple, en pays nissart, on ajoutera quelques figues à la farce. Et, en Gascogne, on ajoute à la farce une tranche de foie gras, un petit verre d’armagnac et une cuillerée de graisse d’oie. Retrouvez-vous la volaille farcie de votre enfance ?

Le réveillon et le repas de Noël

Le pape Léon le Grand invite au jeûne avant Noël
Icône de Saint Léon le Grand

Pour finir, souvenons-nous que, dans la tradition chrétienne, il faut jeûner pour pouvoir célébrer à sa juste valeur l’arrivée de Jésus le 25 décembre.  D’ailleurs, le pape Léon le Grand (390?-461) nous le rappelle dans ses sermons. Le jeûne permet de surmonter ses vices, de résister au Démon et de s’approcher de Dieu. « Car le jeûne a toujours été la nourriture des vertus », rappelle-t-il.

Donc on ne parlera de repas, de réveillon, qu’au retour de la messe de minuit. Ce pourra être des châtaignes grillées et des saucisses grillées par exemple. Mon grand-père s’en léchait les babines !

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Quelles sont les origines des recettes de Noël selon les traditions chrétiennes?
Llibre de Sent Soví, 1324
La chanson de la Croisade contre les Albigeois, Paul Meyer, 1875
Lo gal de Nadal, La bona taula, Jornalet, Vicent Marqués, 24/12/2017