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Les feux dans le pinhadar

Le pinhadar connait régulièrement de gigantesques incendies comme celui de l’été 2022. Hélas, ce n’est pas le premier grand incendie qui touche le pinhadar. La prévention et la lutte contre les feux de forêts est une préoccupation constante.

Le grand incendie de 1755 dans le Marensin

Le Marensin est couvert d’un pinhadar naturel. Les incendies y sont fréquents mais ils ne font pas de grands ravages. En fait, dès qu’un incendie se déclare, toute la population s’organise pour lutter contre le feu. Il est vrai que le pinhadar du Maransin est une importante ressource économique qui profite à toute la population.

Pourtant, en avril 1755, un grand incendie ravage le Marensin.

La correspondance de l’Intendant d’Etigny avec le Contrôleur Général nous révèle les faits

Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)
Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)

En fait, le feu est accidentel : un particulier qui prépare le repas pour des charbonniers met le feu à la cabane. D’Etigny écrit : Il mit le 5 de ce mois le feu à la cabane de planches où il était et, en très peu de temps, le pignada fut incendié. Le feu se communiqua tout de suite dans la paroisse de Castets au Levant, et dans celle de Linxe au Nord, et les ravage toutes de même que celle de Talles et Lesperon, indépendamment de quelques autres communautés de la Généralité de Bordeaux, entre autres celle de Dorignac.

Malheureusement, le feu détruit tout sur son passage : maisons, moulins, ruches. Et il y a de nombreux morts surpris par le feu porté par un vent impétueux et parce que les flammes se communiquaient avec autant de vitesse qu’un cheval allant le grand galop.

On craint une reprise du feu à tout moment. En effet, il n’est pas éteint et ne le sera-t-il pas même de longtemps, parce qu’il est dans la racine des arbres et qu’il faut des mois entiers pour qu’il puisse s’éteindre, à moins qu’il ne survienne des pluies abondantes.

La population est en état d’alerte : les habitants qui n’ont pas tout perdu sont-ils occupés jour et nuit à faire une garde exacte pour pouvoir se porter dans les endroits où le feu paraitrait vouloir se ranimer et faire en sorte de l’étouffer tout de suite avec du sable.

Mais, le 21 avril, d’Etigny signale un nouvel incendie à Rions et à Magescq. Et encore le 8 mai, un autre à l’Espéron et à Onesse.

Le Marensin connait d’autres incendies ravageurs en 1803 au cours duquel 700 000 pieds de pins disparaissent et, en 1822, sur les communes de Messanges, Moliets et Soustons.

Des feux de forêt qui se multiplient avec le boisement en pins

Résinier du Marensin – Bonnard, Camille (1794-1870) © Gallica

La loi de 1857 organise le boisement des Landes. Mais la chose ne se fait pas sans résistance de la part des bergers. Alors, des incendies se déclarent un peu partout. De 1869 à 1872, 24 000 hectares de jeunes plantations brulent dans les Landes ; en 1870, ce sont 2 261 hectares dans le Lot et Garonne et 10 000 hectares en Gironde.

Le gouvernement s’en émeut et charge Henri Faré (1828-1894), Directeur général de l’administration des forêts, d’une enquête qu’il réalise en 1873 : Je me suis rendu successivement à Dax le 28 février, à Mont-de-Marsan le 30, à Captieux le 1l mars, à Bazas le 5, à Villandraut le 6, à Bordeaux le 7, et à Agen le 11 mars. Quarante-neuf déposants ont été entendus et plusieurs dépositions écrites ont été recueillies ; le nombre de ces dernières dépasse cinquante.

Les déposants sont quasi unanimes : Les incendies sont dus en grande partie aux mécontentements qui se sont produits par suite de l’ensemencement trop rapide des landes.

M. de Lacaze, propriétaire à Casteljaloux ajoute : Une partie des petites landes dont jouissaient les communes fut attribuée en 1828, à la suite d’un procès, au duc de Bouillon. Ces landes ont été vendues à de grands propriétaires qui les ont ensemencées, et elles ont été brulées. En 1848, ces mêmes terrains, ensemencés de nouveau, furent vendus, et le feu y a encore été mis par place. Par conséquent, ces évènements sont liés à la succession du duc de Bouillon.

Lutter contre les feux de forêt

Coupe-feu à Hourtin (32) pour lutter contre les incendies
Coupe-feu à Hourtin (32)

Henri Faré cherche à connaitre l’origine des incendies et les mesures qu’il convient de prendre pour s’en préserver et lutter efficacement contre les incendies. Dans les forêts domaniales, les pare-feux sont efficaces. Aussi, il veut savoir s’il faut les généraliser.

Pourtant, les moyens de lutte sont dérisoires. Ils consistent à « disposer les travailleurs sur une route ou sur une ligne de pare-feu parfaitement débarrassée de matières combustibles. Chacun d’eux est pourvu d’une perche munie de ses feuilles vertes ; et c’est en frappant les parties embrasées, soit sur le périmètre de la ligne, soit en arrière, lorsqu’un nouveau foyer produit par des flammèches portées au loin vient à éclater, qu’on arrête l’incendie ».

Bien sûr, il y a d’autres grands incendies : 1892 au cours duquel 10 personnes périssent ; 1898, année de sècheresse, 50 000 hectares sont perdus.

L’incendie meurtrier de 1949

Au sortir de la guerre, la forêt manque d’entretien. Les coupe-feux sont dans les broussailles, on ne peut y accéder. L’été 1949 est caniculaire, comme ceux de 1947 et 1948.

Hélas, le 19 août, un incendie se déclare à Saucats. L’imprudence du gardien d’une scierie déclenche le feu par un mégot de cigarette mal éteint. Or, les vents violents et changeants poussent l’incendie sur les communes de Cestas, Marcheprime et Mios.

Les sauveteurs, acheminés sur place, luttent contre les flammes avec des branches d’arbre. Ils allument des contrefeux mais le vent ramène le feu dans une autre direction. Donc, il faut recommencer plus loin.

Alors, on appelle La troupe en renfort. Des soldats anglais prêtent main forte. Heureusement, les pompiers de Paris sauvent le village de La Brède.

En Gironde, le feu ravage Saucats, le 20 août 1949
Le 20 août 1949, le feu ravage Saucats (Gironde)

Le feu ne recule pas

En 1949, incendie à Saint Jean d'Illac et Toctoucau (Gironde)
En 1949, incendie à Saint Jean d’Illac et Toctoucau (Gironde)

Le 20 août, le feu menace Salles et Mios. Il parcourt 4 kilomètres par heure. Enfin, grâce aux contre feux, le sinistre ralentit.

Puis, vers 15 h, le vent change soudain de direction et ranime l’incendie. Il parcourt 6 000 hectares en seulement 20 minutes. Et les sauveteurs se retrouvent pris au piège.

Une catastrophe humaine

On compte 82 morts, brulés vifs, dont 26 habitants de Canéjan, 16 de Cestas et 23 soldats du 33° régiment d’artillerie de Poitiers, venus en renfort. Un survivant raconte l’horreur : On voyait les flammes courir tout au long de leurs corps étendus ; la graisse gonflait et les flammes gouttaient au bout de leurs souliers, de leurs bottes ou de leurs sabots carbonisés … On décrète le 24 aout, jour de deuil national.

En outre, toute la région est plongée dans le noir. En effet, une pluie de cendres et d’aiguilles carbonisées tombe sur Bordeaux. La fumée se voit à 100 km à la ronde. Enfin, le vent tombe vers 22 heures. Les incendies se calment, les derniers feux s’éteignent le 25 aout. Toutefois, l’incendie a ravagé 52 000 hectares.

Ce grand incendie sera le point de départ d’une réflexion sur les moyens de lutte à mettre en place et à généraliser.

Voir ici les informations télévisées de 1949, INA.

Les moyens de prévention et de lutte contre les feux de forêt

Prévenir les feux de forêt - campagne d'information
Prévenir les feux de forêt – campagne d’information

Aujourd’hui, le Pinhadar comprend 42 000 km de pistes forestières que les pompiers peuvent emprunter pour s’approcher du feu. On a aménagé des puits, des citernes enterrées et des étangs dans tout le massif. En tout, 5 000 points d’eau sont à la disposition des pompiers.

Mais ces aménagements ne doivent pas faire oublier que la prévention des feux est le premier moyen de lutte en évitant qu’ils ne démarrent. Et on sait que 90 % des feux sont d’origine humaine : activités agricoles, mégots de cigarette, barbecues, feux de camp, etc.

Ainsi, les touristes comme les riverains peuvent éviter les comportements dangereux, en ayant les bons réflexes au quotidien.

Des gestes simples suffisent en période sèche ou de canicule : éviter de stocker des combustibles près de la maison, ne pas utiliser d’outils susceptibles de provoquer des étincelles, ne pas fumer dans les friches ou les champs, ne pas jeter des mégots.

Le reste de l’année, il faut débroussailler son jardin sur 50 mètres tous les abords de construction lorsqu’elles se situent à au moins 200 mètres d’une forêt. Il faut enlever les arbres et les branches à moins de 3 mètres d’une maison, retirer les arbres et les plantes mortes, libérer les voies d’accès de tout encombrement.

Quant aux moyens humains et matériels déployés par la Sécurité civile, il convient de ne pas tomber dans le piège du sensationnel et de la polémique systématique : les moyens étaient-ils suffisants ? Aurait-on pu l’éviter ? etc.

Les grands incendies surviennent par temps d’extrême sècheresse comme celle de l’été 2022. Alors, chacun doit veiller à appliquer les mesures de prévention. 

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia.
Enquête sur les incendies de forêts dans la région des Landes de Gascogne, Henri FARÉ, 1873.
Les incendies de forêts dans les Landes au XVIIIe siècle, Maurice BORDES, Bulletin de la Société Archéologique du Gers, 1948-07.




Pierre de Fermat, un matheux dilettante

Le Lomanhòu Pierre de Fermat est un des grands esprits du XVIIe siècle. Il maitrise de nombreux sujets et laisse son nom en mathématiques et en optique.

Pierre Fermat, les études

Pierre de Fermat - Capitole de Toulouse - Salle Henri Martin
Pierre de Fermat, Capitole de Toulouse, Salle Henri Martin

Fermat nait dans la première décennie du XVIIe, en Lomanha [Lomagne], cette région que l’on a surnommée la petite Toscane pour ses nombreux vallons. Plus exactement à Bèumont de Lomanha [Beaumont-de-Lomagne], à 39 km à l’est de Leitora [Lectoure]. Son père Dominique est un marchand, vendant surtout du cuir, et un consul de la ville. Sa mère, c’est peut-être la première femme de son père, Françoise Cazeneuve, ou sa deuxième femme, Claire de Long, fille de Clément de Long seigneur de Barès. Comme on ne connait pas sa date de naissance, les deux possibilités restent en suspens. Il a un frère, Clément, et deux sœurs, Louise et Marie.

 

Toulouse - entrée de l'ancien collège des Jésuites/ Pierre de Fermat y étudie
Toulouse, entrée de l’ancien Collège des Jésuites, aujourd’hui Collège Pierre de Fermat

Le jeune Pierre a probablement commencé ses études à Beaumont, avant de les poursuivre à Toulouse. Là, il suit une formation classique. Et il est possible qu’il y découvre aussi les mathématiques car, justement, les Jésuites y créent en 1619 une chaire de mathématiques. Clin d’œil, le collège des Jésuites de l’époque est aujourd’hui le collège et lycée Pierre de Fermat.

Puis, notre Lomanhòu passera quelques temps à l’université des lois d’Orléans qui est spécialisée dans l’étude du droit civil. Il y obtient, en 1631, le grade de bachelier en droit civil. Toutefois, il goute modérément cette incursion dans le nord et il restera par la suite dans son sud-ouest. Il ne montera même pas à Paris pour défendre ses idées !

Pierre Fermat s’installe

Pierre Fermat achète un office de conseiller du Roi au Parlement de Toulouse et commissaire aux requêtes du palais. En effet, le 29 décembre 1630, Ysabeau de La Roche, veuve de Pierre de Carrière, s’engage à fournir à notre jeune avocat une procuration en vue de la résignation de l’office de son mari contre une somme de 43 500 livres.

Son rôle de parlementaire lui donne le droit d’ajouter une particule à son nom. Et cette même année, il épouse, le 1er juin, Louise de Long, née le 4 juillet 1615 à Toulouse.  Ils auront cinq enfants : Clément-Samuel, Claire, Louise, Jeanne et Jean.

Il reste quatorze ans dans la première chambre des enquêtes, puis il entre à la chambre criminelle du Parlement. Ainsi, il fait toute sa carrière de magistrat dans cette ville.  Cependant, à partir de 1648, il ajoute la charge de membre de la Chambre de l’Édit de Castres dont le rôle est de régler les différends entre protestants et catholiques.

Donc, Pierre vit à Toulouse, à Castres et, dès qu’il le peut, dans sa propriété de Beaumont de Lomagne qui s’étend sur 140 hectares de cultures, prés et vignes. Inutile de préciser qu’il a des revenus confortables.

Ancienne Grande Chambre du Parlement de Toulouse (XVe), où exercera Pierre de Fermat
Ancienne Grande Chambre du Parlement de Toulouse (XVe)

Pierre de Fermat, un érudit curieux et créatif

Au-delà de son métier, Pierre montre de l’aisance et de l’intérêt dans plusieurs disciplines. Ainsi il écrit des vers en français, en latin, et en espagnol, connait bien la philologie grecque, parle italien. Il s’intéresse aux sciences, à la physique et aux mathématiques. D’ailleurs, il correspond avec plusieurs autres grands esprits comme Blaise Pascal (1623-1662) ou Marin Mersenne (1588-1648).

Déjà en 1629, donc tout jeune, Pierre Fermat montre son intérêt pour les maths et reconstitue une œuvre perdue du géomètre grec Apollonius de Perge (IIIe siècle av. J.-C.), De locis planis [Des lieux plans] qu’il publiera en 1636. Il publie aussi quelques courts traités, souvent consacrés à la géométrie. Puis, en 1638, ses méditations sur Archimède et sur Pappus l’entrainent à mettre au point sa méthode de maximis et minimis qui permet de calculer le maximum ou le minimum d’une fonction et de déterminer des tangentes à une courbe. Le Tourangeau René Descartes (1596-1650) réagit immédiatement, lui reprochant de vouloir réhabiliter les Grecs.

La dispute avec Descartes

Franz Hals - Portrait de René Descartes qui polémiquera avec Pierre de Fermat
Franz Hals, Portrait de René Descartes (1596 – 1650)

En 1637, Descartes publie son fameux Discours de la méthode. Le père Mersenne l’envoie à Fermat en lui demandant son avis. Notre Lomanhòu émet des réserves sur un point d’optique – l’avenir lui donnera raison. Descartes n’apprécie pas la critique d’un amateur et réagit promptement en adressant à Mersenne le 5 octobre une lettre méprisante : le défaut qu’il trouve en ma démonstration n’est qu’imaginaire et montre assez qu’il n’a regardé mon traité que de travers […] et si vous aviez envie par charité de le délivrer de la peine qu’il prend de rêver encore sur cette matière.

En fait, il semble que Descartes ait peu de considération pour le mathématicien amateur qu’est Fermat, qu’il juge incompétent. Il va même jusqu’à dire : M. de Fermat est Gascon, moi pas ! 

L’année suivante, Descartes revient à la charge pour critiquer la méthode de maximis et minimis de Fermat. Il faut dire que ce dernier ne développe pas formellement tout son raisonnement, par paresse dit-il ou parce qu’il est convaincu d’avoir trouvé une chose vraie. En fait, il est très inspiré et bâcle parfois les démonstrations. Ceci dit, Descartes reconnaitra le bien-fondé de la méthode de Fermat et même, les critiques de Fermat pousseront Descartes à solidifier ses raisonnements et, ainsi, à découvrir de nouvelles choses.

De plus, les deux mathématiciens ont des convictions plus proches qu’il n’y parait. Ainsi, ils lancent tous deux la géométrie analytique (application de l’algèbre à la géométrie).

Les grands succès

Cette édition de 1670 de Diophante reprend le texte de la note que Fermat avait écrite (en latin) en regard du problème II.VIII de Diophante, sur son exemplaire de l'édition de 1621 : « démonstration véritablement merveilleuse que cette marge est trop étroite pour contenir. »
Cette édition de 1670 de Diophante reprend la note que Fermat avait écrite sur son exemplaire de 1621 : « démonstration véritablement merveilleuse que cette marge est trop étroite pour contenir. »

Tout réussit à Pierre de Fermat. Il se remet même de la peste attrapée en 1652. Et s’il est peu susceptible, il est en revanche assez joueur. Ainsi, en 1654, il échange avec Blaise Pascal sur le calcul des « partis ». Il s’agit de savoir comment partager équitablement des mises sur un jeu de hasard terminé avec la fin. Cela ouvrira une nouvelle voie : le calcul des probabilités.

En 1657, il énonce ce qu’on appellera le Principe de Fermat en optique. Cela concerne la forme de la trajectoire d’un rayon lumineux.

Toutefois, son génie explose principalement en théorie des nombres. Il fait des découvertes, écrit des théorèmes sur ce sujet toute sa vie. C’est grâce à ses lettres, en particulier les dernières avec le grand mathématicien lyonnais Pierre de Carcavi que l’on apprend toutes ses trouvailles. Car Pierre de Fermat publie peu. Il ne cherche pas la reconnaissance. On connait donc ses théories principalement par les manuscrits qu’il échange avec ses amis où il se contente d’indiquer le principe et la marche générale sans développer complètement une démonstration.

Cependant, il est membre de l’Académie des Sciences Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse.

La renommée posthume

Pierre de Carcavi fera connaitre l’œuvre de Pierre de Fermat
Pierre de Carcavi

Il meurt à Castres le 12 janvier 1665. En fait, cela fait cinq ans que sa santé se détériore. Charles Perrault fait son éloge qui sera publiée dans le Journal des Savants. Cinq ans plus tard, sa dépouille est transférée au couvent des Augustins à Toulouse.

Pierre de Carcavi devient le dépositaire de ses écrits et sa correspondance est globalement conservée même si elle est dispersée en Europe.

En fait, Fermat était célèbre dans les milieux intellectuels. Pourtant, il ne consacrait aux sciences que ses temps de loisir. Mais comme l’affirme Léopold Senghor, homme politique et poète sénégalais : les mathématiques sont la poésie de la science. En tous cas, il laisse une marque considérable. Et son dernier théorème attendra trois siècles pour être complètement prouvé : en 1994 par l’Anglais Andrew John Wiles (1953- ).

Si vous allez à Beaumont-de-Lomagne, allez donc visiter la maison de Fermat.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Biographie de mathématiciens, Pierre de Fermat.
Pages d’histoire, France Archives, Pierre de Fermat.
Méthode de maximis et minimis, lettre de Fermat à Mersenne, 15 juin 1638.
La correspondance entre Descartes et Fermat, Revue d’histoire des sciences, Michèle Grégoire, 1998.
La correspondance de Blaise Pascal et de Pierre de Fermat. La Géométrie du Hasard ou le début du Calcul des Probabilités, Cahier de Fontenay, Pierre-José About, 1983.
Les méthodes utilisées par Fermat en théorie des nombres, Revue d’histoire des sciences, Jean Itard, 1950.
La communication des idées scientifiques dans le second tiers du xviie siècle au travers de l’œuvre de Pierre de Fermat, Roger Paintandre, 1987.




Lourdes et Garaison, la Vierge en Bigorre

Le culte marial est très présent en Bigorre. Et pour cause ! Ce sont deux apparitions de la Vierge et deux sanctuaires qui y ont vu le jour. Celui de Lourdes est de loin le plus connu mais celui de Garaison est beaucoup plus ancien.

La Vierge et le sanctuaire de Garaison

Chapelle N-D de Garaison
Chapelle N-D de Garaison

En 1515, la Vierge apparait trois fois à Anglesa [Anglèse], une jeune bergère de 12 ans, fille de Guillaume de Sagazan, dans un champ de la commune de Montlong [Monléon-Magnoac].

Pierre Geoffroy, chapelain de l’église, nous rapporte le récit des faits en 1613. Anglesa était assise près d’une fontaine lorsque la Vierge lui apparait et lui dit : « Ne craignez rien, je suis la Vierge Marie, mère de Dieu. Allez dire au Recteur de Monléon qu’il doit bâtir ici une chapelle, car j’ai choisi ce lieu et j’y répandrai mes dons ». Plutôt sceptique, le curé demande des preuves.

Une seconde apparition, puis une troisième devant la famille d’Anglesa et ses voisins assemblés achèvent de le convaincre. Alors, la Vierge leur dit : « Cherchez dans votre panetière, et chez vous dans le coffre du pain ». Et c’est vrai, le pain blanc a remplacé le pain noir dans toutes les maisons ! Aussitôt, des foules arrivent de partout pour prier sur la fontaine près de laquelle une croix est érigée. Une chapelle est construite en 1540.

L’histoire de ces apparitions figure dans une série de tableaux sous le porche de l’église.

Les miracles de Garaison

L'entrée de la chapelle de N-D de Garaison
L’entrée de la chapelle de N-D de Garaison

On attribue de nombreux miracles à la Vierge que l’on appelle « Notre Dame de la Guérison », garison en gascon, ce qui aurait donné le nom de Garaison. Mais, en 1590, lors des guerres de religion, un huguenot jette la statue de la Vierge au feu. Contre toute attente, elle sort intacte du brasier. À Toulouse, Postal, un condamné à mort, prie avec ferveur Notre Dame de Garaison. Il est sauvé car la corde qui devait le prendre se rompt trois fois en suivant.

La chapelle attire une foule nombreuse de pèlerins. D’ailleurs, Pierre Geoffroy nous dit que : « depuis trois ou quatre heures de l’après-midi jusqu’à la nuit, on dirait que la foire se doit tenir le lendemain ».

Quant à Anglesa, elle se retire au couvent de Fabas et y meurt en 1582. Ses cendres sont ramenées à Garaison en 1958.

La vocation d’enseignement de Garaison

Jean-Louis Peydessus (1807-1882)
Jean-Louis Peydessus (1807-1882)

L’enseignement est une des missions du sanctuaire qui possède une école de musique pour former les chanteurs nécessaires à la liturgie. Le célèbre baryton François Lay (1754-1831) sort de cette école avant de connaitre le succès à Paris (voir article sur Francis Lay).

En 1836, le Père Jean-Louis Peydessus (1807–1882), originaire du Louron, arrive à Garaison ; il fonde une congrégation et une école.

En 1841, une école de commerce est fondée. Mais, en 1903, le collège ferme. Il sert ensuite de camp d’internement pour des prisonniers allemands et autrichiens de la 1ère guerre mondiale. Parmi eux figure le médecin, théologien et philosophe Albert Schweitzer (1875-1965).

Puis, en 1860, l’« Accueil du Frère Jean » ouvre à Garaison et accueille jusqu’à 100 pensionnaires choisis parmi les plus pauvres. C’est une initiative du Frère Jean qui est allé à pied jusqu’à Rome pour voir le Pape car son supérieur et l’Evêque de Tarbes ne croient pas à son projet. Ensuite, il parcourt inlassablement les routes pour chercher des fonds. C’est une réussite. L’ « Accueil du Frère Jean » accueille encore 80 pensionnaires.

En 1923, d’anciens élèves rachètent les bâtiments et rouvrent le collège. Il accueille aujourd’hui 700 élèves de la maternelle à la Terminale. Ses élèves viennent de toute la région et du val d’Aran. Les résultats de réussite des élèves sont remarquables.

Les apparitions mariales de Lourdes

Bernadette Soubirous en 1863
Bernadette Soubirous en 1863

En 1858, la Vierge apparait dans une grotte à Lourdes à une autre bergère de 14 ans, Bernadette Soubirous. Là, ce sont 18 apparitions en l’espace de six mois. Bien sûr, des enquêtes de police ont lieu. L’évêque lui-même interroge Bernadette Soubirous dans une chapelle de la cathédrale de la Sède à Tarbes. Cette chapelle est conservée et doit être restaurée pour l’ouvrir au public dans le cadre d’un grand projet de valorisation de la cathédrale.

Que soi era Immaculada Concepcion [Je suis l’Immaculée Conception]. C’est ainsi que la Vierge se présente à Bernadette Soubirous. En effet, tout comme Anglesa, Bernadette ne parle que le gascon. La foule se rend à la grotte. Ils sont 8 000 le 4 mars 1858. Les autorités font barricader la grotte mais les apparitions continuent. Finalement, Napoléon III fera rouvrir la grotte.

La grotte

La Grotte miraculeuse à Lourdes (Hautes-Pyrénées), peu de temps après les apparitions (1858) et avant les premiers aménagements (1864)
Lourdes – la Grotte miraculeuse, peu de temps après les apparitions (1858) et avant les premiers aménagements (1864)

La Vierge demande de boire l’eau et de manger l’herbe (lire l’article) : Anatz béver en’a hont e v’i lavar. Anatz minjar aquera èrba que troberatz aquíu. Alors, Bernadette creuse le fond de la grotte et découvre une source dont elle boit l’eau. Il n’en faut pas plus pour que des personnes l’imitent et remplissent des bouteilles qui sont distribuées dans la ville.

En 1858, Catherine Latapie qui a deux doigts « pliés et paralysés », trempe la main dans la source et la ressort, les doigts guéris. C’est le premier miracle que reconnait l’Eglise.

L’Eglise reconnait les miracles

Quatre ans plus tard, l’Evêque de Tarbes reconnait officiellement les apparitions de Lourdes : « Nous jugeons que l’Immaculée Marie, Mère de Dieu, a réellement apparu à Bernadette Soubirous, le 11 février 1858 et les jours suivants, au nombre de dix-huit fois, dans la grotte de Massabielle, près de la ville de Lourdes ; que cette apparition revêt tous les caractères de la vérité, et que les fidèles sont fondés à la croire certaine. Nous soumettons humblement notre jugement au Jugement du Souverain Pontife, qui est chargé de gouverner l’Eglise universelle ». L’évêché achète des terrains et construit plusieurs églises. Dès lors, le pèlerinage de Lourdes supplante celui de Garaison et celui de Bétharram, tout proche, où la vierge est apparue en 1515.

Ainsi, on inaugure en 1871 une église construite au-dessus de la grotte des apparitions. Mais elle devient vite trop petite. Alors, on lance le chantier de la basilique du rosaire en 1883. Puis, l’année suivante, on place une statue de la Vierge dans la grotte.

Devant l’afflux de guérisons dites miraculeuses, l’Eglise met en place un bureau médical chargé d’étudier chaque cas de guérison supposée de transmettre le dossier à un comité médical international puis à l’évêque qui, après enquête canonique, peut déclarer le miracle. Sur 6 000 dossiers déposés, l’Eglise reconnait 67 miracles.

En 1866, Bernadette Soubirous part au couvent des sœurs de la charité de Nevers. Elle y meurt en 1879 à l’âge de 35 ans. Elle est canonisée en 1933.

Lourdes- La basilique vue depuis le château
Lourdes – La basilique vue depuis le château

Le miracle est aussi économique

Lourdes qui est une petite bourgade, tire profit des apparitions. Il faut héberger les nombreux pèlerins et curieux qui se rendent à la grotte.

Lourdes - dessin de 1846
Lourdes – dessin de 1846

On construit des hôtels qui font de Lourdes la seconde ville hôtelière de France en termes de capacité, après Paris. Des commerces d’articles religieux ouvrent près des sanctuaires. Les pèlerins sont nombreux et la ville est prospère.

Mais les temps changent. La durée des pèlerinages raccourcit. De même, les pèlerinages organisés diminuent au profit des individuels. Alors, pour retenir les pèlerins, les hôteliers se font la guerre des prix, ce qui conduit à un défaut d’investissements. Les pèlerins désertent les hôtels de la ville et ne les remplissent plus qu’à 54 % en haute saison, et seulement à 47,5 % en basse saison.

Une rue commerçante près des sanctuaires
Lourdes – Une rue commerçante près des sanctuaires

La crise du COVID aggrave les choses. Il faut réagir. Enfin, on prend conscience qu’il faut sortir du mono-prix, mono-clientèle et mono-produit comme le dit Christian Gélis, président du syndicat des hôteliers.

L’Etat, la région et le département mettent la main à la poche : 100 millions d’Euros à investir sur 10 ans ! Construire de nouvelles infrastructures, rénover la ville, adapter et rénover au gout du jour la capacité hôtelière, faire revenir les pèlerins et les touristes, etc.

En un mot, renouveler le miracle de Lourdes.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Jean-Louis Peydessus, apôtre marial de la Bigorre, Gaetan Bernoville, 1958
Les merveilles de Nostre Dame de Garason
, Pierre Geoffroy, 1607
La Triple Couronne de la sainte Vierge, Père Poiré, 1630
Notre-Dame de Garaison depuis les apparitions jusqu’à la Révolution française, 1500-1792, P. Bordedebat, 1901
www.garaison.com




La main d’Irulegi

La main d’Irulegi trouvée le 18 juin 2021 en Navarre est une découverte majeure pour tous les héritiers des Vascons. Elle est la preuve que notre langue ancienne a laissé des traces écrites.

La main d’Irulegi

Irulegi - plan de situation
Irulegi – plan de situation

Jusqu’à récemment, la langue euskarienne ne possédait pas de preuve de son existence avant le IVe siècle de notre ère. En plus de cela, les premières traces écrites connues du basque dataient, avant cette découverte, du XVIe siècle. Mais depuis peu, en novembre 2022, a été traduit le premier mot d’une série de cinq, sur un objet découvert le 18 juin 2021 sur la colline d’Irulegi.

Officiellement la découverte de cet objet apporte la preuve écrite la plus ancienne de la pratique du proto-basque. Cette langue était parlée dans un espace bien plus large que l’Euskadi actuelle. En effet, c’est dans tout l’espace aquitain que le proto-basque était utilisé, espace allant du Couserans jusqu’au début du massif des Cantabres et de l’estuaire de la Gironde jusqu’à l’Ebre. Les locuteurs de cet ensemble de langues étaient les Aquitains. Ces derniers deviendront les Vascons durant le Haut Moyen-Âge, et c’est à partir du XIe siècle que les textes différencieront les Gascons des Basques.

Irulegi - le champ de fouilles
Irulegi – le champ de fouilles

L’objet en lui-même est une main droite en bronze de 14,31 cm de hauteur, 12,79 cm de largeur et d’une épaisseur de 1,09 mm. Le texte gravé sur cette main est composé de 5 mots, 40 signes sur 4 lignes. Enfin, la main de la colline d’Irulegi date du 1er siècle avant JC, plus précisément du dernier tiers du 1er siècle, au moment de la guerre sertorienne (-80 av JC à -72 av JC).

Le système d’écriture révélé par la main

D’après Javier Velaza, professeur de philologie latine à l’université de Barcelone, les inscriptions suivent un système semi-syllabique emprunté au système d’écriture ibérique. Un semi-syllabaire est un système mixte employant dans le même temps des signes correspondants à des lettres et d’autres signes correspondants à des syllabes. Cependant, le professeur remarque que sur cette main est inscrite une variante. Le signe « T » est à l’heure actuelle inexistant dans l’écriture ibérique ; il est nécessaire d’ajouter que ce symbole figure déjà sur deux pièces frappées en territoire basque. « Les Basques ont emprunté le système d’écriture ibérique en l’adaptant à leurs caractéristiques » fait-il remarquer.

La main d'Irulegi
Irulegi – La main

Le premier mot inscrit sur la main est quasi transparent : sorioneku. Il est comparable au basque actuel, zorioneko signifiant « de bonne fortune ». Ainsi, cela prouve qu’il s’agit d’une inscription proto-basque et non ibérique ou celtibérique. D’après Jean-Baptiste Orpustan, professeur honoraire des universités Michel de Montaigne Bordeaux III, spécialiste en lexicographie, linguistique historique, littérature, onomastique, traduction en langue et littérature basques, les langues ibériques et proto-basque étaient des langues voisines et probablement proches d’un point de vue phonétique et structurel mais elles étaient sans doute deux langues bien distinctes.

Le basque actuel ne permettant pas de traduire les autres mots, en plus de deux millénaires, l’euskara a changé et son vocabulaire n’est plus forcément le même. Sabino Arano Goiri, fondateur du nationalisme basque avait créé de nombreux néologismes afin d’éviter une trop grande hispanisation du basque.

La fonction de la main d’Irulegi

Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d'Irulegi
Pour le linguiste basque Joaquín Gorrochategui, il reste beaucoup à faire pour en savoir plus. Notamment élucider les autres mots gravés sur la main d’Irulegi.

Au sujet de l’objet en lui-même, il avait surement une fonction apotropaïque.  C’était un objet conjurant le mauvais sort pour les habitants de la maison où on l’a trouvé. On a découvert une main similaire  à Huesca, mais sans inscription dessus ; cette main devait avoir la même fonction.

Aujourd’hui encore, on trouve des objets ayant la même fonction à l’entrée des maisons, sacré-cœur de Jésus, crucifix, fer à cheval, médaille de saint Christophe dans les voitures etc… Nos ancêtres n’étaient pas si différents de nous.

Seul témoignage de notre langue passée ?

Tumuli de Vielle-Aubagnan (plan de situation)
Tumuli de Vielle-Aubagnan – plan de situation

La découverte de cette main peut remettre en lumière une autre découverte datant de 1914 par Pierre-Eudoxe Dubalen : les tumuli de Vielle-Aubagnan.

Dans ces tumuli, parmi le matériel découvert (restes de cotte de mailles, casques, lance tordue…) Dubalen trouve également des restes de phiales (coupe sans pied ni anse). Sur ces coupes, des inscriptions sont présentes.

 

Première inscription de Vielle-Aubagnan

Sur ce premier phiale on pourrait  lire :

  • anbailku : lecture en 1956 de René Lafon, spécialiste de la langue basque
  • anbaikar : lecture en 1980 de Jürgen Untermann, linguiste
  • binbaikar : lecture de 1990, Jean-Claude Hébert, linguiste.

Seconde inscription de Vielle-Aubagnan

  • betiteen : 1956, Lafon,
  • titeeki : 1980, Untermann,
  • kutiteegi : 1990, Hébert.Si, dans ces coupes, le symbole « T » n’est pas présent, comme sur la main d’Irulegi, les deux phiales et la main démontrent une appropriation d’un des systèmes d’écriture ibérique dans l’espace aquitain. Et cela peut démontrer que les peuples de langue proto-basque étaient donc capables d’écriture, peut-être même de littérature (cf. utilisation apotropaïque de l’écriture sur la main d’Irulegi).

On constate également que les deux phiales dateraient de la fin du 2e siècle avant J.-C. La main d’Irulegi, elle, date du début du 1er siècle av. J.-C. On peut donc admettre que ces objets sont presque contemporains.
La main date de la guerre sertorienne (-80 à -72) et les phiales de la fin du 2e siècle av JC.

Utilisation partielle ou générale en Aquitaine ?

Cependant, si on ne peut conclure à une utilisation généralisée de l’écriture dans tout l’espace aquitain, nous pouvons acter de l’usage au moins partiel de l’écriture dans l’espace dit aquitain. Ces peuples-là étaient donc capables d’écrire et même de s’approprier un système d’écriture et le modifier à leur guise. La découverte de la main d’Irulegi est définitivement une découverte majeure.

Enfin, il est légitime de ne pas s’étonner que ces peuples soient capables d’écrire. Après tout, une partie des Celtes de la Gaule préromaine utilisaient les systèmes d’écriture ibérique et l’alphabet grec entre autres. La doxa déclarant que les Celtes avaient une culture essentiellement orale provient principalement du fait qu’ils avaient une transmission orale de leur culture/religion/histoire. Si les Celtes étaient capables d’écrire, tout comme les Ibères et les Celtibères, alors les Aquitains le pouvaient également.

Loís Martèth

écrit en orthographe nouvelle

Références

La mano de Irulegi
L’âge du Fer en Aquitaine et sur ses marges. Mobilité des hommes, diffusion des idées, circulation des biens dans l’espace européen à l’âge du Fer sous la direction de Anne Colin, Florence Verdin, 2011
L’ibère et le basque : recherches et comparaisons, Jean-Baptiste Orpustan, 2009
Les deux phiales à inscriptions ibériques du tumulus numéro III de la lande « Mesplède », à Vielle-Aubagnan (Landes).




Bona santat! Bonne santé !

Pour la nouvelle année, parlons santé… à la gasconne en nous appuyant sur les proverbes collectés par lo gran amassaire Honoré Dambielle.

L’alimentation base de la santé

En 400 avant J-C, Hippocrate pose les bases de la médecine. Selon lui, les maladies sont des phénomènes naturels qu’il faut donc combattre avec des remèdes naturels. Et il conseille d’observer les symptômes visibles du patient qui montrent les changements internes qui s’opèrent en lui. Ainsi, il s’intéresse plus à la disposition de l’individu face à la maladie qu’à la spécificité ou les causes de la maladie contractée.


Joseph de Chesne (1546-1609) promoteur de la bonne santé
Joseph de Chesne (1546-1609)

Toutefois, il faudra attendre le Lectourois Joseph de Chesne (1546-1609) pour prendre en compte la diététique en médecine, donc pour considérer que ce que l’on mange a une influence sur la santé.

Et de vanter les vertus de l’ail ou des fruits par exemple. Voir l’article Le bien manger.


Maurice Mességué ou la bona santat par les plantes
Maurice Mességué

Les plantes seront ainsi, très tôt, employées à des fins médicinales. Pourtant, la phytothérapie prendra tardivement des lettres de noblesse et Maurice Messegué (1921-2017), fils du Gers, en sera un illustre représentant.

De tot un pauc e un pauc de tot


Honoré Dambielle
Honoré Dambielle (1873-1930)

De tout un peu et un peu de tout. Avec sagesse, nos ancêtres considèrent que la bonne santé se situe entre le manger insuffisant qui affaiblit le corps et le trop manger.

Se bos pas este flac
Desarrupo l’estoumac

Se vòs pas èster flac
Desarrupa l’estomac

Si tu ne veux pas être faible
Ouvre l’estomac [litt: desserre l’estomac]

Toutefois, peut-être parce que l’occasion de trop manger n’est pas si fréquente dans les temps anciens, nos proverbes valorisent surtout le manger et même le beaucoup manger :

Qui minjo plan e hort
Aujo pas poou de la mort

Qui minja plan e hòrt
Auja pas páur de la mòrt

Qui mange bien et fort [beaucoup]
N’a pas peur de la mort

La bona santat et l’humour gascon 


Chabrot
Le chabrot gascon

Il n’y a pas de sujet tabou pour un Gascon. De plus, il ne se laisse pas influencer trop facilement, même par le médecin. Et ce proverbe l’illustre bien :

Après la soupo, un bouhat de bin
Descoumando lou medecin

Après la sopa, un bohat de vin
Descomanda lo medecin

Après la soupe, une lampée de vin
Décommande le médecin

De même, l’enquêteur Renaud Lassalle enregistre pour Eth Ostau Comengés un conte de santé : sense era aiga de vita que seria mòrt [sans eau-de-vie il serait mort]

Déjà, Joseph de Chesne avait prévenu : Pour éviter les goitres et le crétinisme, dus à l’eau des montagnes, le Gascon préfère boire du vin.

Ainsi, même si les consommations baissent partout en France, la Gascogne reste un bon consommateur de vin. Ce qui ne nous empêche pas de vivre vieux puisque nous sommes la cinquième région de France (sur 19) où l’espérance de vie est la plus forte.

Vaincre l’indigestion


Miqueu Baris
Miqueu Baris

Probablement, pendant les réveillons de Noël et de la Saint-Sylvestre, vous avez été servit de la cuèisha [litt. : servis de la cuisse] c’est-à-dire que vous avez eu droit aux meilleurs morceaux. Et votre système digestif a été mis à rude épreuve. Heureusement, le Landais  Miquèu Baris (1947- ) vous offre de retrouver la bona santat dans Las potingas deu posoèr de Gasconha [les remèdes du sorcier gascon]

Com har tà suenhar ua maudeverzuda

S’avetz ua maudeverzuda o simplament ua deverzuda mau aisida, en seguint deus vòstes chaps de fin d’annada, qu’existeish ua potinga de mairana, plan coneishuda dempuish bèra pausa. Lo carbon vegetau que permet de har baishar las en·hladas deu vente, la maudeverzuda, la caguèra, lo mau de còr e la vomidera. Aquera solucion qu’es tanben eficaça en cas d’intoxicacion alimentària. […]. Alavetz, com son passats los arresopets de Nadau e de Cap d’An, ne trantalhitz pas de seguir aqueths conselhs, que vs’asseguri!

Comment faire pour soigner une indigestion


Le charbon végétal pour retrouver la bonne santé
Le charbon végétal

Si vous avez une digestion difficile, en suivant de vos gueuletons de cette fin d’année, il existe un remède de grand-mère, bien connu depuis très longtemps. Le charbon végétal permet de diminuer les ballonnements, l’indigestion, la diarrhée, les nausées et les vomissements. Cette solution est aussi efficace en cas d’intoxication alimentaire. 

[…] Alors, comme les réveillons de Noël et du Jour de l’An sont passés, n’hésitez pas à suivre ces conseils, je vous assure !

 

Bona annada, bona santat !

An passat adiu! An navèth salut!  [An passé, adieu ! Nouvel an, bonjour !] C’est donc le moment de souhaiter à tous une bonne année. Et de le faire à la gasconne :

A un aute còp, brave monde ! Bona annada, plan granada!
[À une autre fois, braves gens ! Bonne année et prospérité !]


Jean-Louis Lavit

Et, cette année, laissez donc l’Irish coffee [le café irlandais], el café español [le café espagnol] pour les glorias de chez nous, ces cafés traditionnels parfumés à l’armagnac. Pour les gourmands, ce peut-être un canard, c’est-à-dire un sucre trempé dans de l’armagnac. Ou encore laissez-vous tenter par un bon gasconhaliure (gascogne-libre) comme le commissaire Magret de l’excellent écrivain gascon Jean-Louis Lavit. D’ailleurs, vous pouvez visiter son univers en parcourant le site du comissari Magret.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Nos proverbes gascons – Cinquième série : l’homme et son travail, Honoré Dambielle




Le Couserans et ses noëls du XVIIIe siècle

Nos aïeux racontaient les mystères de Noël à leur façon, a còps escarrabilhada, gailharda e crostillosa [parfois pleine d’humour, joyeuse et libre]. Louis Lafont de Sentenac a collecté pour nous quelques noëls du XVIIIe siècle.



Les noëls en Ariège

Louis Lafont de Sentenac est trésorier de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts. Il a recueilli des textes, des noëls du XVIIIe siècle en Ariège. Et il les présente dans son ouvrage, Recueil de  noëls de l’Ariège en patois languedocien et gascon, publié en 1887.

De plus, cet ouvrage a obtenu une médaille de vermeil au Congrès des Félibres d’Aquitaine, tenu à Foish (Foix) le 18 mai 1886.

Recueil des noëls de l'Ariège de Louis Lafont de Sentenac

Notons que le département de l’Arièja [Ariège] est la réunion de parçans différents : le comté de Foish [Foix], la seigneurie de Mirapeish [Mirepoix], le Coserans [Couserans] autour de Sent Guironç [Saint-Girons] et Sent Líser [Saint-Lizier]. Ainsi, l’auteur nous précise que trois idiomes y sont présents : celui de Foix (Foix et Pamiers), le languedocien de Mirepoix, le gascon du Couserans.

Une tradition plus large des chants de Noël

Père Godolin (1580-1649)

Selon la tradition catholique, les anges chantent les premiers noëls au-dessus de la crèche pour célébrer la naissance du Christ. Mais on ne sait pas de quand datent ces chants. Toutefois, le plus ancien noël français conservé, Entre le bœuf et l’âne gris, est du XVIe siècle. De même, plus près de chez nous, le Toulousain Pèire Godolin (1580-1649) en a écrit plusieurs dont Nouel.

Ces chants sur la Nativité ont bien sûr un sens religieux. Pourtant, ils sont destinés avant tout à une utilisation populaire, car Noël est une fête populaire. Ainsi, ils sont en langue vulgaire et de musique simple pour rester accessible à tous.

D’ailleurs, Louis Lafont de Sentenac écrit dans sa préface : la langue romane vulgaire, qui a joué aussi un rôle brillant, a donné naissance à un grand nombre de poésies, et principalement à des cantiques connus sous le nom de Noëls, « récits naïfs et touchants créés par le peuple et conservés par lui dans le sanctuaire du cœur ; plusieurs ont traversé les siècles et sont arrivés jusqu’à nous. »

Recueil de noëls de l’Ariège

L’ouvrage présente 69 noëls en languedocien (de Foix, Pamiers, Mirepoix…) et seulement 9 nadaus [noëls] en gascon coseranés, en gascon du Couserans.

  • Revelhatz-vous cheria
  • Ah! Quin mainatge!
  • Celebren la neishença,
  • L’angel Gabriel
  • Ara que Diu es descenut

  • Nadau! Per amor de Maria
  • Helas qu’una novèla
  • Hilhetas sortish de la tuta
  • Senheton qu’es nescut.

En fait, les phrases, les mots sont ceux du parler quotidien. Car, même si l’on parle d’événements religieux, ce sont des chants profanes. Par exemple, voici le début du quatrième chant :

L’angel Gabriel
Ba anouça à Mario,
Bierj’ aymablo :
Bous bengui anounça
Lou Hill de Diu bous cau pourta.

L’angel Gabriel
Va anonçar a Maria,
Vièrja aimabla:
Vos vengui anonçar
Lo Hilh de Diu vos cau portar.

L’ange Gabriel / va annoncer à Marie, / Vierge aimable : / je viens vous annoncer / Le Fils de Dieu il vous faudra porter.

Côté graphie, Sentenac précise qu’il a retenu celle de la grammaire béarnaise de Lespy. En effet, en 1887, aucune norme n’existait encore : Pour l’orthographe, nous avons adopté celle de nos philologues méridionaux. L’abbé Couture, Luchaire et Bladé n’écrivent pas Diou, Faouré, Fill, Païré, mais bien Diu, Faure, Filh, Payre, selon l’antique usage.

« Nadal Tindaire » par Gilbert Rouquette

Le chant IX, un dialogue entre bergers

Le chant de Noël IX, Senheton qu’es nescut présenté ici, est un exemple de la simplicité voire de la fraicheur et la candeur de ces textes.

Segnetou qu’es nescut ! / Senheton qu’es nescut!

Grafia de Sentenac

Segnetou qu’es nescut !
Ount ? ount ? ount !
A Bethleem.

Chœur des bergers

Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable !
Ja y bau, ja y bau
Ana adoura Jesus coum’ cau.

Un seul

Bos y ana tu, Jouan-Guillem,
Adoura Jesus en Bethleem,
Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Ja y bau, ja y bau
Adoura Jesus coum’ cau.

Autre

Bos y ana tu, Bourthoumiu,
Ana adoura le Hil de Diu,
Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Ja y bau, ja y bau
Adoura Jesus coum’ cau.

Tous

Bourthoumiu et Juan-Guillem,
Anem toutis à Bethleem,
Aquech Diu qu’es tant aymable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Sans plus tarda, sans plus tarda :
Anem toutis per l’adoura.

Grafia classica

Senheton qu’es nescut!
Ont? ont? ont!
A Bethleem.

Chœur des bergers

Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable!
Ja i vau, ja i vau
Anar adorar Jesus com’ cau.

Un seul

Vòs i anar tu Joan-Guilhem,
Adorar Jesus en Bethleem,
Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable,
Ja i vau, ja i vau
Adorar Jesus com’ cau.

Autre

Vòs i anar tu, Borthomiu,
Anar adorar lo Hilh de Diu,
Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable,
Ja i vau, ja i vau
Adorar Jesus com’ cau.

Tous

Borthomiu e Joan-Guilhem,
Anem totis a Bethleem,
Aqueth Diu qu’es tant aimable
Que n’ei nescut dins un estable,
Sans plus tardar, sans plus tardar:
Anem totis per l’adorar.

Le petit Seigneur est né !

Le petit Seigneur est né !
Où ? où ? où !
À Bethleem.

Chœur des bergers

Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable !
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.

Un seul

Tu veux y aller toi, Jean-Guilhem,
Adorer Jésus à Bethleem,
Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable,
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.

Autre

Tu veux y aller toi, Berthoumieu,
Adorer le Fils de Dieu,
Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable,
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.

Tous

Berthoumieu et Jean-Guilhem,
Allons tous à Bethleem,
Ce Dieu est si aimable
Qu’il en est né dans une étable,
Sans plus tarder, sans plus tarder :
Allons tous l’adorer.

(Noël du Couserans, du XVIIIe siècle)

Castillon en Couserans
Castillon en Couserans

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Recueil de Noëls de l’Ariège en patois languedocien et gascon, Louis Lafont de Sentenac, 1887.




Le chapon de Noël, une tradition ?

Mangerez-vous un chapon au repas de Noël ? D’ailleurs, est-ce traditionnel ? Histoire et gastronomie.



Le chapon…

Pline l'Ancien donne une origine possible du chapon dans Naturalis Historia
Pline l’Ancien -Naturalis historia – BM du Mans

Mais, un chapon, qu’ei aquò ? En fait, le chapon est un jeune coq que l’on castre, puis que l’on nourrit de céréales et, le dernier mois, de produits laitiers. Cela développe peut-être son appétit car le coq se met alors à manger énormément jusqu’à atteindre cinq ou six kilos.

Afin de limiter la consommation de poularde grasse et économiser le grain, on aurait imaginé, à Rome, en l’an 162 av. J.-C., de donner du lait à des jeunes coqs. En tous cas, c’est ce que nous dit Pline l’Ancien (23-79) dans le livre X de son Naturalis historia [Histoire naturelle]. Par la suite, les Romains nous ont probablement apporté ce plat.

… un grand succès

En tous cas, le succès du chapon ne se démentit pas au cours des siècles. D’ailleurs, Guilhem IX d’Aquitaine (1071-1126), que l’on considère comme le premier troubadour, écrit un poème Farai un vers, pos mi sonelh dont un couplet précise :

Guillaume IX d'Aquitaine dit combien il s'est régalé de deux chapons.
Guillaume IX d’Aquitaine – BnF

A manjar mi deren capos,
E sapchatz agui mais de dos;
Et no·i ac cog ni cogastros,
Mas sol nos tres;
E·l pans fo blancs e·l vins fo bos
E·l pebr’ espes.

Ils m’ont nourri de chapons,
Et sache que j’en ai eu plus de deux;
Et il n’y avait ni cuisinier ni cuisiniers,
Mais seulement nous trois;
Et le pain était blanc et le vin bon
Et le poivre abondant.

Deux chapons pour trois personnes, quel luxe ! Ou quels estomacs !

Le repas de Noël ne peut commencer qu’après le jeûne !

Joan Amades

L’ethnologue barcelonais Joan Amadès (1890-1959) nous dit que Noël était, dans les temps anciens, en période de jeûne.

Pourtant, grâce à un tour de passe-passe, nos ancêtres ont pu se régaler de chapon au repas de Noël…

Influit pel corrent popular, lo concili d’Aquisgran tengut en 817 convenguèt que los capons devián pas èsser considerats coma de carn e aital, donc, los fidèls ne podián manjar per Nadal, sens trencar l’abstinéncia.

Influencé par le courant populaire, le concile d’Aix-la-Chapelle tenu en 817 convenait que les chapons ne devaient pas être considérés comme de la viande et que les fidèles pouvaient donc les manger à Noël, sans rompre l’abstinence.

Les premières recettes de chapon

Parmi les livres de cuisine qui nous sont restés du Moyen-âge, on trouve le chapon farci provenant du livre de cuisine catalan, Llibre de Sent Soví, 1324.

A FARSIR CAPONS:
Si vols farcir capons, aytantost com los capons seran morts fets los plomar lo pus gint que sapiats ab los peus e ab lo coll e traets lo gavaix per lo coll que lo pits no sia escorxat, e trae ne lo ventrell e ço qui es dedins. E puys metets los dits per los pits e pertits la cuyr de la carn, e puys metets los en aygua tebea un poch; el farsir pren porch fresch menys de conna e deves lo lombrigol e un poch de molto si t vols e carnsalada grasa, e, corn lo hauras molt capolat e puys picat en un morter, mit hi ous cruus e salsa a picar e ages un poch d agras e sagi de porch fresch fus per mills metra a farcir, e puys mit ho enfre la carn e lo cuyr e puys enastats los e ligats los be e unta los mentre couran ab ous e ab safra debatuts ab del sagi fus, e fets salsa de pahons lo lir no nie (?).

Une recette de chapon dans l'ouvrage culinaire de 1324 Leo Llibre de Sent Sovì
Llibre de Sent Sovi

En gros, après avoir plumé et vidé le chapon, le cuisinier, anonyme, propose de le farcir avec de la chair de porc. Œufs, vinaigre, parfums de safran et de sauge complètent le tout. Finalement, une base toujours en vigueur par chez nous.

La concurrence au chapon

Lors de la croisade des Alnbigeois les troupes du Roi de France dégustaient des chapons
Prise de Marmande par le futur Louis VIII au cours de la Croisade des Albigeois

Si, dans les temps anciens, seule la poularde était une vraie concurrence au chapon, on trouvera rapidement l’oie. Ainsi, la Cançon de la Crosada [Chanson de la Croisade] précise (CXIX) :

A l’intrat de setembre, cant fo passatz aost,
Asetzeron Moissac de totas partz mot tost.
Lo coms Baudoïs i fazia gran cost:
Mota auca i manjet e mot capo en rost,
Aisi co m’o contè sos bailes e·l prebost.

À l’entrée de septembre, quand aout fut passé,
Ils assiégèrent activement Moissac de toutes parts.
Le comte Baudouin y faisait grande dépense :
Il y mangea force oies, force chapons rôtis,
Ainsi que me le contèrent son bailli et le prévôt.

La recette de chapon de Gascogne

Puis, avec la découverte de l’Amérique, la dinde fera son apparition. Notons que, plus grosse, elle peut nourrir plus de personnes.

Vincent Marqués chroniqueur du Jornalet donne sa recette.
Vicent Marqués – La Bona Taula – Lo Jornalet

Actuellement, quelques historiens de la cuisine publient des livres des plus intéressants. Citons ceux de l’archéologue toulousaine Sylvie Campech (1964- ) ou du cuisinier écrivain catalan Vicent Marqués (1950- ). Ce dernier recherche depuis 40 ans toutes les données possibles sur la cuisine en Catalogne ou dans le sud de la France. Outre ses livres, l’écrivain publie des recettes sur le site du Jornalet.

Donc, voici le chapon farci que l’on trouve dans toutes les régions du sud de langue d’oc, collecté par Vicent Marqués.

Chapon farci
Chapon farci aux marrons et aux champignons
Base du chapon farci

Ingrédients: pour le farci, mélange de viande (ou de jambon, parfois de poulet), saucisses, pain frit à l’ail,  foie de volaille, un œuf, une demi-douzaine d’ail et des herbes. Pour six portions, un chapon d’environ 2 kg, du poivre, du sel, de la graisse d’oie et de la ficelle de cuisine.

Préparation: Nettoyez et flambez le chapon, salez et poivrez l’intérieur. Mélanger les ingrédients du farci et en remplir le chapon (ce mélange peut être un peu doré au préalable). Ensuite on va le coudre, lui attacher les pattes, le saler, le poivrer, et l’enduire de graisse. Puis on le met au four ou dans une casserole.  Si vous choisissez la casserole, versez une cuillerée de graisse et retournez régulièrement le chapon d’un côté de l’autre. Il peut être garni de champignons ou de toutes sortes de légumes frits, à l’étouffée, ou mijotés dans la même casserole. 

Pourtant, au-delà de cette base commune, chaque région apporte sa touche particulière.  Par exemple, en pays nissart, on ajoutera quelques figues à la farce. Et, en Gascogne, on ajoute à la farce une tranche de foie gras, un petit verre d’armagnac et une cuillerée de graisse d’oie. Retrouvez-vous la volaille farcie de votre enfance ?

Le réveillon et le repas de Noël

Le pape Léon le Grand invite au jeûne avant Noël
Icône de Saint Léon le Grand

Pour finir, souvenons-nous que, dans la tradition chrétienne, il faut jeûner pour pouvoir célébrer à sa juste valeur l’arrivée de Jésus le 25 décembre.  D’ailleurs, le pape Léon le Grand (390?-461) nous le rappelle dans ses sermons. Le jeûne permet de surmonter ses vices, de résister au Démon et de s’approcher de Dieu. « Car le jeûne a toujours été la nourriture des vertus », rappelle-t-il.

Donc on ne parlera de repas, de réveillon, qu’au retour de la messe de minuit. Ce pourra être des châtaignes grillées et des saucisses grillées par exemple. Mon grand-père s’en léchait les babines !

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Quelles sont les origines des recettes de Noël selon les traditions chrétiennes?
Llibre de Sent Soví, 1324
La chanson de la Croisade contre les Albigeois, Paul Meyer, 1875
Lo gal de Nadal, La bona taula, Jornalet, Vicent Marqués, 24/12/2017




L’orsalher ou le montreur d’ours

L’Orsalhèr, ou montreur d’ours, est un métier pratiqué depuis le moyen-âge. Il parcourt le pays pour se produire et assurer sa subsistance et celle de son ours. C’est aussi le nom d’un film de Jean Fléchet, entièrement en gascon.

Orsalhèr, une spécialité de la vallée du Garbet en Couserans

Orsalhèr dans les environs de Saint-Girons en Ariège.jpg
Orsalhèr dans les environs de Saint-Girons en Ariège

À partir de la fin du XVIIIe siècle et jusqu’à la première guerre mondiale, on voit des centaines d’orsalhèrs [montreurs d’ours] d’Ercé, d’Oust et d’Ustou en Couserans parcourir le monde pour montrer des ours. En effet, l’ors [l’ours] est alors une bête inconnue dans beaucoup d’endroits. Et l’orsalhèr joue sur la croyance du tòca l’ors qui veut que toucher la bosse de l’ours guérisse de toutes les maladies, et même les enfants de l’épilepsie s’ils font neuf pas sur le dos de l’ours.

En fait, ces hommes fuient la misère. Ainsi, par centaines, ils cherchent des orsatèras (tanières d’ours), capturent des orsats ou orsets (oursons) qu’ils élèvent et dressent avant de partir courir le monde.  Toutefois, les orsalhèrs n’hésitent pas à tuer la mère pour s’en emparer.

Ils les élèvent au biberon et leur apprennent quelques tours pour divertir le public. De ce fait, l’ourson perd son caractère sauvage. De plus, il est ferré et on lui met un anneau autour du museau pour le tenir avec une chaine.

Très vite, on manque d’ours. Alors, on en fait venir des Balkans, via le port de Marseille.

Montreur d'ours à Luchon en septembre 1900
Montreur d’ours à Luchon en septembre 1900

Les Américains montreurs d’ours

Lowest East Side, quartier des migrants à Manhattan
Lower East Side, le quartier des migrants à Manhattan

À partir de 1880, des habitants d’Ercé sont nombreux à s’établir aux Etats-Unis ; ils sont surnommés les « Américains ».

La commune d’Aulus-les-Bains a gardé souvenir de Jean Galin, un orsalhèr surnommé Laréou d’Aulus, né vers 1857. Il s’expatrie, avec son ours, à New-York vers 1880. Il travaille au chemin de fer et dort le soir à côté de la voie contre son animal. Inutile de dire qu’aucune personne n’ose s’approcher malgré les sommes d’argent importantes qu’il garde sur lui ! Plus tard, il vend son ours et s’installe dans la restauration.

Après la première guerre mondiale, de nombreuses femmes émigrent dans la région de New-York pour rejoindre les orsalhèrs et occupent des emplois dans l’hôtellerie et la restauration.

Puis, une nouvelle vague d’émigration se produit après la seconde guerre mondiale pour rejoindre des parents déjà installés.

Le restaurant La Pergola des Artistes à Broadway
Le restaurant La Pergola des Artistes à Broadway

De plus, dans Central Park, nos immigrants se retrouvent autour d’un rocher pour partager les nouvelles du village ou s’entraider. Ils appellent ce rocher The Rock of Ercé [Le Rocher d’Ercé]. On peut citer l’exemple de Marie-Rose Ponsolle (1927-2018) qui ouvre avec son mari un restaurant, la Pergola des artistes, à New York au quartier des théâtres de Brodway. Elle y parle un mélange d’anglais, de français et de gascon. Surtout, elle reçoit les Couseranais venus tous les ans, rencontrer les leurs au roc d’Ercé.

Aujourd’hui, des descendants d’orsalhèrs d’Ercé tiennent encore cinq restaurants new-yorkais.

L’Orsalhèr ou le montreur d’ours de Jean Fléchet

Jean Flechet
Jean Flechet

Le film L’Orsalhèr réalisé par Jean Fléchet, raconte l’histoire de Gaston Sentein, un des sept fils d’une famille de bûcherons. Il quitte son pays de Couserans vers 1840 pour gagner sa vie sur les routes avec son ours. À Toulouse, il fait la rencontre d’un colporteur de livres qui, comme lui, parcourt le monde. Ils se lient d’amitié.

Le film d’1 h 47 min, sorti en 1983, est entièrement en gascon du Couserans, sous-titré en français. Jean Fléchet, Léon Cordes et Michel Pujol en écrivent le scénario. Parmi les acteurs, on reconnait Léon Cordes, Michel Pujol, Yves Rouquette, Marcel Amont et Rosina de Peira.

L'orsalher ou le montreur d'orus de Jean Fléchet
L’orsalher ou le montreur d’ours de Jean Fléchet

L’Orsalhèr a un joli succès (100 000 entrées dans toute la France) et reçoit le grand prix du public au Festival de Grenoble de 1983.

Quant au réalisateur Jean Fléchet, il nait en 1928 à Lyon. Il est écrivain, producteur et réalisateur. C’est en tant qu’animateur de Téciméoc (Télévision et cinéma méridional et occitan) qu’il réalise L’orsalhèr. De plus, il produit des films pour le Centre National de Documentation Pédagogique. Auparavant, côté provençal, il réalise La faim de Machougas en 1964, le Traité du rossignol en 1970 et Le Mont Ventoux en 1978.

La vallée des montreurs d’ours de Françis Fourcou

La Vallée des montreurs d'ours de Françis Fourcou
La Vallée des montreurs d’ours de Françis Fourcou

Après les aventures de Jean Sentein, le thème attire de nouveau l’attention. Voici La Vallée des montreurs d’ours, un film documentaire de Françis Fourcou, en français cette fois-ci. C’est l’histoire d’une vallée qui, pour survivre à la pauvreté, imagine une véritable industrie des orsalhèrs, jusqu’en 1914, provoquant le premier exode massif des valléens vers l’Amérique.

Plus précisément, ce film de 1 h 33 min, sorti en 1997, raconte la vie de trois familles de la vallée d’Aulus les Bains, de 1975 à 1995, et de leurs ancêtres partis comme orsalhèrs aux Amériques. Le réalisateur va à la rencontre des descendants des familles couseranaises émigrées à Manhattan, devenus souvent cuisiniers. D’ailleurs les entretiens d’embauche se faisaient souvent en gascon.

Il est co-produit par EcranSud, FR 3 et la région Midi-Pyrénées. Parmi les acteurs, on y retrouve la voix de Michel Pujol.

Francis Fourcou
Francis Fourcou

EcranSud présente le film : « Il n’y a pas de doute, ce Fourcou-là aime ses racines, et ce qui fait d’abord la richesse de son film, c’est cette longue connivence qui le lie à sa terre natale et fait que ces gens qu’il rencontre lui parlent de leur vie et de leur histoire comme on raconte à un cousin de cœur, donnant de la chaleur, allant à l’essentiel ».

En effet, Francis Fourcou nait à Toulouse en 1955. Il travaille comme assistant de Jean Fléchet et réalise des documentaires pour le cinéma et la télévision. Et il est gérant de la société EcranSud à Toulouse.

Ces deux films peuvent se trouver facilement sur Internet.

L’orsalhèra ou la montreuse d’ours

Si les orsalhèrs étaient majoritairement des hommes, quelques femmes ont fait de même. Ainsi Émilienne Pujol part en Amérique comme orsalhèra. Le journaliste toulousain Jean-Jacques Rouch (1950-2016) découvre son histoire alors qu’il discutait à Time Square, Manhattan, avec son ami René Pujol (un descendant) qui tenait le restaurant Pujol (actuellement remplacé par Le Rivage).

En 2003, l’ancien journaliste de La Dépêche du Midi, écrit un roman : La montreuse d’ours de Manhattan (Privat).

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

L’exode des montreurs d’ours de la vallée du Garbet
Ariège-Amérique, un lien toujours possible
Au pays des montreurs d’ours, Juan Miñana, 2012
Wikipédia




Les Le Bondidier, la passion des Pyrénées

Marguerite et Louis Le Bondidier sont indissociables du pyrénéisme. Pris de passion pour les Pyrénées, ils sont à l’origine de nombreuses initiatives qui perdurent encore de nos jours.

Les Le Bondidier découvrent les Pyrénées

Margalide et Louis Le Bondidier (F. Bellanger, 1919 - Photothèque Musée pyrénéen)
Louis et Margalida Le Bondidier (F. Bellanger, 1919 – © Photothèque Musée pyrénéen)

Marguerite Liouville (1879-1960) est ardennaise. Louis Le Bondidier (1878-1945) est meusien. Il est receveur de l’enregistrement à Verdun. À cette époque, les receveurs de l’enregistrement s’occupent des droits liés aux domaines. Louis épouse en 1898 Marguerite, qui a suivi des études aux Beaux-Arts de Nancy. Ils ont un fils, Yves, qui ne survit pas.

En 1901, Louis Le Bondidier est muté à Campan. C’est l’exil !

Louis Le Bondidier Inaugure le buste de Ramond le 3 août 1902 dans le jardin de la Villa Théas à l'occasion du congrès du Club Alpin Français-V2
Inauguration du buste de Ramond le 3 aout 1902 dans le jardin de la Villa Théas à l’occasion du congrès du Club Alpin Français (© Musée Pyrénéen)

Pourtant, il découvre les Pyrénées et se prend d’une véritable passion pour la montagne. Ainsi, le 3 aout 1902, il organise le congrès du Club Alpin Français (fondé en 1874). En l’honneur de Ramond de Carbonnières (1755-1827), ils inaugurent son buste dans le jardin de la villa Théas à Bagnères de Bigorre. Et, l’année suivante, il fonde la Fédération Franco- espagnole des Sociétés Pyrénéistes dont le Bulletin Pyrénéen devient l’organe officiel.

 

Le couple Le Bondidier attaque les 3000

Après quelques randonnées autour de Bagnères, le couple Le Bondidier se lance à l’assaut des sommets. Du 19 juillet au 17 août 1905, Marguerite et Louis parcourent la montagne. Et ils réalisent cinq premières avec l’ascension de deux pics à côté de l’Aneto (le pic de la Margalida, 3241 m, et le pic Maudit, 3354 m), du pic de Las Espadas (3328 m), du pic Beraldi (3025 m) et du pic de Las Tourets (3007 m).

Marguerite Le Bondidier fait l'ascension du Pic Margalide (vue du versant sud depuis l'embalse de Llauset)
Pic de la Margalida (3241 m), versant sud depuis l’embalse de Llauset (© Wikimedia)

Louis Le Bondidier est aussi écrivain. Il relate cette expédition dans un livre : Un mois sous la tente, réimprimé en 2013 aux éditions MonHélios. Il écrit aussi beaucoup dans des revues de l’époque consacrées à la montagne.

Puis, en 1908, il organise le premier concours de ski aux Pyrénées à Payolle. Pour l’occasion, Marguerite devient la première femme à skier dans les Pyrénées. Il est aussi l’initiateur du téléphérique au Pic du Midi et du premier téléski de la station de La Mongie.

Louis Le Bondidier lance la course de ski de Payolle le 1er février 1908 - Le départ
Course de ski de Payolle le 1er février 1908 – Le départ (© Collection Labouche)

Le choix des Pyrénées

Hélas, en 1909, le bureau de l’enregistrement de Campan ferme. Peu importe, Louis Le Bondidier ne veut plus partir et démissionne. Il reprend l’hospice de Payolle et ouvre l’hostellerie du Pic du Midi. Il consacre désormais toute sa vie aux Pyrénées et à la culture de ses habitants. Marguerite, tout aussi passionnée, adopte le prénom local Margalida.

Pourtant, en 1913, atteint de maladie, Louis Le Bondidier doit abandonner ses activités de montagnard. Et le couple s’installe à Pouzac, près de Bagnères de Bigorre. Le climat y et moins rude.

La deuxième vie de Marguerite et Louis Le Bondidier

La maladie n’empêche pas une intense activité. En effet, Margalida et Louis Le Bondidier se lancent dans une nouvelle aventure : la fondation du Musée Pyrénéen de Lourdes.

Le château de Lourdes est inutilisé. Louis Le Bondidier obtient de la ville un bail de 99 ans. Avec son épouse, il aménage un Musée Pyrénéen pour y regrouper leur importante collection d’objets achetés chez des paysans ou dans des ventes aux enchères. Ainsi, le château devient un Musée d’arts et traditions populaires qui ouvre en 1921.

Pour compléter le musée, il aménage aussi une bibliothèque avec le fonds qu’il possède et qu’il enrichit par de nouvelles acquisitions. D’ailleurs, c’est aujourd’hui un centre de documentation sur le pyrénéisme d’une incroyable richesse.

Louis Le Bondidier reprend le Bulletin pyrénéen publié avec le concours de la Section du Club Alpin de Pau (mai-juin 1923)
Bulletin pyrénéen publié avec le concours de la Section du Club Alpin de Pau (mai-juin 1923) – Collection complète sur Gallica

Louis Le Bondidier prend en charge la rédaction du Bulletin Pyrénéen. Cela ne lui suffit pas. Il devient éditeur et fonde les Éditions de l’Échauguette, basées au château de Lourdes. Il y publie Il neige aux Eaux-Bonnes en 1939. On lui doit déjà En Corse : carnets de route de 1904, ou encore Les vieux costumes pyrénéens de 1918. Margalida publie Le numéro 30 aux mêmes Éditions de l’Échauguette, Les cires de deuil aux Pyrénées en 1959 aux éditions Marrimpouey. Pus récemment, en octobre 2012, les Éditions Monhélios re-publient le livre savoureux de Louis Le Bondidier, Gastronomie pyrénéiste, La cuisine à 2000 m. L’occasion de passer en revue avec bonne humeur ce qui peut être dégusté lors de courses en montagne.

La défense de la montagne

Louis Bon Didier, conservateur du Musée Pyrénéen de LOurdes, fondateur de l'Association du Réveil pour la rénovation des cosntumes et des coutumes des Pyrénées
« Louis Le Bondidier, conservateur du Musée Pyrénéen de Lourdes, fondateur de l’Association du Réveil pour la rénovation des costumes et des coutumes des Pyrénées » (carte postale non datée)

En 1935, Louis Le Bondidier est membre du Conseil supérieur du Tourisme qui dépend du Ministère des travaux publics. Il y défend la montagne contre les appétits des promoteurs. Ainsi, il obtient la protection et le classement de plusieurs édifices pyrénéens. D’ailleurs, c’est une période pendant laquelle il écrit beaucoup sur la protection de la montagne.

Finalement, Louis Le Bondidier meurt le 9 janvier 1945. Margalida devient Conservatrice du Musée Pyrénéen jusqu’à sa mort en mai 1960. Selon leurs souhaits, ils reposent tous deux à Gavarnie, au turon de la Courade, à côté d’un autre grand pyrénéiste, Franz Schrader.

Le Musée Pyrénéen de Lourdes

Château de Lourdes
Château de Lourdes (carte postale non datée)

Le Musée Pyrénéen est installé au château de Lourdes, situé sur un promontoire au centre de la ville. La légende veut que Charlemagne ait assiégé le château en 778. Alors qu’il était sur le point de tomber, un aigle se saisit d’une truite dans le Gave et la fit tomber aux pieds de Charlemagne qui, croyant que les occupants du château avaient suffisamment de nourriture, leva le siège. L’aigle pêcheur et son poisson figurent aujourd’hui sur le blason de Lourdes.

Blason de Lourdes
Blason de Lourdes

Le château de Lourdes est la résidence des comtes de Bigorre. Il devient une prison au XVIIe siècle puis est abandonné au début du XXe siècle.

Devenu musée grâce au couple Le Bondidier, on y trouve des objets liés aux activités pastorales, à l’agriculture et à la vie quotidienne des Pyrénées. Le musée présente aussi du mobilier baroque pyrénéen et une collection de faïences de Samadet.

Le fonds d’archives du musée pyrénéen

 

Charles de Nansouty un des fondateurs de l'Observaztoire du Pic du Midi
Charles de Nansouty (© Wikimedia)

Le fonds d’archives regroupe les fonds de pyrénéistes connus comme Ramond de Carbonnières, le général de Nansouty ou Henry Russell. Il comprend plus de 6200 estampes sur les Pyrénées, 130 peintures, 127 dessins et aquarelles, des photographies dont celles réalisées par Louis et Marguerite Le Bondidier entre 1921 et 1960, des cartes depuis le XVIe siècle. Il comprend enfin les bibliothèques de Ramond de Carbonnières, le fonds en occitan qui rassemble presque tout ce qui a été rédigé en gascon de la Renaissance à 1854, ainsi que plusieurs ouvrages de Félibres de 1854 à 1938. Enfin, il présente une impressionnante collection de revues consacrées à la montagne.

Henry Russell
Henry Russell (© Wikimedia)

La richesse du musée et celle de la bibliothèque méritent une visite, d’autant que le château de Lourdes travaille sur la mise en place d’une signalisation en plusieurs langues régionales, dont, bien sûr, l’occitan.

L’Association des Amis du Musée Pyrénéen publie la revue Pyrénées qui est l’organe officiel du Mont Perdu patrimoine Mondial, des Amis du parc National des Pyrénées et de la Fédération des accompagnateurs en montagne pyrénéenne.

Revue Pyrénées été 2022
Revue Pyrénées été 2022

La revue Pyrénées est l’héritière de la Revue des excursionnistes du Béarn créée à Pau en 1896. En 1897, elle devient Le Bulletin Pyrénéen. Louis Le Bondidier prend en charge la revue et l’installe au château de Lourdes. En 1950, elle prend le nom de Pyrénées.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia,
Biographie Louis Le Bondidier, Revue des Pyrénées
Bulletin Pyrénées
Musée pyrénéen de Lourdes
Collection de photos Labouche du concours de ski de Payolle (2 février 1908)




Queste et questaus

On a gardé l’image d’Épinal des serfs du Moyen-âge, corvéables en toute occasion et à la merci de leur seigneur. Pourtant, la réalité est bien différente, tout du moins en Gascogne avec les questaus et les casaus. Suivons Benoit Cursente, d’Orthez, chercheur au CNRS et spécialiste des sociétés rurales gasconnes au Moyen-âge.

Une société hiérarchisée par des liens personnels

Benoit Cursente spécialiste des questaus - Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval
Benoit Cursente – Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval

Nous sortons de l’époque romaine où des colons libres côtoient des esclaves, servus, attachés à leurs maitres. Ainsi, le statut d’esclave disparait progressivement et est remplacé par des liens personnels. Ce sont les Wisigoths qui emmènent cette nouvelle pratique.

Tel homme se « donne » par serment à un autre et devient en quelque sorte un membre de sa famille ou de sa companhia [littéralement, ceux qui partagent son pain]. En échange de ce serment et des services qu’il s’engage à fournir, il reçoit une terre ou des revenus qui lui permettent de vivre.

On voit ainsi tout un réseau de liens personnels qui se tissent du sommet de la hiérarchie (le roi) jusqu’à la base de la société. C’est l’origine de la féodalité.

Notons que le rituel de l’hommage tel qu’on le connait à partir du XIIIe siècle n’est pas encore généralisé. En particulier, en Gascogne, on retrouve cette pratique dans le bordelais et en toulousain seulement.

Une organisation de la société en casaus

Le battage du grain
Le battage du grain

Les terres données à travailler constituent des unités fiscales. Leur chef, noble ou paysan, est « seigneur » de sa terre et de ceux qui y vivent. C’est le casal ou casau en gascon, c’est à dire une maison, un enclos, des champs et des droits sur des espaces pastoraux. Leur chef est le casalèr.

Bien sûr, le casau peut être soumis à une redevance, le casau ceissau [en français le cens] ou au  casau serviciau c’est-à-dire à un service particulier.

Lorsque le casau est éloigné, on préfère un prélèvement en espèce ou en nature (grains, volailles, fromages, etc.) ou des services comme l’aubergada [l’hébergement du prince et de sa suite]. Lorsque le casau est proche d’une forteresse, il est soumis à des services militaires ou d’entretien.

Par exemple, près du château de Lourdes, nous trouvons des casaus soumis à des obligations de service armé (ost) et de cavalcada [chevauchée], d’autres à des prestations de transport ou de guet, d’autres enfin à des services particuliers comme nourrir les chiens du comte, fournir de l’avoine à son cheval ou encore faire taire les grenouilles pour ne pas gêner le sommeil du comte…

Certains casaus doivent fournir une aide à d’autres casaus. On voit ainsi se mettre en place une société organisée autour des casaus qui sont des unités fiscales et de production, dont certains sont dits « francs » et qui doivent un service armé (le début des chevaliers), d’autres rendent des services dits « nobles », d’autres enfin des services dits « serviles ».

L’apparition des questaus

Nous sommes au XIIIe siècle. L’État moderne se met en place et les dépenses seigneuriales et d’administration se font de plus en plus lourdes. Il faut trouver de nouvelles ressources. Cela implique de mieux contrôler le territoire, ses ressources et sa population.

Les seigneurs revendiquent la possession des pâturages, des landes, des forêts et des eaux. Ils imposent alors des redevances pour leur utilisation. La vie sociale étant largement réglée par des pactes et des compromis écrits, on voit apparaitre progressivement dans les textes une nouvelle catégorie sociale : les questaus.

Pour garantir la pérennité des casaus, le droit d’ainesse apparait. Les cadets ou esterlos qui n’ont aucun droit, cherchent à se voir concéder des terres à exploiter pour lesquelles ils paient un cens. Ils se voient également attribuer la jouissance de pacages, des eaux ou des forêts seigneuriales en échange du nouveau statut de questau.

À noter, Benoit Cursente propose comme origine du mot esterlo (estèrle en gascon actuel) le mot latin sterilis, car le cadet n’a pas le droit d’avoir une descendance dans la maison natale. D’ailleurs, estèrle en gascon veut dire stérile.

Questaus et casaus

Le questau paie la queste

Questaus et casaus - travaux des champs
Travaux des champs

En plus du cens, le questau paie la queste, impôt sur l’utilisation des pacages ou des forêts. Il peut être astreint au paiement de redevances en nature. Il s’agit de mesures de grains ou de vin, fourniture de volailles, hébergement de soldats, corvées au château, etc.

La communauté des questaus peut payer collectivement la queste. En fait, c’est un moyen de surveillance car, s’ils venaient à déguerpir, la queste qui ne varie pas augmente la charge de chacun.

Le questau renonce également par écrit à certains de ses droits. Par exemple, il s’engage à ne pas quitter la seigneurie dans laquelle il réside sous peine d’amende. Et/ou il doit fournir une caution par avance,  renoncer à ses droits qui lui garantissent que ses bœufs et ses outils ne soient pas saisis. Ou encore il s’engage à payer une redevance lors de la naissance de chacun de ses enfants. Autre exemple : il s’oblige à faire moudre au moulin seigneurial, etc.

Même les possesseurs de casaus qui doivent des services dits « non nobles » peuvent devenir questaus. Cela ne se fait pas sans résistance. On voit des déguerpissements collectifs (abandon des terres pour s’établir ailleurs) et les seigneurs doivent transiger et trouver des compromis.

Les questaus apparaissent dans toute la Gascogne, sauf en Armagnac et dans les Landes. En montagne, on voit moins de questaus du fait du mode de gestion des terres. Ils représentent environ 30 % de la population.

Echapper à l’état de questau

Questaus et casaus - La tonte des moutons
La tonte des moutons

Echapper à l’état de questau est possible.

On peut bénéficier d’une franchise individuelle moyennant le payement annuel du francau ou droit de franchise. Parfois, la liberté peut s’accompagner de réserves comme celle de continuer à habiter sur le casau et de le transmettre à ses héritiers qui devront payer une redevance annuelle ou s’astreindre à des services pour le seigneur. Mais, lo franquatge [La franchise] coûte cher car il s’accompagne du paiement d’un droit pouvant représenter le prix d’une maison.

De même, la liberté peut être accordée à des communautés entières moyennant un droit d’entrée assez élevé, quelques concessions définies dans une charte et le paiement collectif d’un francau annuel. Dans certains endroits, on paie encore le francau au XVIIIe siècle.

La création de nouveaux lieux de peuplements est aussi un moyen d’échapper à la condition de questau par le biais des franchises accordées aux nouveaux habitants. Comme il n’est pas question de voir tous les questaus échapper à leur condition en venant s’y installer, on le leur interdit ou on n’en autorise qu’un petit nombre à y venir.

Enfin, les esterlos peuvent s’y établir sans limite. C’est un moyen de bénéficier d’une nouvelle population tout en vidant l’excédent d’esterlos dans les casaus. C’est aussi le moyen d’affaiblir les casaus au profit d’autres systèmes plus lucratifs.

En résumé, la société paysanne gasconne du Moyen-âge s’articule autour de paysans propriétaires qui travaillent un alleu (franc de tous droits), de casalèrs soumis au cens ou à des services, de questaus et d’affranchis.

Chaque catégorie peut être soumise à des restrictions ou à des engagements particuliers.  Il en est de même des particuliers, ce qui rend la société de cette époque extrêmement complexe.

Serge Clos-Versailles

écrit en orthographe nouvelle

Références

Une histoire de la questalité, Serfs et libres dans le Béarn médiéval, Benoit Cursente, Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau et du Béarn, 2011.
Puissance, liberté, servitude les Casalers gascons au Moyen Âge, Benoit Cursente, Histoire et Société rurales, 1996,  pp. 31-50