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Simin Palay

Simin Palay, de son vrai nom Maximin Palay, est un auteur prolifique. Il aborde tous les genres littéraires : poésies, romans, théâtre, lexicographie, chroniques, livre de cuisine. Il reste cependant relativement méconnu.

Une enfance bercée par l’écriture et par le gascon

Simin Palay en 1909
Simin Palay en 1909 (35 ans)

Simin Palay (1874-1965) nait à Castèida (Castéide-Doat), petit village béarnais à quelques kilomètres de Vic de Bigòrra (Vic en Bigorre).

Son père Yan fréquente l’école jusqu’à 12 ans, puis devient tailleur d’habits et agriculteur. Tout d’abord, il écrit des chants patriotiques et des pastourelles en français avant de se tourner vers le gascon, sa langue maternelle. Ses 22 contes en vers gascons parus en 1907, les Coundes biarnés / Condes biarnès / Contes béarnais, sont un succès.

Déjà, le grand-père de Simin Palay écrit des poèmes en français et en gascon. Malheureusement, aucun ne nous est parvenu, sans doute perdus dans les nombreux déménagements de la famille.

En 1888, la famille Palay s’installe à Vic en Bigorre où le père tient une boutique de tailleur. L’atelier devient rapidement le centre de rencontre des intellectuels et des artistes locaux. Parmi eux, on citera Norbert Rosapelly, Xavier de Cardaillac, le poète Cyprien Dulor, le sculpteur Edmond Desca, le peintre Lestrade, etc.

Lous coundes lous mey beroys de Yan Palay (edition de 1948)
Lous coundes lous mey beroys, Yan Palay, édition de 1948

À leur contact, Simin Palay découvre les grands poètes du moment. Il dira : Magnifique époque, en vérité, que celle où l’on pouvait lire chaque jour des œuvres nouvelles de Verlaine, de Mallarmé, de José-Maria de Heredia.

Et lui-même, malgré son jeune âge, écrit des poèmes en français. Bien sûr, il connait les œuvres en occitan des poètes ouvriers que lit son père comme Jasmin, Reboul ou Théodore Blanc. Mais c’est à l’âge de 16 ans qu’il découvre vraiment la littérature d’oc et fait la rencontre de Miquèu de Camelat, le fils du cordonnier d’Arrens (Arrens-Marsous). De cette rencontre naitra une longue amitié.

La Félibrée de Tarbes de 1890

Miqueu de Camelat
Miqueu de Camelat

Les Cigaliers de Paris, une association félibréenne, sont en voyage dans le sud-ouest. Simin Palay dira : ce magnifique pèlerinage en Gascogne d’où ressortirait le renouveau littéraire qui a fait jaillir en Languedoc et en Gascogne une foule de talents voués probablement à la nuit totale si l’occasion ne leur eût été donnée, alors, de se découvrir eux-mêmes. Rappelons que le félibrige est un mouvement de défense et de promotion des langues régionales.

En aout, les Cigaliers sont à Tarbes où une Félibrée est organisée. Yan Palay est primé pour le conte Lou curè dé Cérou è casaüsus / Lo curè de Seron e Casausus / Le curé de Séron et Casausus. Miquèu Camelat est aussi primé pour son poème En Grounh tiré d’une légende du val d’Azun.

Pour Simin Palay qui a tout juste 16 ans, c’est une révélation. Il dit : Je fis à cette occasion la connaissance – spirituelle – des grands félibres dont j’ignorais jusque-là les noms et les œuvres : Mireille, La Miugrano entreduberto, Lous cants dou soulel, etc. De plus, la prestation de Miquèu de Camelat l’impressionne. L’année suivante, Simin Palay passe à Arrens. Il rencontre Camelat. Que’s pot dise qu’aquet die lo yermi de l’Escole Gastoû Febus qu’ère semiat. / Que’s pòt díser qu’aqueth dia lo germi de l’Escòla Gaston Febus qu’era semiat. / On peut dire que ce jour-là le germe de l’Escòla Gaston Febus était semé.

Simin Palay et Miquèu de Camelat, fondateurs du Félibrige gascon

1er numéro de Reclams (février 1897) - Auteurs : Isidore Salle, Camélat Yan Palay, Simin Palay, J-V Lalanne, etc.
Reclams de Biarn e Gascounhe n° 1 de février 1897, auteurs : I. Salle, M. Camélat,  Yan Palay, Simin Palay, J-V. Lalanne, etc.

En 1893, parait l’Armanac patouès dé la Bigorro qui reçoit un excellent accueil. L’année suivante, il prend le titre d’Armanac Gascou – Bigorre – Béarn –  Armagnac – Lanes. En même temps, ils lancent un concours littéraire dont le succès a surpris même ses auteurs !

Simin Palay et Miquèu de Camelat veulent fonder un groupement félibréen. C’est chose faite en 1895. Mais Simin Palay ne figure pas parmi les sept signataires car il fait son service militaire et ne peut être membre d’une assosication. L’année suivante, le groupement devient l’Escole Gastoû Fébus. Puis, le 1er février 1897, parait le premier numéro de la revue Reclams de Biarn e Gascougne. Elle existe encore aujourd’hui sous le titre de Reclams. Et c’est la plus ancienne revue littéraire.

Pourtant, tous les poètes gascons n’adhèrent pas. Certaines personnes réfrènent même l’enthousiasme des fondateurs. Pour eux, la revue fait une part trop belle au français. Et ses abonnés sont surtout des notables. Tout cela va conduire à une crise interne en 1909.

La naissance de La Bouts de la Terre

Simin Palay, qui réside à Gélos depuis 1902, fonde, avec Miquèu de Camelat, le journal La Bouts de la Terre (….) qui s’adresse à toute la population. C’est le journalét qui clame dus cops per més / jornalet qui clama dus còps per mes / le petit journal qui parait deux fois par mois. Très vite, les jeunes auteurs gascons rejoignent le journal. Le dernier numéro parait le 1er septembre 1914 et ne sera pas relancé après l’Armistice. Pour autant, Simin Palay n’a pas coupé les ponts avec la revue Reclams dans laquelle il écrit encore quelques articles.

i 1914- un des derniers numéros
La Bouts de la Terre de mai 1914, une des dernières parutions

Puis, Simin Palay est élu Majoral en 1920 (un des 50 qui composent le consistoire, gardien de la philosophie du mouvement). Dès lors, il participera activement au Félibrige. Peu après, en 1923, il devient Capdau de l’Escole Gastoû Fébus (président) et le reste jusqu’à sa mort en 1965. Son ami Miquèu de Camélat en sera le Secrétaire jusqu’en 1962.

Simin Palay, 75 ans d’écriture

Revue régionaliste des Pyrénées Mars-Avril 1919, en V, article de S. Palay : « Le paysan béarnais »

Simin Palay est un grand chroniqueur en gascon. La majorité de ses articles et chroniques paraissent dans la revue Reclams et dans le journal La Bouts de la Terre.

Il écrit aussi régulièrement dans des journaux en français qui laissent une place au gascon comme Le Patriote des Pyrénées de Pau. C’est d’ailleurs pour devenir collaborateur de ce journal quotidien que Simin Palay quitte Vic en Bigorre en 1902.

Il écrit encore, en français cette fois-ci, dans La revue régionaliste des Pyrénées dont il est l’un des fondateurs en 1917. Naturellement, il y publie aussi quelques poèmes en gascon.

 

 

 

La cuisine du pays de Simin Palay
La cuisine du pays, Simin Palay

En 1921, Simin Palay publie un livre qui sera le plus connu de ses ouvrages : La cuisine du pays. Il contient 600 recettes et tout un tas de proverbes béarnais. Ce best seller connaitra plus de 11 rééditions et continue à être édité par les Editions Marrimpoey

Enfin, comme de nombreux Félibres, Simin Palay publie ses mémoires en 1961 dans Petite Bite e bite bitante et Memori e Raconte. Volontairement, il se limite à la période de sa jeunesse, de 1874 à 1888. Outre ses souvenirs personnels, il décrit la société paysanne de son village de Castèida. Ainsi, c’est un témoignage incomparable de la vie rurale à cette époque.

Le poète et le dramaturge

Simin Palay - "Praube Caddetou"
Praube Caddetou, Simin Palay

Simin Palay est un poète assez méconnu. Pourtant, il publie plusieurs recueils, notamment : Bercets dé Youénèsse è Coundes enta rise / Versets de jeunesse et contes pour rire en 1899, Sounets e Quatourzis / Sonnets et Quatorzains en 1902, Las Pregàries e las Gràcies / Les Prières et les Grâces en 1926. En 1909, il publie même un poème épique de 828 vers sur la guerre des Albigeois, primé aux Jeux Floraux de Toulouse.

Simin Palay est aussi l’auteur de 80 pièces de théâtre. La plus célèbre est Lou Franchiman / Le Français publiée en 1896 qui fera plus de 1 000 représentations jusqu’en 1944. La Peleye dous Arrasims / La dispute des Raisins, publiée en 1901, est une pièce pour les jeunes, jouée par des jeunes. Pansard e Lamagrere sort en 1919, Caddetoû en 1922, Lou marcat de la Trouje / Le marché de la Truie en 1927, Lou terrible medeci / Le terrible médecin en 1934, Lou Biadje de Cauterés / Lo voyage de Cauterets en 1949, …

L’œuvre majeure de Simin Palay, le Dictionnaire

Le Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes - Edicions Reclams 2020
Le Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes, Simin Palay,  Edicions Reclams 2020

Le Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes est l’œuvre majeure de Simin Palay. 

En fait, dès 1887, Vastin Lespy publie un dictionnaire de béarnais ancien et moderne. Cénac-Montaut en fait autant pour le Gers. Puis Fernand Sarran toujours pour le Gers. Le dictionnaire de Sarran ne sera pas publié à cause du décès de l’auteur mais sera utilisé pour enrichir le « Palay ». Moureau pour le pays de Buch. Des lexiques des Landes, du val d’Azun ou du Médoc paraissent également. Aucun ouvrage ne regroupe les parlers de la Gascogne.

Si l’Escòla Gaston Febus a l’idée de ce dictionnaire, la réalisation est difficile. Elle met en place une commission du dictionnaire dès 1902, mais, faute de méthode et de direction, il n’avance pas. Finalement, c’est Simin Palay qui le dirigera et permettra sa réalisation trente ans plus tard.

Ainsi, l’Escòla Gaston Febus le publie en 1932 (tome 1) et 1934 (tome 2), puis le CNRS en 1961, 1974, 1980 et 1992. Enfin, de nouveau l’Escòla Gaston Febus – Edicions Reclams le publie en 2020 avec l’aide de Lo Congrès permanent de la lenga occitana. C’est sans conteste l’ouvrage le plus connu et le plus utilisé par les étudiants, les enseignants et les chercheurs.

Ce qu’en a dit le poète Tristan Derème

Tristan Derème (1889-1941)

C’est une mine, et n’est-ce pas un divertissement charmant que de feuilleter de la sorte une collection de mots qui ne sont point pareils à des papillons morts sous une vitrine, mais au contraire, qui demeurent bien vivants et battent des ailes, dès que nous nous prenons à les considérer. Ils volent de-ci, de-là, et si nous nous abandonnons à les suivre, nous pénétrons avec eux en une province aux belles montagnes blanches et bleues et dont les torrents chantent sous les noisetiers, cependant que nous entendons sonner non pas un langage méprisable, mais une langue, sœur de la nôtre.

Les Français ont leur Larousse, les Gascons ont leur Palay !

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Simin Palay (1874-1965) par Jean-Pierre BIRABENT, coédition du Cercle Occitan de Tarba et des éditions du Val d’Adour, 2010.
Ensag de bibliografia de las obras editadas de Simin Palay, Reclams,  François Pic, 2004.
Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus
Le dictionnaire de Palay enfin réédité, Escòla Gaston Febus, 2019
La bouts de la tèrre – Une tentative de presse régionaliste en Béarn au début du siècle, David Grosclaude, Editions Per Noste.
La Bouts de la terre d’Armagnac Biarn, Bigorre e Lanes, Bibliothèque Escòla Gaston Febus (collection avec quelques lacunes).




Montréjeau et ses trésors

En traversant une ville, on voit l’église, la place centrale, et si on a un peu de temps, l’office de tourisme et quelques commerces. Pourtant, beaucoup d’entre elles ont des trésors cachés. Et c’est bien le cas de Montréjeau.

Montréjeau, bastide royale

Mont reiau [Montréjeau] signifie Mont royal. C’est une bastide fondée en 1272, en paréage entre Eustache de Beaumarchès, sénéchal du roi de France à Toulouse, et Arnaud d’Espagne-Montespan.

Comme souvent, l’affaire est profitable aux deux parties. Car, ainsi, le roi s’implante en Comminges, au milieu des possessions des Foix-Béarn en Nebouzan – Cela lui permet de surveiller ces remuants seigneurs. Et, d’autre part, Arnaud d’Espagne-Montespan obtient une étape sûre entre ses deux domaines de Montespan et de la vallée du Louron.

De plus, la bastide de Mont reiau est une réussite. En effet, trente ans après sa fondation, elle est entourée d’un rempart et est entièrement peuplée.

Montréjeau - la place centrale de la bastide
Montréjeau – la place centrale de la bastide et ses arcades

Bien sûr, les fondateurs la dotent de coutumes octroyées aux habitants, qui seront réécrites en 1435 (elles contiennent 228 articles) et en 1619.

Montréjeau - Pont sur la Garonne
Montréjeau – Pont sur la Garonne

Mont reiau tient un marché hebdomadaire. Et elle tient aussi deux foires annuelles à la Trinité et à la Saint-Barthélemy. Par ailleurs, la construction du pont sur la Garonne au XIVe siècle assure le succès de ses foires. Plus tard, Henri IV (1553-1610) lui en concède deux nouvelles à la Saint Mathias et à la Saint-André.

C’est aussi le siège de la judicature de la jugerie de Rivière. Ainsi, les professions de loi y prospèrent.

Mais, Mont reiau subit les affres des guerres de religion, sert de garnison lors des guerres avec l’Espagne. Et elle est le théâtre de la bataille de Montréjeau qui met fin aux espoirs royalistes en 1799.

La place Bertrand Larade

Il n’est pas habituel de voir une place porter le nom d’un grand poète gascon du XVIIe siècle.

En effet, Bertrand Larade (1581-1635 ?) est né à Montréjeau. Issu d’une famille de notables, il étudie le droit à Toulouse avant de se consacrer entièrement à la poésie. Il devient l’ami de Goudouli, grand poète toulousain. De plus, Bertrand Larade reçoit un prix aux Jeux Floraux en 1610, puis, il abandonne le français pour ne plus écrire qu’en gascon.

La Margalide gascoue

Sa Margalide gascoue, éditée en 1604 – il a 22 ans–, contient 96 sonnets dont le sonnet XXXVII sur Montréjeau, lieu de résidence de son amour :

Chant Royal - B Larade - la Margalide Gascoue (1604)
B Larade – La Margalide Gascoue (1604)

Mourejau ey lou loc de ma neichense,
Mourejau ey lo loc de la beutat,
Doun trop jouen jou’m trobey amatat,
Et force’m houc de’u da m’aubesience.

En Mourejau be he sa residence,
En exerçan sur my sa crusautat,
Et sa berou m’a tan plan tormentat,
Que cauque cop perde’m he paciense.

Et nou i a arrenc com noste Mourejau,
De y demoura lou bet loc be s’ac bau:
Courren aupres la Garona, et la Neste: 

Lou Roussinon nou pousque aillous boula
Qu’a Mourejau que d’et hé tant parla,
Per ma Margot suber toutes auneste.

Montréjeau est le lieu de ma naissance,
Montréjeau est le lieu de la beauté,
Par quoi trop jeune je me suis trouvé anéanti,
Et à qui force m’a été de faire obéissance.

À Montréjeau, elle a sa résidence,
En exerçant sur moi sa cruauté,
Et sa fureur, elle m’a si bien tourmenté
Que quelquefois elle me fait perdre patience.

Et il n’y a rien comme notre Montréjeau,
Il vaut la peine de résider en ce beau lieu :
Auprès duquel courent la Garonne et la Neste :

Le rossignol ne pourrait voler ailleurs
Qu’à Montréjeau qui fait tant parler de soi,
Grâce à ma Margot sur toutes les autres honnête.

L’hôtel de Lassus à Montréjeau

Montréjeau - Hôtel de Lassus
Hôtel de Lassus

Le XVIIe siècle est aussi celui de l’émergence de la famille de Lassus, l’une des plus importantes de Montréjeau.

Marc-François de Lassus (1692-1780) est, comme son père, subdélégué de l’Intendant d’Auch et Contrôleur général des Marbres du Roi. En 1760, il fait construire un magnifique hôtel particulier en pierre de Gourdan.

La famille de Lassus donnera un conseiller au Parlement de Toulouse, guillotiné à Paris sous le nom de M. de Nestier, un maire de Montréjeau, un conseiller général, un député, un célèbre pyrénéiste ami d’Henry Russel et deux présidents de la Société d’Etudes du Comminges. En sus, en 1865, les de Lassus sont faits barons héréditaires.

À l’initiative du Maréchal Foch, l’hôtel de Lassus abrite le séminaire de Montréjeau de 1929 à 1970. Aujourd’hui, il accueille des services de la communauté de communes, dont l’office de tourisme. Et, il est inscrit au titre des Monuments Historiques en 2005.

Le château de Valmirande

Le comte Henry Russell et le Baron de Lassus en 1894
Le comte Henry Russell et le Baron de Lassus en 1894

Bertrand de Lassus (1868-1909) fait construire le château de Valmirande, à l’imitation des châteaux Renaissance de la Loire. Les travaux durent de 1893 à 1899.

On remarque la propriété de 41 hectares, clôturée par un mur qu’on longe, à la sortie de Montréjeau, en prenant à la route de Lannemezan et de Tarbes.

C’est l’architecte bordelais Louis Garros qui construit le château. Denis et Eugène Bühler, concepteurs du parc de la Tête d’Or à Lyon et du parc Borelli à Marseille, se chargent du parc, qui contient plus de 180 espèces d’arbres et d’arbustes. Plus tard, en 1912, Édouard-François André, le concepteur des parcs de Monte-Carlo, dessine deux parterres à la française supplémentaires.

Une tour d’aspect médiéval abrite un calorifère à vapeur pour chauffer le château.

Des dépendances en style montagnard abritent une des plus belles écuries de France. De plus, une tour du bâtiment rappelle le clocher de l’église de Saint-Bertrand de Comminges que l’on voit depuis Valmirande. D’ailleurs, on raconte que Bertrand de Lassus communiquait à vue avec le curé de Saint-Bertrand. En tous cas, la vue est bien dégagée entre les deux lieux.

Dès 1899, le château de Valmirande est occupé. Et l’hôtel de Lassus situé dans Montréjeau est vendu.

Il est classé en 1976, le parc en 1979 et les dépendances en 1992. Le château habité n’est pas visitable, sauf la chapelle. Le parc et les dépendances font l’objet de visites guidées.

Montréjeau - Château de Valmirande
Montréjeau – Château de Valmirande

Références

Bertrand Larrade – La Margalida gascoue et Meslanges (1604), édition critique de Jean-François Courouau.
Notre histoire, mairie de Montréjeau
Les statuts et coutumes de la ville de Montréjeau, baron de Lassus,  1896
Le château de Valmirande, mairie de Montréjeau




Bayonne la Gasconne

Pour beaucoup, Bayonne est la capitale du pays basque. Pourtant, historiquement, sa capitale est Ustaritz. En revanche, Bayonne, Biarritz et Anglet sont gasconnes. Vers 1550, le français remplace le gascon dans les documents officiels. Pourtant, au XVIIIe siècle, un mouvement se dessine pour l’emploi du gascon dans les textes littéraires.

Le gascon, langue officielle à Bayonne au moyen-âge

Les ducs d’Aquitaine, puis rois d’Angleterre écrivaient à leurs sujets de Bayonne en gascon.

Les livres

Livre d'Or de Bayonne - Don de deux maisons à l'église
Le Livre d’Or de Bayonne (extrait). Don de deux maisons à l’église.

Le plus ancien ouvrage connu en gascon est le Livre d’or de Bayonne. Il s’agit d’un cartulaire, sans doute réalisé au XIVe siècle, contenant des textes rédigés entre le Xe et le XIIIe siècle. Parmi ceux-là, 106 sont des textes en latin et 36, plus récents du milieu du XIIIe siècle, en gascon :

« Sabude causa sia a tots aquez qui questa present carta veiran e audiran, que io en. B. de Garague reconny e manifesti em veritad per mi e per meis heirs e auieders, e per meis successors que dei dar e pagar au nost ondrable pair Mosseinher l’abesque e au Capito de Sancta Maria de Baiona. VI. Conques de bon froment, … »

De même, le Livre des établissements est un recueil d’actes en gascon, réalisé en 1336 par Arnaud de Biele, alors maire de Bayonne. Il établit les droits et les privilèges de la ville, son régime intérieur et ses rapports avec les seigneurs, villes et pays voisins.

La vie quotidienne à Bayonne

La toponymie utilisée est majoritairement gasconne, surtout dans la ville de Bayonne : arrua nava / rue neuve, arrue dous bascous / rue de basques, arrue dou casted / rue du château, carneceirie / carniceria / boucherie, port nau / port neuf, con de baque / corna de vaca / corne de vache, etc.

Bayonne, ville gasconne-Sur l'origine et la répartition de la langue basque Basques français et Basques espagnols Paul Broca (1875 - Gallica)
Sur l’origine et la répartition de la langue basque Basques français et Basques espagnols, Paul Broca, 1875, Gallica. Reprend les limites de la carte de 1863 de L-L Bonaparte.

En fait, la région fait apparaitre deux zones linguistiques. En particulier, la rédaction des Cahiers de doléances en 1788 se fait à Ustaritz pour le Labourd et à Bayonne pour la partie gasconne. Une représentation unique est alors inenvisageable tant les intérêts sont divergents. D’ailleurs, lors de l’élection des représentants à la fête de la Fédération de 1790, on crée deux bureaux de vote. Les délégués du Labourd s’appellent Dithurbide, Harriet, Detchegoyen, Diharce et Sorhaitz ; ceux de Bayonne s’appellent Lacroix de Ravignan, Mauco, Tauziet, Duffourg et Fourcade.

La première carte linguistique du pays basque, éditée en 1863 par Louis-Lucien Bonaparte, met en évidence que le gascon est encore très majoritaire à Bayonne, à Anglet et à Biarritz. Toutefois, les Basques s’installent à Bayonne au XIXe et au XXe siècles. Alors, l’usage du français gomme les différences linguistiques.

Bayonne et le renouveau du gascon au XVIIIe siècle

Alors que les dialectes sont méprisés, un mouvement se dessine dans la classe bourgeoise de Bayonne pour l’utilisation du gascon dans la littérature.

Par exemple, un tonnelier, Pierre Lesca (1730-1807), écrit plusieurs chansons, dont La canta a l’aunou de la nachence dou Daufin / La canta a l’aunor de la naishença deu Daufin / le chant en l’honneur de la naissance du Dauphin qui lui vaut une récompense des échevins de Bayonne, et Los Tilholèrs / Les bateliers, une chanson, aujourd’hui un hymne à Bayonne. Et le groupe gascon Boisson Divine en donne une version contemporaine.

Los Tilholièrs - un hymne de Bayonne ?
Los Tilholièrs. Paroles données sur le site de Boisson divine.

De même, en 1776, parait un remarquable ouvrage : Fables causides de La Fontaine en bers gascous suivi d’un lexique. Il est plusieurs fois réédité.

Autre exemple : Deldreuil (1796-1852), un Gascon de Bayonne, laisse une trentaine de chansons.

Le foisonnement après Louis-Philippe

La période révolutionnaire donne peu de textes connus. Mais, à partir de 1830, les auteurs gascons foisonnent à Bayonne.

Justin Larrebat (1816-1868)

Il est l’auteur de nombreux recueils de poèmes en gascon, dont Poésies gasconnes édité en 1898 et plusieurs fois réédité depuis. Ici le début d’un poème.

Amous de parpaillouns et flous

Le flou qu’ere amourouse
Et yelouse;
Lou parpailloun luzen
Incounsten.
Le flou toutyour aimabe,
Aperabe
Lou parpailloun aiman
En boulan.

Amours de papillons et de fleurs

La fleur était amoureuse
Et jalouse ;
Le papillon luisant
Inconstant.
La fleur toujours aimait,
Appelait
Le papillon aimant
En volant.

Léo Lapeyre (1866-1907)

Léo Lapeyre
Léo Lapeyre (1866-1907)

Il écrit des poésies en gascon. Et il écrit aussi des pièces de théâtre qu’il joue à Peyrehorade, sa ville natale, et à Bayonne. Citons : Lo horat de la peyre horadada / Lo horat de la pèira horadada / Le trou de la pierre trouée, Coèntas d’amou / Cuentas d’amor / Les ennuis de l’amour, La boussole de Mousserottes et Madame Pontriques en 1904.

Dès la création de Escòla Gaston Febus, Léo Lapeyre adhère (1897). Et il publie dans la revue de cette association, Reclams de Biarn et Gascougne, mais, face à certaines critiques de son édition de poèmes A noste, il s’en éloigne. Voici un extrait d’un de ses poèmes.

Aou cout dou houéc

Toutun se t’adroms, aou cap d’un moumèn
Que-t’ herey un broy poutoun qui chagotte
Et que-t’ déchuderas en arridèn
Aou coût dou hoèc!

Au coin du feu

Cependant, si tu t’endors, au bout d’un moment
Je te ferai un joli baiser qui chatouille
Et tu t’éveilleras en riant
Au coin du feu.

…Et tous les autres

Carlito OYARZUN un des fondateurs de l'acadamie Gasconne de Bayonne
Carlito Oyarzun (1870-1930)

En fait, les pièces de théâtre de Léo Lapeyre inspirent d’autres écrivains gascons, comme Georges Perrier, Léon Lascoutx, Carlito Oyarzun (1870-1930) ou Benjamin Gomès (1885-1959) qui est l’architecte, avec son frère, de la station balnéaire d’Hossegor. Ces deux derniers sont conseillers municipaux de Bayonne. Alors, en 1932, ils initient une fête populaire et traditionnelle qui auront et ont toujours un beau succès : Les Fêtes de Bayonne.

Pierre Rectoran (1880 - 1952), Secrétaire Perpétuel de l'Académie Gasconne de Bayonne
Pierre Rectoran (1880-1952), Secrétaire Perpétuel de l’Académie Gascoune de Bayoune.

À partir de 1912, la presse locale publie des poésies en gascon de Pierre Rectoran (1880-1952). Théodore Lagravère qui réside à Paris écrit des poèmes dans Le Courrier de Bayonne. Il publie son premier recueil de Poésies gasconnes en 1865. En outre, la presse locale publie J-B Molia dit Bernat Larreguigne et A. Claverie surnommé Yan de Pibole.

Enfin, après la Grande Guerre, des initiatives fleurissent à Bayonne en faveur du gascon. Par exemple, en 1923, Monseigneur Gieure, évêque de Bayonne, Oloron et Lescar, introduit l’étude obligatoire du gascon dans les établissements d’enseignement de son diocèse. Ou encore, en 1926, Pierre Simonet fonde l’Académie gascoune qui publie L’Almanach de l’Academie gascoune de Bayoune.

L’Académie gascoune de Bayoune et Ací Gasconha

Académie Gascoune de Bayoune - Acte constitutif du 7 mai 1926
Académie Gascoune de Bayoune – Acte constitutif du 7 mai 1926

L’Académie gasconne de Bayonne, qui s’appelle maintenant Academia Gascona de Baiona-Ador, est fondée en 1926. De 40 membres à l’origine, elle se compose aujourd’hui de 25 membres élus par leurs pairs pour leur connaissance du gascon.

Elle a pour but : « la recherche et le maintien de tous les usages et traditions bayonnaises et du Val d’Adour maritime, et en particulier de la langue gasconne parlée sur ces territoires ».

Active, l’Académie tient un Capitol / Chapitre trimestriel, ouvert au public, au cours desquels elle présente des sujets intéressant l’histoire locale ou le gascon. Les présentations qui sont faites en gascon sont éditées dans L’Armanac Capitol, revue trimestrielle de l’Académie.

De plus, l’Académie travaille en étroite collaboration avec Ací Gasconha, association créée en 1975. Les activités d’Ací Gasconha touchant au gascon sont multiples : gestion d’une bibliothèque, émissions radio en gascon, animation d’une chorale, cours de gascon, ateliers de danse, édition d’un bulletin trimestriel, publication d’ouvrages, etc.

Avec tout çà, qui peut dire que Bayonne, Biarritz et Anglet ne sont pas gasconnes ?

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Livre d’or de Bayonne, textes gascons du XIIIe siècle, Jean Bidache, 1906, Bibliothèque Escòla Gaston Febus 
Les « Tilloliers » de Pierre Lesca, René Cuzacq, 1942, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Fables causides de La Fontaine en bers gascous, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Poésies gasconnes, Justin Larrebat, 1926, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Les Poésies de J.-B Deldreuil, Chansonnier gascon bayonnais, Pierre Rectoran, 1931
Panorama de la littérature gasconne de Bayonne, Gavel Henri, 1948
Aou cout dou houéc, Léo Lapeyre,
Lapeyre, Léo. Auteur du texte. Au pays d’Orthe. Chez nous. A la maison. Dans la plaine. Soucis d’amour. – Aou pèis d’Orthe. A noste. A case. Hen le plène. Coèntes d’amou. 1900.
www.occitanica.eu
Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus : www.biblio.ostau-bigordan.com
Académie gasconne de Bayonne : www.academiagascona.fr
Aci Gasconha : www.acigasconha.asso.fr
Paul Broca – Sur l’origine et la répartition de la langue basque : Basques français et Basques espagnols-1875 – Gallica

 

 

 




Noël 2022, Ukraine et Gascogne

Découvrir Noël en Ukraine et partager notre passion pour la culture régionale, voilà nos cadeaux de Noël pour les lecteurs du site.

Noël en Ukraine

Puisque, hélas, l’actualité tourne les yeux des Européens vers l’Ukraine, que savons-nous de leur noël ? Tout d’abord, cette fête n’est devenue officielle que depuis peu. Auparavant, parce que religieuse, elle était bannie.

Les Ukrainiens fêtent Noël le 7 janvier. En effet, le calendrier orthodoxe est décalé de 13 jours par rapport à celui que nous utilisons, c’est-à-dire le calendrier grégorien. De plus, tout commence par un jeûne, le 28 novembre, appelé le jeûne de Saint Philippe. Il se termine à l’apparition de la première étoile de la nuit du 6 au 7 janvier. L’arbre de Noël, quant à lui, restera jusqu’au 19 janvier.

C’est une fête moins importante que le jour de l’an et il n’y a pas de cadeaux. Toutefois, elle est précédée de celle de la Saint-Sylvestre (31 décembre), et suivie de la fête de l’Ancien Nouvel An ou fête de Malanka, le 13 janvier. Il s’agit alors du Nouvel An selon le calendrier julien, celui utilisé par les églises orthodoxes. Et c’est l’occasion de danser la polka !

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Le déroulement des festivités de Noël en Ukraine

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La veille de Noël, des marionnettes du Vertep jouent des scènes bibliques sur le parvis des églises. Puis, la famille se retrouve pour le Svyata Vetcheria [réveillon de Noël] autour d’une grande table présentant 12 plats végétariens car la viande ne sera autorisée qu’avec l’apparition de la première étoile.  Traditionnellement, on dispose des gousses d’ail sur la table pour affirmer les liens forts de la famille, et des noix pour augurer d’une bonne santé.

Dans la soirée, des groupes de garçons vont de maison en maison en chantant les koliadky [chants de Noël]. Ils reçoivent de l’argent et des friandises. C’est assez proche de notre aguilhonèr que nous faisons pendant l’avent (donc les quatre semaines avant Noël).

De plus, toute la soirée, on chante des Koliadky et Chtchedrivky [chants de Noël]. Et, au moment de se coucher, on pose sur la table des cuillères afin que les membres décédés de la famille puissent participer au festin.

Enfin, cette belle période de festivité s’achève le 19 janvier (épiphanie dans le calendrier orthodoxe) par… un bain dans l’eau ! Ainsi, les prêtres font un trou dans la glace en forme de croix et les audacieux se trempent rapidement dans l’eau.

Les Ukrainiens rêvent de paix à l’occasion des bains glacés de l’Épiphanie orthodoxe (janvier 2016)

Livres pour Noël

Comme tous les ans, nous vous proposons trois ouvrages qui pourraient faire de beaux cadeaux de Noël en Gascogne.

Livre exceptionnel pour Noël, L’Elucidari, l’encyclopédie de Gaston Febus

L'Elucidari - L'encyclopédie de Gaston Febus - un cadeau de Noël
L’Elucidari, l’encyclopédie de Gaston Febus, Maurice Romieu.

Gaston Febus (1331-1391) est un homme lettré. Ce n’est pas un hasard. Sa mère, Aliénor de Comminges lui fait écrire une véritable encyclopédie alors qu’il n’a pas encore 18 ans. Une encyclopédie de plus de 650 pages, qui rassemble toute la connaissance de l’époque. Il n’en existe qu’un exemplaire, manuscrit, heureusement conservé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris.

Que contient cette encyclopédie ? D’où viennent les informations ? En quoi est-elle innovante ? Comment se présente-t-elle ? C’est l’objet du livre, en français, de Maurice Romieu, spécialiste de l’occitan ancien et du Moyen-âge. Une vraie découverte de l’encyclopédie du comte et un régal des yeux ! En effet, de nombreuses enluminures et des facsimilés du manuscrit original y sont présentés. Saurez-vous reconnaitre le jeune Gaston et Dame Savieza sur l’enluminure de la couverture ?

Le cadeau pour les amateurs de livre d’art !

Pour parler d’espoir et d’amour 

La murena atendrà (Danièle Estèbe Hoursiangou)
La murena atendrà, Danièle Estèbe Hoursiangou.

La murèna atendrà / La murène attendra est un magnifique livre, bilingue (français, occitan), de Danièle Estèbe-Hoursiangou. C’est l’histoire d’un couple amoureux et uni qui va être confronté à une murène, la maladie d’Alzheimer du mari.

Appuyé sur l’histoire personnelle de l’autrice, le récit est plutôt une conversation secrète, personnelle. Sans jamais se laisser gagner par le pathos, et en nous épargnant l’aspect médical, l’autrice nous offre plutôt une expérience où se mêle la violence du vécu et la force de l’amour.

Et malgré l’inexorable éloignement de l’homme aimé, la complexité des émotions,  le lecteur découvre la beauté et la solidité des sentiments.

Pour la mémoire de la langue, le dictionnaire de référence

Dictionnaire du Béarnais et du Gascon Moderne (Simin Palay) : - un cadeau de Noël
Dictionnaire du Béarnais et du Gascon Modernes, Simin Palay.

Tout bon Gascon ne doit-il pas avoir le Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes de Simin Palay ? En version classique, indispensable, ou sous coffret, il reste un magnifique cadeau de Noël. Voir sa description dans un article précédent.

Vous y trouverez tout un tas d’expressions, par exemple liées à la hèste / hèsta / fête. Ainsi, on retrouve le côté imagé de notre langue dans :
ha s’en la hèste / har-se’n la hèsta / s’en régaler (littéralement s’en faire la fête) ou
noû pas esta de hèste / non pas estar de hèsta / être fort ennuyé (littéralement ne pas être à la fête) ou encore
jamey tau hèste / jamei tau hèsta / jamais semblable chance.
Et le côté spirituel, trufandèr du Gascon dans ha tout die hèste / har tot dia hèsta / chômer tous les jours.

Donc, après avoir hestejat / hestejat / fait la fête, gare à l’hestoû / heston / lendemain de fête, car hèste sens hestoû, noû n’y a, noû / hèsta sens heston, non n’i a, non / fête sans lendemain, il n’y en a pas, non, dit le proverbe.

Quant à l’expression française « je vais te faire ta fête », le Gascon préfère dire : que’t harèi cantar vrèspas [je te ferai chanter les vêpres].

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

La célébration de Noël en Ukraine
L’Elucidari, l’encyclopédie de Gaston Febus, Maurice Romieu, Edicions Reclams, 2022.
La murèna atendrà / La murène attendra, Danièle Estebe-Hoursiangou, Edicions Reclams, 2022.
Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes, 4e édition, Simin Palay, Edicions Reclams, 2020.




Pey de Garros

Pey de Garros est le premier poète de la Renaissance Gasconne et un poète qui affirme son patriotisme. Il espère des rois de Navarre l’autonomie et la victoire du gascon. Il mourra avant de voir Henri III devenir roi de France.

Pey de Garros, lo lectorés

Pey de Garros nait à Lectoure (Armagnac) entre 1525 et 1530, d’une famille de noblesse de robe depuis deux siècles. Il obtient une licence de droit à Toulouse.

En 1553, de retour à Lectoure, il est élu consul, à la suite de son père. Son destin semble tracé. D’autant plus que, deux ans après, les consuls de Lectoure l’envoient les représenter à l’enterrement d’Henri II.

Jeanne d'Albret nomme Pey de Garros conseiller à la cour
Jeanne d’Albret (1528-1572) nomme Pey de Garros Conseiller à la Cour

Quatre ans plus tard, un doctorat de droit en poche, il devient avocat. Et comme l’Armagnac dépend de la maison d’Albret – donc de Jeanne d’Albret (1528-1572) – celle-ci le nomme Conseiller à la Cour et il siège au présidial d’Armagnac.

Cependant, cette même année, il écrit Chant royal de la Trinité qui lui vaut une violette aux Jeux floraux de Toulouse. Le chant royal était une forme ancienne de poème inventé dans le nord de la France au XIVe siècle.

Notons que depuis plus de quarante ans, le Collège de Rhétorique de Toulouse ne décerne plus de prix pour des poèmes en occitan. En revanche, le premier chant royal couronné aux Jeux Floraux de Toulouse date de 1539.

Pey de Garros est un patriote gascon

Les idées protestantes courent la Gascogne. Afin de tenter de les stopper, en 1551, le Parlement de Toulouse condamne un notaire lectourois pour avoir édité un livret contraire au catholicisme, brule un menuisier pour hérésie… Mais cela n’arrêtera pas la progression de ce mouvement.

Blaise de Monluc (1501 1577)
Blaise de Monluc (1501-1577)

De plus, en Gascogne, les huguenots ne reconnaissent pas le roi de France. D’ailleurs, Blaise de Monluc, rapporte les propos de l’un d’entre eux : Un gentilhomme… m’avoit mandé, que, comme il leur [aux paysans huguenots] avoit remonstré.. qu’ils faisoient mal, et que le roy le trouveroit mauvais, qu’alors ils lui respondirent : Quel roy ? Nous sommes les roys ! Celui-là que vous dites [Charles IX] est une petit reyot de merde…

En tous cas, en 1560, peut-être après un séjour à l’Ecole Protestante de Lausanne, notre poète embrasse ces nouvelles idées. Et il se met au service de la cour de Navarre. Car, pour lui, langue et nation sont liées, et l’indépendance du Béarn lui parait une garantie. En fait, il espère que Jeanne d’Albret sera l’instigatrice de cette nation gasconne.

Pey de Garros incite à l’utilisation du gascon

Poesias Gasconas de Pey de Garros (1567)
Poesias Gasconas de Pey de Garros (1567)

Amy lecteur, Noz deux langages principaux, sont le François celtique et lé Gascon. Ie parleray du nostre. (extrait de Poesias gasconas)

Pey de Garros entame un combat pour le gascon et incite les poètes à employer cette lenga mesprezada [langue méprisée]. Il l’affirme clairement dans une lettre qu’il écrit à un jeune poète (extrait de Poesias gasconas) :

[lenga] Damnada la podetz entene.
Si degun no la vo dehene :
Cadun la leixa e desempara,
Tot lo mon l’apera barbara
E, qu’es causa mas planedera,
Nosauts medix nos truphan d’era.

[langue] Comme perdue vous pouvez la considérer
Si personne ne veut la défendre :
Chacun l’abandonne ou la maltraite.
Tout le monde l’appelle barbare ;
Et, chose bien plus déplorable,
Nous-mêmes nous nous moquons d’elle.

Texte complet ici.

Pey de Garros défend une langue harmonisée

Sa vision de la Gascogne est large, comme il l’écrit dans les Poesias gasconasIl y a quelque diversité de langage, termination de motz, et pronuntiation, entre ceulx d’Agenois, Quercy, autres peuples de deça, et nous : non pas tele que nous n’entendions l’un l’autre : Aussi nostre langage par un mot general est appelé Gascon.

Comme Pey de Garros souhaite une Gascogne unifiée et indépendante, il se lance dans un travail d’harmonisation des parlers gascons, qu’il appelle « conférence ».

André Berry, poète (1902-1986) consacre sa thèse à Pey de Garros (1948)
André Berry, poète (1902-1986) consacre sa thèse à Pey de Garros (1948)

André Berry montre dans sa thèse, L’œuvre de Pey de Garros (éditée en 1997) que le poète lectourois a élaboré un nouveau système graphique justement à cette époque où une forte rénovation du français est en cours. Ainsi, il va à la fois s’appuyer sur la graphie traditionnelle de l’occitan et utiliser les habitudes de la scripta française.  Pourtant, il ne sera pas suivi par d’autres Gascons et son système graphique sera abandonné.

Affirmer une identité

Les Gascons sont réputés pour leur adresse aux armes. Aussi, Pey de Garros les exhorte à exceller de même dans le domaine de l’esprit, et il va s’attacher à donner l’exemple.  De façon claire, il va favoriser l’émergence d’une littérature gasconne.

Joachim du Bellay, gentilhomme angevin 'vers 1522-1560)
Joachim du Bellay, gentilhomme angevin (vers 1522-1560)

Pey de Garros ne veut pas imiter la Pléiade française, surtout après les propos désobligeants de Joachim du Bellay qui, en 1549, dans son Deffense et Illustration de la langue française, a rejeté les poèmes des Jeuz Floraux de Thoulouze en considérant qu’ils ne servaient qu’à porter temoingnaige de notre ignorance.

Alors, il va soit inventer des formes nouvelles, soit s’inspirer du modèle latin. Ainsi, il écrit en 1565, Les Psaumes de David, viratz en rythme gascoun [les Psaumes de David, traduits en vers gascons], dédiés à Jeanne d’Albret et publiés à Toulouse chez Jacques Colomès. En réalité 58 psaumes seulement.

Psaumes de David viratz en rythme gascon per Pey de Garros (1565)
Psaumes de David viratz en rythme gascon per Pey de Garros (1565)

Robert Lafont (1916-2010), écrira des Psaumes qu’ils sont « le coup d’éclat de la Renaissance gasconne et la première œuvre de la littérature occitane moderne ».

Puis, en 1567, il édite, toujours chez Jacques Colomès, les Poesias gasconas [poésies gasconnes], dédiées à Henri de Navarre (1567). Elles sont composées de quatre parties : Vers eroics (vers héroïques), Eglogas (églogues), Epistolas (épitres), Cant nobiau (chant nuptial). 

Lire en ligne sur Gallica.

Les églogues

Egloga 3 (extrait) de Pey de Garros
Egloga 3 (extrait)

Ces huit églogues, absolument magnifiques, témoignent des malheurs de l’époque, des guerres de religion. Elles rappellent celles de Virgile qui racontaient les guerres civiles de la république romaine.

Pey de Garros met en scène des personnages comme, par exemple, dans la troisième églogue, Menga [celle qui domine] dans laquelle on reconnait la reine de Navarre, Ranquina [celle qui boite] qui représente la ville de Lectoure, Vidau [celui qui a le pouvoir sur la vie] donc Charles IX, et Mairasta [la marâtre] c’est-à-dire Catherine de Médicis.

Ranquina – Lectoure – est la belle endormie agressée par la France et qui rêve d’un temps plus doux.  Menga vient la réveiller :

E sur aqui deixidá m’és venguda.
Que plassia a Diu peu ben deu monde trist,
Que sia vertat çó que domín jo e vist.

Et là-dessus tu es venue me réveiller. / Plaise à Dieu, pour le bien du triste monde, / que ce que j’ai vu en dormant soit la vérité.

Lo cant nobiau, dernier poème

Dans ce poème, Pey de Garros décrit un mariage gascon. C’est, à l’époque, très novateur. Mais ce qui est extraordinaire c’est qu’il ressemble à s’y méprendre au mariage gascon décrit par Jean-François Bladé trois siècles plus tard !

Tout d’abord il invite les dauzeras peu dauradas [donzelles aux cheveux d’or] à aller cueillir la jonchée pour revenir en chantant accueillir l’épousée :

Sus! Anatz , hilhas de Laytora,
La nobia qui ven arculhí,
Tornatz, gojatas, de bon’ora,
Qui la juncada vatz cullí;

Sus ! Allez filles de Lectoure, / Accueillir l’épousée qui vient, / Revenez, filles, de bonne heure, / Qui allez cueillir la jonchée ;

Puis, le poète demande aux donzels d’aller au bois rejoindre les donzelles.

Corretz desbrancá la ramada
Gentius compaños boscasses,
Au torná peu long de la prada
Sautatz, gaujos, e solasses.

Courez ébrancher la ramée / Gentils compagnons bocagers, / Au retour le long de la prée / Sautez joyeux et folâtres.

Au troisième, au moment où la nobia entre dans le bois, on invite les musiciens à saluer le cortège.

Comensatz de galanta aubada
Las amyänsas saludá

Commencez d’une aimable aubade / à saluer les épousailles

Enfin, le nobi est sorti de sa maison et accueille sa nobia. L’arculhensa [accueil] se fait entouré de monde et avec les compliments du poète.

L’espos dam sa longa seguensa
En miles plazes convertit
Per ha la sperada arculhensa
Magniphicament es sortit.

L’époux avec sa longue suite
Incité à mille plaisirs
Pour faire l’accueil espéré
Est sorti magnifiquement.

Pey de Garros et la postérité

En 1572, Blaise de Monluc occupe la ville de Lectoure et Pey de Garros part s’installer à Pau comme avocat de la cour souveraine du Béarn. Il meurt à Pau entre 1581 et 1583.

Léonce Couture (1832-1902) redécouvre Pey de Garros
Léonce Couture (1832-1902) redécouvre Pey de Garros

Il sera redécouvert au XIXe siècle, grâce à Léonce Couture (1832-1902). Aujourd’hui, sa renommée est suffisante pour que des exemplaires soient gardés dans plusieurs villes du monde : le premier à Aix-en-Provence, Paris, Vienne, Genève, Chicago et le deuxième à Albi, Toulouse, Versailles, Paris, Londres.

Pourtant, dans sa ville, seule une petite rue piétonne porte son nom. Et une fontaine, qu’il partage avec son frère Jean.

O praube liatge abusat,
Digne d’èste depaïsat,
Qui lèishas per ingratitud
La lenga de la noiritud,
Per, quan tot seré plan condat,
Aprene un lengatge hardat…

(Ô pauvre génération abusée / Digne d’être chassée du pays, / Qui laisses par ingratitude / la langue de ta nourrice / Pour apprendre, tout compte fait, un langage fardé…)

Références

« Est-ce pas ainsi que je parle ?” : la langue à l’œuvre chez Pey de Garros et Montaigne, Gilles Guilhem Couffignal, 2016
Entre Gascogne et France : l’idéologie de Pey de Garros dans les Poesias gasconas de 1567 et l’ethnotypisme linguistique du Faeneste, Jean-Yves Casanova, 1995
Pey de Garros, poète lectourois, chantre de la langue gasconne, Alinéas, 2021
Pey de Garros, Actes du colloque de Lectoure, 1981
Psaumes de David viratz en rhytme gascon, Pey de Garros, 1565




Quand le gascon faillit devenir langue officielle

Le gascon est la langue du peuple. La Révolution de 1789, après bien des hésitations, décide d’imposer le français et de combattre les langues régionales. L’abbé Grégoire est le principal instigateur de cette lutte.

L’usage des langues régionales pendant la Révolution

Lous drets de l'ome traduits par Pierre Bernadau 1790)
Lous drets de l’ome traduits par Pierre Bernadau 1790)

Le 14 janvier 1790, l’Assemblée Nationale décide de faire traduire les lois et les décrets dans les différents « idiomes » parlés de France. Le but est de rendre partout compréhensibles les lois et les décrets de l’Assemblée car la majorité des citoyens ne parle pas français.

Le député Pierre Dithurbide, natif d’Ustaritz, se propose de réaliser les traductions en basque. Le Député Dugas, de Cordes dans le Tarn, rédacteur du journal Le Point du Jour, crée une entreprise de traductions pour les 30 départements du sud. Le 6 octobre 1791, Dugas présente 24 volumes, dont 9 pour les Hautes-Pyrénées, 7 pour les Basses-Pyrénées, 1 pour les Landes et 1 pour la Haute-Garonne. Il a des difficultés à se faire payer ce travail.

La traduction est mauvaise et les Hautes-Pyrénées font faire la leur.

Pierre Bernadau (1762-1852), avocat bordelais, traduit la Déclaration des Droits de l’Homme en gascon, ainsi que les décrets municipaux.

Les écrits en langues régionales se multiplient. À Toulouse, on publie Home Franc, « journal tot noubel en patois fait esprès per Toulouse » et destiné « a las brabos gens de mestiè ».

Une littérature occitane populaire de pamphlets et de chansons se développe. Le 2 nivôse an II, les jeunes de Mimbaste dans les Landes chantent sur l’air de la Marseillaise, un hymne en gascon dont les quatre couplets sont recopiés sur le registre des délibérations.

Cette politique de traductions prend fin en 1794, après la lecture du rapport de l’abbé Grégoire (1750-1831) : Rapport du Comité d’Instruction publique sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française.

Qui est l’abbé Grégoire ?

L'Abbé Grégoire
L’abbé Grégoire

Henri Grégoire (1750-1831) nait à Vého, près de Lunéville (actuel département de Meurthe et Moselle). Ordonné prêtre en 1775, l’abbé Grégoire parle l’anglais, l’italien, l’espagnol, l’allemand et publie une Eloge de la poésie à l’âge de 23 ans.

En 1787, avec un de ses confrères, il fonde un syndicat de prêtres pour obtenir de meilleurs revenus au détriment des évêques et des chanoines.

Elu député du clergé aux Etats Généraux de 1789, l’abbé Grégoire réclame l’abolition totale des privilèges, l’abolition du droit d’ainesse, l’instauration du suffrage universel masculin et contribue à rédiger la Constitution civile du clergé.

L’abbé Grégoire plaide la cause des juifs (reconnaissance de leurs droits civiques en 1791) et des noirs (première abolition de l’esclavage en 1794). Grégoire est élu évêque constitutionnel à Blois. Il s’oppose à la destruction des monuments publics et créé le terme de Vandalisme. Il dit : « Je créai le mot pour tuer la chose ».

Membre actif du Comité de l’Instruction publique, il réorganise l’instruction publique. C’est dans ce cadre qu’il entreprend une enquête sur les patois pour favoriser l’usage du français.

L’enquête de l’abbé Grégoire

Le 13 août 1790, l’abbé Grégoire lance une enquête relative « aux patois et aux mœurs des gens de la campagne ». Elle comprend 43 questions. Quelques exemples :

Q1. L’usage de la langue française est-il universel dans votre contrée. Y parle-t-on un ou plusieurs patois ?
Q6. En quoi s’éloigne-t-il le plus de l’idiome national ? N’est-ce pas spécialement pour les noms des plantes, des maladies, les termes des arts et métiers, des instruments aratoires, des diverses espèces de grains, du commerce et du droit coutumier ? On désirerait avoir cette nomenclature.
Q10. A-t-il beaucoup de termes contraires à la pudeur ? Ce que l’on doit en inférer relativement à la pureté ou à la corruption des mœurs ?
Q16. Ce patois varie-t-il beaucoup de village à village ?
Q18. Quelle est l’étendue territoriale où il est usité ?
Q21. A-t-on des grammaires et des dictionnaires de ce dialecte ?
Q23. Avez-vous des ouvrages en patois imprimés ou manuscrits, anciens ou modernes, comme droit coutumier, actes publics, chroniques, prières, sermons, livres ascétiques, cantiques, chansons, almanachs, poésie, traductions, etc. ?
Q29. Quelle serait l’importance religieuse et politique de détruire entièrement ce patois ?
Q30. Quels en seraient les moyens ?
Q41. Quels effets moraux produit chez eux la révolution actuelle ?

À la lecture des questions, on comprend très vite où il veut en venir !

Entre 1790 et 1792, l’abbé Grégoire ne reçoit que 49 réponses à son questionnaire, dont 11 proviennent des départements du sud-Ouest : Périgueux, Bordeaux, Mont de Marsan, Auch, Agen, Toulouse et Bayonne.

Les débats sur la question linguistique

Carte sur la traduction des lois en langues régionales (1792)
Carte sur la traduction des lois en langues régionales (1792)

La question linguistique anime les débats. L’impossibilité de se faire entendre par tous milite pour l’unification de la langue.

Un envoyé à Ustaritz, constate que « le fanatisme domine ; peu de personnes savent parler français ; les prêtres basques et autres mauvais citoyens ont interprété à ces infortunés habitants les décrets comme ils ont eu intérêt ». Dans les armées, des bataillons doivent être séparés car ils « n’entendaient pas le langage l’un de l’autre ».

Le 18 décembre 1791, Antoine Gautier-Sauzin de Montauban envoie une lettre au Comité d’Instruction publique de l’Assemblée nationale dans laquelle il propose un projet de fédéralisme.

« J’observe que le français est à peu de nuances près, la langue vulgaire de la majeure partie du royaume, tandis que nos paysans méridionaux ont leur idiome naturel et particulier ; hors duquel ils n’entendent plus rien […] Je crois que le seul moyen qui nous reste est de les instruire exclusivement dans leur langue maternelle. Oh que l’on ne croie pas que ces divers idiomes méridionaux ne sont que de purs jargons : ce sont de vraies langues, tout aussi anciennes que la plupart de nos langues modernes ; tout aussi riches, tout aussi abondantes en expressions nobles et hardies, en tropes, en métaphores, qu’aucune des langues de l’Europe ».

Antoine Gautier-Sauzin propose d’imprimer des alphabets purement gascons, languedociens, provençaux, … « dans lesquels on assignerait à chaque lettre sa force et sa couleur ». Il propose, par exemple, de supprimer le V qui se confond avec le B en gascon.

Il écrit : « Pour exprimer en gascon le mot « Dieu », que Goudouli écrit « Dius », j’écrirais « Dïous », les deux points sur l’i servant à indiquer qu’il faut trainer et doubler en quelque sorte cette voyelle ».

Bertrand Barrère
Bertrand Barrère

Bertrand Barrère impose la fin de tout usage des langues régionales dans le cadre officiel : « D’ailleurs, combien de dépenses n’avons-nous pas faites pour la traduction des lois des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes parlés en France ! Comme si c’était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires ! ».

L’abbé Grégoire présente son rapport devant la Convention

Rapport de l'Abbé Grégoire - Page 1
Rapport de l’Abbé Grégoire – Page 1

Le 16 Prairial an II, l’abbé Grégoire présente son rapport Sur la nécessité et les moyens d’anéantir le patois, et d’universaliser l’usage de la langue française. Texte complet disponible ici.

Extraits :

« On peut uniformer le langage d’une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent, puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale, & qui doit être jaloux de consacrer au plutôt, dans une République une & indivisible, l’usage unique & invariable de la langue de la liberté ».

« Cette disparité de dialectes a souvent contrarié les opérations de vos commissaires dans les départemens. Ceux qui se trouvoient aux Pyrénées-Orientales en octobre 1792 vous écrivoient que, chez les Basques, peuple doux & brave, un grand nombre étoit accessible au fanatisme, parce que l’idiôme est un obstacle à la propagation des lumières. La même chose est arrivée dans d’autres départemens, où des scélérats fondoient sur l’ignorance de notre langue, le succès de leurs machinations contre-révolutionnaires ».

« Quelques locutions bâtardes, quelques idiotismes prolongeront encore leur existence dans le canton où ils étoient connus. Malgré les efforts de Desgrouais, les gasconismes corrigés sont encore à corriger. [….] Vers Bordeaux on défrichera des landes, vers Nîmes des garrigues ; mais enfin les vraies dénominations prévaudront même parmi les ci-devant Basques & Bretons, à qui le gouvernement aura prodigué ses moyens : & sans pouvoir assigner l’époque fixe à laquelle ces idiômes auront entièrement disparu, on peut augurer qu’elle est prochaine ».

« Les accens feront une plus longue résistance, & probablement les peuples voisins des Pyrénées changeront encore pendant quelque temps les e muets en é fermés, le b en v, les f en h ».

C’est la fin de l’usage officiel des langues régionales. Il a duré quatre ans et commence alors la « chasse aux patois ».

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Histoire de la langue française, des origines à 1900 ; 9, 1-2. La Révolution et l’Empire, par Ferdinand Brunot,1927-1937
La République en ses provinces : la traduction des lois, histoire d’un échec révolutionnaire (1790-1792 et au-delà) par Anne Simonin
Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française, Grégoire, 1794
La République condamne les idiomes dangereux, Anne-Pierre Darrées, 2021
Mélenchon comprendrait-il Montesquieu ?, Anne-Pierre Darrées, 2018




Paulette Sarradet poétesse

Paulette Sarradet, c’est une femme discrète et une poétesse reconnue. Elle passe la plus grande partie de sa vie dans le Comminges.

Paulette Sarradet

Paulette Sarradet s'installe à Soueich (Haute-Garonne)
Soueich (Haute-Garonne) et le Ger

Paulette Lasserre nait à Toulouse le 2 février 1922 ; elle y passe son enfance. Puis, à 13 ans, elle quitte la grande ville pour rejoindre, à 90 km de là, le village de Soueich. Ce petit village commingeois se trouve à 8 km de Saint-Gaudens en allant vers Aspet, dans une plaine où coule le Ger.

Saint-Gaudens - Collégiale et Place Jean-Jaurès
Saint-Gaudens – Collégiale et Place Jean-Jaurès

 

La jeune femme se marie avec un Saint-Gaudinois et devient Paulette Sarradet. Puis, en 1958 (elle a 36 ans), elle s’installe à Saint-Gaudens.

Tout d’abord, Paulette Sarradet possède un commerce ambulant. Toutefois, elle va rapidement créer une boutique qui sera réputée pour la qualité de ses tissus, La Maison du Blanc. De plus, ce magasin est très bien placé, place Jean Jaurès, pratiquement en face de la collégiale, à l’entrée de la rue commerçante Victor Hugo. Mais la tenancière ne fait pas que vendre du linge de maison…

Le sens de l’art et de la poésie

Magda Peyrefiffe - La Pierre au rond de sorcière
Magda Peyrefitte – La Pierre au rond de sorcière

 

Paulette Sarradet a la poésie dans le sang. Alors, à Saint-Gaudens, Paulette se lie avec les écrivains et poètes locaux. Il s’agit de Magda Peyrefitte qui publia en 1983 aux éditions l’Adret, La pierre au rond de sorcière, roman qui raconte Jean le crestaire (castreur), un homme rude et doux ainsi que sa mère, Baptistine la folle.

Vignaux
René-Marcel  Vignaux

 

 

 

 

Et elle se lie aussi avec René-Marcel Vignaux, un poète plusieurs fois primé dans toute la France, dont on peut lire son dernier recueil, Quelques signes sur le chemin.

Au début des années soixante, avec ses deux amis, elle crée le Club d’art et poésie en Comminges. Un club très actif qui créera de nombreuses manifestations.

Paulette Sarradet et l’accueil des autres

En 1965, Armand de Bertrand-Pibrac, alors maire de Saint-Gaudens, commande un monument dédié  » À Tous Les Français Reposant En Terre d’Algérie Et Dans Les Territoires d’Outre-Mer « . C’est Paul Pascuito, né à Alger et vivant à Saint-Gaudens, qui le réalisera, en marbre de Saint-Béat. L’œuvre de 4 m de haut est situé au centre du Cimetière Vieux ; elle représente une femme, ange de paix et d’éternité.

Lors de l’inauguration, Paulette Sarradet lit un poème qu’elle a écrit pour cette occasion, dont voici la dernière strophe.

L’hirondelle à vos morts portera le message
De votre amour pour eux et de notre amitié,
Rien n’est plus beau, plus grand, que l’immense partage
Que nous voulons ce jour avec l’éternité.

Le temps de la reconnaissance

La poétesse Paulette Sarradet recevra deux prix nationaux prestigieux de poésie. Tout d’abord, en 1975, la ville de Clermont-Ferrand lui remet le prix Amélie Murat pour Equinoxes. Puis, en 1982, Paulette Sarradet reçoit le prix Émile-Hinzelin de l’Académie française pour Les amants solaires.

René Nelli amis de Paulette Sarradet
René Nelli

Cependant, Paulette entretient des relations suivies avec des poètes de France et d’Espagne, dont René Nelli (1906-1982) et son épouse Suzanne Ramon (1918-2007). Ils échangent de nombreuses lettres et livres. Une relation qui souligne son ancrage culturel, René Nelli étant un spécialiste de l’histoire cathare et de la poésie des troubadours.

Finalement, elle meurt à l’hôpital de Saint-Gaudens le 7 février 2015. Elle avait 93 ans mais elle aimait à rappeler que les poètes n’ont pas d’âge.

Depuis une dizaine d’années, le journal de Soueich organise, pendant la semaine des arts (au mois de mai), un concours annuel d’écriture, et la mairie décerne le prix Paulette Sarradet.

Poète qui es-tu ? ce que je suis

Tesmoingt - Illustration pour Equinoxes
Michel Tesmoingt (1928-2011) – Illustration pour Equinoxes

Extrait du recueil Equinoxes, Paulette Sarradet, 1974

Je suis un long poème inachevé,
débordant de lumière et d’ombre,
gonflé de vent et de tempête
mais aussi d’accalmie secrète…

J’avance dans les matins d’aurore
nébuleuse sur les étangs
où s’engloutissent mes amours…
L’or de la bruyère s’étale
pour mes longues nuits d’insomnies…
Je cueille des aubes et je drape des nuits,
avec la biche, je bois à la source,
je suis le follet de la Saint jean,
je suis le bois qui pleure en l’âtre
l’immense forêt qui se tord
en ses voûtes cathédrales,
dans l’orgue de ses branches
où je crie l’amour des hommes.
Je suis un long poème inachevé

Je suis la fille en mal d’amour
et le garçon en mal d’ivresse,
je suis le rêve et la caresse,
je suis les âmes tourmentées

Je suis la douce-amère
aux lèvres de la vie,
les braises et les cendres,
la plénitude et l’éblouissement,
je suis le friselis du vent
Le serpentaire sur sa proie,
Je suis la Citharède
aux accords prometteurs,
le jaspe vert et le carbone pur,
l’étoile et l’infini
L’amour I la mort ! la VIE!
Je suis beaucoup et ne suis RIEN

Je ne suis que ce sable fin
que la mer roule sur la grève
Qu’irréelle et infinie poussière,
je ne suis rien, rien qu’un mortel
QUE DIEU VOULUT NAITRE POETE,

C’est pour cela que je ne suis
Qu’un long poème inachevé…

Quelques uns des livres de Paulette Sarradet

Paulette Sarradet - Equinoxes
Paulette Sarradet – Equinoxes

Dans le jardin des rimes, 1964
Equinoxes
, 1974
Un langage au-delà des mots
, 1978
Terres d’Occitanie, 1978
Les amants solaires, 1981
Priorité au temps qui passe, poèmes, Paulette Sarradet, Guilde des lettres, 1991
Les sanglots de Toulouse, poèmesPaulette Sarradet, Gerbert, 1999
D’un crépuscule à l’aurore, de l’an 2000, Paulette Sarradet, Gerbert, 2000

Certains sont illustrés comme Les sanglots de Toulouse illustré par Jacques Fauché (1966-1992), peintre et professeur à l’École des Beaux-Arts de Toulouse. Ou encore Equinoxes qui fut illustré par le peintre normand, Michel Tesmoingt (1928-2011).

Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle

Références

Equinoxes, Paulette Sarradet, 1974
Dans le jardin des rimes, Paulette Sarradet, 1964
Paul Pascuito, un enfant de Douera,
Saint-Gaudens. Paulette Sarradet, la poétesse occitane s’en est allée, La Dépêche, 09/02/2015




La vraie histoire de Pyrène

La princesse Pyrène, fille du roi Bébryx, aurait séduit Hercule, le grand héros grec. Cette légende transmise jusqu’à nous fait aussi partie du patrimoine de la Gascogne.  Qu’en savons-nous ?

Hercule rencontre Pyrène

Silius Italicus nous parle de Pyrène et d'Hercules
Silius Italicus

En revenant de son dixième travail, Hercule rencontre la princesse Pyrène. C’est ce que nous dit en 83 Silius Italicus, dans le troisième chant des Punica, ou guerre punique. Dans ce chant, l’armée punique revenant de Sagonte, province de Valence, traverse les Pyrénées le long des côtes de la Méditerranée. Et là, au milieu du récit des évènements historiques, le poète propose un intermède. François Ripoll, professeur à l’université de Toulouse, nous le rapporte dans son article Les origines mythiques des Pyrénées dans l’Antiquité gréco-latine :

« se rendant au pays de Géryon, Hercule séjourne chez le roi pyrénéen Bébryx et, sous l’emprise de la boisson, viole Pyréné, la fille de son hôte. Celle-ci met alors au monde un serpent et, craignant la colère de son père, s’enfuit dans les montagnes où des bêtes sauvages la mettent en pièces. À son retour Hercule, désespéré, se lamente, crie le nom de Pyréné aux montagnes qui le conserveront pour l’éternité, et lui donne une sépulture. »

Un mythe plus ancien

Pline l'Ancien (portrait imaginaire)
Pline l’Ancien

L’histoire ne semble pas inventée par Silius Italicus. En effet, avant lui, Pline l’ancien (23-79) note : At quae de Hercule ac Pyrene… traduntur, fabulosa in primis arbitror [Ce que j’entends sur Hercule et Pyrène… est fabuleux à première vue].

De quand date le mythe original et quel est-il ? Car les transmissions étaient orales. Ainsi, les écrits, quand ils arrivent jusqu’à nous, ne suffisent pas pour en décider. D’ailleurs, différents chercheurs font remonter la légende d’Hercule et Pyrène jusqu’à Hérodore d’Héraclée (VIe siècle avant Jésus-Christ).

Les Grecs s’installent à Pyréné

Revenons à l’histoire. Les Grecs ont colonisé les pourtours de la Méditerranée occidentale au VIe siècle av. J.-C., dont Marseille. Plus particulièrement, des textes mentionnent une cité vers les Pyrénées, comme en témoigne celui de Rufus Festus Avienus (IVe siècle) : En bordure des terres des Sordes était autrefois, dit-on, l’opulente cité de Pyréné.

On n’a pas retrouvé la trace de cette cité grecque et plusieurs hypothèses ont été émises : Port Vendres par exemple. L’archéologue Ingrid Dunyach conclut : Aujourd’hui, on peut affirmer que Collioure est bien le port antique de Pyréné.

Donc on peut penser qu’en même temps que la colonisation grecque, des légendes se sont construites, en particulier, des rencontres d’Hercule le Grec avec des représentants des peuples locaux.  Ici, il s’agit de la rencontre de Pyrène lors de son retour depuis là où le soleil se couche.

Collioure port antique de Pyréné.
Collioure site du port antique de Pyréné ?

L’évolution du mythe de Pyrène

La pierre d'Oô, Musée des Augustins, Toulouse
La pierre d’Oô, Musée des Augustins, Toulouse

Transmettre une légende de générations en générations sur des siècles et des millénaires ? On comprend qu’elle se soit déformée. François Ripoll reconstitue le début de son histoire.

Ainsi, il voit tout d’abord : une première élaboration du mythe par les colons grecs entre le VIe et le Ve s. [av. J.-C.], mettant en avant la sauvagerie des Pyrénées à travers un récit partiellement emprunté au mythe d’Echidna [femme serpent] et confrontant le héros civilisateur Hercule à un serpent né d’une femme indigène (peut-être en partie serpentiforme elle aussi).

Puis, la légende évolue en introduisant une union entre Hercule et Pyrène. Puis on arriverait à la version de Silius Italicus. Cette dernière version contenant l’ajout de traits pathétiques et sentimentaux à la manière d’Ovide et un effort d’adaptation à la trame historique des Punica. Bref, le récit du viol, d’un serpent né de Pyrène ou sa fuite dans le montagnes seraient une version modifiée.

Pyrène et Hercule revus par les Gascons

André Valladier – Labyrinthe royal de l’Hercule gaulois triomphant. 

Bien plus tard, la légende court encore. Jean-Géraud Dastros (1594-1648), originaire de Lomagne, donne à Hercule et Pyrène un fils qui devient l’ancêtre mythique des Gascons.

Bien sûr, un aussi grand représentant des Gascons comme Henri III de Navarre, devenu Henri IV de France, fait songer à Hercule ! Ainsi, l’abbé André Valladier (1565-1638) raconte la visite du roi à Avignon dans son livre Labyrinthe royal de l’Hercule gaulois triomphant. 

 

 

 

Ader - Le Gentilhomme gascon
Ader – Le Gentilhomme gascon

Le poète gascon Guillaume Ader (1567-1628) fait de même dans Lou Gentilome gascoun :

Com en guèrra e combats òm coneish lo Gascon
Un perigle de guèrra e lo Mars d’aquest món,
Hilh d’aqueth Ercules que de braç e man hòrta,
Ende bàter un lion non demandèc escòrta;
Que n’augoc jamès páur, non hoc jamès vençut:
Aqueth l’a, com vos dic, per hilh reconegut,
Eretèr nomentat de tota la montanha
A hiu, còrda e ciment de la tèrra d’Espanha.

À la guerre, aux combats on connait le Gascon
Un foudre de guerre et le dieu Mars de ce monde,
Fils du héros Hercule aux bras et aux mains fortes,
Qui pour battre un lion ne manda pas d’escorte ;
Lui qui n’eut jamais peur, ne fut jamais vaincu :
Celui-là, vous dis-je, l’a pour fils reconnu,
Héritier désigné de toute la montagne
À fil, corde et ciment de la terre d’Espagne.

La légende d’Hercule et Pyrène aujourd’hui

Pyrène (Ercules l'iniciat - dessin de Margot Raillé)
Pyrène et Hercule (Ercules l’iniciat – dessin de Margot Raillé)

Au cours du temps, l’histoire de Pyrène est devenue plus romantique. Dans son livre livre Ercules l’iniciat / Hercule l’initié, Anne-Pierre Darrées propose une version actuelle qui conserve les enseignements grecs.

Très loin, là où le soleil se couche vivait Géryon, géant à trois têtes, entouré de mille bœufs. Hercule est chargé de ramener les bêtes pour les offrir à la déesse Junon. C’est son dixième travail. Après avoir réussi, il rentre à Mycènes et passe par l’Ibérie, la Narbonnaise et l’Italie en suivant un chemin proche de la Méditerranée. En particulier, après avoir traversé Emporion, Hercule rencontra Pyrène

Ercules que demorè tot l’estiu dab la gojata en tot minjar ahragas e avajons, en tot se banhar dens las nèstas. Puish, un jorn, las aucas que traversèn lo cèu e Ercules que’s
brembè de la sua mission. Que partí autanlèu sense aténder Pirena…

Hercule resta tout l’été avec la jeune fille, mangeant des fraises et des myrtilles, se baignant dans les nestes. Puis, un jour, les oies traversèrent le ciel et Hercule se souvint de sa mission. Il partit aussitôt, sans attendre Pyrène…

Les symboles dans les travaux d’Hercule

Hercules combat le monstre Géryon pour lui voler ses boeufs
Hercules combat le monstre Geryon pour lui voler ses boeufs

Les mythes ne sont pas gratuits. Et les travaux d’Hercule ne sont pas les exploits d’un surhomme. Chacun représente un enseignement à suivre pour devenir un homme. C’est ce que nous rappelle l’autrice. Par exemple, le bœuf est l’animal du sacrifice, l’intermédiaire entre l’homme et le dieu. Cette initiation élève la conscience d’Hercule à celle d’un prophète ou d’un prêtre.

Et c’est porteur de cette conscience qu’Hercule va rencontrer des peuples, créer des cités, vaincre des monstres… lors de son voyage de retour.

De son côté, Pyrène est libre et sauvage, d’une sauvagerie associée aux montagnes. D’ailleurs, François Ripoll émet deux hypothèses.  Pyrène pourrait être, à l’origine, soit une déesse des montagnes, soit une déesse des passages.

Ainsi, la légende raconte la rencontre de deux peuples, de deux civilisations qui se passe le mieux du monde.

Références

Les origines mythiques des Pyrénées dans l’Antiquité gréco-latine, Pallas, François Ripoll, 2009, p. 337-355
Pyrénées-Orientales : le port antique de Pyréné était-il à Port-Vendres ou Collioure ?  L’Indépendant, 16/10/2021, Arnaud Andreu
Vendres ou Collioure, Le télégramme Paris, 16 octobre 2021
Etymologie des Pyrénées
Labyrinthe royal de l’Hercule gaulois triomphant, André Valladier, 1601
Lou Gentilome gascoun, Guillaume Ader, 1610
Ercules l’inciat / Hercule l’initié, Anne-Pierre Darrées, Edicions Reclams, 2021, livre bilingue (français, occitan)




François Caneto, Gascon, prêtre et historien

François Caneto est un prêtre et un archéologue spécialiste de la Gascogne paléochrétienne. Il est surtout un immense érudit et son influence est considérable au XIXe siècle.

François Caneto et sa mère

François Caneto
François Caneto

 

François Caneto nait le 17 février 1805 à Marciac dans le Gers. Sa mère, Marie Caneto, n’est pas mariée et l’enfant n’aura pas de père.  Marie travaille chez le juge Bernard Joseph Abeilhé.

Toute sa vie, François Caneto montrera un attachement à sa ville et une affection dévouée à sa mère. D’ailleurs, à sa mort, afin de consacrer sa mémoire, il se fera représenter dans une des verrières de l’église de Marciac, en habits sacerdotaux, et agenouillé sur la tombe maternelle. Il faut dire qu’il fit plusieurs dons (verrière, chaire) à cette église.

"Acte

Les études

 

L'Abbé Caneto offrant un vitrail pour l'église de MarciacLe petit François montre un gout prononcé pour les études et pour les monuments religieux. Il est vif, intelligent et a du caractère. Aussi M. Abeilhé s’occupera de son éducation. Il l’envoie à Auch, chez des parentes, Mesdemoiselles de Castéran, nièces de l’abbé de Castéran, d’abord à l’école primaire puis au collège qui est alors géré par les Jésuites.

Mais le jeune homme est attiré par l’Église et entre au grand séminaire. Son protecteur n’est autre que l’abbé Abeilhé qui allait rapidement en devenir le directeur. Aucune matière ne résiste à cet esprit curieux.  François est brillant en philosophie ou en théologie et encore plus en sciences. D’ailleurs ses contemporains notent son attitude pénétrée, sa capacité de décision, sa rigueur logique et ses aptitudes pour la recherche.

 

François Caneto l’enseignant

Léonce Couture
Léonce Couture

Le 4 avril 1829, il est ordonné prêtre. Il débute sa carrière comme professeur de philosophie au petit séminaire, puis, en 1833, quelques années plus tard, professeur de physique au grand séminaire.

Il se révéla un professeur hors pair dans cette discipline. Le grand Léonce Couture (1832-1902) raconte : « M. Canéto, déjà supérieur du Petit Séminaire, trouva bon d’employer quelques séances à exposer les éléments de la cosmographie à une salle d’étude entière, de quatre-vingts élèves environ, appartenant à presque toutes les classes et dépourvus de toute préparation. C’était merveille devoir tous ces ignorants boire cette parole précise, claire et vive. On était vraiment sous le charme : l’intérêt des questions saisissait l’auditoire jusqu’aux moelles, et tout le monde comprenait ! Je déclare n’avoir jamais plus été à pareille fête ».

D’ailleurs, le 4  février 1853, il recevra le titre d’Officier de l’Instruction Publique.

François Caneto le supérieur

En 1838, le cardinal lui signifie sa nomination comme supérieur du petit séminaire. Craignant son refus, il précise : « Nous ne vous ferons point observer que vos nouvelles fonctions ne seront nullement incompatibles avec, l’étude des sciences que vous aimez. »

L’abbé Caneto modifiera l’institution révisant l’organisation, la discipline, la distribution du travail, l’enseignement… La réputation du séminaire en sera grandie. En particulier, les élèves du séminaire se révèleront souvent des universitaires talentueux.

Cependant, Léonce Couture commente : Il animait de son esprit, il formait par ses avis et plus encore par ses exemples, il soutenait de son autorité tous nos surveillants […] On était habitué à le voir circuler dans les récréations et survenir, sans avis préalable, dans les classes et surtout, dans les salles d’étude. Quant aux dortoirs, ils étaient, ce semble, son domaine spécial, où son ombre au moins passait et repassait sans cesse dans le demi-jour des veilleuses.

Il faut dire que l’homme ne dormait que 4 ou 5 h par nuit. Sa fermeté l’avait fait surnommé par les étudiants le petit caporal. Bref il inspirait admiration, crainte et même terreur. Il tiendra ce rôle pendant vingt ans.

Caneto l’archéologue

molaire de dinothérium
Molaire de dinothérium

Le 23 janvier 1837, le supérieur du Grand Séminaire d’Auch, M. Abeilhé, forme une vaste collection scientifique d’ossements fossiles, de coquillages marins et autres fossiles,  de médailles et monnaies anciennes ; en général tout ce qui a rapport à la géologie et à l’archéologie. Une collection qui intéresse le jeune professeur Caneto.

Un jour,  le curé de Labastide-d’Armagnac envoie pour le cours d’histoire naturelle du petit séminaire, un fossile qui est en fait une molaire de dinothérium (un ancien cousin de l’éléphant). Caneto rédige un rapport pour le présenter au monde savant. C’est le début de la notoriété.

Sous son impulsion, l’activité scientifique des deux séminaires redouble.

Production

Sainte-Marie d'Auch - Dessin tiré de la Monographie de Sainte-Marie d'Auch par l'Abbé Caneto (1850)
Sainte-Marie d’Auch – Dessin tiré de la Monographie de Sainte-Marie d’Auch par l’Abbé Caneto (1850)

 

L’abbé va écrire une quarantaine d’ouvrages sur des monuments ou des personnes. En particulier, il en écrira plusieurs sur la cathédrale Sainte-Marie d’Auch. Il écrit aussi sur l’archéologie comme Les deux couteaux de silex trouvés dans le département du Gers en 1865 et 1868 ou Questions d’archéologie pratique ou étude comparée de quelques monuments religieux du diocèse d’Auch… Ses écrits sont précis, détaillés.

Sa réputation s’élargit. Il entre à la Société Géologique de France dès 1837, puis à la Société d’Archéologie Nationale. Et ça s’accélère. Entre 1848 et 1852, il devient correspondant de l’Instruction Publique pour les Travaux Historiques, de l’Académie Nationale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, de la Société des Antiquaires de Picardie, de la Société d’Émulation de Bayonne, de la Société Archéologique du Midi, etc.

Il rejoint le Conseil départemental des bâtiments publics auprès de la Préfecture du Gers, devient membre de la Commission de topographie des Gaules (créée en 1858 par Napoléon III). Puis, en 1875, il est nommé correspondant du Comité des travaux historiques et scientifiques qui est un institut rattaché à l’École nationale des Chartes.

François Caneto et la revue de Gascogne

L'Eglise de l'Assomption de Marciac
L’Eglise de l’Assomption de Marciac

Entre-temps, en 1857, il est nommé Grand Vicaire. Il s’intéressera particulièrement à la construction et à l’entretien des églises du diocèse.  En particulier, il suivra de près les travaux de Notre-Dame-de-l’Assomption, à Marciac.

Parallèlement, il se lie d’amitié avec l’archevêque d’Auch, Antoine de SALINIS (1798-1861).

Antoine de Salinis
Antoine de Salinis

 

Deux ans plus tard, ce dernier crée une société savante, le Comité d’histoire et d’archéologie de la province ecclésiastique d’Auch, qui deviendra la Société historique de Gascogne en 1869. En fait, Caneto en est le président effectif et le premier directeur de la Revue de Gascogne. Il le restera jusqu’à sa mort le 14 août 1884, qui le surprend à Auch dans sa quatre-vingtième année.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Revue de Gascogne, M. l’abbé F. Caneto, Léonce Couture, 1884
blogmarciac
Le Gers – Dictionnaire biographique de l’Antiquité à nos jours, Société Archéologique et Historique du Gers, 2007
Bibliographie de François Caneto
Différents ouvrages disponibles à la bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus.




La veillée de Noël et les contes

Hier, lors de la veillée de Noël, on chantait la naissance de Jésus ; aujourd’hui, la fête est tournée vers les enfants. Pourtant, des textes d’il y a cent ans relatent des veillées plus proches de ce que vivaient les familles au quotidien.

Les premiers noëls

Noël vient des mots latins dies natalis, autrement dit jour de naissance. Et ce serait au IVe siècle qu’on a commencé à célébrer ce jour.  Une célébration modeste qui n’a rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui.

Bien plus tard, les noëls, c’est-à-dire les chants autour de la nativité, vont faire leur apparition. Nous sommes au Moyen-âge. Ce sont surtout des chants populaires – et non liturgiques – et même des chants dansés. Et on les interprète souvent lors de la veillée.

Henri Suso (1296-1366) auteur de chants de noël
Henri Suso (1296-1366) auteur du In dulci jubilo

Certains de ces chants sont écrits par des hommes d’Église comme le célèbre in dulci jubilo du mystique allemand Henri Suso (1296-1366).

In dulci jubilo,
Nun singet und seid froh!
Unsers Herzens Wonne
Leit in praesepio;
Und leuchtet wie die Sonne
Matris in gremio.
Alpha es et O!

Dans une douce jubilation, / Chantez maintenant et soyez joyeux! / La joie de notre cœur / Repose dans la crèche; / Et [elle] luit comme le soleil / Dans le sein de la mère. / Tu es l’alpha et l’Omega!

      1. In dulci jubilo (Arr. R.L. Pearsall for Choir) - John Rutter, The Cambridge Singers

Des chants aux contes

Kinder- und Hausmärchen (Contes de l’enfance et du foyer) édité juste avant noël 1812 des frères Grimm
Kinder- und Hausmärchen (Contes de l’enfance et du foyer) des frères Grimm

À partir du XVIe siècle, à côté des chants, se développent d’autres formes : histoires dialoguées, légendes, contes.  Elles seront racontées à la période de Noël, à la veillée. Au XIXe, les contes pour enfants explosent. Et les aspects humains prennent le pas sur les aspects divins. De la même façon, le père Noël supplante le petit Jésus pour les cadeaux aux enfants.

Ainsi, Kinder- und Hausmärchen [Contes de l’enfance et du foyer] des frères Grimm sort le 20 décembre 1812. Les thèmes ne sont plus la naissance de l’enfant-Dieu, ils sont plutôt éducatifs, mettant en avant des enseignements de morale. Le recueil des frères Grimm contient par exemple le très célèbre Blanche-Neige.

Les noëls gascons

Lou Douctou A. CATOR de Flourenço de Gauro - traductou Gascoun (1862 - 1918)
« Lou Douctou A. CATOR de Flourenço de Gauro – traductou Gascoun (1862 – 1918) »

La Gascogne, comme d’autres régions et pays, développe les chants, les Nadaus [Noëls] et les contes. Ce peut être des contes originaux ou des contes inspirés (les thèmes se retrouvent souvent) ou encore des traductions de contes connus. Ainsi, au début du XXe siècle,  le Docteur Auguste Cator (1862-1918) de Fleurance dans le Gers, fait paraitre en gascon un recueil de contes choisis de Perrault.

D’ailleurs, les Edicions Reclams offrent cette année un livre numérique à lire ou télécharger sur son site, le conte Lo gat botat [Le chat botté], traduit par Auguste Cator, avec sa version en français.

 

Cador - Contes de Perrault - lo gat bottat (dessin de Clovis Roques)
Auguste Cator – Contes de Perrault – lo gat botat (dessin de Clovis Roques)

Les veillées de Noël

En attendant la messe de minuit, pendant la veillée, on chante, on se dit des contes, on raconte. Ainsi, dans des anciens exemplaires de la revue Reclams de Biarn et Gascougne, on trouve des récits racontant la vie. Des récits qui témoignent à la fois des douleurs vécues et de l’espoir qui animent leurs auteurs.

Par exemple, un Armagnaquais, Bernés-Lasserre, va  écrire un sonnet patriotique en 1916, La Nadau dous nostes.

La Nadau deus Nòstes

Dens lou sé de Nadau, per dessus las tranchados
Passeran lous aynats tout caperats de hèr;
Per lou cèl enlusit, de Belfort à la mer,
Esmalheran de flous las toumbos lèu fermados.

E lous souldats beyran, en loungo troupelado,
Lous guerriès d’autes cops s’abança, recouberts
Per l’alo dous fanious, dens lou malo councert
Que canto per es souls la grano Renoumado.

— O, peluts de Biarn, de Lanes, e Gascougno !
O, sublimes bouès d’uo santo besougno,
Eternelle glori ! campanos souneran.

Quand la Ney de Nadau, en signo de bictouèro,
Lusiran, coum estellos, bostos crouts de guerro
Sur le cô d’Henric, de Fébus e d’Artagnan !

Dens lo ser de Nadau, per dessús las tranchadas / Passeràn los ainats tot caperats de hèr; / Per lo cèl enlusit, de Belfòrt a la mer, / Esmalharàn de flors las tombas lèu fermadas.
E los soldats veiràn, en longa tropelada, / Los guerrièrs d’autes còps s’avançar, recobèrts / Per l’ala deus fanions, dens lo mala concert / Que canta per eths sols la grana Renomada.
– Ò, peluts de Bearn, de Lanas, e Gasconha! / Ò sublimes boès d’ua santa besonha, / Eternelle glòri! campanas soneràn.
Quan la Neit de Nadau, en signa de victoèra, / Lusiràn, com estalas, vòstas crotz de guèrra / Sur lo còr d’Enric, de Febus e d’Artanhan!

Le Noël des Nôtres

Dans le soir de Noël, par-dessus les tranchées / Passeront les ainés tout recouverts de fer ; / Par le ciel éclairé, de Belfort à la mer, / Orneront de fleurs les tombes bientôt fermées.
Et les soldats verront, en longue troupe armée, / Les guerriers d’autrefois s’avancer, recouverts / Par l’aile des fanions dans le mâle concert / Qui chante pour eux seuls la grande Renommée.
– Ô poilus de Béarn, de Landes et de Gascogne ! / ô sublimes âmes d’une sainte besogne, / Éternelle gloire ! Les cloches sonneront.
Quand la Nuit de Noël, en signe de victoire, / Luiront comme des étoiles, vos croix de guerre / Sur le cœur d’Henri, de Fébus et d’Artagnan.

Les récits des veillées : douleur et espoir

D’autres récits, plus tragiques, sont publiés, comme en 1909 Soubeni de Nadau / Sovenir de Nadau [Souvenir de Noël] de Léon Arrix qui gagna la médaille d’argent du concours de Salies.

Là, l’auteur raconte que des histoires s’échangeaient en attendant la messe de minuit. En panne d’inspiration, les personnes se retournent vers l »ancienne. Bam, à bous, mayboune; diset-s’en ûe, qu’en débet sabé d’aquéres hort biélhes qui soun las mielhous. / Vam, a vos, mairbona; disetz-nse’n ua, que’n débetz saber d’aqueras vielhas qui son las mielhors. [Allons, à vous, bonne-maman : dites nous en une, vous devez en savoir de ces vieilles qui sont les meilleures.]

Et la pauvre femme dit qu’elle n’en connait plus, qu’elle est trop vieille. Puis, elle raconte une histoire vraie, une histoire qu’elle a vécue. Il s’agit de la mort de son fils un anyoulou de cinq ans / un anjolon de cinc ans [un petit ange de cinq ans]. Cela se passe pendant la période de Noël. Pour réconforter l’enfant, tout en lui tenant la main, elle lui raconte que s’il meurt il aura, pour aller au ciel, des ailes comme les anges du paradis. L’enfant lui répond : que demandèrey au boun Diu dé-m decha biene-t bédé é qu’arribérèy dab las ales d’û anyou ou d’û béroy ausèt. / que demandarèi au bon Diu de’m dèishar viéne’t véder e qu’arribarèi dab las alas d’un anjo o d’un beròi ausèth. [je demanderai au bon Dieu de me laisser venir te voir et j’arriverai avec les ailes d’un ange ou d’un bel oiseau.]

L'enfant malade
L’enfant malade

L’année suivante, pour Noël, la mère repense à son enfant décédé. Et là, ûe beroye tourterèle blangue que-s biénè de pousa sus la hourque déu ridèu déu brès, é aquiu, que démourè ûe pausote en m’espian. / ua beròia torterela blanca que’s vienè de posar sus la horca deu ridèu deu brèc, e aquiu, que demorè ua pausòta en m’espiant. [une jolie tourterelle blanche vint se poser sur la fourche du rideau du berceau, et là, elle resta un moment en me regardant.]

La mère caresse la tourterelle qui lui fit entendre rou-crou-ou. Toutes les autres années, la mère attend l’oiseau lors de la veillée de Noël, mais l’oiseau ne viendra plus.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Coundes causits de Perrault, Auguste Cator
Reclams de Biarn et Gascougne, 15 de Decembre 1916, La Nadau dous nostes, p.67
Reclams de Biarn et Gascougne, novembre 1909, Soubeni de Nadau, p. 262
Escòla Gaston Febus : Noël aujourd’hui en Gascogne
Escòla Gaston Febus : La veille de Noël en Gascogne