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Figues et figuiers

Le figuier est associé à la Méditerranée, et pourtant, c’est un arbre, doté de pouvoirs, que l’on trouvait dans toutes les maisons de Gascogne.

Histoire succincte du figuier

Chapiteau de la nef, basilique de Vézelay, Yonne - Adam et Ėve cachent leur nudité avec une feuille de figuier
Adam et Ėve cachent leur nudité avec une feuille de figuier. Chapiteau de la nef de la basilique de Vézelay, Yonne.

Lo higuèr, le figuier en français, est un arbre fort ancien puisqu’il est cité dans la Bible. Souvenez-vous, Adam et Ève découvrant leur nudité cachent leur sexe sous des feuilles de figuier : Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures. (Genèse 3 v 7).

On sait aussi que l’on cultivait le figuier au Proche-Orient il y a plus de 10 000 ans. D’ailleurs, son nom latin, ficus carica, veut dire figuier de Carie, région du sud-ouest de l’Asie mineure dont serait originaire cet arbre. Un peu avant notre ère, les Carthaginois apportent le figuier dans tout le pourtour de la Méditerranée. Puis, les Phocéens et les Romains le propagent dans leurs territoires de conquête.

Ainsi, on le trouve aujourd’hui dans tout le sud de la France, et aussi dans des zones abritées en Ile de France, Bourgogne, Bretagne ou sur la Manche. Dans le sud-ouest, il laisse son nom à plusieurs lieux comme le col du Figuier à Belestar (Bélesta), en Ariège languedocienne. Les Béarnais ont Higuèra (Higuères) ou Labatut-Higuèra (Labatut-Figuières), les Commingeois Higaròu (Figarol), etc. Et les Basques Picomendy (la hauteur des figuiers) à Saint-Étienne-de-Baïgorry.

La culture du figuier autour de la Méditerranée - Source : Jacques Vidaud, Le Figuier.
La culture du figuier autour de la Méditerranée – Source : Jacques Vidaud, Le Figuier.

Le figuier est symbole de vie (il peut vivre 300 ans) ; il possède des fruits en forme de bourses et son latex qui évoque le liquide séminal. Il est d’ailleurs l’arbre de Dionysos, dieu de la fécondité. Et c’est au pied d’un figuier que la louve allaite Romulus et Rémus qui fondent Rome.

Le figuier des botanistes

Ficus Carica © Wikipedia
Ficus Carica, Trew,C..J. (1771) © Wikipedia

Le figuier (ficus carica) appartient à la famille des Moracées, comme le murier ou l’arbre à pain. Il n’est pas très grand, dans les 4 ou 5 m, il aime le soleil et pas du tout le vent. Mais il peut supporter des températures basses, de -15°C. Il en existe plus de 260 variétés et on les regroupe souvent selon la couleur de leur fruit : figue blanche (à peau verte), noire (à peau violette), figue grise (à peau mauve).

Une toute petite abeille nommée blastophage s’occupe de la pollinisation des fleurs femelles ; en contrepartie le figuier l’abrite et le nourrit. Toutefois, l’abeille ne pollinise pas toutes les figues qui vont alors murir plus tôt, fin juillet. Nos amis provençaux les appellent les « couilles du pape ».

Mais attention, le figuier n’est pas que sympathique : ses feuilles et ses tiges contiennent un latex photosensibilisant. Si vous en mettez sur votre peau et que vous allez au soleil, vous verrez apparaitre de jolies brulures.

Le figuier est dans chaque maison gasconne

Dans les plaines ou les collines de Gascogne, jusque fin XIXe siècle, on trouve des figuiers qui bordent les routes. En Lomanha / Lomagne, los broishs (les sorciers) les utilisent car on attribue à ses branches un pouvoir divinatoire. Dans les Landes, le figuier protège la maison. D’ailleurs, le Landais Isidore Salles (1821-1900) nous le rappelle dans sa poésie Lou higuè / Lo higuèr / Le figuier

Isodore Salles (1821 -1900)
Isidore Salles (1821 -1900)

Toute maysoun, grane ou petite,
A soun higué, petit ou gran.
Tota maison, grana o petita, / A son higuèr, petit o gran.
Toute maison grande ou petite, / A son figuier petit ou grand.

Sans aller jusqu’à le dire sacré, on ne touche pas à un figuier même devenu vieux :

Badut bielh e quent lou cap plegue,
Que herèn un pecat mourtau
De pourta le hapche ou le sègue,
Sus l’anyou gardien de l’oustau.

Vadut vielh e quan lo cap plega, / Que herén un pecat mortau / De portar la hacha o la sèga, / Sus l’anjo gardian de l’ostau.
Devenu vieux et quand sa tête plie, / Ce serait un péché mortel / De porter la hache ou la scie, / sur l’ange gardien de la maison.

Vous pouvez écouter, lu par Tederic Merger, le texte d’Isidore Salles extrait de Langue et chansons en pays de Gascogne d’Hubert Dutech aux Editions CPE.

      1. Lo higuer-V2

Le figuier dans la conversation

Plusieurs expressions gasconnes font référence à la figue ou au figuier comme gras com ua higa (gras comme une figue, équivalent français : gras comme un cochon) ou har la higa (faire la figue, eq. français faire la mijaurée), ou encore segotir lo higuèr (secouer le figuier, eq. français secouer les puces). Quelques proverbes s’en inspirent comme:
Eth laurèr, eth higuèr que deishan tostemps heretérs.
Le laurier et le figuier laissent toujours des héritiers (c’est-à-dire que ces arbres vous survivront).

Papire Masson note en 1611 dans son livre Descriptio Fluminvm Galliae (description des fleuves de France) le proverbe suivant qui est presque un virelangue :

Lo no es bon gasconet
Se non sabe dezi
Higue, Hogue, Haguasset

Lo non es bon gasconet
se non sap díser
Higa, Hoga, Hagasset

N’est pas bon petit gascon
Celui qui ne sait dire
Higa, Hoga, Hagasset
(en expirant fortement les h s’il vous plait ; higa : figue)

Diverses utilisations de la figue

Le figuier est généreux, il peut donner à l’âge adulte (après 10 ans) de 30 à 100 kg de fruits par an. Il n’est pas très exigeant et se développe facilement, aussi il est appelé l’arbre du pauvre. Son fruit peut être séché et il se conserve longtemps.

Rome et Carthage au début de la 2ème Guerre Punique (218 av. JC)
La proximité de Rome et Carthage, à l’époque de Caton, au début de la 2ème Guerre Punique (218 av. JC)

Déjà, la figue est à la base du régime des athlètes en période olympique. Et c’est le fruit préféré de Cléopâtre. En Gascogne, comme partout, on fait sécher la figue qui devient un aliment calorifique pour toute l’année.

Plus amusant, Caton (234-149) utilise la figue pour convaincre le Sénat des dangers que représente la puissance punique. Carthago delenda est (Il faut détruire Carthage) répète-t-il inlassablement.  Et celui-ci de se laisser convaincre grâce à une figue : Sachez qu’elle a été cueillie il y a trois jours à Carthage : voilà à quelle proximité nous sommes de l’ennemi ! 

La figue et le foie gras

Les Égyptiens remarquent que les anatidés (oies, cygnes, canards…) se gavent avant la migration. Et ils remarquent aussi que la chair de ces oiseaux en devient plus tendre.  Ils décident alors de reproduire ce gavage pour rendre les chairs plus savoureuses. La technique se transmet dans le pourtour méditerranéen.

Figues farcies au foie gras
Figues farcies au foie gras

À leur tour, les Romains s’y mettent. Horace (-35, -8) nous rappelle : Pinguibus et ficis pastum jecur anseris albi (le foie de l’oie blanche est nourri de graisse et de figues). Ce qui rend leur chair tendre et leur foie plus savoureux.  D’ailleurs, ils parlent de Jecur ficatum (foie aux figues). Le mot ficatum (figue) devient figido au VIIIe siècle puis hitge en gascon, fetge en languedocien, feie en français au XIIe et finalement foie.

Les Romains portent cette technique jusque chez nous en Gascogne. De là, des Juifs se déplacent vers le centre de l’Europe. Or, ils n’ont pas le droit d’utiliser du beurre avec la viande et ils ne trouvent pas d’huile dans ces régions, alors ils vont utiliser le gavage afin d’obtenir de la graisse d’oie. Ainsi, ils l’installent en Alsace, en Hongrie et en Bulgarie.

Recettes de figues

El llibre del coch
Llibre de doctrina per a ben servir, de tallar y del art de coch cs (ço es) de qualsevol manera, potatges y salses compost per lo diligent mestre Robert coch del Serenissimo senyor Don Ferrando Rey de Napols

Si les figues sont surtout mangées sèches, nos aïeux ne dédaignent pas de les cuisiner.  Et nous en trouvons trace dans le Llibre del Coch (Livre du cuisinier), premier livre de cuisine catalane, écrit vers 1490 par Robert de Nola, maitre queux de l’Aragonais Ferdinand 1er, roi de Naples.

Mestre Robert nous propose une bonne recette de préparation à partir de figues sèches.

Les figues seques pendras mes melades que pugues hauer negres e blanques e leuals lo capoll e apres rentales ab bon vin blanch que sia dolç: e quant sien netes pren vna panedera de terra e met les dins menant les vn poch: e apres posa aquella panadera sobre vnes brases e tapa les be de manera que se stufen alli e quant seran estufades ese hauran beguda la vapor menales vn poch e met hi salsa fina damunt e tornales amenar de manera que encorpora aquella salsa: e apres menja ton potatge eveuras gentil cosa e mengen se entrant de taula.

Les figues sèches, tu prendras aussi miellées que tu pourras, noires et blanches ; enlève la peau ; après rince-les avec du bon vin blanc qui doit être doux et quand elles sont propres, prends une casserole en terre et mets-les dedans, tout en les remuant un peu ; ensuite, pose la casserole sur des braises et couvrez-les pour qu’elles réduisent et quand elles sont réduites et qu’elles ont bu la vapeur, remue-les un peu et verse dessus une sauce fine ; remue-les à nouveau pour qu’elles incorporent cette sauce : et puis mange le potage ; jamais ne mange cette chose délicate en te mettant à table.

Depuis, la créativité contemporaine mêle la figue à la volaille et propose par exemple du poulet sur des feuilles de figuier ou du confit de figues. Sans oublie les savoureux desserts et les confitures.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Vousvoyezletopo, Du figuier, 2019
L’Amelier, Ydille du figuier et de son abeille
Secrets de jardin, le figuier
Recette du Llibre del coch, Roberto de Nola, 1520
Le foie gras, c’est toute une histoire




Histoire de gypaètes

Le gypaète barbu se rencontre dans les massifs alpins d’Afrique, d’Asie et d’Europe. En France, on le rencontre dans les Alpes, en Corse et dans les Pyrénées. C’est un vautour qui possède une petite touffe de plumes sous le bec, qui fait penser à une barbe. Et ce n’est pas le seul gypaète !

Le gypaète barbu, casseur d’os

Le gypaète barbu (Gypaetus barbatus) ou caparroi (tête rouge) pour les Gascons, a un régime spécifique puisqu’il ne mange que du cartilage, des tendons, des ligaments et de la moëlle des os de carcasses d’animaux. Lorsqu’il ne peut pas ingurgiter un os, il le prend dans son bec, prend de l’altitude et le laisse tomber sur des pierres. La légende raconte que le poète Eschyle serait mort en recevant une tortue sur la tête, un gypaète l’ayant prise pour un rocher. En tous cas, le gypaète est aussi appelé le casseur d’os. Regardez sa technique dans le film qui suit.

https://escolagastonfebus.com/wp-content/uploads/2023/07/Le-gypaete-barbu-se-nourrit-dos.mp4

Le gypaète barbu © NatGeoWildFr

Le plus grand rapace d’Europe.

Son envergure (longueur d’un bout d’une aile à l’autre) peut dépasser les 2,80 m. On le reconnait à ses ailes plutôt étroites, coudées et à sa longue queue en forme de losange. Malgré sa taille, il ne pèse que 5 à 7 kg. Contrairement aux autres vautours, le caparroi a des plumes sur la tête et le cou. Celles du ventre sont blanches mais il se baigne dans des sources ferrugineuses afin qu’elles deviennent roux orangé. On ne connait pas l’origine de ce comportement.

Le caparroi vit en haute montagne, dans les parois rocheuses. Il vit en couple et reste fidèle toute sa vie. Même s’il possède plusieurs nids, on le retrouve souvent sur le même.

Vers l’âge de 6 ou 7 ans, entre octobre et février, le caparroi forme un couple. Ensuite, la femelle pondra de 1 à 2 œufs tous les ans ou tous les deux ans, mais n’élève qu’un seul poussin. En effet, le plus fort repousse l’autre qui finit par mourir. Puis, l’envol s’effectue entre juillet et aout. Commence alors une période de vol sur toute la chaine des Pyrénées avant de revenir progressivement s’installer sur son lieu de naissance.

L’aigle des agneaux

Un gypaete attaque un enfant - © Dessin de Gustave Roue paru dans la Suisse Illustrée de 23 novembre 1872
Un gypaète attaque un enfant, dessin de Gustave Roue paru dans « La Suisse Illustrée » © de 23 novembre 1872

Selon la légende, le caparroi enlèverait des agneaux et des enfants. On l’appelle d’ailleurs l’aigle des agneaux. Et cela explique la chasse qu’on lui a faite.

Dans son livre, Leçons élémentaires sur l’histoire naturelle des oiseaux, publié en 1862, le médecin Jean-Charles Chenu dit que le gypaète attrape les Agneaux, les Chèvres, les Moutons, les Chamois, et même, s’il faut en croire certains récits, les hommes endormis et les enfants.

Dans la Revue germanique du 1er avril 1858, on peut même lire que C’est à tort qu’on a émis des doutes sur les enlèvements et les attaques d’enfants attribués aux gypaètes. L’auteur de l’article rapporte plusieurs enlèvements d’enfants en Suisse. Pas étonnant qu’on chasse le gypaète dans les Alpes !

Le même article rapporte comment on chasse le Gypaète : Les montagnards croient que le vautour aime la couleur rouge, et ils versent souvent du sang de bœuf sur la neige pour l’attirer à portée de fusil. On prépare des appâts avec du renard grillé, du chat rôti ou une carcasse déposée au fond d’un trou. Lorsque le gypaète a dévoré l’appât, rassasié, il ne peut reprendre le vol, et on l’assomme à coups de perche.

Dans les Pyrénées aussi

Le Journal L’indépendant des Basses-Pyrénées du 12 mars 1925, raconte la mésaventure d’un gypaète acheté à un chasseur par le consul britannique à Pau qui veut l’envoyer au jardin zoologique de Londres. L’oiseau aurait confondu un camion avec un mouton sur la route du Somport et se serait laissé prendre comme un inoffensif passereau. L’auteur conclut ironiquement : sur sa cage on lira qu’il vient des Pyrénées et il pensera peut-être qu’il a quelque mission, à accomplir auprès des Anglais ; ne serait-ce que leur donner envie de chasser le gypaète entre l’Amoulat et le Capéran du Ger, ce qui ne serait déjà pas si mal…

Ainsi, victime de sa mauvaise réputation, le gypaète disparait des Alpes en 1935. Et on ne le voit presque plus dans les Pyrénées à partir des années 1950.

Dernier gypaète abattu en 1913 dans le Val d'Aoste (Italie) - © Jules Brocherel Fonds Brocherel-Broggi
Dernier gypaète abattu en 1913 dans le Val d’Aoste (Italie) © Jules Brocherel Fonds Brocherel-Broggi

Le sauvetage du gypaète barbu

Gypaète dans le Parc National de Pyrénées © F. Luc
Gypaète dans le Parc National de Pyrénées © F. Luc

En 1985, un projet de réintroduction du gypaète barbu, basé sur la reproduction en captivité est lancé. Initié en Autriche, il permet de relâcher, dans les Alpes, 15 gypaètes entre 1993 et 2000. Des couples se sont formés et des naissances ont lieu. Ce succès permet la réintroduction du gypaète dans les Cévennes.

Cependant, en 2009, on comptait 130 couples dans toutes les Pyrénées. Les randonneurs attentifs en verront voler dans le ciel. De plus, le Parc national constitue une zone de sauvegarde. Dans les années 1950, on compte 3 couples de caparroi. Ils sont 14 en 2020 qui font l’objet d’un suivi scientifique et d’un plan national de restauration. On apporte un complément alimentaire en hiver pour aider à l’élevage des jeunes.

Des mesures de protection

Gypaète Barbu © Thomas Pierre
Gypaète Barbu © Thomas Pierre

De plus, une surveillance des gypaètes barbus est faite pour éviter l’abandon des nids suite aux survols en hélicoptère et aux autres dérangements à moins de 500 mètres d’un nid (ski de randonnée, grimpeurs, vol libre et parapente). D’ailleurs, un photographe amateur est condamné en 2008 par le tribunal de Saint-Gaudens pour le dérangement d’un caparroi. Il s’est approché d’un nid pour filmer la couvaison. Et le nid a été déserté.

Sur la zone du Parc national, le caparroi élève en moyenne un jeune tous les deux ans. Dans la zone de piémont, on compte très peu de naissances en raison des fréquents dérangements dus à l’activité humaine. Depuis 25 ans, on y récence 15 morts par poison, tir, route ou lignes électriques. Cette perte est pour le moment compensée par une bonne survie des jeunes en zone du Parc et par la venue d’Espagne de nouveaux oiseaux. Mais l’équilibre reste fragile.

La mouche gypaète

Thyreophora cynophila - Eugène Séguy (1890–1985)
Thyreophora cynophila, Eugène Séguy (1890-1985) © Wikipedia

La mouche gypaète (Thyreophora cynophila) est une espèce éteinte depuis 1850. Du moins, le croyait-on. Elle est redécouverte en Espagne en 2007 et en France en 2019. D’abord en Ariège puis dans tous les départements de la chaine des Pyrénées.

Le Bulletin de la Société entomologique de France de 1934 dit que ses habitudes sont fort lugubres. Il ne recherche que les ténèbres et les cadavres desséchés. À la sombre lumière de sa tête phosphorique, il se jette sur les ossements décharnés et se repait des derniers restes de l’animalité. Rien de très engageant.

Sa larve se nourrit de la moelle osseuse des carcasses d’animaux. Elle a une tête orange. Aussi, cette couleur et son alimentation la rapprochent du caparroi.

La population de la mouche gypaète diminue avec la disparition des grands prédateurs, notamment du caparroi. Les charognes sont alors éliminées dans les montagnes. Puis, avec la réintroduction des grands rapaces, on modifie les techniques agricoles. Et les charognes sont laissées dans les montagnes pour le plus grand bénéfice des prédateurs.

Le retour du caparroi et de la mouche Gypaète sont une excellente nouvelle pour la biodiversité des Pyrénées.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia.
Parc national des Pyrénées, Gypaète barbu
Parc Pyrénées Ariégeoises, Le gypaète barbu et les autres grands rapaces des Pyrénées Ariégeoises
Leçons élémentaires sur l’histoire naturelle des oiseaux, JC Chenu, 1886
Revue des Clubs alpins.




Le mascaret

Le Mascaret est un phénomène naturel qui se produit dans 80 fleuves ou rivières à travers le monde. En France, c’est en Gascogne qu’on peut l’observer. Car le Mascaret de la Seine n’existe plus depuis 1963 en raison des aménagements hydrauliques réalisés.

Qu’est-ce que le Mascaret ?

Un mascaret dans la baie de Morecambe, au Royaume-Uni
Un mascaret dans la baie de Morecambe, au Royaume-Uni

Le Mascaret est un terme gascon. Concrètement, c’est une brusque élévation du niveau de l’eau dans un estuaire ou un fleuve, provoquée par l’onde de la marée montante lors des grandes marées. Ce phénomène est accentué par l’estuaire de la Gironde qui a une forme d’entonnoir vers l’amont. Ainsi, le courant du fleuve est contrarié par la force de la marée montante, ce qui crée une vague qui se propage vers l’amont. Chez nous, cette vague présente des ondulations, on parle d’ailleurs de mascaret ondulé.

Comme il y a deux cycles de marée par jour, il y a deux Mascarets par jour. La plupart du temps, ils sont imperceptibles. Toutefois, ils deviennent spectaculaires lors des nouvelles lunes et des pleines lunes. Sa vitesse peut atteindre 20 km par heure. En fait, sa hauteur et sa force dépendent du niveau de la marée, de la profondeur et de la largeur du fleuve qu’il remonte. Mais elle peut atteindre 1,36 mètre de haut.

Ainsi, le Mascaret qui se produit dans l’estuaire de la Gironde, remonte la Dordogne et la Garonne sur plus de 100 km.

L’étude du mascaret

Sidoine Apollinaire
Sidoine Apollinaire (430-486)

Même si l’évêque Sidoine Apollinaire (430-486) parle déjà de ses observations au bec d’Ambès, il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que l’ingénieur Nicolas Brémontier le lie à la marée. Toutefois, la dynamique du Mascaret reste mal connue. Quelques études ont lieu au XIXe siècle comme L’Étude pratique sur les marées fluviales et notamment sur le mascaret de M. Comoy.

 

Nicolas Brémontier (1738-1809)

Puis, depuis un peu plus de 50 ans, les études se multiplient sur l’hydraulique, la sédimentation… De plus,  l’Université de Bordeaux 1 et le CeMAGref (Centre d’étude du machinisme agricole et du génie rural des eaux et forêts) ont mis en place le premier programme mondial d‘études d’un Mascaret. Ils réalisent deux campagnes de mesure,  en 2010 à Podensac, sur la Dordogne, à 140 km de l’embouchure de la Gironde. l’une en fort débit, l’autre en faible débit de la rivière.

En particulier, cette étude a bien mis en évidence l’influence du mascaret sur la mise en suspension des sédiments, ce que l’on appelle le bouchon vaseux. Et d’autres études ont montré son rôle positif sur la faune aquatique car certains animaux remontent l’embouchure en se nourrissant dans son sillage.

Un effet destructeur

Système d'endiguement en Gironde
Système d’endiguement en Gironde

Le Mascaret provoque l’érosion et l’éboulement des berges.

L’Etat est propriétaire du domaine fluvial, c’est-à-dire du lit et des berges. En fait, le domaine fluvial est délimité par le niveau atteint par les eaux avant qu’elles ne débordent. Donc, les digues ne font pas partie du domaine fluvial.

Ainsi, les riverains sont responsables de l’entretien des digues comme le prévoit l’art. 33 de la loi de 1807 : Lorsqu’il s’agira de construire des digues à la mer, ou contre les fleuves, rivières ou torrents navigables ou non navigables, la nécessité en sera constatée par le Gouvernement et la dépense supportée par les propriétés protégées, dans la proportion de leur intérêt aux travaux ; sauf le cas où le Gouvernement croirait utile et juste d’accorder des secours sur les fonds publics.

Or, les dépenses d’entretien des berges et des digues sont énormes. Aussi, les riverains se constituent en ASA (Association Syndicale Autorisée), comme à Saint-Pardon, commune de Vayres, en Dordogne.

En 2006, l’ASA est autorisée à réaliser un plan de protection des berges sur 10 ans. Ce plan a permis de protéger 24 maisons du recul de la berge, de réaliser des enrochements, de reconstruire 400 mètres de digues, de restaurer la végétation pour renforcer la ripisylve.

Mascaret 29 Octobre 2015-Vayres - Saint-Pardon (Gironde)
Mascaret 29 Octobre 2015-Vayres – Saint-Pardon (Gironde)

Un attrait touristique

Si le Mascaret peut être dangereux et dévastateur, il est devenu, depuis 40 ans, un attrait touristique. Ainsi, surfeurs et kayakistes se pressent pour affronter la vague.

Alors, la commune de Vayres a réalisé les aménagements nécessaires à l’accueil de cet afflux de touristes et de sportifs. Tous les surfeurs de la région et quelques champions du monde s’y donnent rendez-vous.

Mais cet afflux de visiteurs n’est pas sans inconvénients pour Vayres. Le maire a été obligé d’aménager des parkings pour que les voitures ne se garent pas n’importe où. Des barrières sont installées pour limiter l’afflux dans le centre bourg.

Et une « Fête du Mascaret » est organisée au mois d’aout pour mieux canaliser le dynamisme des visiteurs pour ce phénomène.

Le Mascaret, c’est aussi le nom du festival occitan de Bordeaux qui se tient en septembre et octobre de chaque année : Garona, la Garonne, un fleuve jamais frontière portant nefs, hommes et cultures. Et une langue, la gasconne, l’occitane, s’enfonçant peu à peu dans les limons de l’oubli. Déferle le Mascaret, force tranquille qui vient baigner les bords des Belles Endormies pour mieux les nourrir d’alluvions modernes et traditionnels, noyant les folkloriques idées reçues sous un flot impétueux, lit-on sur le site de l’Ostau occitan.

Stages, concerts, expositions, animations diverses autour de l’occitan composent ce festival.

Le Mascaret inspire les auteurs

Jacques Prévert
Jacques Prévert (1900-1977)

Le Mascaret de la Seine inspire de nombreux auteurs. Dans La Seine a rencontré Paris, Jacques Prévert écrit :

Un jour elle est folle de son corps
Elle appelle çà le mascaret
Le lendemain elle roupille comme un loir ….

 

 

 

 

 

Auguste Vacquerie (1819-1895) par Nadar
Auguste Vacquerie (1819-1895) par Nadar

Et Auguste Vacquerie écrit Le Mascaret normand en 1877 :

Sur la rive où nous causons
La vague se rue, arrache
Les pierres des quais, et crache
Au visage des maisons !

Tout tremble de sa furie
C’est le seigneur Océan
Qui va du Havre à Rouen
Avec sa cavalerie,

Et les yeux émerveillés
Sur tout le fleuve qui fume
Voient se cabrer blancs d’écume
De grands flots échevelés.

 

Enfin, le groupe Bordelais Garluche chante le Mascaret de Gironde dans Les longs courriers (extrait de l’album A.O.C. Bal, sorti en 1996).

C’est sur ces quais que j’ai trimé
Pouss’ le baril et tourne la barrique
À charger des bateaux anglais
De vins d’Bordeaux et roule le tonneau

Refrain :
Ils étaient beaux ces longs courriers
Mais ils ne sauront jamais rien du fleuve
Ils étaient fiers ces mariniers
Lorsqu’ils remontaient sur le mascaret

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Le Mascaret de la Garonne décrypté, Union Scientifique d’Aquitaine, 2011
Suivi aérien du mascaret de la Garonne le 10 septembre 2010, laboratoire EPOC, université Bordeaux 1
Festival le Mascaret




Les feux dans le pinhadar

Le pinhadar connait régulièrement de gigantesques incendies comme celui de l’été 2022. Hélas, ce n’est pas le premier grand incendie qui touche le pinhadar. La prévention et la lutte contre les feux de forêts est une préoccupation constante.

Le grand incendie de 1755 dans le Marensin

Le Marensin est couvert d’un pinhadar naturel. Les incendies y sont fréquents mais ils ne font pas de grands ravages. En fait, dès qu’un incendie se déclare, toute la population s’organise pour lutter contre le feu. Il est vrai que le pinhadar du Maransin est une importante ressource économique qui profite à toute la population.

Pourtant, en avril 1755, un grand incendie ravage le Marensin.

La correspondance de l’Intendant d’Etigny avec le Contrôleur Général nous révèle les faits

Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)
Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)

En fait, le feu est accidentel : un particulier qui prépare le repas pour des charbonniers met le feu à la cabane. D’Etigny écrit : Il mit le 5 de ce mois le feu à la cabane de planches où il était et, en très peu de temps, le pignada fut incendié. Le feu se communiqua tout de suite dans la paroisse de Castets au Levant, et dans celle de Linxe au Nord, et les ravage toutes de même que celle de Talles et Lesperon, indépendamment de quelques autres communautés de la Généralité de Bordeaux, entre autres celle de Dorignac.

Malheureusement, le feu détruit tout sur son passage : maisons, moulins, ruches. Et il y a de nombreux morts surpris par le feu porté par un vent impétueux et parce que les flammes se communiquaient avec autant de vitesse qu’un cheval allant le grand galop.

On craint une reprise du feu à tout moment. En effet, il n’est pas éteint et ne le sera-t-il pas même de longtemps, parce qu’il est dans la racine des arbres et qu’il faut des mois entiers pour qu’il puisse s’éteindre, à moins qu’il ne survienne des pluies abondantes.

La population est en état d’alerte : les habitants qui n’ont pas tout perdu sont-ils occupés jour et nuit à faire une garde exacte pour pouvoir se porter dans les endroits où le feu paraitrait vouloir se ranimer et faire en sorte de l’étouffer tout de suite avec du sable.

Mais, le 21 avril, d’Etigny signale un nouvel incendie à Rions et à Magescq. Et encore le 8 mai, un autre à l’Espéron et à Onesse.

Le Marensin connait d’autres incendies ravageurs en 1803 au cours duquel 700 000 pieds de pins disparaissent et, en 1822, sur les communes de Messanges, Moliets et Soustons.

Des feux de forêt qui se multiplient avec le boisement en pins

Résinier du Marensin – Bonnard, Camille (1794-1870) © Gallica

La loi de 1857 organise le boisement des Landes. Mais la chose ne se fait pas sans résistance de la part des bergers. Alors, des incendies se déclarent un peu partout. De 1869 à 1872, 24 000 hectares de jeunes plantations brulent dans les Landes ; en 1870, ce sont 2 261 hectares dans le Lot et Garonne et 10 000 hectares en Gironde.

Le gouvernement s’en émeut et charge Henri Faré (1828-1894), Directeur général de l’administration des forêts, d’une enquête qu’il réalise en 1873 : Je me suis rendu successivement à Dax le 28 février, à Mont-de-Marsan le 30, à Captieux le 1l mars, à Bazas le 5, à Villandraut le 6, à Bordeaux le 7, et à Agen le 11 mars. Quarante-neuf déposants ont été entendus et plusieurs dépositions écrites ont été recueillies ; le nombre de ces dernières dépasse cinquante.

Les déposants sont quasi unanimes : Les incendies sont dus en grande partie aux mécontentements qui se sont produits par suite de l’ensemencement trop rapide des landes.

M. de Lacaze, propriétaire à Casteljaloux ajoute : Une partie des petites landes dont jouissaient les communes fut attribuée en 1828, à la suite d’un procès, au duc de Bouillon. Ces landes ont été vendues à de grands propriétaires qui les ont ensemencées, et elles ont été brulées. En 1848, ces mêmes terrains, ensemencés de nouveau, furent vendus, et le feu y a encore été mis par place. Par conséquent, ces évènements sont liés à la succession du duc de Bouillon.

Lutter contre les feux de forêt

Coupe-feu à Hourtin (32) pour lutter contre les incendies
Coupe-feu à Hourtin (32)

Henri Faré cherche à connaitre l’origine des incendies et les mesures qu’il convient de prendre pour s’en préserver et lutter efficacement contre les incendies. Dans les forêts domaniales, les pare-feux sont efficaces. Aussi, il veut savoir s’il faut les généraliser.

Pourtant, les moyens de lutte sont dérisoires. Ils consistent à « disposer les travailleurs sur une route ou sur une ligne de pare-feu parfaitement débarrassée de matières combustibles. Chacun d’eux est pourvu d’une perche munie de ses feuilles vertes ; et c’est en frappant les parties embrasées, soit sur le périmètre de la ligne, soit en arrière, lorsqu’un nouveau foyer produit par des flammèches portées au loin vient à éclater, qu’on arrête l’incendie ».

Bien sûr, il y a d’autres grands incendies : 1892 au cours duquel 10 personnes périssent ; 1898, année de sècheresse, 50 000 hectares sont perdus.

L’incendie meurtrier de 1949

Au sortir de la guerre, la forêt manque d’entretien. Les coupe-feux sont dans les broussailles, on ne peut y accéder. L’été 1949 est caniculaire, comme ceux de 1947 et 1948.

Hélas, le 19 août, un incendie se déclare à Saucats. L’imprudence du gardien d’une scierie déclenche le feu par un mégot de cigarette mal éteint. Or, les vents violents et changeants poussent l’incendie sur les communes de Cestas, Marcheprime et Mios.

Les sauveteurs, acheminés sur place, luttent contre les flammes avec des branches d’arbre. Ils allument des contrefeux mais le vent ramène le feu dans une autre direction. Donc, il faut recommencer plus loin.

Alors, on appelle La troupe en renfort. Des soldats anglais prêtent main forte. Heureusement, les pompiers de Paris sauvent le village de La Brède.

En Gironde, le feu ravage Saucats, le 20 août 1949
Le 20 août 1949, le feu ravage Saucats (Gironde)

Le feu ne recule pas

En 1949, incendie à Saint Jean d'Illac et Toctoucau (Gironde)
En 1949, incendie à Saint Jean d’Illac et Toctoucau (Gironde)

Le 20 août, le feu menace Salles et Mios. Il parcourt 4 kilomètres par heure. Enfin, grâce aux contre feux, le sinistre ralentit.

Puis, vers 15 h, le vent change soudain de direction et ranime l’incendie. Il parcourt 6 000 hectares en seulement 20 minutes. Et les sauveteurs se retrouvent pris au piège.

Une catastrophe humaine

On compte 82 morts, brulés vifs, dont 26 habitants de Canéjan, 16 de Cestas et 23 soldats du 33° régiment d’artillerie de Poitiers, venus en renfort. Un survivant raconte l’horreur : On voyait les flammes courir tout au long de leurs corps étendus ; la graisse gonflait et les flammes gouttaient au bout de leurs souliers, de leurs bottes ou de leurs sabots carbonisés … On décrète le 24 aout, jour de deuil national.

En outre, toute la région est plongée dans le noir. En effet, une pluie de cendres et d’aiguilles carbonisées tombe sur Bordeaux. La fumée se voit à 100 km à la ronde. Enfin, le vent tombe vers 22 heures. Les incendies se calment, les derniers feux s’éteignent le 25 aout. Toutefois, l’incendie a ravagé 52 000 hectares.

Ce grand incendie sera le point de départ d’une réflexion sur les moyens de lutte à mettre en place et à généraliser.

Voir ici les informations télévisées de 1949, INA.

Les moyens de prévention et de lutte contre les feux de forêt

Prévenir les feux de forêt - campagne d'information
Prévenir les feux de forêt – campagne d’information

Aujourd’hui, le Pinhadar comprend 42 000 km de pistes forestières que les pompiers peuvent emprunter pour s’approcher du feu. On a aménagé des puits, des citernes enterrées et des étangs dans tout le massif. En tout, 5 000 points d’eau sont à la disposition des pompiers.

Mais ces aménagements ne doivent pas faire oublier que la prévention des feux est le premier moyen de lutte en évitant qu’ils ne démarrent. Et on sait que 90 % des feux sont d’origine humaine : activités agricoles, mégots de cigarette, barbecues, feux de camp, etc.

Ainsi, les touristes comme les riverains peuvent éviter les comportements dangereux, en ayant les bons réflexes au quotidien.

Des gestes simples suffisent en période sèche ou de canicule : éviter de stocker des combustibles près de la maison, ne pas utiliser d’outils susceptibles de provoquer des étincelles, ne pas fumer dans les friches ou les champs, ne pas jeter des mégots.

Le reste de l’année, il faut débroussailler son jardin sur 50 mètres tous les abords de construction lorsqu’elles se situent à au moins 200 mètres d’une forêt. Il faut enlever les arbres et les branches à moins de 3 mètres d’une maison, retirer les arbres et les plantes mortes, libérer les voies d’accès de tout encombrement.

Quant aux moyens humains et matériels déployés par la Sécurité civile, il convient de ne pas tomber dans le piège du sensationnel et de la polémique systématique : les moyens étaient-ils suffisants ? Aurait-on pu l’éviter ? etc.

Les grands incendies surviennent par temps d’extrême sècheresse comme celle de l’été 2022. Alors, chacun doit veiller à appliquer les mesures de prévention. 

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia.
Enquête sur les incendies de forêts dans la région des Landes de Gascogne, Henri FARÉ, 1873.
Les incendies de forêts dans les Landes au XVIIIe siècle, Maurice BORDES, Bulletin de la Société Archéologique du Gers, 1948-07.




La Leira, un fleuve discret

La Leira est le nom gascon de La Loire. Mais c’est aussi le nom d’un fleuve gascon qui se jette dans le bassin d’Arcachon. Si peu de Gascons en connaissent l’existence, c’est le paradis des amateurs de canoë ou des amoureux de la nature.

La Leira, un fleuve bien discret

La Leira [Leyre ou L’Eyre en français] prend sa source dans les Landes. Ou plutôt, elle n’a pas de source puisque c’est la remontée de la nappe phréatique, affleurant en plusieurs endroits, qui l’alimente.

Son nom véritable est l’Eira, ancien toponyme qui, selon les spécialistes Bénédicte et Jean-Jacques Fenié, signifie tout simplement « eau ». L’usage l’a transformé en Leira.

La Leira parcourt 116 km avant de se jeter dans le bassin d’Arcachon. En fait, on peut même parler des Leiras car le fleuve est formé de la grande Leira et de la petite Leira qui se rejoignent à Moustey au horc d’Eira [hourc d’Eyre].

La petite Leira se forme entre Lucsèir [Luxey] et Retjons. Elle est calme et ses eaux sont claires. En revanche, la grande Leira nait près de Sabres et ses eaux sont noires, son cours impétueux.

La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG
La Grande Leyre © Laurent Degrave-PNRLG

Tout au long de son parcours, la Leira reçoit de nombreux affluents aux noms bien gascons dont : l’Escamat, le Monhòc, [Mougnocq] le Cantagrith, le Mordoat [Mourdouat], le Richet ou barrada deus claus, le Boron [Bouron] aussi appelé Hontassa, le Casterar, ou encore la Palhassa [Paillasse].

Plus globalement, son bassin versant est dans le parc naturel des Landes de Gascogne. Lorsqu’elle arrive dans le bassin d’Arcachon, la Leira forme un delta de 3 000 hectares qui est le refuge de nombreuses espèces d’oiseaux.

Et la belle réserve ornithologique du Teich couvre 120 hectares de ce delta.

La Leira, un grand intérêt écologique

Au cours de l’histoire, c’est avec la plantation de la forêt des Landes de Gascogne que la Leira présente un intérêt économique. En effet, elle sert au flottage du bois et elle alimente des forges, des fonderies, des verreries et des moulins.

Or, les activités économiques ont disparu. Alors, la Leira, bordée de prairies, s’est peu à peu cachée sous des feuillus, constituant une épaisse forêt galerie qui a poussé sur ses rives.

Composée de chênes, d’aulnes et de saules, la forêt amortit les crues, limite les matières en suspension et maintient les berges. Le microclimat ainsi créé abrite des espèces végétales devenues rares comme l’Osmonde royale ou le Drosera à feuilles rondes.

De même, la Leira abrite des animaux disparus ailleurs, comme la loutre, le vison, la cistude, la genette ou le murin à oreilles échancrées (une espèce de chauve-souris). Elle abrite aussi les larves de lamproie qui y naissent avant de gagner la haute mer. De plus, dans ses herbiers aquatiques, on trouve de nombreux poissons, ainsi que le brochet aquitain. À noter, des naturalistes décrivent cette espèce de brochet pour la première fois en 2014. L’animal se distingue des autres brochets par un museau plus court, des écailles et des vertèbres moins nombreuses.

Cistude et Loutre d'Europe © PNRLG
Cistude et Loutre d’Europe © PNRLG

Cette richesse écologique vaut à la Leira de nombreux classements de protection : classement d’une partie de son cours sur la commune de Mios en 1942, zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) en 1973 et 1984, enfin zone Natura 2000. Son delta est classé zone humide d’importance internationale en 2011.

Le parc régional des vallées de la Leyre et du val de Leyre est créé en 1970. Il porte aujourd’hui le nom de parc naturel régional des Landes de Gascogne.

Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG
Drosera rotundifolia & Osmunda regalis © PNRLG

Concilier écologie et tourisme

Le parc naturel régional des Landes de Gascogne conduit le programme de protection du fleuve.

Outre les actions d’information du public, des usagers et des riverains, le parc étudie la faune et la flore présentes dans le bassin de la Leira, entretient les rives et la forêt galerie, restaure les milieux, supprime les obstacles créés par l’homme (barrages ou digues inutiles), veille à supprimer la pollution (action micro plastiques), etc.

Fort heureusement, peu d’espèces invasives colonisent la Leira. Des érables negundo et des catalpas originaires d’Amérique du nord sont progressivement éliminés. On y trouve aussi quelques ragondins et des écrevisses de Louisiane, plus difficiles à attraper.

Toutes ces actions visent à restaurer le fleuve pour obtenir le label « Rivière sauvage ». Ce label décerné par l’AFNOR est une marque de reconnaissance du travail de protection et de valorisation du territoire concerné.

Le parc naturel régional conduit aussi une action exemplaire qui concilie tourisme et protection du milieu en favorisant la pratique du canoë sur la Leira.

En relation avec des professionnels partenaires, 8 lieux de mise à l’eau et de sortie d’eau des canoés offrent au public la possibilité de naviguer sur la grande Leira et de profiter de la nature protégée de la forêt galerie.

Si les promenades sont permises, les activités restent réglementées : horaires de navigation, interdiction des bivouacs, interdiction des cueillettes, etc. Bien entendu, toute activité nautique à moteur est interdite.

Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie - © PNRLG Sébastien Carlier
Les Vallées de la Leyre, eaux fauves et forêt-galerie – © PNRLG Sébastien Carlier

La réserve ornithologique du Teich

Des ornithologues amateurs proposent à la commune du Teich de créer une réserve sur le bassin d’Arcachon, dans le delta de la Leira. On le fait en 1972.

Ainsi, la commue acquiert des parcelles par échange avec des parcelles forestières communales. Le parc ornithologique voit le jour. Il devient réserve ornithologique et, si la commune en est toujours propriétaire, le parc naturel régional des Landes de Gascogne en prend la gestion.

323 espèces d’oiseaux y sont répertoriées, dont 88 y nichent. Cela en fait une zone exceptionnelle de reproduction et de nourrissage des oiseaux. En conséquence, la réserve du Teich propose des visites en bateau, des activités d’observation et de photographie des oiseaux.

Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich
Aigrette Garzette & Martin-Pêcheur © Réserve Ornithologique du Teich

La plupart des Gascons ne connaissent pas la Leira. Pourtant, ce fleuve gascon offre des milieux remarquables et une faune protégée qu’il faut découvrir au gré d’une promenade au rythme de la nature.

De plus, le fleuve entretient des contes et des légendes que l’on peut retrouver dans le livre La Leyre, contes et chroniques d’un autre temps de Serge Martin et Marnie, Dossiers d’Aquitaine, 2016.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

L’Eyre et sa vallée
Affluents de la grande Leyre
Rivières sauvages : la grande Leyre
Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne
Parc naturel, Site consacré au canoë sur la Leyre
Réserve ornithologique du Teich




Les bonnes herbes

Les bonnes herbes / las bonas èrbas font partie de la médecine populaire. Elles servent à soigner aussi bien les bêtes que les hommes. Un temps délaissées au profit de la pharmacie moderne, elles reviennent à la mode.

Soigner les hommes et les bêtes avec les herbes

À tous les maux correspondent des herbes pour les soigner. Ainsi, l’abbé Cazaurang distingue plusieurs sortes de maux : lo mau hèit (le mal fait par une blessure), lo mau gahat (le mal attrapé par une contamination), lo mau vadut (le mal né dans le corps), lo mau naturau (le mal venu par évolution naturelle) et lo mau dat (le mal provenant d’un sort jeté).

Les herbes qui soignent : la racine de gentiane
Racines de gentiane

Pour soigner ces maux, on cueille les plantes à la main. Jamais avec un couteau ou un ciseau métallique qui altèrent les principes actifs. De plus, une bonne cueillette se fait avec la lune. Et suivant les plantes, on cueille les feuilles, les tiges, les fleurs ou la racine.

Par exemple, la racine de gençana [gentiane] est cueillie et séchée avant d’en mettre une rondelle à macérer dans un verre d’eau. On l’utilise pour ses propriétés dépuratives et fortifiantes. Le Sarpolet [Serpolet] soigne les rhumes, le romaniu [romarin] délayé dans de l’alcool soulage les contusions et les entorses.

Les herbes qui soignent : l'Arnica (© Wikimedia)
Arnica (© Wikimedia)

Quant aux sarpolet e gerbeta [serpolet et thym] en liqueur, ce sont des stimulants digestifs. Ou encore, l’arnica [arnica] s’emploie en usage externe comme anti-inflammatoire, ce qui est d’ailleurs toujours le cas.

D’autres usages pour les plantes

Mais les herbes ont aussi d’autres usages. Les ortigas [orties] servent à filtrer le lait des brebis pour activer la flore lactique. De plus, elles sont efficaces pour récurer les chaudrons et ustensiles de cuisine. Ou encore, elles servent à l’alimentation du bétail pour favoriser la lactation. Citons aussi la hèuç [fougère mâle] qui est un répulsif contre les tiques et sert pour la litière des chiens.

Alexandre-G Decamps (1803-1860)- Les sorcières soignent ou empoisonnent avec les herbes
Alexandre-G Decamps (1803-1860) – Les sorcières de Macbeth (© Wikimedia)

Toutefois, certaines plantes toxiques nécessitent des connaissances particulières pour être utilisées. Et c’est le rôle des posoèrs / sorciers empoisonneurs, dont on apprécie les services mais dont on se méfie. Car, en cas d’erreur : Eres cachiles nou lou hèn pas més maù! / Eras cashilas non lo hèn pas mes mau! [Les dents ne lui font plus mal ! Comprendre « il est mort »]

 

 

 

Conjurer le mauvais sort avec les herbes

Croix fleurie de la Saint-Jean, Landes
Croix fleurie de la Saint-Jean, Landes

Dans les campagnes, on conjure les orages et la grêle en mettant au feu des feuilles de Laurèr [Laurier] bénies le jour des Rameaux. Dans certains endroits, on met dans le feu le bouquet de la Saint-Jean ou même des charbons retirés du halhar [feu de la Saint-Jean] et conservés précieusement.

Évidemment, on cueille les herbes de la Saint-Jean le jour de la Saint-Jean, avec la rosée. Séchées en bouquet ou en croix, le curé les bénit à la messe. Ainsi on pourra les conserver précieusement toute l’année dans chaque maison. Elles ont des vertus de protection et on en suspend des bouquets dans la cheminée et à l’entrée des étables.

De la même façon, une branche de averanèr [noisetier] ou de agreu [houx] placée à l’entrée de la maison protège de la foudre.

La carline, une herbe qui soigne et qui protège
Carline

Outre sa vertu de protéger la maison et les granges contre les maléfices et les sorcières qui s’accrochent sur ses poils, la carlina [carline], variété de chardon argenté, est un excellent baromètre. Elle s’ouvre par temps sec et se referme la nuit, par temps froid ou humide.

L’exploitation commerciale des bonas ièrbas

Thermes de Bagnères de Bigorre
Thermes de Bagnères de Bigorre

Au XIXe siècle, avec la vogue des bains, on développe l’utilisation des bonas èrbas dans un début d’industrialisation de la production. Ainsi, on associe les vertus des bonas èrbas aux vertus curatives des eaux thermales.

À Bagnères de Bigorre, le curiste reçoit un bain de vapeur qui traverse un récipient rempli de plantes aromatiques et émollientes et des effluves de sàuvia [sauge], de romaniu [romarin] et de mauva [guimauve]. Des massages sont prodigués avec du agram [chiendent].

En complément des bains aromatiques, on propose des cures de boissons et des bouillons d’herbes. La Barégine, élaborée à partir de racines et de plantes des Pyrénées, est une boisson qui a des propriétés antibiotiques, anti-inflammatoires et cicatrisantes.

Kiosque buvette des Thermes de Barbazan
Kiosque buvette des Thermes de Barbazan (© Wikimedia)

Des bouillons d’herbes sont proposés à partir des plantes du potager. À Barbazan en Comminges, un kiosque ouvert devant le casino vend du bouillon d’herbes que l’on boit entre deux verres d’eau ou que l’on emporte à la maison. Le bouillon contient des ortigas [orties], de mauva [mauve], des popalèits pissenlits, des bletas [bettes], des porets [poireaux], des pastanagas [carottes] et d’autres plantes du jardin.

De même, les liqueurs à base de plantes se vendent bien. On peut citer les Pères de Garaison qui commercialisent la liqueur « La Garaisoniènne » verte, jaune ou blanche. Cet élixir de Garaison est efficace contre les dyspepsies, les digestions difficiles, les gastralgies ou les coliques.

Les herboristes, une vraie profession

L'herboriste ou le commerce des herbes
Herboriste

Pour la première fois, la France reconnait le métier d’herboriste en 1312. Puis, elle crée, en 1778, le premier diplôme d’herboriste. Pour autant, le commerce des plantes est intensif. Pourtant, des condamnations sont prononcées contre les marchands improvisés comme à Lourdes en 1872 pour avoir « distribué et vendu, sur une des places publiques de la ville, des drogues, préparations médicamenteuses et plantes médicinales ».

Puis, entre 1803 et 1941, les écoles et facultés de pharmacie pouvaient délivrer un certificat qui permettait d’ouvrir une officine où on vendait des médicaments à base d’éléments naturels. Mais, ce diplôme est supprimé en 1941. Timidement, un décret de 1979 autorise la vente de 34 plantes en dehors des pharmacies. Puis, un autre décret de 2008 autorise 148 plantes, soit 27 % de celles qui sont inscrites à la pharmacopée française. Enfin, l’arrêté du 24 juin 2014 inventorie 641 plantes autorisées dans la fabrication de compléments alimentaires.

Toutefois, l’herboristerie légale disparait. Et des initiatives privées se développent pour enseigner la vertu des plantes :  École lyonnaise de plantes médicinales et des savoirs naturels, École des plantes de Paris ou encore École Bretonne d’Herboristerie à Plounéour-Ménez.

Marchand de gentiane en Ariège - Fonds Trutat
Marchand de gentiane en Ariège – Fonds Trutat

Ainsi, la phytothérapie vient à la mode. Et la demande est forte que ce soit des gélules, des sachets de plantes, des baumes aux plantes. Alors, les industries chimiques, cosmétiques et pharmaceutiques développent des molécules issues de plantes qu’elles vont chercher en Amazonie ou dans d’autres lieux éloignés. Et cela fait rêver le consommateur.

 

 

Un précurseur de la phytothérapie, Maurice Mességué

Maurice Mességué ou comment soigner par les herbes
Maurice Mességué (1921 – 2017)

Maurice Mességué (1921-2017) est un Gascon qui reste fidèle à son pays d’Auvillar en Tarn et Garonne. Il est surnommé le « Pape des plantes » tant sa connaissance est grande.

En fait, son père, paysan dans le Gers, lui enseigne son savoir des fleurs et des plantes et lui apprend à soigner et à guérir. Maurice s’intéresse aux maladies chroniques, délaissées par la médecine, ce qui lui vaut 21 procès intentés par l’Ordre des Médecins.

En 1945, il ouvre un cabinet à Nice. Il devient célèbre pour avoir soulagé Mistinguett de ses rhumatismes avec des plantes. En 1952, il publie à compte d’auteur C’est la nature qui a raison. C’est un immense succès, traduit en 10 langues.

Maurice Mességué - Mon herbier de santé (1993)
Maurice Mességué – Mon herbier de santé (1993)

Mais Maurice Messegué voit grand. En 1958, il crée à Paris le laboratoire Aux fleurs sauvages spécialisé dans la cosmétique à base de plantes : mauva [mauve], paparòc [coquelicot], rosa [rose]… C’est un succès. Plus tard, il le rapatriera dans le Gers, à Fleurance.

En continuant, il s’attaque aux méfaits de la pollution des produits phytosanitaires sur l’alimentation, des hormones et des antibiotiques dans les élevages. D’ailleurs il publie plusieurs livres qui auront une large audience : en 1968, il publie Votre poison quotidien et Vous creusez votre tombe avec vos dents. Puis, en 1970, il publie Mon herbier de santé, Mon herbier de beauté et enfin Mon herbier de cuisine.

Reconnu, il est élu Maire de Fleurance en 1971, puis Conseiller général. Il devient Président de la Chambre de Commerce et d’industries du Gers. Il installe à Fleurance sa société Laboratoires des Herbes Sauvages, puis crée une seconde société Fleurance chez soi pour commercialiser, par correspondance, les plantes aromatiques et médicinales.

Enfin, il se retire des affaires en 1994 et vend ses sociétés à ses anciens salariés qui les regroupent sous le nom de Laboratoires Maurice Messegué. En 1997, son dernier ouvrage s’intitule Sauver la Terre pour sauver l’homme.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Les bonnes herbes, usage de la flore et médecine populaire dans les Pyrénées centrales, Mathilde Lamothe, Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées
Univers de Mésségué




Les vacants au pays des Lugues

Le canton de Houeillès, situé en Lot et Garonne, fait partie de la grande Lande. C’est l’ancien pays des Lugues. Au XIXe siècle, il est l’objet de procès au sujet de la propriété et de l’utilisation des vacants.

Qu’est-ce qu’un vacant ?

Au Moyen-âge, la propriété féodale repose sur le principe de « nulle terre sans seigneur ». Bien sûr, il y a des terres franches qui ne dépendent d’aucun seigneur : les alleux mais ils sont minoritaires.

Félix Arnaudin - Coupeuses de bruyère
Félix Arnaudin – Coupeuses de brana [bruyère]

En outre, le seigneur propriétaire dispose d’une réserve, c’est à dire une partie de son domaine qu’il exploite ou fait exploiter pour les besoins de sa famille. Et des tenanciers prennent le reste de son domaine en payant un cens annuel pour la maison et les terres cédées.

Cette cession se fait sous la forme d’un bail à fief qui est une sorte d’emphytéose puisque le bénéficiaire, moyennant le paiement annuel du cens, peut transmettre le bien cédé à ses héritiers ou le vendre. Ainsi, le seigneur ne peut récupérer son bien que dans le cas où le bénéficiaire n’a pas d’hérédité, en cas de délaissement (le bénéficiaire abandonne la terre pour s’installer ailleurs) ou en cas de vente. Dans ce cas, le seigneur peut exercer son droit de prélation qui consiste à annuler la vente à son profit, moyennant l’indemnisation des parties (prix de la vente, frais de notaire, frais d’enregistrement).

En fait, seules les terres exploitables sont cédées. Dans le secteur de Houeillès, beaucoup de terres sont inadaptées à la culture : marais et landes. Personne n’en veut. Finalement, elles bénéficient à tout le monde pour faire paitre les troupeaux, couper la toja [ajoncs] ou la brana [bruyère], recueillir l’arrosia [résine]. Ces terres sont les vacants.

Qui est propriétaire des vacants ?

Les possessions des Albret en 1380
Les possessions des Albret en 1380

Même si aucun particulier ne les exploite, les vacants appartiennent au seigneur qui n’en tire qu’un petit bénéfice par le droit de coupe, par exemple.

Et dans le secteur de Houeillès, le seigneur est le sire d’Albret. Profitant de la guerre franco-anglaise en Aquitaine, les sires d’Albret constituent un important domaine, certes éclaté en plusieurs entités, qui devient un duché en 1550.

Par mariage, le domaine des Albret rejoint celui des rois de Navarre. Puis, Henri III de Navarre devient roi sous le nom de Henri IV et, comme le veut la tradition, il réunit ses domaines à la couronne en 1607.

Voilà le roi de France propriétaire du duché d’Albret. Puis, pour des raisons politiques, Louis XIV échange les principautés de Sedan et de Raucourt contre le duché d’Albret en 1651. Ainsi, le nouveau propriétaire est le duc de Bouillon. Mais cet acte concernant les domaines du roi n’est pas enregistré selon les formes.

Plus tard, la Révolution de 1789 met fin aux droits féodaux. Il faut plusieurs décrets entre 1790 et 1793 pour les liquider. Concernant le duché d’Albret, l’échange de 1651 n’ayant pas été enregistré dans les formes, il est tout simplement annulé.

De plus, une contribution foncière (c’est la taxe foncière que nous connaissons encore aujourd’hui) remplace les droits seigneuriaux. Et chaque commune rédige un état des propriétaires et des contributions à payer.

Mais, qu’en est-il des vacants, soumis à la contribution foncière, et que personne ne veut payer parce qu’il n’y a pas de propriétaire avéré comme pour les terres cultivables ? En effet, pourquoi payer pour des terres qui ne rapportent rien ?

Un premier procès concernant les vacants

Félix Arnaudin - Labours et Semailles 1893 - les vacants
Félix Arnaudin – Labours et Semailles 1893

Si les vacants ne sont à personne, tout le monde en profite à bon compte.

Or, l’administration des Domaines récupère les biens confisqués à la Révolution. Et les vacants ne trouvent pas preneurs à la vente. Même si quelques personnes essaient d’en acheter à bon compte, ils doivent faire face aux autres qui s’y opposent car ils perdent le bénéfice de leur utilisation.

Dans ce contexte tendu, la princesse de Rohan, héritière du duc de Bouillon, veut reprendre les domaines non vendus. En 1822, elle intente un procès contre le maire de Pindères au sujet de trois parcelles de vacants en pinhadar [plantés de pins].

La riposte s’organise et les propriétaires du pays des Lugues se réunissent à Houeillès. Alors, ils décident que si un vacant est revendiqué par les héritiers du duc de Bouillon, tous les propriétaires mettraient leur troupeau à pacager sur la parcelle et à y couper la toja pour empêcher la jouissance du vacant. De plus, ils diffusent un mémoire imprimé à toutes les communes, portant les arguments de défense.

Et, en 1824, le tribunal de Nérac donne raison à la commune de Pindères.

Houeillès (Carte Cassini 18e siècle) l- es vacants objets de procès
Houeillès (Carte Cassini 18e siècle)

Les procès se multiplient

Houeillès-église fortifiée
Houeillès-l’église fortifiée

Cependant, la princesse de Rohan revendique deux métairies au sud de Houeillès. Mais elle est déboutée et fait appel. Enfin, le tribunal d’Agen lui donne raison.

La princesse assigne alors les maires des communes de Saint Martin de Curton, Durance, Boussès, Lubans, allons, Sauméjan et Houeillès afin qu’ils délaissent les vacants de leur commune. Et, en 1826, la cour de Nérac donne raison à la princesse de Rohan. L’appel des maires est rejeté.

Alors, la princesse de Rohan continue : en 1827,  elle assigne le maire de Durance pour la possession de deux tours. Mais, cette fois, elle est déboutée. En même temps, elle engage des actions contre Tartas et plusieurs communes voisines, ainsi que contre Labrit et deux autres communes qui faisaient aussi partie du duché d’Albret.

Le dénouement des affaires

Félix Arnaudin
Félix Arnaudin

Si la cour d’appel d’Agen donne raison à la princesse de Rohan contre les communes de Saint Martin de Curton et de Pindères, c’est sous réserve de l’usage des vacants par les habitants.

En effet, l’usage doit être immémorial ou de plus de quarante ans selon le nouveau code civil. Encore faut-il le prouver ! Ainsi, le tribunal de Nérac et la cour d’appel d’Agen demandent aux communes de fournir les preuves. C’est une première victoire pour les communes.

Des procès à rebondissement

Georges-Eugène Haussmann vers 1860 (1809 - 1891) prend parti dans le procès des vacants
Georges-Eugène Haussmann vers 1860 (1809-1891)

Enquêtes et contre-enquêtes se succèdent. Les communes trouvent des témoins parmi leurs habitants. La princesse de Rohan prend soin d’en prendre parmi les « étrangers ». Patatras ! les témoins des deux parties vont dans le même sens. Et les communes gardent leurs droits de jouissance des vacants.

Si les cours d’appel de Pau (affaire de Tartas) et de Mont de Marsan (affaire de Labrit) donnent raison aux communes, celle d’Agen donne raison à la princesse de Rohan. Aucune commune perdante ne se pourvoit en Cassation. On y voit l’influence du sous-préfet de Nérac qui n’est autre que le baron Haussman. Et puis, les communes demandent des secours pour payer les procès mais ne reçoivent rien.

Ainsi, les procès durent depuis 10 ans et la princesse de Rohan vend ses domaines en 1836, soit 10 000 hectares de vacants dont elle a retrouvé la propriété et 8 550 hectares en cours de procédure.

Félix Arnaudin - Attelage de boeufs
Félix Arnaudin – Attelage de boeufs

Toutefois, les nouveaux propriétaires poursuivent les actions mais changent de tactique. Ils n’attaquent plus les communes mais citent à comparaitre des particuliers utilisateurs de vacants et les forcent à les leur restituer par voie de composition. Ainsi, ils obtiennent ainsi plus de 80 hectares. Mais, un comité consultatif de défense contre les envahissements des concessionnaires des héritiers du duc de Bouillon se constitue à Nérac. Comme en 1822, les vacants en litige sont aussitôt envahis par les troupeaux, on y coupe la toja et on met le feu au pinhadar.

Enfin, la cour d’appel d’Agen donne tort aux utilisateurs des vacants. Pour apaiser la situation, les parties cherchent des compromis. Pourtant, c’est bien la fin des vacants.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

La querelle des vacants en Aquitaine, Gilbert Bourras, J&D éditions, 1995.
La querelle des vacants en Aquitaine, Annales de démographie historique, Françoise de Noirfontaine, 1996, pp 449-450
La querelle des vacants en Aquitaine, Histoire et Sociétés Rurales, Jean-Baptiste Capit, 1996, pp 291-292




Les feux pastoraux dans les montagnes

Au printemps et à l’automne, la montagne semble bruler. C’est la saison des feux pastoraux, cremadas ou uscladas en gascon, pour l’entretien des pâturages. Cette pratique ancestrale oppose le monde rural et les défenseurs de la nature. Peut-être abus et ignorance ne favorisent pas le dialogue…

Une pratique ancestrale d’entretien de la montagne

L’écobuage se définit comme le défrichement avec brulis de la végétation en vue d’une mise en culture temporaire.

Cette pratique est aujourd’hui abandonnée en plaine. En fait, jusque dans les années 1960, on a l’habitude de bruler les chaumes pour fertiliser le sol. Puis, la généralisation de la mécanisation de l’agriculture et l’apport des engrais contribuent à sa disparition.

Cependant, elle est toujours employée en montagne : l’écobuage reste la méthode d’entretien des pâturages en terrain difficilement accessible aux engins agricoles. Tout en fertilisant le sol, il permet d’éliminer les résidus végétaux et les broussailles qui gênent la pousse des plantes herbacées au printemps. Et il permet de fournir des pâturages aux troupeaux.

Ainsi, en haute montagne, la croissance de la végétation étant lente, le brulage se fait tous les 7 à 10 ans sur une même parcelle. En basse montagne, la croissance des ajoncs, genévriers et genêts est plus rapide, il se fait tous les 2 ou 3 ans.

L’évolution de la pratique des feux pastoraux

Un robot-broyeur pour lutter contre les friches
Un robot-broyeur pour lutter contre les friches

L’exode rural, l’abandon des terres et la diminution des troupeaux ont favorisé la pousse des friches. Alors, les feux pastoraux se sont espacés et couvrent de plus grandes surfaces concentrées dans les endroits les plus facilement accessibles. Mais le manque de main d’œuvre provoque la baisse du savoir-faire ancestral.

De plus, les pâturages sont descendus sur des zones anciennement cultivées, plus proches des zones habitées où la végétation est plus dense. Ainsi, les feux sont plus importants et concernent parfois des versants entiers de montagne. Par conséquent, les dégâts peuvent être importants sur la faune, les lignes électriques ou les habitations.

De plus, ces mêmes espaces concentrent les projets de développement économiques et touristiques, ce qui provoque inévitablement des conflits d’usage et la remise en cause des faux pastoraux.

Que reproche-t-on aux feux pastoraux ?

Ecobuage sous surveillance
Ecobuage sous surveillance

Ses détracteurs reprochent aux feux pastoraux de gêner la protection du gibier en gardant des espaces ouverts, de détruire la faune incapable de fuir, comme les mollusques ou les larves, d’entrainer une diminution de la diversité florale, d’être une source de pollution de l’air dans certaines conditions par l’émission de fines particules.

Toutefois, les recherches semblent montrer que les feux pastoraux n’ont pratiquement aucun effet de dégradation sur la composition végétale. Les mêmes espèces se retrouvent avant et après, seules les proportions changent au bénéfice des plantes herbacées.

De plus, le brulage ne concerne que la partie aérienne des plantes. Il a peu d’impact sur les racines et sur les graines enfouies. En revanche, il permet la réouverture de milieux qui contribuent à la biodiversité de nos montagnes.

Détracteurs et défenseurs s’acharnent. Tout comme l’ours, le feu est un révélateur des problèmes d’aménagement de l’espace en montagne : enfrichement des milieux, entretien des espaces pastoraux ou paysagers, choix touristiques, écologiques ou forestiers, etc.

Des catastrophes qui provoquent une prise de conscience

La sécheresse de l’hiver 1988-1989 provoque d’innombrables incendies et des dégâts importants. C’est le point de départ d’une prise de conscience qui conduit à la création des commissions locales d’écobuage dont le canton d’Argelès-Gazost sera le précurseur.

Samedi 20 février 2021 – violent incendie entre la Rhune et Ibardin

De plus, le 10 février 2000, huit randonneurs sont piégés par un incendie sur le GR 10 dans les montagnes d’Estérançuby : cinq sont morts, deux gravement brulés, un seul rescapé. Ce drame accélère le processus de concertation entre les parties prenantes à la montagne.

Pourtant, des agriculteurs continuent leur pratique plus ou moins maitrisée. En février 2002, dans un contexte de déficit pluviométrique, de sécheresse hivernale, de températures élevées et d’un fort vent du sud, une vague d’incendie touche les montagnes. Excepté dans les Hautes-Pyrénées où les commissions locales d’écobuage fonctionnent, les feux dégénèrent presque partout : des forêts brulent, plus de 5 000 hectares dans le seul pays basque, les canadairs interviennent.

Cet épisode douloureux accentue la gestion des feux pastoraux au niveau départemental. Cela n’empêche pas de nouveaux feux incontrôlés comme celui qui a ravagé la montagne de la Rhune en février 2021.

La réhabilitation des feux pastoraux

Contrôle de feux pastorauxLongtemps accusés de dégrader les pâturages, les feux pastoraux sont désormais au cœur des enjeux de l’aménagement de l’espace pastoral et forestier. Après avoir cherché à les interdire, on les reconnait comme outil d’aménagement de l’espace et la loi d’orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 le réhabilite en tant que technique de prévention des incendies de forêt.

La loi sur la mise en valeur pastorale de la montagne de 1972 crée les Associations Foncières Pastorales et les Groupements pastoraux, qui réorganisent l’élevage. La loi pour le développement de la montagne de 1985 conduit à l’engagement des collectivités locales avec la création des Commissariats de Massif. L’Union Européenne met en place des aides pour la gestion de l’espace et de l’environnement. Chaque département met en place des organismes de développement pastoral.

S’appuyant sur les dispositions du Code forestier, des arrêtés préfectoraux réglementent la pratique des feux pastoraux.

Les commissions locales d’écobuage, instances de concertation et de régulation

Chantier pédagogique, démonstration d_usage des outils (65)
Chantier pédagogique, démonstration d_usage des outils (65)

Le code de l’environnement interdit le brulage des végétaux en plein air. Ils doivent être apportés en déchetterie. Les feux pastoraux constituent une exception notable à la réglementation.

Pour faciliter les feux pastoraux dans des conditions de sécurité améliorées, chaque département crée des commissions locales d’écobuage. Elles réunissent les collectivités, les services d’incendie et de secours, les éleveurs, les chasseurs, les forestiers, les gestionnaires d’espaces naturels, les naturalistes, les forces de l’ordre, etc. Ce sont des instances de concertation qui donnent un avis sur les chantiers déclarés et permettent leur organisation.

Les feux pastoraux sont autorisés seulement du 1er novembre au 30 avril de l’année suivante. Des arrêtés préfectoraux peuvent réduire cette période en cas d’épisodes de pollution de l’air.

Préalablement à tout chantier, le propriétaire doit en faire la déclaration à la mairie qui prévient les pompiers, les gendarmes, les communes environnantes et les riverains situés à moins de 200 mètres du brûlage. Une signalisation particulière doit être installée sur les sentiers de randonnée passant à proximité pour avertir les promeneurs éventuels.

Le propriétaire doit rester sur place et surveiller le feu jusqu’à sa complète extinction. En cas de manquement, les sanctions peuvent aller jusqu’à 1 an d’emprisonnement et une lourde amende.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Brûlage pastoral dans la vallée de Beaudéan (Wikipedia)
Brûlage pastoral dans la vallée de Beaudéan (Wikipedia)

Références

« Quinze années de gestion des feux pastoraux dans les Pyrénées : du blocage à la concertation », Jean-Paul Métalié et Johana Faerber, Sud-Ouest Européen, n° 16, p 37-51, Toulouse, 2003.
« Le feu pastoral en pays basque », Les cahiers techniques de Euskal Herriko Laborantza Ganbara, 5 mai 2019




La pibala, pibale ou civelle

La pibala [prononcer pibale] ou piba est l’alevin de l’anguille (Anguilla anguilla). Elle offre un mets raffiné et maintenant luxueux. Elle fait l’objet d’une pêche traditionnelle, mais ses effectifs sont en chute libre en raison d’un intense braconnage. Les mesures de protection font espérer un renouveau de la pibala.

Pibale en mouvement
Pibale en mouvement

La migration de la pibala

Dans sa vie, l’angèla (anguille) fait deux migrations. Elle pond dans la mer des Caraïbes puis ses larves entament une longue migration de 6 000 km, portées par le Gulf Stream, jusqu’aux côtes françaises et espagnoles. Après 1 an de voyage, elles arrivent de fin octobre à fin avril. Elles mesurent quelques centimètres et pèsent de 20 à 30 grammes.

Civelles ou pibales
Civelles ou pibales

Les pibalas s’engagent dans les estuaires et remontent les rivières à la recherche d’eau douce. Elles n’aiment pas la lumière. La nuit, elles sont en surface et s’enfoncent dans l’eau ou dans la vase le jour. Pourtant, elles réalisent des prouesses car elles sont capables d’escalader des barrages verticaux de quelques mètres.

Elles vivent dix ans dans les cours d’eau, les mares, les étangs et les fossés où elles connaissent quatre métamorphoses successives, avec des changements de couleur du jaune au gris et argenté, avant de devenir adultes.

L’angèla a des embryons de poumons. Sinon, elle respire par la peau et les branchies. Cela lui permet de parcourir plusieurs kilomètres sur un sol humide à la recherche d’étangs ou de mares isolées.

Enfin, elle redescend les cours d’eau pour regagner la mer des Caraïbes pour frayer et pondre, avant de mourir.

L'anguille
L’anguille

La pêche de la Pibala

La pêche à pied de la pibale
La pêche à pied de la pibale

La migration de la pibala donne lieu à une pêche traditionnelle à pied le long des cours d’eau. On utilise le pibalèr ou pibalor, sorte d’épuisette tamis qui permet de pêcher les pibalas de 1 à 5 cm. Souvent « plat du pauvre », elle complète l’alimentation des populations. Quand il y en a trop, on les donne aux poules.

1) la lampe à pétrole - (2) lo cedas à mailles fines - (3) la caisse à mailles moyennes
1) la lampe à pétrole – (2) lo cedàs à mailles fines – (3) la caisse à mailles moyennes

 

À noter : lorsque le temps est doux en avril, on dit en Médoc qu’il pibaleja [prononcer pibalège].

Aujourd’hui, c’est un mets recherché qui peut couter 1 000 € par kg, à tel point que les industriels commercialisent le « Gula », à base de morue d’Alaska, qui imite la pibala et à des prix plus raisonnables.

Pêche, sur-pêche et braconnage

À partir de 1967, l’État autorise la pêche en bateau. On estime que 3 à 4 000 tonnes de pibalas sont pêchées chaque année.

Puis, à partir des années 1970, un marché s’organise. Des pêcheurs professionnels prélèvent jusqu’à 4 000 tonnes de pibalas par an. Cette sur-pêche réduit considérablement la population et on n’en pêche plus que 110 tonnes en 2010.

D’ailleurs, il existe un marché en Espagne ou en Russie. Le marché asiatique, plus récent, recherche des pibalas vivantes pour les élever et les vendre, une fois adultes, en Chine, au Japon, en Corée et à Taïwan. Comme jusqu’ici, il n’est pas possible de faire reproduire les angèlas en captivité, le braconnage est intense.

En 2021, on a démantelé un trafic international  après plusieurs années d’enquête. Plus de 46 tonnes de pibalas ont été exportées frauduleusement en Chine où le prix du kilo atteint 5 000 €. On a arrêté des mareyeurs français et un gérant de « société écran » espagnole. L’affaire commence par l’arrestation de trois Chinois, lors d’un banal contrôle routier en Ariège, avec 50 kg de pibalas dans leur coffre. La justice les condamne à 5 ans de prison, dont 3 avec sursis et à 20 000 € d’amende.

Le braconnage est la principale cause de la chute de la population de pibalas et d’angèlas. Elle est de 75 % en 30 ans. L’espèce est considérée comme menacée.

Trafic de civelle - un réseau démantelé dans le Médoc, des ramifications en Espagne et au Portugal
Trafic de pibales – un réseau démantelé dans le Médoc, des ramifications en Espagne et au Portugal

L’angèla et la pibala sont protégées

L’angèla et la pibala sont protégées depuis 2009, au titre des espèces menacées de disparition. En France, l’arrivée de pibalas en 2019 correspond à 5 % des effectifs constatés en 1989.

Un système de licences et de quotas, réglemente strictement, la pêche, réservée à la consommation personnelle et au repeuplement des rivières. Faisant suite à un règlement européen de 2007, la France approuve en 2010 un plan de gestion de l’anguille. Il prévoie la lutte contre le braconnage, l’amélioration de la continuité écologique, la réduction de la pêche, la réduction de la pollution et des mesures de repeuplement.

Le silure, prédateur des anguilles et des pibales
Le silure, prédateur des anguilles et des pibales

La pêche professionnelle se réduit de moitié en 10 ans. Cependant, la lutte contre la pollution est plus difficile : l’angèla est un poisson gras qui accumule les polluants solubles dans les graisses, pollution lumineuse car la pibala est sensible à l’éclairage artificiel, pollution thermique due aux rejets d’eaux chaudes de certaines usines. En revanche, rien n’est fait contre le silure, grand prédateur de pibalas et d’angèlas.

La pêche de la pibala se déroule sur 5 mois, du 1er décembre au 15 avril, en contrepartie de la déclaration des prises et des ventes aux Affaires maritimes. Les bateaux ne doivent pas dépasser 10 mètres, une puissance de 150 cv et les tamis à mailles ne peuvent dépasse un diamètre de 1,20 mètre.

Dans les Landes, sur les 57 pêcheurs titulaires d’une licence en 2000, il n’en reste plus que 4 en 2005.

Une remontée de la population

Programme de suivi des poissons migrateurs
Programme de suivi des poissons migrateurs

La Fédération de pêche de la Gironde conduit, au canal du Porge, un programme de suivi de la population d’angèlas et de pibalas. Il s’agit de les capturer à leur passage dans le canal pour en compter la population.

Ce suivi montre une diminution importante de 2008 (95,9 kg) à 2011 (23,5 kg), puis une remontée en 2012 (135 kg) et 2013 (349 kg), suivie d’une nouvelle diminution de 2014 à 2016 pour arriver à seulement 40 kg.

Depuis 2017, la population remonte régulièrement. En 2019, 92,5 kg d’angèlas ont été capturées, dont 77% de pibalas.

Le Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) recommande de ne plus pêcher de pibalas pour permettre la reconstitution de l’espèce. L’État attribue des quotas annuels de pêche : 57 tonnes en 2021.

La Fédération Nationale de la Pêche et des associations de protection de la nature ont saisi, en mai 2021, le Conseil d’Etat pour dénoncer les quotas.

Certains experts recommandent d’interdire la pêche de la pibala en bateau, l’interdiction de la pêche de l’angèla quand elle repart en mer, de réduire à 2 mois la période d’autorisation de la pêche.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Fédération de pêche de la Gironde
Centre culturel du pays d’Orthe
Wikipédia




Félix Arnaudin l’imagier

C’est aujourd’hui, 6 décembre 2021, le centenaire de la mort de Félix Arnaudin. L’occasion de se souvenir de ce grand photographe.

La vocation de Félix Arnaudin

Félix Arnaudin - Autoportrait
Félix Arnaudin – Autoportrait (colorisé)

Félix Arnaudin est né à La Bohèira [Labouheyre] dans les Landes, le 30 mai 1844. Son père est concessionnaire des forges de Pontenx et possède quelques propriétés.  Ils vivent dans la maison du Monge. Le jeune Félix va au collège pendant 3 ans (1858 à 1861), à Mont-de-Marsan, sans grand enthousiasme. Heureusement, au retour chez lui, il fréquente l’abbé Cassiau et continuera à s’instruire avec lui.

Il commence par travailler avec son père mais ne montre ni gout ni aptitude pour ce métier de commerce. En fait, il traine sans trouver sa voie.

La maison Arnaudin
La maison Arnaudin

Pourtant, les choses vont changer. Il publie, en 1873 dans la Revue de Gascogne, un article qui raconte la mort étrange de Bernard de Pic de Blais de la Mirandole (1725-1760). Partant de propos (légende ?) qu’il a recueillis, il creuse les archives pour en découvrir les fondements et les expose dans la revue sous le titre Une branche des Pic de la Mirandole dans les Landes, p 259-267.

Jean-Baptiste Lescarret (1819-1898) l’encourage et le présente à l’Académie de Bordeaux. Lescarret est avocat, professeur d’économie politique et sociale, membre de sociétés savantes et auteur de romans. Il a aussi écrit un essai pour dénoncer la plantation systématique des pins maritimes (1858). Une opinion que les deux hommes partagent.

Le tournant décisif

Marie Darlanne
Marie Darlanne (1856-1911)

Félix Arnaudin s’éprend de Marie Darlanne (1856-1911) qui est au service de sa mère dans la maison familiale. Mais, la liaison est découverte et Marie est chassée en 1874. Félix a 30 ans. Il commence un journal qu’il tiendra pendant 40 ans.

Ne pouvant oublier Marie, il s’installera finalement avec elle à partir de 1881, et restera à ses côtés jusqu’à sa mort. La famille refuse cette mésalliance et Félix ne l’épousera pas.

Félix est un rêveur. Heureusement, il vit des revenus des métairies. Pourtant, en cette année 1874, le destin se précise. Félix achète son premier appareil photographique.

Félix Arnaudin l’ethnologue

Arnaudin - Fontaine Saint-Michel (1903)
Arnaudin – Fontaine Saint-Michel (1903)

Parcourant à vélo son pays, il va collecter un nombre impressionnant d’informations. Un collectage d’autant plus précieux que la forestation voulue par Napoléon III est en train de profondément chambouler la région.

Il procède de façon méthodique. Il établit un questionnaire qui lui permet d’interroger précisément les habitants de la région. Ensuite, il remplit des fiches d’enquête.

Félix Arnaudin - Attelage de boeufs
Félix Arnaudin – Attelage de boeufs

Il recueille méticuleusement des contes, des proverbes, des chants. Entre 1888 et 1910, il interroge 340 personnes. Il recueille plus de 150 mélodies et publie trois volumes de chants. Il note aussi les mots gascons utilisés, l’histoire, l’archéologie ou encore l’écologie de sa région.

En réalité, s’il a beaucoup amassé, il publie peu, quelques articles, une poignée de livres à faible tirage.

En 1912, il écrit dans Chants populaires de la Grande Lande : « Que de choses aimées dont chaque jour emporte un lambeau ou qui ont déjà disparu et ne sont plus qu’un souvenir ! « 

Félix Arnaudin - Les fileuses
Félix Arnaudin – Les fileuses

Un exemple de collectage : Trop, trop

En janvier 1913, Félix Arnaudin publie dans la revue Reclams de Biarn e Gascounhe (p 17) une chanson Trop, trop / Tròp, tròp. que l’on peut chanter lentement comme berceuse ou un peu plus vite pour en faire une chanson de danse.

      2. Arnaudin-Trop-Trop

Trop, trop
S’i ère luouat lou moyne,
Trop, trop,
S’i ère luouat matin
Carque soun sac su’l’ayne, – E hay ent’aou moulin, – Trop, trop…
I hadè’n tchic de brume, – S’i a perdut lou camin. – Trop, trop…
S’i a stacat lou soun ayne, – Eus mountat sus un pin. – Trop, trop…
Le garralhe ére seuque, – Toumbe lou jacoubin. – Trop, trop…
Que s’i’a dehéyt le coueche, – Disé qu’ére lou dit. – Trop, trop…
Lés heumnes dou besiatje, – An entinut lou crit. – Trop, trop…
L’uoue porte le guélhe, – E l’aoute lou tcharpit – Trop, trop…
E l’aoute le ligasse, – Pèr li liga lou dit. – Trop, trop…
S’i ère luouat lou moyne, – S’i ère luouat matin.

Arnaudin - Moulin à vent avec Jeanne Labat d'En-Meyri (1896)
Arnaudin – Moulin à vent avec Jeanne Labat d’En-Meyri (1896)

Trop, trop  S’était levé un moine. – Trop, trop, – S’était levé matin.
Il charge son sac sur l’âne. – Il va vers le moulin. – Trop, trop…/
Il faisait un peu de brouillard. – Il a perdu son chemin, – Trop, trop…/
Il a attaché son âne. – Il est monté sur un pin, – Trop, trop…
La branche était sèche. – Tombe le jacobin. – Trop, trop…
Il s’est démis la cuisse. – Il disait que c’était le doigt. – Trop, trop…
Les femmes du voisinage. – Ont entendu le cri. Trop, trop…
L’une apporte le chiffon. – Et l’autre de la charpie. Trop, trop…
Et l’autre la bande pour lui lier le doigt. Trop, trop…
S’était levé le moine. Trop, trop… S’était levé matin.

Comment ne pas reconnaitre les paroles de la comptine Compère Guilleri ? Et ce n’est peut-être pas si étrange.  Philippe Guillery, le capitaine des voleurs, nait en 1566 en Bas-Poitou, village Les Landes. Il passe ses dernières années à Bordeaux, avant d’être reconnu et roué de coups en 1608.

Félix Arnaudin, l’imajaire

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Félix Arnaudin constitue un répertoire détaillé d’images. Car il se considère comme un imajaire [un imagier] et non un photographe, mot qu’il a en horreur le considérant comme un des « plus détestables emprunts à mon goût, que le français ait pu faire au grec ».

Les quatre premières années (1874-1878), il fait une soixantaine de sorties autour de chez lui et produit 216 négatifs.

Félix Arnaudin - Eglise de Bias (1897)
Félix Arnaudin – Eglise de Bias (1897)

À sa mort, ce sont presque 2 500 images qui sont répertoriées. Il s’intéresse aux paysages qui représentent la moitié de ses photos. Ainsi, il photographie des champs, des lagunes, des pins, des mottes témoins du passé.

Il donne aussi une bonne place à l’habitat, fermes, maisons, moulins, et aussi à des témoignages anciens comme des églises, des sources et fontaines aux vertus médicinales, des bornes de sauveté.

Enfin, il s’intéresse aux portraits de personnes ou à des scènes de vie quotidienne. Ces images sont des mises en scène murement réfléchies par notre imagier.

Groupe d’hommes – Félix Arnaudin (1844-1921)

Le souvenir

Félix Arnaudin en chasseurSa passion, son amour pour le pays, son sens de la collecte paraissent étranges à son entourage. Il est surnommé lo pèc, un nom affectueux ou moqueur pour qualifier une personne simple ou niaise.

Le 30 janvier 1921, Félix Arnaudin écrit : « Dans ma pauvre vie de rêveur sauvage, toutefois anxieux de notre passé local, je n’ai guère reçu d’encouragements ; l’indifférence et les railleries, un peu de tous côtés, en ont volontiers pris la place ».

Note préparatoire
Note préparatoire

Certains de ses manuscrits, confiés au professeur de l’université de Bordeaux, Gaston Guillaumie (1883-1960), sont perdus.

Le fonds d’archives est maintenant consultable à l’écomusée de Marquèze, dans les Landes.

Plusieurs ouvrages ont été publiés sur Félix Arnaudin. Citons la Grammaire gasconne du parler de la Grande-Lande et du Born à travers les écrits de Félix Arnaudin, Renaud Lassalle, Editions Des Regionalismes, 2017.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle.

Références

Les fonds de Félix Arnaudin (1844-1921), collecteur et photographe des « Choses de l’ancienne Grande Lande », Florence Galli-Dupis, 2007
Chants populaires de la Grande Lande, Le monde alpin et rhodanien, Georges Delarue, 1973,  pp. 171-172
Choses de l’ancienne grande Lande, Félix Arnaudin
49 images de Félix Arnaudin sur Wikimedia Commons