1

Les feux dans le pinhadar

Le pinhadar connait régulièrement de gigantesques incendies comme celui de l’été 2022. Hélas, ce n’est pas le premier grand incendie qui touche le pinhadar. La prévention et la lutte contre les feux de forêts est une préoccupation constante.

Le grand incendie de 1755 dans le Marensin

Le Marensin est couvert d’un pinhadar naturel. Les incendies y sont fréquents mais ils ne font pas de grands ravages. En fait, dès qu’un incendie se déclare, toute la population s’organise pour lutter contre le feu. Il est vrai que le pinhadar du Maransin est une importante ressource économique qui profite à toute la population.

Pourtant, en avril 1755, un grand incendie ravage le Marensin.

La correspondance de l’Intendant d’Etigny avec le Contrôleur Général nous révèle les faits

Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)
Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)

En fait, le feu est accidentel : un particulier qui prépare le repas pour des charbonniers met le feu à la cabane. D’Etigny écrit : Il mit le 5 de ce mois le feu à la cabane de planches où il était et, en très peu de temps, le pignada fut incendié. Le feu se communiqua tout de suite dans la paroisse de Castets au Levant, et dans celle de Linxe au Nord, et les ravage toutes de même que celle de Talles et Lesperon, indépendamment de quelques autres communautés de la Généralité de Bordeaux, entre autres celle de Dorignac.

Malheureusement, le feu détruit tout sur son passage : maisons, moulins, ruches. Et il y a de nombreux morts surpris par le feu porté par un vent impétueux et parce que les flammes se communiquaient avec autant de vitesse qu’un cheval allant le grand galop.

On craint une reprise du feu à tout moment. En effet, il n’est pas éteint et ne le sera-t-il pas même de longtemps, parce qu’il est dans la racine des arbres et qu’il faut des mois entiers pour qu’il puisse s’éteindre, à moins qu’il ne survienne des pluies abondantes.

La population est en état d’alerte : les habitants qui n’ont pas tout perdu sont-ils occupés jour et nuit à faire une garde exacte pour pouvoir se porter dans les endroits où le feu paraitrait vouloir se ranimer et faire en sorte de l’étouffer tout de suite avec du sable.

Mais, le 21 avril, d’Etigny signale un nouvel incendie à Rions et à Magescq. Et encore le 8 mai, un autre à l’Espéron et à Onesse.

Le Marensin connait d’autres incendies ravageurs en 1803 au cours duquel 700 000 pieds de pins disparaissent et, en 1822, sur les communes de Messanges, Moliets et Soustons.

Des feux de forêt qui se multiplient avec le boisement en pins

Résinier du Marensin – Bonnard, Camille (1794-1870) © Gallica

La loi de 1857 organise le boisement des Landes. Mais la chose ne se fait pas sans résistance de la part des bergers. Alors, des incendies se déclarent un peu partout. De 1869 à 1872, 24 000 hectares de jeunes plantations brulent dans les Landes ; en 1870, ce sont 2 261 hectares dans le Lot et Garonne et 10 000 hectares en Gironde.

Le gouvernement s’en émeut et charge Henri Faré (1828-1894), Directeur général de l’administration des forêts, d’une enquête qu’il réalise en 1873 : Je me suis rendu successivement à Dax le 28 février, à Mont-de-Marsan le 30, à Captieux le 1l mars, à Bazas le 5, à Villandraut le 6, à Bordeaux le 7, et à Agen le 11 mars. Quarante-neuf déposants ont été entendus et plusieurs dépositions écrites ont été recueillies ; le nombre de ces dernières dépasse cinquante.

Les déposants sont quasi unanimes : Les incendies sont dus en grande partie aux mécontentements qui se sont produits par suite de l’ensemencement trop rapide des landes.

M. de Lacaze, propriétaire à Casteljaloux ajoute : Une partie des petites landes dont jouissaient les communes fut attribuée en 1828, à la suite d’un procès, au duc de Bouillon. Ces landes ont été vendues à de grands propriétaires qui les ont ensemencées, et elles ont été brulées. En 1848, ces mêmes terrains, ensemencés de nouveau, furent vendus, et le feu y a encore été mis par place. Par conséquent, ces évènements sont liés à la succession du duc de Bouillon.

Lutter contre les feux de forêt

Coupe-feu à Hourtin (32) pour lutter contre les incendies
Coupe-feu à Hourtin (32)

Henri Faré cherche à connaitre l’origine des incendies et les mesures qu’il convient de prendre pour s’en préserver et lutter efficacement contre les incendies. Dans les forêts domaniales, les pare-feux sont efficaces. Aussi, il veut savoir s’il faut les généraliser.

Pourtant, les moyens de lutte sont dérisoires. Ils consistent à « disposer les travailleurs sur une route ou sur une ligne de pare-feu parfaitement débarrassée de matières combustibles. Chacun d’eux est pourvu d’une perche munie de ses feuilles vertes ; et c’est en frappant les parties embrasées, soit sur le périmètre de la ligne, soit en arrière, lorsqu’un nouveau foyer produit par des flammèches portées au loin vient à éclater, qu’on arrête l’incendie ».

Bien sûr, il y a d’autres grands incendies : 1892 au cours duquel 10 personnes périssent ; 1898, année de sècheresse, 50 000 hectares sont perdus.

L’incendie meurtrier de 1949

Au sortir de la guerre, la forêt manque d’entretien. Les coupe-feux sont dans les broussailles, on ne peut y accéder. L’été 1949 est caniculaire, comme ceux de 1947 et 1948.

Hélas, le 19 août, un incendie se déclare à Saucats. L’imprudence du gardien d’une scierie déclenche le feu par un mégot de cigarette mal éteint. Or, les vents violents et changeants poussent l’incendie sur les communes de Cestas, Marcheprime et Mios.

Les sauveteurs, acheminés sur place, luttent contre les flammes avec des branches d’arbre. Ils allument des contrefeux mais le vent ramène le feu dans une autre direction. Donc, il faut recommencer plus loin.

Alors, on appelle La troupe en renfort. Des soldats anglais prêtent main forte. Heureusement, les pompiers de Paris sauvent le village de La Brède.

En Gironde, le feu ravage Saucats, le 20 août 1949
Le 20 août 1949, le feu ravage Saucats (Gironde)

Le feu ne recule pas

En 1949, incendie à Saint Jean d'Illac et Toctoucau (Gironde)
En 1949, incendie à Saint Jean d’Illac et Toctoucau (Gironde)

Le 20 août, le feu menace Salles et Mios. Il parcourt 4 kilomètres par heure. Enfin, grâce aux contre feux, le sinistre ralentit.

Puis, vers 15 h, le vent change soudain de direction et ranime l’incendie. Il parcourt 6 000 hectares en seulement 20 minutes. Et les sauveteurs se retrouvent pris au piège.

Une catastrophe humaine

On compte 82 morts, brulés vifs, dont 26 habitants de Canéjan, 16 de Cestas et 23 soldats du 33° régiment d’artillerie de Poitiers, venus en renfort. Un survivant raconte l’horreur : On voyait les flammes courir tout au long de leurs corps étendus ; la graisse gonflait et les flammes gouttaient au bout de leurs souliers, de leurs bottes ou de leurs sabots carbonisés … On décrète le 24 aout, jour de deuil national.

En outre, toute la région est plongée dans le noir. En effet, une pluie de cendres et d’aiguilles carbonisées tombe sur Bordeaux. La fumée se voit à 100 km à la ronde. Enfin, le vent tombe vers 22 heures. Les incendies se calment, les derniers feux s’éteignent le 25 aout. Toutefois, l’incendie a ravagé 52 000 hectares.

Ce grand incendie sera le point de départ d’une réflexion sur les moyens de lutte à mettre en place et à généraliser.

Voir ici les informations télévisées de 1949, INA.

Les moyens de prévention et de lutte contre les feux de forêt

Prévenir les feux de forêt - campagne d'information
Prévenir les feux de forêt – campagne d’information

Aujourd’hui, le Pinhadar comprend 42 000 km de pistes forestières que les pompiers peuvent emprunter pour s’approcher du feu. On a aménagé des puits, des citernes enterrées et des étangs dans tout le massif. En tout, 5 000 points d’eau sont à la disposition des pompiers.

Mais ces aménagements ne doivent pas faire oublier que la prévention des feux est le premier moyen de lutte en évitant qu’ils ne démarrent. Et on sait que 90 % des feux sont d’origine humaine : activités agricoles, mégots de cigarette, barbecues, feux de camp, etc.

Ainsi, les touristes comme les riverains peuvent éviter les comportements dangereux, en ayant les bons réflexes au quotidien.

Des gestes simples suffisent en période sèche ou de canicule : éviter de stocker des combustibles près de la maison, ne pas utiliser d’outils susceptibles de provoquer des étincelles, ne pas fumer dans les friches ou les champs, ne pas jeter des mégots.

Le reste de l’année, il faut débroussailler son jardin sur 50 mètres tous les abords de construction lorsqu’elles se situent à au moins 200 mètres d’une forêt. Il faut enlever les arbres et les branches à moins de 3 mètres d’une maison, retirer les arbres et les plantes mortes, libérer les voies d’accès de tout encombrement.

Quant aux moyens humains et matériels déployés par la Sécurité civile, il convient de ne pas tomber dans le piège du sensationnel et de la polémique systématique : les moyens étaient-ils suffisants ? Aurait-on pu l’éviter ? etc.

Les grands incendies surviennent par temps d’extrême sècheresse comme celle de l’été 2022. Alors, chacun doit veiller à appliquer les mesures de prévention. 

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia.
Enquête sur les incendies de forêts dans la région des Landes de Gascogne, Henri FARÉ, 1873.
Les incendies de forêts dans les Landes au XVIIIe siècle, Maurice BORDES, Bulletin de la Société Archéologique du Gers, 1948-07.




La Leira, un fleuve discret

La Leira est le nom gascon de La Loire. Mais c’est aussi le nom d’un fleuve gascon qui se jette dans le bassin d’Arcachon. Si peu de Gascons en connaissent l’existence, c’est le paradis des amateurs de canoë ou des amoureux de la nature.

La Leira, un fleuve bien discret

La Leira [Leyre ou L’Eyre en français] prend sa source dans les Landes. Ou plutôt, elle n’a pas de source puisque c’est la remontée de la nappe phréatique, affleurant en plusieurs endroits, qui l’alimente.

Son nom véritable est l’Eira, ancien toponyme qui, selon les spécialistes Bénédicte et Jean-Jacques Fenié, signifie tout simplement « eau ». L’usage l’a transformé en Leira.

La Leira parcourt 116 km avant de se jeter dans le bassin d’Arcachon. En fait, on peut même parler des Leiras car le fleuve est formé de la grande Leira et de la petite Leira qui se rejoignent à Moustey au horc d’Eira [hourc d’Eyre].

La petite Leira se forme entre Lucsèir [Luxey] et Retjons. Elle est calme et ses eaux sont claires. En revanche, la grande Leira nait près de Sabres et ses eaux sont noires, son cours impétueux.

La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG
La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG

Tout au long de son parcours, la Leira reçoit de nombreux affluents aux noms bien gascons dont : l’Escamat, le Monhòc, [Mougnocq] le Cantagrith, le Mordoat [Mourdouat], le Richet ou barrada deus claus, le Boron [Bouron] aussi appelé Hontassa, le Casterar, ou encore la Palhassa [Paillasse].

Plus globalement, son bassin versant est dans le parc naturel des Landes de Gascogne. Lorsqu’elle arrive dans le bassin d’Arcachon, la Leira forme un delta de 3 000 hectares qui est le refuge de nombreuses espèces d’oiseaux.

Et la belle réserve ornithologique du Teich couvre 120 hectares de ce delta.

La Leira, un grand intérêt écologique

Au cours de l’histoire, c’est avec la plantation de la forêt des Landes de Gascogne que la Leira présente un intérêt économique. En effet, elle sert au flottage du bois et elle alimente des forges, des fonderies, des verreries et des moulins.

Or, les activités économiques ont disparu. Alors, la Leira, bordée de prairies, s’est peu à peu cachée sous des feuillus, constituant une épaisse forêt galerie qui a poussé sur ses rives.

Composée de chênes, d’aulnes et de saules, la forêt amortit les crues, limite les matières en suspension et maintient les berges. Le microclimat ainsi créé abrite des espèces végétales devenues rares comme l’Osmonde royale ou le Drosera à feuilles rondes.

De même, la Leira abrite des animaux disparus ailleurs, comme la loutre, le vison, la cistude, la genette ou le murin à oreilles échancrées (une espèce de chauve-souris). Elle abrite aussi les larves de lamproie qui y naissent avant de gagner la haute mer. De plus, dans ses herbiers aquatiques, on trouve de nombreux poissons, ainsi que le brochet aquitain. À noter, des naturalistes décrivent cette espèce de brochet pour la première fois en 2014. L’animal se distingue des autres brochets par un museau plus court, des écailles et des vertèbres moins nombreuses.

Cistude et Loutre d'Europe © PNRLG
Cistude et Loutre d’Europe © PNRLG

Cette richesse écologique vaut à la Leira de nombreux classements de protection : classement d’une partie de son cours sur la commune de Mios en 1942, zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) en 1973 et 1984, enfin zone Natura 2000. Son delta est classé zone humide d’importance internationale en 2011.

Le parc régional des vallées de la Leyre et du val de Leyre est créé en 1970. Il porte aujourd’hui le nom de parc naturel régional des Landes de Gascogne.

Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG
Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG

Concilier écologie et tourisme

Le parc naturel régional des Landes de Gascogne conduit le programme de protection du fleuve.

Outre les actions d’information du public, des usagers et des riverains, le parc étudie la faune et la flore présentes dans le bassin de la Leira, entretient les rives et la forêt galerie, restaure les milieux, supprime les obstacles créés par l’homme (barrages ou digues inutiles), veille à supprimer la pollution (action micro plastiques), etc.

Fort heureusement, peu d’espèces invasives colonisent la Leira. Des érables negundo et des catalpas originaires d’Amérique du nord sont progressivement éliminés. On y trouve aussi quelques ragondins et des écrevisses de Louisiane, plus difficiles à attraper.

Toutes ces actions visent à restaurer le fleuve pour obtenir le label « Rivière sauvage ». Ce label décerné par l’AFNOR est une marque de reconnaissance du travail de protection et de valorisation du territoire concerné.

Le parc naturel régional conduit aussi une action exemplaire qui concilie tourisme et protection du milieu en favorisant la pratique du canoë sur la Leira.

En relation avec des professionnels partenaires, 8 lieux de mise à l’eau et de sortie d’eau des canoés offrent au public la possibilité de naviguer sur la grande Leira et de profiter de la nature protégée de la forêt galerie.

Si les promenades sont permises, les activités restent réglementées : horaires de navigation, interdiction des bivouacs, interdiction des cueillettes, etc. Bien entendu, toute activité nautique à moteur est interdite.

Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie - © PNRLG Sébastien Carlier
Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie – © PNRLG Sébastien Carlier

La réserve ornithologique du Teich

Des ornithologues amateurs proposent à la commune du Teich de créer une réserve sur le bassin d’Arcachon, dans le delta de la Leira. On le fait en 1972.

Ainsi, la commue acquiert des parcelles par échange avec des parcelles forestières communales. Le parc ornithologique voit le jour. Il devient réserve ornithologique et, si la commune en est toujours propriétaire, le parc naturel régional des Landes de Gascogne en prend la gestion.

323 espèces d’oiseaux y sont répertoriées, dont 88 y nichent. Cela en fait une zone exceptionnelle de reproduction et de nourrissage des oiseaux. En conséquence, la réserve du Teich propose des visites en bateau, des activités d’observation et de photographie des oiseaux.

Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich
Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich

La plupart des Gascons ne connaissent pas la Leira. Pourtant, ce fleuve gascon offre des milieux remarquables et une faune protégée qu’il faut découvrir au gré d’une promenade au rythme de la nature.

De plus, le fleuve entretient des contes et des légendes que l’on peut retrouver dans le livre La Leyre, contes et chroniques d’un autre temps de Serge Martin et Marnie, Dossiers d’Aquitaine, 2016.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

L’Eyre et sa vallée
Affluents de la grande Leyre
Rivières sauvages : la grande Leyre
Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne
Parc naturel, Site consacré au canoë sur la Leyre
Réserve ornithologique du Teich




L’orsalher ou le montreur d’ours

L’Orsalhèr, ou montreur d’ours, est un métier pratiqué depuis le moyen-âge. Il parcourt le pays pour se produire et assurer sa subsistance et celle de son ours. C’est aussi le nom d’un film de Jean Fléchet, entièrement en gascon.

Orsalhèr, une spécialité de la vallée du Garbet en Couserans

Orsalhèr dans les environs de Saint-Girons en Ariège.jpg
Orsalhèr dans les environs de Saint-Girons en Ariège

À partir de la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à la première guerre mondiale, on voit des centaines d’orsalhèrs [montreurs d’ours] d’Ercé, d’Oust et d’Ustou en Couserans parcourir le monde pour montrer des ours. En effet, l’ors [l’ours] est alors une bête inconnue dans beaucoup d’endroits. Et l’orsalhèr joue sur la croyance du tòca l’ors qui veut que toucher la bosse de l’ours guérisse de toutes les maladies, et même les enfants de l’épilepsie s’ils font neuf pas sur le dos de l’ours.

En fait, ces hommes fuient la misère. Ainsi, par centaines, ils cherchent des orsatèras (tanières d’ours), capturent des orsats ou orsets (oursons) qu’ils élèvent et dressent avant de partir courir le monde.  Toutefois, les orsalhèrs n’hésitent pas à tuer la mère pour s’en emparer.

Ils les élèvent au biberon et leur apprennent quelques tours pour divertir le public. De ce fait, l’ourson perd son caractère sauvage. De plus, il est ferré et on lui met un anneau autour du museau pour le tenir avec une chaine.

Très vite, on manque d’ours. Alors, on en fait venir des Balkans, via le port de Marseille.

Montreur d'ours à Luchon en septembre 1900
Montreur d’ours à Luchon en septembre 1900

Les Américains montreurs d’ours

Lowest East Side, quartier des migrants à Manhattan
Lower East Side, le quartier des migrants à Manhattan

À partir de 1880, des habitants d’Ercé sont nombreux à s’établir aux Etats-Unis ; ils sont surnommés les « Américains ».

La commune d’Aulus-les-Bains a gardé souvenir de Jean Galin, un orsalhèr surnommé Laréou d’Aulus, né vers 1857. Il s’expatrie, avec son ours, à New-York vers 1880. Il travaille au chemin de fer et dort le soir à côté de la voie contre son animal. Inutile de dire qu’aucune personne n’ose s’approcher malgré les sommes d’argent importantes qu’il garde sur lui ! Plus tard, il vend son ours et s’installe dans la restauration.

Après la première guerre mondiale, de nombreuses femmes émigrent dans la région de New-York pour rejoindre les orsalhèrs et occupent des emplois dans l’hôtellerie et la restauration.

Puis, une nouvelle vague d’émigration se produit après la seconde guerre mondiale pour rejoindre des parents déjà installés.

Le restaurant La Pergola des Artistes à Broadway
Le restaurant La Pergola des Artistes à Broadway

De plus, dans Central Park, nos immigrants se retrouvent autour d’un rocher pour partager les nouvelles du village ou s’entraider. Ils appellent ce rocher The Rock of Ercé [Le Rocher d’Ercé]. On peut citer l’exemple de Marie-Rose Ponsolle (1927-2018) qui ouvre avec son mari un restaurant, la Pergola des artistes, à New York au quartier des théâtres de Brodway. Elle y parle un mélange d’anglais, de français et de gascon. Surtout, elle reçoit les Couseranais venus tous les ans, rencontrer les leurs au roc d’Ercé.

Aujourd’hui, des descendants d’orsalhèrs d’Ercé tiennent encore cinq restaurants new-yorkais.

L’Orsalhèr ou le montreur d’ours de Jean Fléchet

Jean Flechet
Jean Flechet

Le film L’Orsalhèr réalisé par Jean Fléchet, raconte l’histoire de Gaston Sentein, un des sept fils d’une famille de bûcherons. Il quitte son pays de Couserans vers 1840 pour gagner sa vie sur les routes avec son ours. À Toulouse, il fait la rencontre d’un colporteur de livres qui, comme lui, parcourt le monde. Ils se lient d’amitié.

Le film d’1 h 47 min, sorti en 1983, est entièrement en gascon du Couserans, sous-titré en français. Jean Fléchet, Léon Cordes et Michel Pujol en écrivent le scénario. Parmi les acteurs, on reconnait Léon Cordes, Michel Pujol, Yves Rouquette, Marcel Amont et Rosina de Peira.

L'orsalher ou le montreur d'orus de Jean Fléchet
L’orsalher ou le montreur d’ours de Jean Fléchet

L’Orsalhèr a un joli succès (100 000 entrées dans toute la France) et reçoit le grand prix du public au Festival de Grenoble de 1983.

Quant au réalisateur Jean Fléchet, il nait en 1928 à Lyon. Il est écrivain, producteur et réalisateur. C’est en tant qu’animateur de Téciméoc (Télévision et cinéma méridional et occitan) qu’il réalise L’orsalhèr. De plus, il produit des films pour le Centre National de Documentation Pédagogique. Auparavant, côté provençal, il réalise La faim de Machougas en 1964, le Traité du rossignol en 1970 et Le Mont Ventoux en 1978.

La vallée des montreurs d’ours de Françis Fourcou

La Vallée des montreurs d'ours de Françis Fourcou
La Vallée des montreurs d’ours de Françis Fourcou

Après les aventures de Jean Sentein, le thème attire de nouveau l’attention. Voici La Vallée des montreurs d’ours, un film documentaire de Françis Fourcou, en français cette fois-ci. C’est l’histoire d’une vallée qui, pour survivre à la pauvreté, imagine une véritable industrie des orsalhèrs, jusqu’en 1914, provoquant le premier exode massif des valléens vers l’Amérique.

Plus précisément, ce film de 1 h 33 min, sorti en 1997, raconte la vie de trois familles de la vallée d’Aulus les Bains, de 1975 à 1995, et de leurs ancêtres partis comme orsalhèrs aux Amériques. Le réalisateur va à la rencontre des descendants des familles couseranaises émigrées à Manhattan, devenus souvent cuisiniers. D’ailleurs les entretiens d’embauche se faisaient souvent en gascon.

Il est co-produit par EcranSud, FR 3 et la région Midi-Pyrénées. Parmi les acteurs, on y retrouve la voix de Michel Pujol.

Francis Fourcou
Francis Fourcou

EcranSud présente le film : « Il n’y a pas de doute, ce Fourcou-là aime ses racines, et ce qui fait d’abord la richesse de son film, c’est cette longue connivence qui le lie à sa terre natale et fait que ces gens qu’il rencontre lui parlent de leur vie et de leur histoire comme on raconte à un cousin de cœur, donnant de la chaleur, allant à l’essentiel ».

En effet, Francis Fourcou nait à Toulouse en 1955. Il travaille comme assistant de Jean Fléchet et réalise des documentaires pour le cinéma et la télévision. Et il est gérant de la société EcranSud à Toulouse.

Ces deux films peuvent se trouver facilement sur Internet.

L’orsalhèra ou la montreuse d’ours

Si les orsalhèrs étaient majoritairement des hommes, quelques femmes ont fait de même. Ainsi Émilienne Pujol part en Amérique comme orsalhèra. Le journaliste toulousain Jean-Jacques Rouch (1950-2016) découvre son histoire alors qu’il discutait à Time Square, Manhattan, avec son ami René Pujol (un descendant) qui tenait le restaurant Pujol (actuellement remplacé par Le Rivage).

En 2003, l’ancien journaliste de La Dépêche du Midi, écrit un roman : La montreuse d’ours de Manhattan (Privat).

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

L’exode des montreurs d’ours de la vallée du Garbet
Ariège-Amérique, un lien toujours possible
Au pays des montreurs d’ours, Juan Miñana, 2012
Wikipédia




Queste et questaus

On a gardé l’image d’Épinal des serfs du Moyen-âge, corvéables en toute occasion et à la merci de leur seigneur. Pourtant, la réalité est bien différente, tout du moins en Gascogne avec les questaus et les casaus. Suivons Benoit Cursente, d’Orthez, chercheur au CNRS et spécialiste des sociétés rurales gasconnes au Moyen-âge.

Une société hiérarchisée par des liens personnels

Benoit Cursente spécialiste des questaus - Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval
Benoit Cursente – Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval

Nous sortons de l’époque romaine où des colons libres côtoient des esclaves, servus, attachés à leurs maitres. Ainsi, le statut d’esclave disparait progressivement et est remplacé par des liens personnels. Ce sont les Wisigoths qui emmènent cette nouvelle pratique.

Tel homme se « donne » par serment à un autre et devient en quelque sorte un membre de sa famille ou de sa companhia [littéralement, ceux qui partagent son pain]. En échange de ce serment et des services qu’il s’engage à fournir, il reçoit une terre ou des revenus qui lui permettent de vivre.

On voit ainsi tout un réseau de liens personnels qui se tissent du sommet de la hiérarchie (le roi) jusqu’à la base de la société. C’est l’origine de la féodalité.

Notons que le rituel de l’hommage tel qu’on le connait à partir du XIIIe siècle n’est pas encore généralisé. En particulier, en Gascogne, on retrouve cette pratique dans le bordelais et en toulousain seulement.

Une organisation de la société en casaus

Le battage du grain
Le battage du grain

Les terres données à travailler constituent des unités fiscales. Leur chef, noble ou paysan, est « seigneur » de sa terre et de ceux qui y vivent. C’est le casal ou casau en gascon, c’est à dire une maison, un enclos, des champs et des droits sur des espaces pastoraux. Leur chef est le casalèr.

Bien sûr, le casau peut être soumis à une redevance, le casau ceissau [en français le cens] ou au  casau serviciau c’est-à-dire à un service particulier.

Lorsque le casau est éloigné, on préfère un prélèvement en espèce ou en nature (grains, volailles, fromages, etc.) ou des services comme l’aubergada [l’hébergement du prince et de sa suite]. Lorsque le casau est proche d’une forteresse, il est soumis à des services militaires ou d’entretien.

Par exemple, près du château de Lourdes, nous trouvons des casaus soumis à des obligations de service armé (ost) et de cavalcada [chevauchée], d’autres à des prestations de transport ou de guet, d’autres enfin à des services particuliers comme nourrir les chiens du comte, fournir de l’avoine à son cheval ou encore faire taire les grenouilles pour ne pas gêner le sommeil du comte…

Certains casaus doivent fournir une aide à d’autres casaus. On voit ainsi se mettre en place une société organisée autour des casaus qui sont des unités fiscales et de production, dont certains sont dits « francs » et qui doivent un service armé (le début des chevaliers), d’autres rendent des services dits « nobles », d’autres enfin des services dits « serviles ».

L’apparition des questaus

Nous sommes au XIIIe siècle. L’État moderne se met en place et les dépenses seigneuriales et d’administration se font de plus en plus lourdes. Il faut trouver de nouvelles ressources. Cela implique de mieux contrôler le territoire, ses ressources et sa population.

Les seigneurs revendiquent la possession des pâturages, des landes, des forêts et des eaux. Ils imposent alors des redevances pour leur utilisation. La vie sociale étant largement réglée par des pactes et des compromis écrits, on voit apparaitre progressivement dans les textes une nouvelle catégorie sociale : les questaus.

Pour garantir la pérennité des casaus, le droit d’ainesse apparait. Les cadets ou esterlos qui n’ont aucun droit, cherchent à se voir concéder des terres à exploiter pour lesquelles ils paient un cens. Ils se voient également attribuer la jouissance de pacages, des eaux ou des forêts seigneuriales en échange du nouveau statut de questau.

À noter, Benoit Cursente propose comme origine du mot esterlo (estèrle en gascon actuel) le mot latin sterilis, car le cadet n’a pas le droit d’avoir une descendance dans la maison natale. D’ailleurs, estèrle en gascon veut dire stérile.

Questaus et casaus

Le questau paie la queste

Questaus et casaus - travaux des champs
Travaux des champs

En plus du cens, le questau paie la queste, impôt sur l’utilisation des pacages ou des forêts. Il peut être astreint au paiement de redevances en nature. Il s’agit de mesures de grains ou de vin, fourniture de volailles, hébergement de soldats, corvées au château, etc.

La communauté des questaus peut payer collectivement la queste. En fait, c’est un moyen de surveillance car, s’ils venaient à déguerpir, la queste qui ne varie pas augmente la charge de chacun.

Le questau renonce également par écrit à certains de ses droits. Par exemple, il s’engage à ne pas quitter la seigneurie dans laquelle il réside sous peine d’amende. Et/ou il doit fournir une caution par avance,  renoncer à ses droits qui lui garantissent que ses bœufs et ses outils ne soient pas saisis. Ou encore il s’engage à payer une redevance lors de la naissance de chacun de ses enfants. Autre exemple : il s’oblige à faire moudre au moulin seigneurial, etc.

Même les possesseurs de casaus qui doivent des services dits « non nobles » peuvent devenir questaus. Cela ne se fait pas sans résistance. On voit des déguerpissements collectifs (abandon des terres pour s’établir ailleurs) et les seigneurs doivent transiger et trouver des compromis.

Les questaus apparaissent dans toute la Gascogne, sauf en Armagnac et dans les Landes. En montagne, on voit moins de questaus du fait du mode de gestion des terres. Ils représentent environ 30 % de la population.

Echapper à l’état de questau

Questaus et casaus - La tonte des moutons
La tonte des moutons

Echapper à l’état de questau est possible.

On peut bénéficier d’une franchise individuelle moyennant le payement annuel du francau ou droit de franchise. Parfois, la liberté peut s’accompagner de réserves comme celle de continuer à habiter sur le casau et de le transmettre à ses héritiers qui devront payer une redevance annuelle ou s’astreindre à des services pour le seigneur. Mais, lo franquatge [La franchise] coûte cher car il s’accompagne du paiement d’un droit pouvant représenter le prix d’une maison.

De même, la liberté peut être accordée à des communautés entières moyennant un droit d’entrée assez élevé, quelques concessions définies dans une charte et le paiement collectif d’un francau annuel. Dans certains endroits, on paie encore le francau au XVIIIe siècle.

La création de nouveaux lieux de peuplements est aussi un moyen d’échapper à la condition de questau par le biais des franchises accordées aux nouveaux habitants. Comme il n’est pas question de voir tous les questaus échapper à leur condition en venant s’y installer, on le leur interdit ou on n’en autorise qu’un petit nombre à y venir.

Enfin, les esterlos peuvent s’y établir sans limite. C’est un moyen de bénéficier d’une nouvelle population tout en vidant l’excédent d’esterlos dans les casaus. C’est aussi le moyen d’affaiblir les casaus au profit d’autres systèmes plus lucratifs.

En résumé, la société paysanne gasconne du Moyen-âge s’articule autour de paysans propriétaires qui travaillent un alleu (franc de tous droits), de casalèrs soumis au cens ou à des services, de questaus et d’affranchis.

Chaque catégorie peut être soumise à des restrictions ou à des engagements particuliers.  Il en est de même des particuliers, ce qui rend la société de cette époque extrêmement complexe.

Serge Clos-Versailles

écrit en orthographe nouvelle

Références

Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval, Benoit Cursente, Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau et du Béarn, 2011.
Puissance, liberté, servitude les Casalers gascons au Moyen Âge, Benoit Cursente, Histoire et Société rurales, 1996,  pp. 31-50




Les vacants au pays des Lugues

Le canton de Houeillès, situé en Lot et Garonne, fait partie de la grande Lande. C’est l’ancien pays des Lugues. Au XIXe siècle, il est l’objet de procès au sujet de la propriété et de l’utilisation des vacants.

Qu’est-ce qu’un vacant ?

Au Moyen-âge, la propriété féodale repose sur le principe de « nulle terre sans seigneur ». Bien sûr, il y a des terres franches qui ne dépendent d’aucun seigneur : les alleux mais ils sont minoritaires.

Félix Arnaudin - Coupeuses de bruyère
Félix Arnaudin – Coupeuses de brana [bruyère]

En outre, le seigneur propriétaire dispose d’une réserve, c’est à dire une partie de son domaine qu’il exploite ou fait exploiter pour les besoins de sa famille. Et des tenanciers prennent le reste de son domaine en payant un cens annuel pour la maison et les terres cédées.

Cette cession se fait sous la forme d’un bail à fief qui est une sorte d’emphytéose puisque le bénéficiaire, moyennant le paiement annuel du cens, peut transmettre le bien cédé à ses héritiers ou le vendre. Ainsi, le seigneur ne peut récupérer son bien que dans le cas où le bénéficiaire n’a pas d’hérédité, en cas de délaissement (le bénéficiaire abandonne la terre pour s’installer ailleurs) ou en cas de vente. Dans ce cas, le seigneur peut exercer son droit de prélation qui consiste à annuler la vente à son profit, moyennant l’indemnisation des parties (prix de la vente, frais de notaire, frais d’enregistrement).

En fait, seules les terres exploitables sont cédées. Dans le secteur de Houeillès, beaucoup de terres sont inadaptées à la culture : marais et landes. Personne n’en veut. Finalement, elles bénéficient à tout le monde pour faire paitre les troupeaux, couper la toja [ajoncs] ou la brana [bruyère], recueillir l’arrosia [résine]. Ces terres sont les vacants.

Qui est propriétaire des vacants ?

Les possessions des Albret en 1380
Les possessions des Albret en 1380

Même si aucun particulier ne les exploite, les vacants appartiennent au seigneur qui n’en tire qu’un petit bénéfice par le droit de coupe, par exemple.

Et dans le secteur de Houeillès, le seigneur est le sire d’Albret. Profitant de la guerre franco-anglaise en Aquitaine, les sires d’Albret constituent un important domaine, certes éclaté en plusieurs entités, qui devient un duché en 1550.

Par mariage, le domaine des Albret rejoint celui des rois de Navarre. Puis, Henri III de Navarre devient roi sous le nom de Henri IV et, comme le veut la tradition, il réunit ses domaines à la couronne en 1607.

Voilà le roi de France propriétaire du duché d’Albret. Puis, pour des raisons politiques, Louis XIV échange les principautés de Sedan et de Raucourt contre le duché d’Albret en 1651. Ainsi, le nouveau propriétaire est le duc de Bouillon. Mais cet acte concernant les domaines du roi n’est pas enregistré selon les formes.

Plus tard, la Révolution de 1789 met fin aux droits féodaux. Il faut plusieurs décrets entre 1790 et 1793 pour les liquider. Concernant le duché d’Albret, l’échange de 1651 n’ayant pas été enregistré dans les formes, il est tout simplement annulé.

De plus, une contribution foncière (c’est la taxe foncière que nous connaissons encore aujourd’hui) remplace les droits seigneuriaux. Et chaque commune rédige un état des propriétaires et des contributions à payer.

Mais, qu’en est-il des vacants, soumis à la contribution foncière, et que personne ne veut payer parce qu’il n’y a pas de propriétaire avéré comme pour les terres cultivables ? En effet, pourquoi payer pour des terres qui ne rapportent rien ?

Un premier procès concernant les vacants

Félix Arnaudin - Labours et Semailles 1893 - les vacants
Félix Arnaudin – Labours et Semailles 1893

Si les vacants ne sont à personne, tout le monde en profite à bon compte.

Or, l’administration des Domaines récupère les biens confisqués à la Révolution. Et les vacants ne trouvent pas preneurs à la vente. Même si quelques personnes essaient d’en acheter à bon compte, ils doivent faire face aux autres qui s’y opposent car ils perdent le bénéfice de leur utilisation.

Dans ce contexte tendu, la princesse de Rohan, héritière du duc de Bouillon, veut reprendre les domaines non vendus. En 1822, elle intente un procès contre le maire de Pindères au sujet de trois parcelles de vacants en pinhadar [plantés de pins].

La riposte s’organise et les propriétaires du pays des Lugues se réunissent à Houeillès. Alors, ils décident que si un vacant est revendiqué par les héritiers du duc de Bouillon, tous les propriétaires mettraient leur troupeau à pacager sur la parcelle et à y couper la toja pour empêcher la jouissance du vacant. De plus, ils diffusent un mémoire imprimé à toutes les communes, portant les arguments de défense.

Et, en 1824, le tribunal de Nérac donne raison à la commune de Pindères.

Houeillès (Carte Cassini 18e siècle) l- es vacants objets de procès
Houeillès (Carte Cassini 18e siècle)

Les procès se multiplient

Houeillès-église fortifiée
Houeillès-l’église fortifiée

Cependant, la princesse de Rohan revendique deux métairies au sud de Houeillès. Mais elle est déboutée et fait appel. Enfin, le tribunal d’Agen lui donne raison.

La princesse assigne alors les maires des communes de Saint Martin de Curton, Durance, Boussès, Lubans, allons, Sauméjan et Houeillès afin qu’ils délaissent les vacants de leur commune. Et, en 1826, la cour de Nérac donne raison à la princesse de Rohan. L’appel des maires est rejeté.

Alors, la princesse de Rohan continue : en 1827,  elle assigne le maire de Durance pour la possession de deux tours. Mais, cette fois, elle est déboutée. En même temps, elle engage des actions contre Tartas et plusieurs communes voisines, ainsi que contre Labrit et deux autres communes qui faisaient aussi partie du duché d’Albret.

Le dénouement des affaires

Félix Arnaudin
Félix Arnaudin

Si la cour d’appel d’Agen donne raison à la princesse de Rohan contre les communes de Saint Martin de Curton et de Pindères, c’est sous réserve de l’usage des vacants par les habitants.

En effet, l’usage doit être immémorial ou de plus de quarante ans selon le nouveau code civil. Encore faut-il le prouver ! Ainsi, le tribunal de Nérac et la cour d’appel d’Agen demandent aux communes de fournir les preuves. C’est une première victoire pour les communes.

Des procès à rebondissement

Georges-Eugène Haussmann vers 1860 (1809 - 1891) prend parti dans le procès des vacants
Georges-Eugène Haussmann vers 1860 (1809-1891)

Enquêtes et contre-enquêtes se succèdent. Les communes trouvent des témoins parmi leurs habitants. La princesse de Rohan prend soin d’en prendre parmi les « étrangers ». Patatras ! les témoins des deux parties vont dans le même sens. Et les communes gardent leurs droits de jouissance des vacants.

Si les cours d’appel de Pau (affaire de Tartas) et de Mont de Marsan (affaire de Labrit) donnent raison aux communes, celle d’Agen donne raison à la princesse de Rohan. Aucune commune perdante ne se pourvoit en Cassation. On y voit l’influence du sous-préfet de Nérac qui n’est autre que le baron Haussman. Et puis, les communes demandent des secours pour payer les procès mais ne reçoivent rien.

Ainsi, les procès durent depuis 10 ans et la princesse de Rohan vend ses domaines en 1836, soit 10 000 hectares de vacants dont elle a retrouvé la propriété et 8 550 hectares en cours de procédure.

Félix Arnaudin - Attelage de boeufs
Félix Arnaudin – Attelage de boeufs

Toutefois, les nouveaux propriétaires poursuivent les actions mais changent de tactique. Ils n’attaquent plus les communes mais citent à comparaitre des particuliers utilisateurs de vacants et les forcent à les leur restituer par voie de composition. Ainsi, ils obtiennent ainsi plus de 80 hectares. Mais, un comité consultatif de défense contre les envahissements des concessionnaires des héritiers du duc de Bouillon se constitue à Nérac. Comme en 1822, les vacants en litige sont aussitôt envahis par les troupeaux, on y coupe la toja et on met le feu au pinhadar.

Enfin, la cour d’appel d’Agen donne tort aux utilisateurs des vacants. Pour apaiser la situation, les parties cherchent des compromis. Pourtant, c’est bien la fin des vacants.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

La querelle des vacants en Aquitaine, Gilbert Bourras, J&D éditions, 1995.
La querelle des vacants en Aquitaine, Annales de démographie historique, Françoise de Noirfontaine, 1996, pp 449-450
La querelle des vacants en Aquitaine, Histoire et Sociétés Rurales, Jean-Baptiste Capit, 1996, pp 291-292




Les feux pastoraux dans les montagnes

Au printemps et à l’automne, la montagne semble bruler. C’est la saison des feux pastoraux, cremadas ou uscladas en gascon, pour l’entretien des pâturages. Cette pratique ancestrale oppose le monde rural et les défenseurs de la nature. Peut-être abus et ignorance ne favorisent pas le dialogue…

Une pratique ancestrale d’entretien de la montagne

L’écobuage se définit comme le défrichement avec brulis de la végétation en vue d’une mise en culture temporaire.

Cette pratique est aujourd’hui abandonnée en plaine. En fait, jusque dans les années 1960, on a l’habitude de bruler les chaumes pour fertiliser le sol. Puis, la généralisation de la mécanisation de l’agriculture et l’apport des engrais contribuent à sa disparition.

Cependant, elle est toujours employée en montagne : l’écobuage reste la méthode d’entretien des pâturages en terrain difficilement accessible aux engins agricoles. Tout en fertilisant le sol, il permet d’éliminer les résidus végétaux et les broussailles qui gênent la pousse des plantes herbacées au printemps. Et il permet de fournir des pâturages aux troupeaux.

Ainsi, en haute montagne, la croissance de la végétation étant lente, le brulage se fait tous les 7 à 10 ans sur une même parcelle. En basse montagne, la croissance des ajoncs, genévriers et genêts est plus rapide, il se fait tous les 2 ou 3 ans.

L’évolution de la pratique des feux pastoraux

Un robot-broyeur pour lutter contre les friches
Un robot-broyeur pour lutter contre les friches

L’exode rural, l’abandon des terres et la diminution des troupeaux ont favorisé la pousse des friches. Alors, les feux pastoraux se sont espacés et couvrent de plus grandes surfaces concentrées dans les endroits les plus facilement accessibles. Mais le manque de main d’œuvre provoque la baisse du savoir-faire ancestral.

De plus, les pâturages sont descendus sur des zones anciennement cultivées, plus proches des zones habitées où la végétation est plus dense. Ainsi, les feux sont plus importants et concernent parfois des versants entiers de montagne. Par conséquent, les dégâts peuvent être importants sur la faune, les lignes électriques ou les habitations.

De plus, ces mêmes espaces concentrent les projets de développement économiques et touristiques, ce qui provoque inévitablement des conflits d’usage et la remise en cause des faux pastoraux.

Que reproche-t-on aux feux pastoraux ?

Ecobuage sous surveillance
Ecobuage sous surveillance

Ses détracteurs reprochent aux feux pastoraux de gêner la protection du gibier en gardant des espaces ouverts, de détruire la faune incapable de fuir, comme les mollusques ou les larves, d’entrainer une diminution de la diversité florale, d’être une source de pollution de l’air dans certaines conditions par l’émission de fines particules.

Toutefois, les recherches semblent montrer que les feux pastoraux n’ont pratiquement aucun effet de dégradation sur la composition végétale. Les mêmes espèces se retrouvent avant et après, seules les proportions changent au bénéfice des plantes herbacées.

De plus, le brulage ne concerne que la partie aérienne des plantes. Il a peu d’impact sur les racines et sur les graines enfouies. En revanche, il permet la réouverture de milieux qui contribuent à la biodiversité de nos montagnes.

Détracteurs et défenseurs s’acharnent. Tout comme l’ours, le feu est un révélateur des problèmes d’aménagement de l’espace en montagne : enfrichement des milieux, entretien des espaces pastoraux ou paysagers, choix touristiques, écologiques ou forestiers, etc.

Des catastrophes qui provoquent une prise de conscience

La sécheresse de l’hiver 1988-1989 provoque d’innombrables incendies et des dégâts importants. C’est le point de départ d’une prise de conscience qui conduit à la création des commissions locales d’écobuage dont le canton d’Argelès-Gazost sera le précurseur.

Samedi 20 février 2021 – violent incendie entre la Rhune et Ibardin

De plus, le 10 février 2000, huit randonneurs sont piégés par un incendie sur le GR 10 dans les montagnes d’Estérançuby : cinq sont morts, deux gravement brulés, un seul rescapé. Ce drame accélère le processus de concertation entre les parties prenantes à la montagne.

Pourtant, des agriculteurs continuent leur pratique plus ou moins maitrisée. En février 2002, dans un contexte de déficit pluviométrique, de sécheresse hivernale, de températures élevées et d’un fort vent du sud, une vague d’incendie touche les montagnes. Excepté dans les Hautes-Pyrénées où les commissions locales d’écobuage fonctionnent, les feux dégénèrent presque partout : des forêts brulent, plus de 5 000 hectares dans le seul pays basque, les canadairs interviennent.

Cet épisode douloureux accentue la gestion des feux pastoraux au niveau départemental. Cela n’empêche pas de nouveaux feux incontrôlés comme celui qui a ravagé la montagne de la Rhune en février 2021.

La réhabilitation des feux pastoraux

Contrôle de feux pastorauxLongtemps accusés de dégrader les pâturages, les feux pastoraux sont désormais au cœur des enjeux de l’aménagement de l’espace pastoral et forestier. Après avoir cherché à les interdire, on les reconnait comme outil d’aménagement de l’espace et la loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 le réhabilite en tant que technique de prévention des incendies de forêt.

La loi sur la mise en valeur pastorale de la montagne de 1972 crée les Associations Foncières Pastorales et les Groupements pastoraux, qui réorganisent l’élevage. La loi pour le développement de la montagne de 1985 conduit à l’engagement des collectivités locales avec la création des Commissariats de Massif. L’Union Européenne met en place des aides pour la gestion de l’espace et de l’environnement. Chaque département met en place des organismes de développement pastoral.

S’appuyant sur les dispositions du Code forestier, des arrêtés préfectoraux réglementent la pratique des feux pastoraux.

Les commissions locales d’écobuage, instances de concertation et de régulation

Chantier pédagogique, démonstration d_usage des outils (65)
Chantier pédagogique, démonstration d_usage des outils (65)

Le code de l’environnement interdit le brulage des végétaux en plein air. Ils doivent être apportés en déchetterie. Les feux pastoraux constituent une exception notable à la réglementation.

Pour faciliter les feux pastoraux dans des conditions de sécurité améliorées, chaque département crée des commissions locales d’écobuage. Elles réunissent les collectivités, les services d’incendie et de secours, les éleveurs, les chasseurs, les forestiers, les gestionnaires d’espaces naturels, les naturalistes, les forces de l’ordre, etc. Ce sont des instances de concertation qui donnent un avis sur les chantiers déclarés et permettent leur organisation.

Les feux pastoraux sont autorisés seulement du 1er novembre au 30 avril de l’année suivante. Des arrêtés préfectoraux peuvent réduire cette période en cas d’épisodes de pollution de l’air.

Préalablement à tout chantier, le propriétaire doit en faire la déclaration à la mairie qui prévient les pompiers, les gendarmes, les communes environnantes et les riverains situés à moins de 200 mètres du brûlage. Une signalisation particulière doit être installée sur les sentiers de randonnée passant à proximité pour avertir les promeneurs éventuels.

Le propriétaire doit rester sur place et surveiller le feu jusqu’à sa complète extinction. En cas de manquement, les sanctions peuvent aller jusqu’à 1 an d’emprisonnement et une lourde amende.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Brûlage pastoral dans la vallée de Beaudéan (Wikipedia)
Brûlage pastoral dans la vallée de Beaudéan (Wikipedia)

Références

« Quinze années de gestion des feux pastoraux dans les Pyrénées : du blocage à la concertation », Jean-Paul Métalié et Johana Faerber, Sud-Ouest Européen, n° 16, p 37-51, Toulouse, 2003.
« Le feu pastoral en pays basque », Les cahiers techniques de Euskal Herriko Laborantza Ganbara, 5 mai 2019




Les grandes sècheresses en Gascogne

Une sècheresse sévit en 2022. La sècheresse la plus grave jamais enregistrée dans notre pays selon la Première Ministre, Élisabeth Borne. Que savons-nous de ce fléau au cours des siècles en Gascogne ? Et a-t-il toujours les mêmes conséquences?

Des sècheresses nombreuses et des sècheresses sévères

Emmanuel Garnier, chercheur au CNRS
Emmanuel Garnier, chercheur au CNRS

On dispose de relevés de température depuis les années 1750. Pour compléter, les spécialistes du climat reconstruisent les situations en s’appuyant sur des données indirectes comme les dates des vendanges ou des récoltes des fruits. Ils s’appuient aussi sur des évènements sociaux comme les exvoto, les tableaux datés au dos de l’œuvre, les processions religieuses ou rogations pro pluvia. Toutefois, à l’échelle de notre histoire, notre connaissance reste sur une période courte  (cinq siècles environ).

Emmanuel GARNIER, chercheur au CNRS de Caen, montre dans son document Sécheresses et canicules avant le Global Warming 1500-1950 que, si les sècheresses sont plus nombreuses sur les deux derniers siècles, les plus sévères ont lieu pendant les XVIIe et XVIIIe siècles.

Et les conséquences en étaient plus graves car les populations étaient plus dépendantes du climat. Des inondations, des gelées, des grêles, des orages ou une sècheresse avaient des conséquences dramatiques sur les récoltes et sur la santé. Par exemple, l’eau des rivières tiédie par une canicule se charge de virus et de bactéries pouvant provoquer toutes sortes d’épidémies.

Les sècheresses généralisées

L’année 1540 reste dans les mémoires car la sècheresse en Europe dure 11 mois. Après un hiver de fortes gelées dans le sud, le printemps, l’été et l’automne sont très chauds et très secs. Des puits sont taris, les rivières basses. Le Rhin se traverse par endroits à cheval. Le vin est très sucré et des moulins à eau ne sont plus alimentés, ce qui rend le pain rare. Ainsi, des animaux et des personnes meurent de soif.

Source : Impact du climat sur la mortalité en France, de 1680 à l’époque actuelle, Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau, 2009.
Source : Impact du climat sur la mortalité en France, de 1680 à l’époque actuelle, Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau, 2009.

Hélas, le XVIIIe siècle comptabilise en France une mortalité effroyable due aux sècheresses (Lachiver, 1991). Celles de 1705, 1706, 1707 entrainent des épidémies et la mort de 200 000 personnes. En 1718 et 1719, la canicule frappe durement Paris. Le prix du blé s’envole engendrant de grandes émeutes de population. Afin de limiter la disette, Paris importe des grains depuis la Gascogne et l’Angleterre. Mais le bilan est lourd : 400 000 morts. On pourrait encore citer l’été 1747 (200 000 morts) ou 1779 (200 000 morts).

Heureusement, les canicules sont moins meurtrières de nos jours, même si on a compté 17 500 morts en 2003.

D’autres fléaux frappent les populations

Bien sûr, il existe d’autres fléaux climatiques. D’ailleurs, le plus meurtrier de l’histoire française est lié à la pluie. A l’été et à l’automne 1692, les très fortes pluies gâchent les récoltes des grains et surtout les semailles. Les charrues ne peuvent pas entrer dans les champs. Le printemps 1693 reste pluvieux et tout cela se termine par un échaudage (problème de circulation des substances nutritives dans les plantes, engendrant une malformation des grains, qui restent de petite taille). Alors, la récolte de grains de 1693 est si faible que certains meurent de faim, d’autres, sous-alimentés, de maladies comme le typhus, la dysenterie ou les fièvres. Enfin, les mendiants propagent les épidémies.

Cette calamité occasionnera 1 300 000 morts (sur 22 250 000 habitants), ce qui est bien plus que n’importe quelle guerre, et du même ordre de celle de 1914-1918. Mais les baisses de population varient selon la pauvreté des régions. Elles atteignent 26 % dans le Massif Central et 5 % dans le Sud-Ouest.

Source : Impact du climat sur la mortalité en France, de 1680 à l’époque actuelle, Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau, 2009.
Source : Impact du climat sur la mortalité en France, de 1680 à l’époque actuelle, Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau, 2009.

Les sècheresses signalées dans le Midi pyrénéen

Météorologie ancienne du Midi Pyrénées –Francois Marsan (1906–1907)
Météorologie ancienne du Midi Pyrénées Francois – Abbé F. Marsan (1906–1907)

François Marsan (1861-1944), curé de Saint-Lary-Soulan, épluche les Livres de Raison, les Registres paroissiaux ou notariés, les Journaux du Temps de la région. Il publie toutes les informations recueillies dans un grand article de 18 pages de la Société Ramond, Météorologie ancienne du Midi Pyrénéen.

Notons par exemple :

1630. — En réponse à une supplique adressée à Mgr Barthélemy de Donadieu de Griet, évêque de Comminges, par les consuls et marguilliers de Guchan et Bazus (vallée d’Aure), ceux-ci sont autorisés à distribuer aux habitans les plus nécessiteux desdits lieux veu l’estérilité de ceste année, misère et pauvreté, quatre muids d’orge, seigle et millet payables à la récolte prochaine. (Verbal et Ordonnance de Me Etienne de Layo, commissaire député par Mgr de Consenge, du 25 février 1631).

1645. — Grandes chaleurs aux mois de mai et de juin ; on a coupé les blés et autres grains avant la St-Jean-Baptiste ; il y a eu quantité d’orbère [maladie du blé appelée aussi ergot] aux blés dans toute la région. Il n’a plu que le 8 septembre.

1646. – Grande orbère aux blés partout et grandes chaleurs en juillet.

1653. – En beaucoup d’endroits les blés se sont séchés ainsi que les orges, grande famine et peste.

L’intendant d’Étigny combat le climat

Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)
Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)

La liste de ces catastrophes est longue. Pourtant, on ne remet pas en question les méthodes agricoles. Il faut attendre l’intendant d’Auch, Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767) pour les revoir et les rendre moins vulnérables au climat.

En effet, il note qu’en 1745, l’été est marqué par des grandes chaleurs. La sécheresse était si forte que les habitants d’Auch furent obligés d’aller moudre leur grain à Toulouse et de congédier les écoliers, même les séminaristes, faute de pain dans la ville. (Chroniques ecclésiastiques du diocèse d’Auch, p. 175).

En 1751 et 1752, ce n’est pas la sècheresse mais les grêles qui ravagent les cultures. D’Étigny, dans sa correspondance, écrit : Lors de la seule grêle du 20 juin 1751, 79 communautés furent ravagées dans la seule élection d’Astarac. La misère qui suit est telle qu’on trouve des gens morts sur les chemins.

L’année suivante, d’Étigny note une sècheresse inouïe qui atteint particulièrement les fèves et le millet, aliments majeurs des paysans. Suivront deux années de pluies et d’orages tout aussi dévastatrices.

Les améliorations apportées par l’intendant apporteront une prospérité pendant 12 ans. Mais, en 1774, une terrible épizootie décimera les troupeaux.

Les grandes sècheresses suivantes

Elles sont si nombreuses qu’on ne peut toutes les citer. Celle de 1785 est particulière. En effet, une grande sècheresse, liée à l’éruption du volcan Laki (Islande), s’abat sur l’Espagne, la Sicile, la France. Dès le mois de janvier, les sources et torrents des Pyrénées faiblissent dramatiquement. La sècheresse s’installe vraiment en avril et des bêtes meurent dans les prés par manque d’herbe. Aussi, le 15 juin, les élus toulousains demandent une rogation pro pluvia. Cela ne suffira pas. En octobre et novembre, la Garonne est très au-dessous de son étiage normal (d’environ 50 cm).

En fait, cette éruption est extraordinaire, car ses impacts atteignent des régions bien au-delà des frontières de l’Islande. Le gaz se répand sur l’Europe du sud sous la forme d’un brouillard sec à l’odeur sulfureuse. Mais les contemporains, constatant la sècheresse, ignorent qu’une éruption volcanique s’est produite en Islande. De plus, le soleil prend une coloration « rouge sang » à son coucher et à son lever, renforçant le côté inquiétant de l’évènement.

Quarante sècheresses sont répertoriées au XIXe siècle. En particulier, les Pyrénées sont marquées par une grande sécheresse qui débute en mai 1847 : perte des deux tiers du foin, de l’herbe, du blé. Une demande de secours est adressée le 4 juillet. Même chose en 1860.

Le XXe siècle connait aussi son lot de sècheresses dont 1921 la plus importante connue à ce jour. Le nombre de victimes est de 11 300 personnes. Pourtant, la mortalité infantile par temps de canicule est alors pratiquement vaincue.

La gestion de l’eau en Gascogne

Les rivières réalimentées par le canal de la Neste pour lutter contre la sécheresse en Gascogne
Les rivières réalimentées par le canal de la Neste

Le XXe siècle voit la mise en place des plans de gestion de l’eau et d’irrigation qui vont améliorer la situation. Par exemple, la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne nait en 1927.  On modifie et on diversifie les cultures. On aménage les calendriers. En 1990, l’État lui confie par concession, la gestion du canal de la Neste mais aussi de la distribution des eaux en aval.

Le canal de la Neste a été créé entre 1848 et 1862 et mis en service en 1863. Il permet d’alimenter artificiellement les cours d’eau gascons prenant naissance sur le plateau de Lannemezan (Gers, Baïse, Save, Gimone, Arrats, Bouès, Louge, Gesse…). Il est tout particulièrement important pour le département du Gers.

Les Agences de l’Eau

En 1964, l’État crée six agences de l’eau pour une gestion coordonnée des bassins fluviaux : gestion de la ressource, protection des pollutions, préservation des milieux aquatiques. Une redevance sur la consommation d’eau les finance. Pour la Gascogne, il s’agit de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne.

Lors de la grande sécheresse de l'été 1976, les habitants de Lesparre Médoc (Gironde) prient pour que la pluie arrive
Lors de la grande sècheresse de l’été 1976, les habitants de Lesparre Médoc (Gironde) prient pour que la pluie arrive

Si cette gestion amoindrit les impacts des sècheresses, les conséquences restent encore fortes. En 1976 par exemple, une grande sècheresse touche le Sud-Ouest. L’automne et l’hiver n’ont pas rechargé les nappes et la température atteint 30°C dès début mai. La moitié des céréales sont perdues. Des dizaines de tonnes de truites arc-en-ciel meurent dans les élevages piscicoles de la Dordogne. Il faut apporter de l’eau potable par camions-citernes dans les villages du canton de Miradoux (Gers). De plus, le 4 juillet, des orages provoquent des inondations à Bordeaux et dans le Pays Basque. Les chutes de grêle finissent d’abimer les cultures. Le président Valery Giscard d’Estaing annonce un impôt sècheresse qui permettra pour la première fois d’indemniser les agriculteurs.

Enfin, la Loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur la régulation des prélèvements d’eau sera adoptée. La diminution des prélèvements, et le recyclage des eaux usées ou non restent toujours des enjeux forts.

Le Canal de la Neste (Hautes-Pyrénées) pour lutter contre la sécheresse en Gascogne
Le Canal de la Neste (Hautes-Pyrénées)

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Sécheresses et canicules avant le Global Warming 1500-1950, Emmanuel Garnier, p 297-325.
Sur l’histoire du climat en France depuis le XIVe siècle, Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau, Jean-Pierre Javelle, 2017.
Aquitaine, du climat passé au climat futur, Francis Grousset, 2013, p. 41-60.
Impact du climat sur la mortalité en France, de 1680 à l’époque actuelle, Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau, 2009.
La révolution agricole du XVIIIe siècle en Gascogne gersoise, O. Pérez, 1944, p. 56-105.
Météorologie ancienne du Midi Pyrénéen, Bulletin de la Société Ramond, François Marsan, 1907, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus.
L’éruption de la fissure Laki, 1783-1784




Les moulins du Lavedan

Le moulin à eau est une belle invention qui sera fort prisée un peu partout. En Lavedan, le moulin s’adapte à la montagne et se différencie de celui de la plaine. Jean Wehrlé nous renseigne par son livre : Le moulin de montagne, témoin du passé.

L’invention du moulin à eau et son développement


Meule et broyeur -(Orgnac) - source Wikimedia
Meule et broyeur à main  (Orgnac) – Wikimedia

L’invention du moulin à eau est un soulagement pour le travail des femmes qui jusqu’alors, utilisaient un mortier ou deux pierres.

Ce seraient les Grecs qui l’inventèrent. En 30 av. J.-C., le poète Antipater de Thessalonique écrit : Ne mettez plus la main au moulin, ô femmes qui tournez la meule ! Dormez longuement, quoique le chant du coq annonce l’aurore ; car Cérès a chargé les nymphes des travaux qui occupaient vos bras

Moulin à eau de Barbegal - reconstitution
Moulin à eau de Barbegal – reconstitution

La première mention d’un moulin se trouve dans les écrits de Strabon au 1er siècle av. J.-C. Il signale l’existence d’un moulin à eau, à Cabira, dans le palais de Mithridate, roi du Pont. Mais la plus étonnante de ces constructions hydrauliques romaines se trouve en Provence, à Barbegal, près d’Arle [Arles]. Le plus grand « complexe industriel » connu de l’Empire romain est un ensemble de moulins capable de moudre le grain pour une ville de 80 000 habitants !

En France, on attribue l’introduction des moulins à eau à Clovis (~466-511). Puis, les monastères développent cette technique et les moines de Clairvaux disséminent les moulins en construisant de nouvelles abbayes dans toute l’Europe. En plus des besoins domestiques des abbayes, l’eau courante a des usages industriels : écraser les grains, tamiser les farines, fouler le drap et tanner les peaux, puis, plus tard, fabriquer de la pâte à papier.

Parmi les grandes réalisations du XI-XIIe, citons la Société des Moulins du Basacle [Bazacle] ou Los moulins de Basacle fondée à Toulouse par des citoyens de la ville, avant que ne commence la Croisade des Albigeois, pour exploiter en commun des dizaines de moulins installés sur le site du Basacle, à l’amont  de la ville. Ils constituent  pour cela, la première société française par actions.

Les moulin à eau en Lavedan

Saint Orens
Saint Orens

En Lavedan (ou Vallée des Gaves), c’est à Sent-Orens, le futur évêque d’Auch, que l’on attribue le premier moulin à eau.  La légende nous apprend que vers 370, il aurait construit dans le vallon d’Isaby, un moulin merveilleux qui fonctionna 700 ans sans la moindre réparation. Né à Huesca, très pieux, il serait venu se réfugier dans le Lavedan pour échapper au destin politique que sa riche famille voulait pour lui.

Très vite, les moulins privés vont se multiplier dans le Lavedan, au-delà de ce qu’on voit dans d’autres contrées. Le cartulaire de Sent Savin en 1150 ou le censier de 1429 en témoignent.

En 1708, une taxe est créée qu’on ne paiera pas toujours. En 1735 par exemple, 17 moulins clandestins sont découverts dans la baronia deths Angles

Toutefois, en 1836, le cadastre parle d’une vingtaine de moulins à Arcisans-Dessús pour trente-cinq familles. Et quand le moulin est partagé entre deux familles, chacune s’attribue des jours.

À quoi ressemble un moulin en Lavedan ?


Arcizans-Dessus_(Photo Omnes)
Moulins en chapelet – Arcizans-Dessus (Photo Omnes)

La superficie au sol d’une mola [moulin] fait 20 à 25 m2. En enlevant les murs, le moulin est donc très petit. En Val d’Azun, les murs sont en granit clair, en vallée de Gavarnia, ils sont en schiste sombre. Les toits sont en ardoise.

On construit le moulin généralement dans la pente et une rigole depuis le ruisseau permet l’alimentation en eau directement à l’intérieur. De plain-pied, on a l’espace de travail et dessous la chambre du rouet où l’on tient en général debout.


Beaucens (Photo SPPVG)
Moulin de Beaucens (Photo SPPVG)

 

Quant à la porte, elle ne se distingue pas de celle d’une bergerie. Elle peut être ornée d’une croix, voire fleurie. En revanche, à hauteur d’homme, une dalle horizontale encastrée dans le mur permet de poser les sacs lors des manipulations ou du chargement des bêtes.

Enfin, à l’intérieur, un tira huma, une cheminée dont le conduit traverse le mur et non la toiture, permet de se réchauffer l’hiver. Et le sol est le plus souvent en simple terre battue.

L’alimentation en eau du moulin


Canal de dérivation vers un moulin
Canal de dérivation (photo SPPVG)

Qui dit moulin à eau signifie qu’il faut de l’eau ! Ce qui est plus difficile avec l’altitude.  On trouve des rigoles d’alimentation appelées graus ou agaus parfois assez longues, comme celle d’Ayrues qui alimentait deux moulins mais uniquement l’été. Pourtant, on trouve des moulins même à plus de 1300 m d’altitude.

Et les passages ou ventes de droits d’eau font l’objet de transactions en Lavedan. Jean Wehrlé cite la vente de passage d’eau entre Maria du Faur et Johan de Palu le 8 février 1502.

Vieuzac, canal de l'Arrieulat-1
Vieuzac, canal de l’Arrieulat (photo SPPVG)

 

Ou encore l’établissement d’un canal de moulin en 1651 entre un certain Vergez et le sieur d’Authan.

Le plus souvent, le meunier actionne une simple pelle de bois ou de schiste pour donner passage à l’eau dans la rigole.

Au XXe siècle, lors des travaux en montagne, EDF devra assurer l’alimentation des canaux pour la marche des moulins.

Le fonctionnement du rouet


Schéma de principe du moulin à roue horizontale de Sazos
Schéma de principe du moulin à roue horizontale de Sazos (SPPVG)

Pour entrainer l’arrodet [la roue], on creuse dans un arbre évidé, une pièce appelée coursier.  Calé de 30 à 45° par rapport à l’horizontale, le coursier fait office de déversoir et l’eau fait une chute de 2 à 3 m, ce qui entraine la roue (ou rouet) à 60-80 tours par minute.


Turbine horizontale - Moulin de l’écomusée de Marquèze ( Landes)
Turbine horizontale – Moulin de l’écomusée de Marquèze ( Landes)

Quant au rouet, dans le sud de la France, comme dans le bassin méditerranéen, il est horizontal avec un axe vertical. Il mesure 1,15 m de diamètre est souvent en chêne ou en acacia. Il tourne généralement à droite.

La pèira [la meule], sauf exception, est faite de matériau trouvé sur place : la roche cristalline. Elle mesure de 0,90 à 1,15 m de diamètre, pour une épaisseur de 15 cm. Et elle pèse facilement 120 kg. Elle peut être marquée.

Que moud-on dans les moulins du Lavedan ?


Trémie avec son sabot
Trémie avec son sabot (SPPVG)

On peut moudre tous les grains : millet, orge, seigle, blé, avoine, maïs selon les époques. Pourtant la même meule ne s’adapte pas à tous les grains. Ainsi, René Escafre (1733-1800) nous signale : le moulin du seigneur aux Angles a une meule noire, il faudrait en acheter une blanche pour moudre le froment.

Le grain est versé dans un tremolh ou trémie pyramidale. Son soutirage est réglé par une pièce appelée esclop à cause de sa forme de sabot.

Le grain moulu servira à l’alimentation de l’homme et de l’animal. On pratique une mouture « à la grosse », le blutage étant fait par un cèrne [tamis à main] surmontant la masia [le coffre à bluter]. On peut ainsi séparer le son, séparer la fleur (farine très fine utilisée pour la pâtisserie).

Quauques reproès deth Lavedan

Les Gascons sont les rois des proverbes. Le Lavedanés Jean Bourdette (1818-1911), dans Reprouès det Labeda, signale les suivants :

Eras moulos, de Labéda, quoan an àyga n’an pas grâ.
Eras molas, de Lavedan, quan an aiga n’an pas gran.
Ces moulins, du Lavedan, quand ils ont de l’eau ils n’ont pas de grain.

Cadù q’apèra era ayga tat sué mouli,
E qe la tira at det bezî.
Cadun qu’apèra era aiga tad sué molin,
E que la tira a deth vesin
Chacun appelle l’eau pour son moulin / Et l’enlève à son voisin.

De mouliô cambià poudet, mes de boulur nou cambiarat.
De molièr cambiar podetz, mès de volur non cambiaratz.
Vous pouvez changer de meunier ; mais de voleur, non.
Bourdette précise : C’est que tous les meuniers passaient pour être voleurs ; ils conservent encore cette vieille réputation… en Labédâ du moins.

Mes bàou chaoumà que màou moule.
Mes vau chaumar que mau móler.
Mieux vaut ne rien faire que mal moudre.

Qi a mouli ou caperâ,
Jàmes nou mànca de pâ.
Qui a molièr o caperan,
Jamès non manca de pan.
Qui a curé ou moulin,
Ne manque jamais de pain.


Carte des Pays des Pyrénées - Le Lavedan
Carte des Pays des Pyrénées – Le Lavedan

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Reprouès det Labeda, Jean Bourdette, 1889, Bibliothèque Escòla Gaston Febus.
La Baronnie des Angles et les Roux de Gaubert de Courbons, René Escafre.
Le moulin de montagne, témoin du passé, Jean Wehrlé, 1990, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Patrimoine Volvestre Info, Les moulins du Volp
Le site des patrimoines du Pays de la Vallée des Gaves, Les moulins à eau, les scieries, les carderies, (les photos provenant du site sont référencées SPPVG)
La Société des moulins de Bazacle, Wikipedia
La Révolution industrielle du Moyen Âge,




La construction en terre et le Gers

Les constructions anciennes utilisent les matériaux disponibles sur place. Ainsi, on emploie la pierre en montagne, le galet roulé dans la plaine de l’Adour et des Gaves. Le centre de la Gascogne, dépourvu de carrières de pierres ou de galets, adopte traditionnellement la terre.

Les techniques de construction en terre traditionnelles

Banche de construction de murs de pisé
Banche de construction de murs de pisé

Il existe quatre techniques de construction en terre.

Le pisé consiste à compacter un mélange d’argile, de sable, de gravier et de fibres naturelles (paille, foin, etc.). Etalé en fine couche dans un coffrage, il est ensuite compacté à l’aide d’un pilon (prononcer : pilou). Cette technique est très utilisée entre le XVIIIe et le XXe siècle. On la rencontre surtout au nord du Béarn et de la Bigorre, en Astarac (environs de Mirande) et en Magnoac. Les murs sont très épais et généralement dépourvus d’ouvertures. Les murs en pisé ont une forte inertie (capacité d’emmagasiner et de restituer la chaleur de manière diffuse). On s’en servait pour la construction de caves ou de fours.

 

Construction en terre - mur en bauge recouvert d'un enduit
Mur en bauge recouvert d’un enduit

La bauge est un empilement de boules de terre malléables qui sont ensuite battues et taillées. Cette technique nécessite peu d’outillage. Il n’y a pas besoin de coffrage ou de moule, seulement un outil tranchant pour lisser les parois. Les murs sont très épais.

Construction en terre - mur en damier à Saint-Michel près de Mirande
Mur en damier d’adobes et de galets à Saint-Michel (32) près de Mirande

 

L’adobe est une brique de terre crue moulée et séchée au soleil. Elle est courante dans la région toulousaine. En Astarac et dans le Magnoac, on rencontre souvent des constructions en damier alternant adobes et galets.

Enfin, le torchis est une couche de terre, mélangée à de la paille, étalée sur un lattis de bois de chêne ou de châtaignier. Un enduit est ensuite passé sur la terre sèche. Cette technique est prépondérante en Armagnac. La technique est apparue dans les Landes au XVe siècle et a été très utilisée jusqu’au XVIIe siècle. Elle permet la construction d’étages. Les maisons du centre d’Auch, de Marciac ou de Tillac sont construites en torchis.

La terre, un matériau écologique et moderne

Construction en terre - La ferme fortifiée de Lagrange à Juilles (32) - étage en pisé sur une base en bauge
La ferme fortifiée de Lagrange à Juilles (32) – étage en torchis sur une base en bauge

On redécouvre que nos anciens étaient écologistes avant l’heure. En effet, la terre est un matériau naturel, entièrement recyclable, qui possède des qualités thermiques et hygrométriques particulièrement adaptées pour l’habitat.

De plus, on extrait la terre localement, ce qui réduit les couts d’extraction, de transformation et de transport qui pèsent sur le bilan carbone et l’empreinte écologique des constructions. Elle ne nécessite peu d’outils.

La terre est un matériau de construction sain qui ne nuit pas à la santé des habitants car il ne dégage aucune émanation toxique ou cancérigène. Elle amène un confort intérieur par l’apport d’inertie et la régulation de l’hygrométrie.

Construction actuelle en pisé
Construction actuelle en pisé

Précisons que l’inertie est la capacité d’un matériau à emmagasiner et à restituer la chaleur de manière diffuse, ce qui permet d’obtenir un déphasage thermique dans le temps par rapport aux températures extérieures. Associée à une bonne isolation, elle permet d’optimiser le confort d’été comme d’hiver.

Quant à l’hygrométrie, elle caractérise la quantité d’eau sous forme gazeuse présente dans l’air humide. Un mur en terre régule l’humidité ambiante en absorbant et en restituant naturellement la vapeur d’eau (respiration, salle de bain, cuisine).

La terre est un bon isolant qui apporte un confort acoustique entre deux pièces.

Enfin, il existe une grande diversité de terres qui offrent une palette de textures et de couleurs qui s’adaptent à tous les intérieurs et aux gouts de chacun.

Entretenir les constructions de terre anciennes

Beaucoup de constructions de terre ne sont pas entretenues. Les techniques sont oubliées et les propriétaires se trouvent souvent désemparés. Cela explique la disparition rapide de cet héritage.

Chapelle de Daunian en terre de Magnan (32)
Chapelle de Daunian en terre de Magnan (32)

Pourtant, un entretien régulier permet de conserver le bâti en terre pendant plusieurs siècles. C’est le cas des églises romanes de Magnan ou de Saint-Michel en Astarac.

Les signes d’une dégradation sont l’érosion de la tête de murs, l’apparition de sillons horizontaux le long du mur, des remontées capillaires depuis la base du mur, la présence de mousse, lichen ou champignons sur les murs, l’apparition de fissures verticales, l’éclatement ou le décollement de l’enduit qui sert de revêtement, une partie de mur abimée voire effondrée, l’écartement de deux pans de murs dans les angles.

Ces dégradations sont parfois dues aux intempéries, mais surtout à nos modes de vie moderne. Ce sont des habitudes ou des modes qui empêchent les murs de terre de respirer.

Chapelle Saint Jaymes en terre de Saint-Michel (32)
Chapelle Saint Jaymes en terre de Saint-Michel (32)

La construction de surfaces étanches aux abords des maisons de terre (trottoirs en ciment, sol goudronné, …) et la pose de revêtements intérieurs ou extérieurs étanches (dalles en ciment, carrelage, bâche de plastique, …), empêchent l’humidité du sol de s’évacuer naturellement et provoquent des dégâts à terme.

Des extensions accolées aux constructions de terre peuvent créer des désordres par suite d’une mauvaise jonction des toitures. De même, la création d’une ouverture trop près d’un angle peut fragiliser un mur.

Construire en terre aujourd’hui

On considère la terre comme un matériau « non noble » et les constructions modernes ne l’utilisaient plus. La réglementation technique favorise l’utilisation de matériaux industrialisés et rapides à mettre en œuvre. Toutefois, le développement durable s’impose. La terre est un matériau naturel, économique, recyclable, local et disponible. Son utilisation permet de valoriser des filières courtes.

Siège d'Ecocert à L'Isle Jourdain (32)
Siège d’Ecocert à L’Isle Jourdain (32)

Des collectivités favorisent le renouveau de la terre pour rénover le patrimoine bâti et dans les nouvelles constructions. Le Parc naturel régional d’Astarac en a fait un des axes de son développement.

Déjà, en 1981, le Centre Georges Pompidou présentait une exposition sur le thème : « Des architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire » pour promouvoir l’emploi de la terre crue dans la construction. « Il s’agit d’abord de redécouvrir et de comprendre les témoignages, […] ; […] et surtout, de déployer des politiques d’actions qui globalement visent à réactualiser et à moderniser, à rationaliser et à promouvoir divers usages nouveaux de ce mode de construction ».

Ecole de Saint-Germé (32)
Ecole de Saint-Germé (32)

Quarante ans plus tard, des filières se sont organisées. Des architectes et des entrepreneurs proposent une large gamme de compétences dans l’utilisation des différentes techniques de constructions en terre. La Gascogne est devenue un des pôles principaux de développement lié à une forte tradition de constructions en terre et à un important patrimoine local.

De nouvelles techniques apparaissent comme le « terre-paille » dérivé du torchis ou les briques de terre comprimées, sorte d’adobes mécanisés. On a utilisé ces techniques de construction pour la construction de l’école de Saint-Germé ou pour le siège d’Ecocert à l’Isle Jourdain.

Pour en savoir plus, lisez L’architecture de terre crue en Gascogne, Pistes pour sa revalorisation et son emploi contemporain,.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia
L’architecture de terre crue en Gascogne, Pistes pour sa revalorisation et son emploi contemporain, Ecocentre Pierre&Terre
Guide architectural « L’architecture de terre en Midi-Pyrénées, pistes pour sa revalorisation », Anaïs Chesneau, Ecocentre Pierre & Terre.




La pêche roussanne de Monein

La Gascogne est une région de production fruitière. De nombreuses variétés de fruits ont quasiment disparu, en raison de leur faible productivité ou d’une mauvaise adaptation aux normes de la grande distribution. La pêche Roussanne / persec ou pershec est cultivée à Monein.

Une pêche ancienne

Alfred Arthur de Brunel de Neuville (1852 - 1941) - Nature morte
Alfred Arthur de Brunel de Neuville (1852 – 1941) – Nature morte

On cultive la pêche Roussanne depuis longtemps en Béarn. À ne pas confondre avec la pêche de Pau, qui est une autre variété connue qui figure au Potager du Roi à Versailles. Le journal L’Indépendant des Basses-Pyrénées, du 9 novembre 1882, nous dit : « il ne faut pas confondre dans sa dénomination la pêche Roussanne de Monein avec la pêche de Pau, déjà célèbre sous Henri IV, inscrite en 1628 par Le Lectier sur le catalogue de son verger d’Orléans, et que nous voyons figurer sur tous les anciens catalogues du jardin et pépinières flamands des XVII° et XVIII° siècles ».

En effet, le Catalogue des variétés de la collection impériale du jardin du Luxembourg de 1809, compte l’Avant-pêche jaune, Albergue jaune ou Roussanne, ainsi que la Pêche de Pau.

L’Indépendant des Basses-Pyrénées nous dit encore : « Cette pêche présente de grands rapports avec les variétés précoces à chair jaune connues et réputées dans le Midi de la France sous les divers noms de Jaune de Bordeaux, Jaune de Mézens, Pêche de Montauban, de Gaillac, double jaune de Pourville ; cependant s’il en est dans cette classe de plus douces et douées d’une plus grande finesse comme chair, aucune n’approche de la pêche jaune de Monein, comme grosseur, perfection de formes et richesse des coloris ».

Quelle est sa particularité ?

Deux pêches Roussanne
Deux pêches roussannes de Monein

Pour les amateurs de botanique, le Conservatoire végétal régional d’Aquitaine présente la pêche Roussanne comme :

« Pêche de gros à très gros calibre, surtout après éclaircissage, de très bel aspect, à épiderme jaune-orangé maculé de rouge pourpre sur la joue ensoleillée, pointillé de rouge, finement rayé, à chair orangée, typique des Roussanes, légèrement veinée de rouge à proximité du noyau et sous l’épiderme, fondante, extrêmement juteuse, dense, très sucrée, relevée d’une pointe d’acidité, très parfumée, excellente, qui se pèle facilement. Cueillette mi-juillet, qui s’échelonne en 3 passages minimum depuis le 15 juillet. Arbre vigoureux, à mise à fruit rapide, précoce et abondante, de feuillage vert-jaunâtre, typique des variétés à chair jaune. Variété assez rustique, bon comportement au corynéum et à la rouille, faiblement sensible au monilia et moyennement sensible à la cloque. Floraison d’époque moyenne, pleine floraison entre le 14 et le 18 mars, fleur de type campanulée, rose ».

La pêche Roussanne se récolte de mi-juillet à début aout. Et il faut la consommer rapidement car elle supporte mal le transport et la conservation dans les réfrigérateurs. En revanche, elle se prête très bien à la transformation.

La Roussanne est relancée en 2002

Dans les années 1830, il y avait 150 producteurs de pêches Roussanne, et seulement 3 dans les années 2000. La cloque, la gomme, l’oïdium, la mouche du pêcher et les émanations de la production gazière du bassin de Lacq, tout proche, ont eu raison de cette production.

Heureusement, quelques irréductibles s’attachent à sauver la pêche Roussanne.

La récolte des pêches Roussanne chez Marie-Josée Cazaubon
La récolte des pêches Roussanne chez Marie-Josée Cazaubon

Ainsi, la coopérative Les vergers du pays de Monein voit le jour en 2004, grâce à la persévérance de Marie-Josée Cazaubon, productrice de pêches Roussanne. Puis, en 2006, c’est le tour de L’Association de promotion de la pêche Roussanne.

Avec l’aide de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et du Conservatoire végétal régional d’Aquitaine situé à Montesquieu en Lot et Garonne, deux pêchers / perseguèrs, persheguèrs sont sélectionnés et donnent 5 000 plants qui sont confiés à un pépiniériste. Durant l’hiver 2005-2006, ils sont replantés dans 15 vergers. Les producteurs sont formés aux techniques de production.

Traditionnellement cultivée dans les rangs de vigne, on cultive la pèche Roussanne en vergers.

Aujourd’hui, la coopérative compte 18 producteurs, sans compter les producteurs indépendants. Et tous rêvent d’obtenir le Label Rouge.

D’ailleurs, le succès de la pêche Roussanne est tel que la coopérative ne peut fournir tous ses clients.

Marie-Josée Cazaubon

Fête de la pêche roussanne à Monein
Fête de la pêche roussanne à Monein

Agricultrice à Cuqueron, Marie-Josée Cazaubon décide de relancer la production de pêches Roussanne. Elle est présidente de la coopérative Les vergers du pays de Monein.

En association avec les producteurs indépendants et le Comice agricole de Monein, Marie-Josée Cazaubon crée une fête de la pêche qui a lieu chaque année sous les halles de Monein. C’est l’occasion de rencontrer les producteurs et de gouter ce fruit délicieux.

Ses efforts sont couronnés de succès. En 2019, on sert la pêche Roussanne au sommet du G7 qui s’est tenu à Biarritz. Quelle surprise ! L’information avait été bien gardée et Marie-Josée Cazaubon la découvre en regardant les informations régionales.

Dans une interview à France-Bleu, elle dit : « Je me suis dit : ça y est ! C’est l’aboutissement de quelque chose de beau, les grands chefs vont gouter la pêche Roussanne de Monein ! Le monde entier va savoir que cette pêche existe, c’est incroyable ! ».

Pour tous les gourmands

La description de la pêche roussanne du Conservatoire végétal régional d’Aquitaine vous a surement mis l’eau à la bouche ….

Après tout, il n’y a pas que les chefs d’Etats qui ont droit de gouter à cette pêche !

Salade de pêches à la menthe
Salade de pêches à la menthe

Voici une recette simple :

  • Epluchez 1 kg de pêches roussanne,
  • Coupez-les en petits morceaux,
  • Saupoudrez de 160 gr de sucre,
  • Réservez au réfrigérateur,
  • Mélangez délicatement avec du Jurançon doux,
  • Ciselez une feuille de menthe fraiche,
  • Servez frais,
  • Régalez-vous.

Les gourmets gouteront aussi le foie gras poêlé à la roussanne ou le gratin de pêches roussanne. Et bien d’autres recettes qui sont à découvrir sur le site de la coopérative des Vergers de Monein.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia.
Coopérative Les vergers de Monein
Conservatoire végétal régional d’Aquitaine