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Les feux dans le pinhadar

Le pinhadar connait régulièrement de gigantesques incendies comme celui de l’été 2022. Hélas, ce n’est pas le premier grand incendie qui touche le pinhadar. La prévention et la lutte contre les feux de forêts est une préoccupation constante.

Le grand incendie de 1755 dans le Marensin

Le Marensin est couvert d’un pinhadar naturel. Les incendies y sont fréquents mais ils ne font pas de grands ravages. En fait, dès qu’un incendie se déclare, toute la population s’organise pour lutter contre le feu. Il est vrai que le pinhadar du Maransin est une importante ressource économique qui profite à toute la population.

Pourtant, en avril 1755, un grand incendie ravage le Marensin.

La correspondance de l’Intendant d’Etigny avec le Contrôleur Général nous révèle les faits

Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)
Antoine Mégret d’Etigny (1719-1767)

En fait, le feu est accidentel : un particulier qui prépare le repas pour des charbonniers met le feu à la cabane. D’Etigny écrit : Il mit le 5 de ce mois le feu à la cabane de planches où il était et, en très peu de temps, le pignada fut incendié. Le feu se communiqua tout de suite dans la paroisse de Castets au Levant, et dans celle de Linxe au Nord, et les ravage toutes de même que celle de Talles et Lesperon, indépendamment de quelques autres communautés de la Généralité de Bordeaux, entre autres celle de Dorignac.

Malheureusement, le feu détruit tout sur son passage : maisons, moulins, ruches. Et il y a de nombreux morts surpris par le feu porté par un vent impétueux et parce que les flammes se communiquaient avec autant de vitesse qu’un cheval allant le grand galop.

On craint une reprise du feu à tout moment. En effet, il n’est pas éteint et ne le sera-t-il pas même de longtemps, parce qu’il est dans la racine des arbres et qu’il faut des mois entiers pour qu’il puisse s’éteindre, à moins qu’il ne survienne des pluies abondantes.

La population est en état d’alerte : les habitants qui n’ont pas tout perdu sont-ils occupés jour et nuit à faire une garde exacte pour pouvoir se porter dans les endroits où le feu paraitrait vouloir se ranimer et faire en sorte de l’étouffer tout de suite avec du sable.

Mais, le 21 avril, d’Etigny signale un nouvel incendie à Rions et à Magescq. Et encore le 8 mai, un autre à l’Espéron et à Onesse.

Le Marensin connait d’autres incendies ravageurs en 1803 au cours duquel 700 000 pieds de pins disparaissent et, en 1822, sur les communes de Messanges, Moliets et Soustons.

Des feux de forêt qui se multiplient avec le boisement en pins

Résinier du Marensin – Bonnard, Camille (1794-1870) © Gallica

La loi de 1857 organise le boisement des Landes. Mais la chose ne se fait pas sans résistance de la part des bergers. Alors, des incendies se déclarent un peu partout. De 1869 à 1872, 24 000 hectares de jeunes plantations brulent dans les Landes ; en 1870, ce sont 2 261 hectares dans le Lot et Garonne et 10 000 hectares en Gironde.

Le gouvernement s’en émeut et charge Henri Faré (1828-1894), Directeur général de l’administration des forêts, d’une enquête qu’il réalise en 1873 : Je me suis rendu successivement à Dax le 28 février, à Mont-de-Marsan le 30, à Captieux le 1l mars, à Bazas le 5, à Villandraut le 6, à Bordeaux le 7, et à Agen le 11 mars. Quarante-neuf déposants ont été entendus et plusieurs dépositions écrites ont été recueillies ; le nombre de ces dernières dépasse cinquante.

Les déposants sont quasi unanimes : Les incendies sont dus en grande partie aux mécontentements qui se sont produits par suite de l’ensemencement trop rapide des landes.

M. de Lacaze, propriétaire à Casteljaloux ajoute : Une partie des petites landes dont jouissaient les communes fut attribuée en 1828, à la suite d’un procès, au duc de Bouillon. Ces landes ont été vendues à de grands propriétaires qui les ont ensemencées, et elles ont été brulées. En 1848, ces mêmes terrains, ensemencés de nouveau, furent vendus, et le feu y a encore été mis par place. Par conséquent, ces évènements sont liés à la succession du duc de Bouillon.

Lutter contre les feux de forêt

Coupe-feu à Hourtin (32) pour lutter contre les incendies
Coupe-feu à Hourtin (32)

Henri Faré cherche à connaitre l’origine des incendies et les mesures qu’il convient de prendre pour s’en préserver et lutter efficacement contre les incendies. Dans les forêts domaniales, les pare-feux sont efficaces. Aussi, il veut savoir s’il faut les généraliser.

Pourtant, les moyens de lutte sont dérisoires. Ils consistent à « disposer les travailleurs sur une route ou sur une ligne de pare-feu parfaitement débarrassée de matières combustibles. Chacun d’eux est pourvu d’une perche munie de ses feuilles vertes ; et c’est en frappant les parties embrasées, soit sur le périmètre de la ligne, soit en arrière, lorsqu’un nouveau foyer produit par des flammèches portées au loin vient à éclater, qu’on arrête l’incendie ».

Bien sûr, il y a d’autres grands incendies : 1892 au cours duquel 10 personnes périssent ; 1898, année de sècheresse, 50 000 hectares sont perdus.

L’incendie meurtrier de 1949

Au sortir de la guerre, la forêt manque d’entretien. Les coupe-feux sont dans les broussailles, on ne peut y accéder. L’été 1949 est caniculaire, comme ceux de 1947 et 1948.

Hélas, le 19 août, un incendie se déclare à Saucats. L’imprudence du gardien d’une scierie déclenche le feu par un mégot de cigarette mal éteint. Or, les vents violents et changeants poussent l’incendie sur les communes de Cestas, Marcheprime et Mios.

Les sauveteurs, acheminés sur place, luttent contre les flammes avec des branches d’arbre. Ils allument des contrefeux mais le vent ramène le feu dans une autre direction. Donc, il faut recommencer plus loin.

Alors, on appelle La troupe en renfort. Des soldats anglais prêtent main forte. Heureusement, les pompiers de Paris sauvent le village de La Brède.

En Gironde, le feu ravage Saucats, le 20 août 1949
Le 20 août 1949, le feu ravage Saucats (Gironde)

Le feu ne recule pas

En 1949, incendie à Saint Jean d'Illac et Toctoucau (Gironde)
En 1949, incendie à Saint Jean d’Illac et Toctoucau (Gironde)

Le 20 août, le feu menace Salles et Mios. Il parcourt 4 kilomètres par heure. Enfin, grâce aux contre feux, le sinistre ralentit.

Puis, vers 15 h, le vent change soudain de direction et ranime l’incendie. Il parcourt 6 000 hectares en seulement 20 minutes. Et les sauveteurs se retrouvent pris au piège.

Une catastrophe humaine

On compte 82 morts, brulés vifs, dont 26 habitants de Canéjan, 16 de Cestas et 23 soldats du 33° régiment d’artillerie de Poitiers, venus en renfort. Un survivant raconte l’horreur : On voyait les flammes courir tout au long de leurs corps étendus ; la graisse gonflait et les flammes gouttaient au bout de leurs souliers, de leurs bottes ou de leurs sabots carbonisés … On décrète le 24 aout, jour de deuil national.

En outre, toute la région est plongée dans le noir. En effet, une pluie de cendres et d’aiguilles carbonisées tombe sur Bordeaux. La fumée se voit à 100 km à la ronde. Enfin, le vent tombe vers 22 heures. Les incendies se calment, les derniers feux s’éteignent le 25 aout. Toutefois, l’incendie a ravagé 52 000 hectares.

Ce grand incendie sera le point de départ d’une réflexion sur les moyens de lutte à mettre en place et à généraliser.

Voir ici les informations télévisées de 1949, INA.

Les moyens de prévention et de lutte contre les feux de forêt

Prévenir les feux de forêt - campagne d'information
Prévenir les feux de forêt – campagne d’information

Aujourd’hui, le Pinhadar comprend 42 000 km de pistes forestières que les pompiers peuvent emprunter pour s’approcher du feu. On a aménagé des puits, des citernes enterrées et des étangs dans tout le massif. En tout, 5 000 points d’eau sont à la disposition des pompiers.

Mais ces aménagements ne doivent pas faire oublier que la prévention des feux est le premier moyen de lutte en évitant qu’ils ne démarrent. Et on sait que 90 % des feux sont d’origine humaine : activités agricoles, mégots de cigarette, barbecues, feux de camp, etc.

Ainsi, les touristes comme les riverains peuvent éviter les comportements dangereux, en ayant les bons réflexes au quotidien.

Des gestes simples suffisent en période sèche ou de canicule : éviter de stocker des combustibles près de la maison, ne pas utiliser d’outils susceptibles de provoquer des étincelles, ne pas fumer dans les friches ou les champs, ne pas jeter des mégots.

Le reste de l’année, il faut débroussailler son jardin sur 50 mètres tous les abords de construction lorsqu’elles se situent à au moins 200 mètres d’une forêt. Il faut enlever les arbres et les branches à moins de 3 mètres d’une maison, retirer les arbres et les plantes mortes, libérer les voies d’accès de tout encombrement.

Quant aux moyens humains et matériels déployés par la Sécurité civile, il convient de ne pas tomber dans le piège du sensationnel et de la polémique systématique : les moyens étaient-ils suffisants ? Aurait-on pu l’éviter ? etc.

Les grands incendies surviennent par temps d’extrême sècheresse comme celle de l’été 2022. Alors, chacun doit veiller à appliquer les mesures de prévention. 

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Wikipédia.
Enquête sur les incendies de forêts dans la région des Landes de Gascogne, Henri FARÉ, 1873.
Les incendies de forêts dans les Landes au XVIIIe siècle, Maurice BORDES, Bulletin de la Société Archéologique du Gers, 1948-07.




Lo cinema en lenga nosta

Le cinéma en langue de chez nous concerne principalement le genre documentaire. Il a aussi produit quelques autres films. Un genre à développer pour les générations à venir ?

Le cinéma documentaire

Patrick Lavau, cinéaste
Patrick La Vau

Cherchant à conserver la mémoire de notre culture, les productions audiovisuelles sont surtout le cinéma documentaire. Dans ce genre, on peut citer les films du Girondin Patric La Vau. Depuis 2005, il est un réalisateur remarqué de films en lenga nosta. Il s’agit souvent des souvenirs d’une personne qui parle quotidiennement notre langue. Par exemple, parmi ses premières productions, Gemèir de Gasconha [Raymond Lagardère] raconte ses luttes et ses passions de représentant des gemmeurs.

En 2022, ce sont sept films que nous propose le réalisateur dont Eric Fraj, 50 ans de cançon ou Las causas deu passat. Dans ce dernier film, d’une grande beauté, Éliette Dupouy (1933-2020) évoque sa vie, son gout des histoires, les premiers textes qu’elle a commencé à écrire à l’âge 15 ans.

Les débuts du cinéma en parlers d’oc

Georges Rouquier (1909 - 1989), cinéaste
Georges Rouquier (1909 – 1989)

Si on remonte le temps, un film documentaire, de nos voisins, est remarqué. Il s’agit de Farrebique ou les quatre saisons de Georges Rouquier (1909-1989), qui sort en 1946. Il raconte la vie des Rouquier, une famille de paysans aveyronnais. À sa sortie, le film passe en tête des entrées en une semaine et vaudra à son auteur des distinctions prestigieuses : Prix FIPRESCI du Festival de Cannes, Grand Prix du Cinéma Français, Médaille d’or à la Mostra de Venise, Grand Épi d’or à Rome et le BAFTA du meilleur documentaire.

Georges Rouquier sort en 1983, Biquefarre qui continue la saga familiale des Rouquier, avec les mêmes acteurs que dans Farrebique, mais 38 ans plus tard.

Jean-Pierre Denis, cinéaste
Jean-Pierre Denis (1946 – )

De même, Jean-Pierre Denis, né en à Sent Lèon d’Eila [Saint-Léon-sur-l’Isle] en Dordogne, réalise Histoire d’Hadrien. Le film est projeté pour la première fois au Festival de Cannes de 1980. Il remporte le prix de la Caméra d’or. Il raconte l’histoire d’Hadrien, un jeune Périgourdin recueilli pas sa grand-mère, qui fait l’apprentissage de la vie dure de la campagne. Après la Grande guerre, il devient cheminot et participe aux grèves de 1920.

Deux ans plus tard, Jean-Pierre Denis récidive avec La Palombière qui met en scène un chasseur à l’affût dans sa palombière. Un jour, il rencontre Claire, jeune institutrice…

Le cinéma de Jean Flechet

Jean Fléchet, cinéaste
Jean Fléchet (1928 – )

En 1980, le Lyonnais Jean Flechet (1928- ), réalise pour le cinéma et la télévision, le premier long métrage entièrement en gascon L’Orsalhèr.

Mais il avait déjà mis en scène les parlers du sud. Ainsi, en 1964, une courte farce, La Sartan, tourne autour d’une poêle et d’une chipie qui sont les deux sens du mot sartan en provençal.

Ou encore La Fam de Machougas, tourné durant l’automne 1963, narre les aventures d’un personnage affamé, mangeant sans cesse et apaisé seulement par sa terre et l’amour.  Une allégorie du peuple occitan dépossédé de sa culture.

Le collectage

Dans la lignée du film documentaire, on peut ajouter les collectages, cette façon de collecter les traditions, les costumes, les musiques, les chansons, les danses, les contes, les légendes et aussi les savoir-faire, les techniques ou les recettes. Cela se pratique depuis quelques décennies.

Citons le site oralitat de gasconha qui rassemble des collectages effectués par l’Ostau comengés, Nosauts de Bigòrra, Numériculture Gascogne et Media d’Oc.

Le travail de doublage de films en oc

S’il y a relativement peu de films qui laissent une grande place à nos parlers d’oc, il convient de saluer le formidable travail de doublage de films réalisé par Conta’m, une association basée à Nay dans les Pyrénées-Atlantiques.

Conta’m assure l’intégralité du travail technique et artistique, depuis la négociation des droits sur les films jusqu’à la distribution des films doublés en langue régionale.

Les comédiens ne sont pas tous professionnels.  Mais Conta’m forme des comédiens de tous les âges pour doubler ses films. Si le cœur vous en dit…

On peut voir son travail de doublage dans quelques cinémas qui en font la projection, ou se procurer un DVD pour le voir, revoir et re-revoir et… chez soi. On peut aussi s’abonner sur www.ocvod.fr, la nouvelle plate-forme de films à la demande doublés en parlers d’oc.

Trotet ou les Contes a Rebors sont de bonnes façons de rappeler notre parler à nos enfants. Et comment résister à Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau où les mousquetaires parlent leur langue ? Ou à Terminator 2 qui parle en gascon ?

De toute façon, il y en a pour tous les âges ! Laissez-vous tenter.

Des initiatives

Clap de lenga à Salies

Depuis 2010, l’association Accents du Sud propose un festival du film en parlers d’oc à Salies-du-Béarn. En 2020, ils proposent une vingtaine de films de toute sorte : courts métrages, documentaires, films d’animation, collectages ethnographiques, longs métrages. Un concours de scénarios met même 12 projets de courts métrages en compétition.

Le kinoculteur

Steve et Flash

Deux frères, Steeve et Flash, en fait Périgourdins, proposent des petites séances de cinéma itinérant. De façon humoristique, ils ont lieu dans une vieille bétaillère à brebis tirée par un motoculteur ! Ainsi, ils mêlent western et culture locale. La musique, les doublages et les bruitages sont réalisés en direct avec le public.

 

Le cinéma et les dialectes d’oc

Au-delà de la Gascogne, des réalisateurs sortent aussi des films en différents parlers d’oc qui font parler d’eux.


Malaterra de Philippe Carrese (1956-2019), sorti en 2003, raconte la vie d’une famille pendant la Grande guerre de 14 et les rumeurs de malédiction autour d’un village abandonné que l’on croit hanté. La plus grande partie des dialogues sont en provençal sous-titrés en français. Un groupe de ragga occitan, Massilia Sound System, compose la musique du film.

Le vent fait son tour est un film italien de Giorgio Diritti (1959- ), sorti en 2005. Il raconte la vie de Philippe, un professeur devenu berger, qui s’installe avec sa famille dans un village des vallées occitanes d’Italie. Le village accueille les nouveaux venus et l’aident à s’installer. Mais Philippe ne respecte pas les usages locaux liés aux droits de propriété. La bienveillance des habitants fait vite place à l’hostilité. Le film est cinq fois primé dont au Festival du film de Londres et à celui de Rome. C’est l’occasion d’entendre l’occitan des vallées italiennes.

La Peur de Damien Odoul (1968- ) sort en 2015. Il raconte l’histoire de Gabriel, un jeune soldat qui combat lors de la Grande guerre de 1914. Tourné au Québec, les dialogues sont en français et dans la langue maternelle des soldats originaires du tiers sud de la France. Ils sont sous-titrés en anglais. Le film reçoit le prix Jean Vigo 2015 à Paris, au Centre Pompidou.

La peur, film de Damien Odoul (2013)
La peur, film de Damien Odoul (2013)

Le cinéma à inventer pour notre futur ?

Bernard Manciet (1923 - 2005)Se méter cap entà ua pensada de desirança, disait l’écrivain Bernard Manciet (1923-2005).

Faire vivre la Gascogne, n’est-ce pas investir tous les moyens — tous les médias — pour la rendre visible ?

D’ailleurs, Bernard Manciet disait lors d’un interview de France 3 en 1993 : Le gascon survivra. Puis s’il ne survit pas, personne n’en mourra. Vous savez mourir on n’en meurt pas.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

site de Patric La Vau
Expérimental Occitan
Conta’m
Premier clap pour le film occitan
La peur, Lo Jornalet, Laurenç Revest, 27/08/2020




Voyage à Bazas

Capitale du peuple des Vasates, Vasats en gascon, Bazas en français, est une ville importante qui est âprement disputée pendant la guerre de Cent ans. En partie détruite lors des guerres de religion, elle a conservé les marques de son prestigieux passé.



Cossium, la patrie du poète Ausone

Buste d'Ausone, rue Ausone à Bordeaux
Buste d’Ausone de Bertrand Piéchald, Rue Ausone à Bordeaux

Decimus Magnus Ausonius (309-395), plus connu sous le nom d’Ausone, fait une carrière dans le cursus honorum romain. Sa famille possède plusieurs domaines entre Bordeaux, Bazas [Cossium de son nom romain] et Marmande.

Il étudie à Bordeaux et à Toulouse puis enseigne la rhétorique et la grammaire à Bordeaux.

Son grand-père est précepteur de la famille impériale. En 364, le nouvel empereur Valentinien l’appelle auprès de lui comme précepteur de son fils Gratien. Ainsi, Ausone jouit des faveurs de l’empereur. D’ailleurs, il est Comte du Palais en 367, Questeur du palais en 374, Préfet du prétoire des Gaules en 377 et 378, Consul en 379 et enfin Proconsul d’Asie.

Ausone le poète

Ausone met fin à sa carrière politique en 381. Il revient alors à Bordeaux et compose des poèmes qui célèbrent la joie de vivre, la table et les vins. Voici ce qu’il dit de Bordeaux (extrait) :

Burdigala est le lieu qui m’a vu naitre : Burdigala où le ciel est clément et doux ; où le sol, que l’humidité féconde, prodigue ses largesses ; où sont les longs printemps, les rapides hivers, et les coteaux chargés de feuillage. Son fleuve qui bouillonne imite le reflux des mers. L’enceinte carrée de ses murailles élève si haut ses tours superbes, que leurs sommets aériens percent les nues. On admire au dedans les rues qui se croisent, l’alignement des maisons, et la largeur des places fidèles à leur nom ; puis les portes qui répondent en droite ligne aux carrefours, et, au milieu de la ville, le lit d’un fleuve alimenté par des fontaines ; lorsque l’Océan, père des eaux, l’emplit du reflux de ses ondes, on voit la mer tout entière qui s’avance avec ses flottes.

La poésie d’Ausone n’a plus le même attrait fin XIXe siècle. Ainsi, Ferdinand Lot (1866-1952), célèbre historien et médiéviste, trouve Ausone ennuyeux et sans originalité.  Il reprend ainsi l’avis du latiniste René Pichon (1869-1923) qui déclare : Son style, bourré de citations, de plagiats et de pastiches, est celui d’un vieux professeur qui a la tête meublée d’expressions consacrées et qui croit rendre aux auteurs qu’il a si longtemps expliqués un suprême hommage, en pensant et en parlant sans cesse d’après eux.

En tous cas, les écrits d’Ausone restent un riche témoignage de son époque.

Ausone, vue d'artiste (XVIIe siècle)
Ausone, vue d’artiste (XVIIe siècle)

Et notons que c’est en l’honneur du poète Ausone qu’un domaine de Saint-Emilion prend le nom de Château Ausone depuis au moins 1592. On pense qu’il se situe sur une ancienne propriété du poète. Ce vin de grande réputation entre dans la catégorie premier grand cru classé A. Le domaine produit aussi un second vin appelé Chapelle d’Ausone.

Le chateau Ausone
Le vignoble de Château Ausone

Bazas, une cité importante au moyen-âge

La ville antique de Vasats est située sur un promontoire rocheux. Plus tard, au moyen-âge, une nouvelle ville se développe au pied de la ville antique. La jonction entre les deux villes laisse une gigantesque place où se tiennent foires et marchés.

Autour de la place, des embans [couverts] sont construits à partir du XVIe siècle. Là, on peut voir de magnifiques hôtels particuliers des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, ainsi que le Présidial (tribunal).

Les embans de Bazas
Les embans de Bazas

De même, la ville conserve une partie des remparts du XIIIe siècle dont la porte du Gisquet, ou la poterne de la Brèche.

L’hôpital Saint-Antoine, ancien hospice sur le chemin de Saint Jacques, est transformé en hôpital au XVIe siècle. Il renferme une pharmacie du XVIIIe siècle qui comporte une impressionnante collection de faïences et de verreries de Bazas.

Pendant la guerre de Cent ans, Bazas change plusieurs fois de maitre. En 1347, les Anglais l’assiègent, puis, en 1370, les Français. De même, les Albret, alliés des Anglais, cherchent à mettre la main sur la ville. Mais elle redevient française en 1441.

Bazas, cité épiscopale

Vasats est une cité épiscopale jusqu’en 1789. Grégoire de Tours (VIe siècle) raconte qu’une dame de Bazas aurait rapporté de Jérusalem un flacon de sang de Saint-Jean-Baptiste provenant de son exécution. Par conséquent, Saint Jean-Baptiste est le patron de la cathédrale romane. Les Normands la saccagent en 853.

La construction de la cathédrale gothique, édifiée sur l’emplacement de l’église romane, commence en 1233 et ne se terminée qu’en 1537. De plus, les Huguenots la saccagent en 1561 puis la détruisent en 1577 et 1578. Heureusement, les habitants de Bazas paient une rançon de 10 000 écus et préservent ainsi sa façade. Ensuite, la cathédrale est reconstruite entre 1583 et 1635. Elle est classée au titre des Monuments historiques en 1840 et inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des chemins de Saint-Jacques de Compostelle en 1998. Si la cathédrale abrite depuis longtemps un orgue, le dernier est absolument magnifique avec ses couleurs bleu turquoise et or.

Les orgues de la cathédrale de Bazas
Les orgues de la cathédrale de Bazas

Bazas, berceau de la race Bazadaise

La Bazadaise

La Bazadaise se reconnait à sa robe gris ardoise. Ses cornes sont en forme de croissant vers le bas. Elle mesure 1,40 m au garrot et pèse près de 750 kg. Utilisée pour le débardage en forêt, elle a failli disparaitre à cause de la mécanisation. Ses qualités bouchères l’ont sauvée.

La Bazadaise est rustique, vêle facilement et s’adapte à un milieu sec et chaud. Elle bénéfice d’une IGP (indication géographique protégée) depuis 2008. Elle est élevée sous la mère puis nourrie dans les pâturages. On l’engraisse ensuite au grain à l’étable avant de l’abattre à minimum 36 mois.

La passejada deus bueus gras de Vasats

Tous les 24 juin, tous les jeudis avant Mardi-gras et tous les 24 juin à l’occasion de la fête de Saint-Jean de Bazas, on célèbre la Bazadaise.

D’ailleurs, la passejada deus buèus de Vasats remonterait au moyen-âge. Edouard Ier d’Angleterre aurait autorisé l’évêché à recevoir un taureau chaque année comme présent des habitants de Bazas. ors de leur remise, on les faisait défiler dans la ville.

La passejada deus bueus gras de Vasats
La passejada deus bueus gras de Vasats

C’est l’origine de la passejada qui est devenue, avec le temps, une foire agricole très courue. C’est aussi une journée de promotion de l’IGP Bœuf de Bazas.

Ainsi, la passejada commence par la pesée des bœufs. Ils défilent ensuite dans les rues de Bazas, les cornes ornées de fleurs, au milieu de chars décorés et de musiciens. Pendant le défilé, une ripataulèra, fifres et tambours, donnent une aubade devant chaque boucherie de la ville. L’arrivée de la cathédrale marque le début du concours des bœufs. Un banquet conclut la passejada.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Ausone, Ordo urbium nobilium, XIV
Le cento nuptialis d’Ausone : Virgile descendu de son piédestal, Camille Bonnan-Garçon, 2014
Bazas, histoire et patrimoine
Hèsta deus bueus gras, PCI, CIRDOC, Christine Escarmant-Pauvert
Wikipédia




Filadèlfa de Gèrda

Olympe-Claude Duclos nait à Banios en 1871, dont elle dira : « Oh ! ce petit village des Baronnies en Bigorre perdu au fond des montagnes vertes, tant au fond qu’il fallait se tenir bien droit et bien lever la tête pour apercevoir le ciel et toujours monter pour en sortir ! ».  On la connait sous le nom de Filadèlfa de Gèrda [Philadelphe de Gerde] qui est son nom de plume. Elle écrit des textes parmi les plus beaux de la littérature d’Oc.

Les débuts de Filadèlfa de Gèrda

Filadèlfa de Gèrda (1871-1952)

Filadèlfa de Gèrda est la dernière d’une fratrie de neuf enfants. Son père est instituteur à Banios (Hautes-Pyrénées) mais elle passe beaucoup de temps chez sa grand-mère de Gerde.

Son père est muté à Pouy dans le Magnoac, puis revient à Gerde pour une retraite bien méritée. À l’âge de 16 ans, Filadèlfa de Gèrda part en Amérique pour voir un oncle émigré, mais il meurt et elle rentre à Gerde six mois plus tard.

Filadèlfa de Gèrda aime parcourir la montagne à la rencontre des gens du pays qui parlent gascon. De plus, elle s’enrichit des lectures de livres de la bibliothèque paternelle. Elle écrit ses premiers poèmes qui sont publiés dans L’Avenir, le journal de Bagnères de Bigorre ; elle a tout juste 20 ans et elle est remarquée. D’ailleurs, elle est reçue chez Madame de Littré, nièce du philosophe Charles de Littré, qui fait sa cure à Bagnères. Et elle y rencontre Pierre Loti.

Célébrée par le Félibrige

Le Félibre agenais Charles Ratier (1853-1924) la découvre. Il en parle à Frédéric Mistral qui l’invite aux fêtes de la Sainte-Estelle des 10 au 12 mai 1893 à Carcassonne. Elle y fait un triomphe.

Achillle Rouquet (1851 - 1928)
Achillle Rouquet (1851-1928)

Achille Rouquet, poète de Carcassonne, raconte l’entrée de Filadèlfa de Gèrda : « Et une apparition radieuse surgit derrière eux : c’est celle d’une belle jeune fille de vingt à vingt-deux ans, vêtue de noir, la tête enveloppée d’un capulet, qui, nous le saurons bientôt, porte le deuil des héros de la résistance albigeoise. Elle s’appelle Philadelphe de Gerde.

Elle est la charmante et mystique reine des Pyrénées, venue à Carcassonne parce qu’elle a su que là devaient se réunir les félibres. Frédéric Mistral rayonne, heureux de voir en personne cette merveilleuse et séraphine fleur des montagnes méridionales, dont il avait déjà admiré les premiers vers. Pour nous, nous pouvons dire que la venue de cette mystique fleur de poésie a donné à toute la fête un caractère de grandeur étrange et charmante à la fois qui n’a pas peu contribué à la rendre populaire et à compléter son succès ».

Marius André, qui n’a d’yeux que pour elle, lui dédie son poème La glòri d’Esclarmondo. Mais Filadèlfa de Gèrda épouse en 1894, Gaston Réquier, avocat à Bordeaux. Ils auront deux enfants.

La consécration de Filadèlfa de Gèrda

Prosper Estieu (1860 - 1939)
Prosper Estieu (1860-1939)

En 1893, parait son premier recueil Brumos d’autouno / Brumas d’autona / Nuages d’automne. Puis, en 1899 Cantos d’azur / Cantas d’azur / chants d’azur, en 1902 Cantos eisil / Cantas d’eisilh / Chants d’exil, en 1909 Cantos de do / Cantas de dòu / Chants de deuil, et, enfin, en 1913 Bernadeta / Bernadèta / Bernadette.

Après ces publications, en 1910, Filadèlfa de Gèrda fonde avec Prosper Estieu le journal L’Estello que son mari cesse de financer en 1911. C’est un échec. Filadèlfa de Gèrda quitte le Félibrige et rejoint le mouvement royaliste.

En 1930 parait Eds Crids / Eths Crits / Les cris ; en 1934 Eux … ou la Bigorre en ce temps, entièrement en français et la seconde édition de Bernadeta ; En 1949, Se conti quand canti / Se cònti quan canti / Je conte quand je chante.

Eds Crids

Voici le début d’un poème édité dans Eds crids.

Hei! Eds gascos!

Portrait de Filadèlfa de Gèrda par Ulpiano Checa
Portrait de Filadèlfa de Gèrda (vers 1895?) par Ulpiano Checa (1860-1916) – Museo de Colmenar de Oreja 

Hei! eds gascos! qu’èm u vielh pòble
D’arrasa pura e de sanc noble.
A Ronsa-vau com a Muret,
Qu’ensenhèm so qu’entenem èstre.
Arrè qu’u Diu, arrè qu’u mèstre!
Tau èra ed crid ded noste endret…            

Hé! Eths gascons!

Hé! Eths gascons! qu’èm un vielh pòble
D’arraça pura e de sang nòble.
A Roncesvaus com a Muret,
Qu’ensenhèm çò qu’entenèm èstre.
Arren qu’un Diu, arren qu’un mèstre!
Tau èra eth crid deth noste endret…

Hé ! Les Gascons !

Hé ! Les Gascons ! Nous sommes un vieux peuple
De race pure et de sang noble.
À Roncevaux comme à Muret,
Nous enseignons ce que nous comprenons être.
Rien qu’un Dieu, rien qu’un maitre !
Ainsi est le cri de notre endroit…

En 1924, elle devient Maitre ès Jeux à l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse. Puis, en 1925, elle triomphe au Capitole en prononçant l’éloge de Clémence Isaure qui est dans son recueil Eds Crids.

Filadèlfa de Gèrda rejoint l’Action Française

Filadèlfa de Gèrda au Comité de l'Action Française des Hautes Pyrénées (1913)
Filadèlfa de Gèrda au Comité de l’Action Française des Hautes Pyrénées (1913)

Après l’échec de sa revue L’Estello, Filadèlfa de Gèrda se rapproche du mouvement « Action Française » de Charles Maurras. C’est un mouvement royaliste et nationaliste qui prône des valeurs traditionnelles auxquelles elle est attachée.

Charles Maurras (1868-1952) est né à Martigues. En 1888, il obtient le prix du Félibrige pour son éloge du poète Théodore Aubanel. Il devient secrétaire du Félibrige de Paris en 1889 et rédacteur en chef de sa revue Lo Viro-Solèu.

Filadèlfa de Gèrda se rapproche du mouvement « Action Française » de Charles Maurras
Charles Maurras

Hostile au centralisme culturel, et favorable au fédéralisme politique, Charles Maurras rédige en 1892 la Déclaration des Jeunes Félibres Fédéralistes, soutenue par Frédéric Mistral.

En 1899, il entre dans le mouvement « Action Française » né de l’affaire Dreyfus. Il écrit dans la revue du mouvement dont il devient le rédacteur en chef.

En 1940, il se rapproche du maréchal Pétain qui, lors du 110ème anniversaire de la naissance de Frédéric Mistral qu’il juge patriote, défenseur de sa langue et de son territoire, dit : « Il faudrait, dans nos écoles, au long des semaines, qu’on lise aux enfants une page de Mistral, soit en provençal, soit en français. En vers ou en prose, cette lecture fortifiera leur attachement au sol natal, au travail de la terre nourricière, leur fierté des aïeux, leur fidélité à la vocation de notre pays. »

L’activité débordante de Filadèlfa de Gèrda

Filadèlfa de Gèrda vit à Bordeaux, fonde la Ligue Guyenne et Gascogne et organise des fêtes somptueuses à Bordeaux et à Libourne.

Elle revient à Gerde et fonde La Frairia ded Desvelh / La Frairia deth desvelh / La Compagnie du Réveil qui met à l’honneur le costume bigourdan lors de fêtes au château de Lourdes en 1922 et 1924. Elle crée Nous-auti / Nosautis / Nous autres, un groupe de chanteurs et de danseurs qui jouent les comédies qu’elle écrit : Ed biroulet / Eth virolet / la volte-face ; Ed pepi / Eth pèpi / l’idiot.

Jusqu’en 1939, elle parcourt l’Occitanie  coiffée du capulet noir bigourdan en signe de deuil pour la langue d’Oc. Soi soulo à rabaria-d rebenye, Qui-ei nouste dret, Despuch Muret… / Soi sola a ravariar de revenja, Qui ei noste dret, despuish Muret… / Seule je rêve à la revanche, Qui est notre droit, Depuis Muret….

En 1924, elle participe aux fêtes en l’honneur du troubadour Arnaud Vidal à Castelnaudary, en 1928, coiffée du capulet rouge de la victoire, elle préside les cérémonies du bimillénaire de la cité de Carcassonne.

Le journal La Croix du 23 septembre 1928 écrit : « C’est grand dommage, à ce propos, que le mot tribun n’ait pas de féminin. Le féminin de ce vocable irait on ne peut mieux à Philadelphe de Gerde. Car elle n’est pas seulement un de nos plus éminents poètes lyriques actuels, elle est aussi l’orateur inspiré violent, presque terrible à certaines minutes, d’une grande cause ».

Dans son numéro du 16 février 1934, l’hebdomadaire palois, Les Nouvelles, écrit :  « Mme Philadelphe dé Gerde est le verbe même de la poésie. Toujours soulevée d’amour, de foi et d’enthousiasme, elle possède le don d’animer tout ce qu’elle touche et de couronner les sujets les plus humbles, voire les plus vulgaires, des plus radieuses flammes de l’esprit ».

Filadèlfa de Gèrda meurt à Gerde le 10 août 1952. Elle laisse une œuvre poétique en langue régionale. Les Pyrénées furent une source d’inspiration.

Première strophe d’un poème publié dans Eds Crids.

Portrait de Filadèlfa de Gèrda (Château de Mauvezin)
Portrait de Fildèlfa de Gèrda (Château de Mauvezin)

Ai! Ai ! Mon Diu !

Que descai drin mes cada dìa,
Mon Diu! Mon Diu!
Ed patrimòni ded Meidia.
Ai! Ai! Mon Diu!
E-n pòc de tems, se dura atau,
N’auram mes ne terra n’ostau…

Ai! Ai! Mon Diu!

Que descai drin mes cada dia,
Mon Diu! Mon Diu!
Eth patrimòni deth Mieidia.
Ai! Ai! Mon Diu!
En pòc de temps, se dura atau,
N’averam mes de tèrra ni d’ostau…

Aïe ! Aïe ! Mon Dieu !

Aïe ! Aïe ! Mon Dieu !
Il descend un peu plus chaque jour
Mon Dieu ! Mon Dieu !
Le patrimoine du Midi.
Aïe ! Aïe ! Mon Dieu !
Dans peu de temps, si cela dure ainsi,
Nous n’aurons plus ne de terre ni de maison…

Le souvenir de la poétesse

En 1962, Bagnères-de-Bigorre rend hommage à Filadèlfa par une stèle, un médaillon sculpté, sur la promenade des thermes. On peut y lire :  Ed païs qui canti eï u bet païs / Eth país qui canti ei un bèth país / Le pays que je chante est un beau pays.

Quant au village de Gerde, il a inauguré, le 15 octobre 2022, un buste en bronze pour les 70 ans de sa mort.

L’association Eths Amics de Filadèlfa de Yerda possède une belle collection d’ouvrages et de photographies.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Eds Crids, Filadèlfa de Gèrda, 1930
Wikipédia
Revue de Comminges, 2000.




Les bonnes herbes

Les bonnes herbes / las bonas èrbas font partie de la médecine populaire. Elles servent à soigner aussi bien les bêtes que les hommes. Un temps délaissées au profit de la pharmacie moderne, elles reviennent à la mode.

Soigner les hommes et les bêtes avec les herbes

À tous les maux correspondent des herbes pour les soigner. Ainsi, l’abbé Cazaurang distingue plusieurs sortes de maux : lo mau hèit (le mal fait par une blessure), lo mau gahat (le mal attrapé par une contamination), lo mau vadut (le mal né dans le corps), lo mau naturau (le mal venu par évolution naturelle) et lo mau dat (le mal provenant d’un sort jeté).

Les herbes qui soignent : la racine de gentiane
Racines de gentiane

Pour soigner ces maux, on cueille les plantes à la main. Jamais avec un couteau ou un ciseau métallique qui altèrent les principes actifs. De plus, une bonne cueillette se fait avec la lune. Et suivant les plantes, on cueille les feuilles, les tiges, les fleurs ou la racine.

Par exemple, la racine de gençana [gentiane] est cueillie et séchée avant d’en mettre une rondelle à macérer dans un verre d’eau. On l’utilise pour ses propriétés dépuratives et fortifiantes. Le Sarpolet [Serpolet] soigne les rhumes, le romaniu [romarin] délayé dans de l’alcool soulage les contusions et les entorses.

Les herbes qui soignent : l'Arnica (© Wikimedia)
Arnica (© Wikimedia)

Quant aux sarpolet e gerbeta [serpolet et thym] en liqueur, ce sont des stimulants digestifs. Ou encore, l’arnica [arnica] s’emploie en usage externe comme anti-inflammatoire, ce qui est d’ailleurs toujours le cas.

D’autres usages pour les plantes

Mais les herbes ont aussi d’autres usages. Les ortigas [orties] servent à filtrer le lait des brebis pour activer la flore lactique. De plus, elles sont efficaces pour récurer les chaudrons et ustensiles de cuisine. Ou encore, elles servent à l’alimentation du bétail pour favoriser la lactation. Citons aussi la hèuç [fougère mâle] qui est un répulsif contre les tiques et sert pour la litière des chiens.

Alexandre-G Decamps (1803-1860)- Les sorcières soignent ou empoisonnent avec les herbes
Alexandre-G Decamps (1803-1860) – Les sorcières de Macbeth (© Wikimedia)

Toutefois, certaines plantes toxiques nécessitent des connaissances particulières pour être utilisées. Et c’est le rôle des posoèrs / sorciers empoisonneurs, dont on apprécie les services mais dont on se méfie. Car, en cas d’erreur : Eres cachiles nou lou hèn pas més maù! / Eras cashilas non lo hèn pas mes mau! [Les dents ne lui font plus mal ! Comprendre « il est mort »]

 

 

 

Conjurer le mauvais sort avec les herbes

Croix fleurie de la Saint-Jean, Landes
Croix fleurie de la Saint-Jean, Landes

Dans les campagnes, on conjure les orages et la grêle en mettant au feu des feuilles de Laurèr [Laurier] bénies le jour des Rameaux. Dans certains endroits, on met dans le feu le bouquet de la Saint-Jean ou même des charbons retirés du halhar [feu de la Saint-Jean] et conservés précieusement.

Évidemment, on cueille les herbes de la Saint-Jean le jour de la Saint-Jean, avec la rosée. Séchées en bouquet ou en croix, le curé les bénit à la messe. Ainsi on pourra les conserver précieusement toute l’année dans chaque maison. Elles ont des vertus de protection et on en suspend des bouquets dans la cheminée et à l’entrée des étables.

De la même façon, une branche de averanèr [noisetier] ou de agreu [houx] placée à l’entrée de la maison protège de la foudre.

La carline, une herbe qui soigne et qui protège
Carline

Outre sa vertu de protéger la maison et les granges contre les maléfices et les sorcières qui s’accrochent sur ses poils, la carlina [carline], variété de chardon argenté, est un excellent baromètre. Elle s’ouvre par temps sec et se referme la nuit, par temps froid ou humide.

L’exploitation commerciale des bonas ièrbas

Thermes de Bagnères de Bigorre
Thermes de Bagnères de Bigorre

Au XIXe siècle, avec la vogue des bains, on développe l’utilisation des bonas èrbas dans un début d’industrialisation de la production. Ainsi, on associe les vertus des bonas èrbas aux vertus curatives des eaux thermales.

À Bagnères de Bigorre, le curiste reçoit un bain de vapeur qui traverse un récipient rempli de plantes aromatiques et émollientes et des effluves de sàuvia [sauge], de romaniu [romarin] et de mauva [guimauve]. Des massages sont prodigués avec du agram [chiendent].

En complément des bains aromatiques, on propose des cures de boissons et des bouillons d’herbes. La Barégine, élaborée à partir de racines et de plantes des Pyrénées, est une boisson qui a des propriétés antibiotiques, anti-inflammatoires et cicatrisantes.

Kiosque buvette des Thermes de Barbazan
Kiosque buvette des Thermes de Barbazan (© Wikimedia)

Des bouillons d’herbes sont proposés à partir des plantes du potager. À Barbazan en Comminges, un kiosque ouvert devant le casino vend du bouillon d’herbes que l’on boit entre deux verres d’eau ou que l’on emporte à la maison. Le bouillon contient des ortigas [orties], de mauva [mauve], des popalèits pissenlits, des bletas [bettes], des porets [poireaux], des pastanagas [carottes] et d’autres plantes du jardin.

De même, les liqueurs à base de plantes se vendent bien. On peut citer les Pères de Garaison qui commercialisent la liqueur « La Garaisoniènne » verte, jaune ou blanche. Cet élixir de Garaison est efficace contre les dyspepsies, les digestions difficiles, les gastralgies ou les coliques.

Les herboristes, une vraie profession

L'herboriste ou le commerce des herbes
Herboriste

Pour la première fois, la France reconnait le métier d’herboriste en 1312. Puis, elle crée, en 1778, le premier diplôme d’herboriste. Pour autant, le commerce des plantes est intensif. Pourtant, des condamnations sont prononcées contre les marchands improvisés comme à Lourdes en 1872 pour avoir « distribué et vendu, sur une des places publiques de la ville, des drogues, préparations médicamenteuses et plantes médicinales ».

Puis, entre 1803 et 1941, les écoles et facultés de pharmacie pouvaient délivrer un certificat qui permettait d’ouvrir une officine où on vendait des médicaments à base d’éléments naturels. Mais, ce diplôme est supprimé en 1941. Timidement, un décret de 1979 autorise la vente de 34 plantes en dehors des pharmacies. Puis, un autre décret de 2008 autorise 148 plantes, soit 27 % de celles qui sont inscrites à la pharmacopée française. Enfin, l’arrêté du 24 juin 2014 inventorie 641 plantes autorisées dans la fabrication de compléments alimentaires.

Toutefois, l’herboristerie légale disparait. Et des initiatives privées se développent pour enseigner la vertu des plantes :  École lyonnaise de plantes médicinales et des savoirs naturels, École des plantes de Paris ou encore École Bretonne d’Herboristerie à Plounéour-Ménez.

Marchand de gentiane en Ariège - Fonds Trutat
Marchand de gentiane en Ariège – Fonds Trutat

Ainsi, la phytothérapie vient à la mode. Et la demande est forte que ce soit des gélules, des sachets de plantes, des baumes aux plantes. Alors, les industries chimiques, cosmétiques et pharmaceutiques développent des molécules issues de plantes qu’elles vont chercher en Amazonie ou dans d’autres lieux éloignés. Et cela fait rêver le consommateur.

 

 

Un précurseur de la phytothérapie, Maurice Mességué

Maurice Mességué ou comment soigner par les herbes
Maurice Mességué (1921 – 2017)

Maurice Mességué (1921-2017) est un Gascon qui reste fidèle à son pays d’Auvillar en Tarn et Garonne. Il est surnommé le « Pape des plantes » tant sa connaissance est grande.

En fait, son père, paysan dans le Gers, lui enseigne son savoir des fleurs et des plantes et lui apprend à soigner et à guérir. Maurice s’intéresse aux maladies chroniques, délaissées par la médecine, ce qui lui vaut 21 procès intentés par l’Ordre des Médecins.

En 1945, il ouvre un cabinet à Nice. Il devient célèbre pour avoir soulagé Mistinguett de ses rhumatismes avec des plantes. En 1952, il publie à compte d’auteur C’est la nature qui a raison. C’est un immense succès, traduit en 10 langues.

Maurice Mességué - Mon herbier de santé (1993)
Maurice Mességué – Mon herbier de santé (1993)

Mais Maurice Messegué voit grand. En 1958, il crée à Paris le laboratoire Aux fleurs sauvages spécialisé dans la cosmétique à base de plantes : mauva [mauve], paparòc [coquelicot], rosa [rose]… C’est un succès. Plus tard, il le rapatriera dans le Gers, à Fleurance.

En continuant, il s’attaque aux méfaits de la pollution des produits phytosanitaires sur l’alimentation, des hormones et des antibiotiques dans les élevages. D’ailleurs il publie plusieurs livres qui auront une large audience : en 1968, il publie Votre poison quotidien et Vous creusez votre tombe avec vos dents. Puis, en 1970, il publie Mon herbier de santé, Mon herbier de beauté et enfin Mon herbier de cuisine.

Reconnu, il est élu Maire de Fleurance en 1971, puis Conseiller général. Il devient Président de la Chambre de Commerce et d’industries du Gers. Il installe à Fleurance sa société Laboratoires des Herbes Sauvages, puis crée une seconde société Fleurance chez soi pour commercialiser, par correspondance, les plantes aromatiques et médicinales.

Enfin, il se retire des affaires en 1994 et vend ses sociétés à ses anciens salariés qui les regroupent sous le nom de Laboratoires Maurice Messegué. En 1997, son dernier ouvrage s’intitule Sauver la Terre pour sauver l’homme.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Les bonnes herbes, usage de la flore et médecine populaire dans les Pyrénées centrales, Mathilde Lamothe, Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées
Univers de Mésségué




Constance de Rabastens

Constance de Rabastens est une des premières prophétesses françaises. Elle n’est pas gasconne mais elle est la sibylle de Gaston dit Febus.

Constance de Rabastens fréquente le Couvent des Frères Mineurs de Rabastens, aujourd'hui maison de retraite
Le Couvent des Frères Mineurs de Rabastens, aujourd’hui maison de retraite

Constance nait à Rabastens, à 29 km de Toulouse en allant vers Albi, au XIVe siècle, probablement vers 1340. C’est, pense-t-on, la fille d’un bourgeois. Elle déclare ne pas savoir lire et elle a peu de connaissances. Elle se marie, a une fille et un fils, Amangau, qui deviendra moine.

À la mort de son mari, une voix lui annonce qu’elle mourra moniale. Aussi, elle fréquente l’église du village tous les jours ainsi que le couvent des Frères mineurs de Rabastens.

Jeanne d'Arc dans un registre du Parlement de Paris par le greffier Clément de Fauquembergue, Paris, Archives nationales, 10 mai 1429.
Jeanne d’Arc (1412-1431) dans un registre du Parlement de Paris, 10 mai 1429.

On a recensé une soixantaine de visions ou révélations. Elles s’étendent sur une période de trois années, de 1384 à 1386. Elle est ainsi une des premières prophétesses françaises avec la bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé (1331-1414), Marie Robine appelée aussi Marie la Gasque (Gasque pour Gasconne, ?-1399), et avant la très connue Jeanne d’Arc (1412-1431).

Après ces années de prophétie, on perd sa trace.

Jean-Pierre Hiver-Bérenguier, natif aussi de Rabastens en Albigeois, lui consacre une monographie en 1984.

Un courant de prophétesses

Sainte Brigitte dans l'église de Berg bei Neumarkt in der Oberpfalz
Sainte Brigitte dans l’église de Berg bei Neumarkt in der Oberpfalz

Avec Brigitte de Suède (1303-1373) débute un courant de prophétesses et de visionnaires.  Leurs visions sont souvent politiques et religieuses. Et si, dans le passé, les femmes mystiques sont surtout des dévotes, elles sont au XIVe siècle des femmes de bonne bourgeoisie peu instruites. En fait, la valorisation de ces personnes passe un message : les gens simples peuvent accéder à un savoir d’origine divine qui déborde ainsi des seuls lettrés et des puissants.

Ces nouvelles mystiques transmettent des paroles révélées, parfois indirectes ou allusives, sur les succès ou échecs des seigneurs de l’époque, sur l’avenir du pape d’Avignon ou de celui de Rome.

Les visions, ou plus exactement les paroles entendues, se traduisent souvent par des manifestations physiques. Constance parle de douleur au bras.

Ainsi, par exemple, le dimanche 29 juin 1386, pendant la grand-messe, Constance se redresse brusquement de sa génuflexion, “sa tête rejetée violemment en arrière”, les yeux “hagards semblent fascinés par les peintures de la voute, par ce grand Christ en Majesté, qui parait lui aussi la regarder intensément”. Elle a le “visage livide”, les “lèvres complètement décolorées qui remuent à peine, laissant passer une espèce de râle imperceptible”. Et elle se met à parler avec un quelqu’un que personne ne voit :“ Oui, je serai ta flèche pour transpercer le cœur des trompeurs… je suis ta flèche, Seigneur !” (Ch.55 p 196)

Constance de Rabastens et les ennuis avec l’Église

Les révélations de Constance de Rabastens - Revelationes Constantiae de Rabastens quae vivebat anno MCCCLXXXIV cum aliquot litteris ejusdem ad Inquisitorem fidei
Revelationes Constantiae de Rabastens quae vivebat anno MCCCLXXXIV cum aliquot litteris ejusdem ad Inquisitorem fidei (Bibliothèque de France)

Ces extases impressionnent probablement les personnes présentes et inquiètent aussi Constance de Rabastens. Ses premières visions ont lieu pendant son sommeil, puis lorsqu’elle est en prière. Fo raubida [Elle est ravie] puis sort de son respira [ravissement] pour répondre à la voix ou pour dialoguer avec elle.

Dès 1384, elle s’en ouvre à son fils alors novice au prieuré de Notre-Dame de la Daurade. Celui-ci en parle à son abbé, qui en parle à l’archevêque qui lui envoie… l’inquisiteur de la dépravation hérétique de Gascogne et de Languedoc, Hugues de Verdun. On ne plaisante pas avec la parole divine !

Et Constance se retrouve en prison jusqu’au procès. Pourtant, de façon étonnante, elle est vite innocentée et rentre à Rabastens. Elle rapporte une vision d’un ange menaçant l’inquisiteur et disant : « C’est grand miracle qu’une femme pécheresse, telle que tu es, leur déclare les Saintes Écritures, alors que tu ne les as jamais apprises. »

Son confesseur, Raimon de Sabanac, probablement le jutge dels appels de Toloza, après avoir pesé si ces révélations sont inspirées par Dieu ou par le Diable, se décide à les mettre par écrit sur un parchemin, peut-être en occitan. Ce texte, perdu depuis, a été traduit en catalan, et c’est cette traduction, Revelationes Constantiae de Rabastens quae vivebat anno MCCCLXXXIV cum aliquot litteris ejusdem ad Inquisitorem fidei, qui est conservée à la Bibliothèque Nationale : Dien los sants pares e doctors de la Sgleya que la persona vehent visions deu en tal manera esser examinada…

Jean-Pierre Hiver-Bérenguier en fait une traduction en 1985.

Les grandes prophéties

Charles VI
Charles VI

Constance de Rabastens prédit des choses diverses : de l’apocalypse à l’échec du pape d’Avignon en passant par les heurs et malheurs des princes de l’époque. Par exemple, elle annonce les infortunes de Charles roi de France contre les Anglais, la victoire des Sarrasins, ou encore la victoire de Febus. En mars 1384, elle révèle la trahison du comte d’Armagnac à l’égard de Charles, qui, pourtant, ne sera connue que deux mois plus tard.

En mai 1384, elle répète ces mots (lettre 6) : « Mais après, viendra une Grue à tête vermeille et elle le détruira comme Vespasien a détruit Pilate. Et il y aura une alliance si étroite entre le Roi de France et cette grue que le Roi lui sera en partie soumis. Et la vache sera bientôt à l’ombre de la fleur et remettra le pape authentique sur son siège.

La fleur est évidemment la fleur de Lys, donc le roi de France, et la vache le symbole de Béarn. Quant à la grue, on l’a rapprochée d’un motet de l’époque où Gaston est décrit la tête couronnée d’une chevelure de flamme. (Inter densas desenti maditans, manuscrit de Chantilly)

Constance de Rabastens et Febus se connaissent-ils?

Gaston Febus (Livre de la Chasse)
Gaston Febus (Livre de la Chasse)

Il n’y a, aujourd’hui, aucune preuve formelle qu’ils se soient rencontrés. Toutefois, certains éléments sont à prendre en compte.

Quelques années auparavant, des bandes de routiers (c’est-à-dire d’anciens soldats ou mercenaires sans emploi) dévastent l’Albigeois. Or, Gaston, comte de Foix-vicomte de Béarn, dit Febus, possède des domaines dans la région, comme la Vicomté de Lautrec. Aussi, le 21 juillet 1381 (deux ans avant les premières prophéties), il combat et défait des routiers dans la plaine de Couffouleux, sous les remparts même de Rabastens. Il est donc certain que Constance de Rabastens a vu Febus, ce vainqueur de belle prestance, comme il dit lui-même.

D’ailleurs, certains pensent que Constance doit à Gaston la clémence de l’inquisiteur. En effet, les révélations de l’Albigeoise sont répétées partout. Et elles sont flatteuses pour le comte. Or, Febus est respecté, influent et fin diplomate. L’image de sauveur de la France et de l’Église que lui tisse la mystique ne peut que lui servir.

Les prophéties de Constance se sont-elles réalisées?

Clément VI (Fresque de la chapelle Saint-Martial du palais des papes)
Clément VI (Fresque de la chapelle Saint-Martial du palais des papes)

Les prophéties sont des allusions que l’on peut toujours interpréter. En tous cas, Febus battra bien le comte d’Armagnac et deviendra un puissant seigneur. Mais Constance ne semble pas très au courant des manœuvres politiques. Par exemple, elle décrit Gaston du côté du pape juste, c’est-à-dire du pape de Rome. Et, effectivement, le comte de Foix, prudemment, ne prend pas position en faveur de Clément, pape d’Avignon. Toutefois, avec son sens politique, il lève une taxe en sa faveur. Et il lui demande de légitimer Yvain son fils bâtard.

Constance prédit que Febus deviendra ministre de Charles VI. Cela ne se fera pas mais il le recevra avec faste en son château de Mazères en 1390. Était-ce un premier pas ? Elle prédit aussi le 3 octobre 1384 « que le monde n’en a plus que pour sept ans et que dans sept ans le Royaume de France viendra à grands bouleversements ».  Certains y ont vu la prédiction de la mort de Febus. En effet, le comte meurt le 1er août 1391.

L’historien Noël Valois (1855-1915), écrit dans La France et le grand schisme d’Occident : « Le comte de Foix Gaston Phoebus jouait dans ces visions le rôle d’un sauveur appelé à rétablir l’autorité d’Urbain [le pape de Rome], comme aussi à prendre sur Charles VI un ascendant heureux. Par contre, il n’était pas d’anathème que la voyante ne lançât contre les Armagnacs, traîtres au roi et vendus au démon. »

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Constance de Rabastens. Mystique de Dieu et de Gaston Fébus, Jean-Pierre Hiver-Bérenguier, 1985.
Une mystique. Réflexions sur Constance de Rabastens, Cahiers de Fanjeaux, Robert Cabié, 1988, pp 37-54.
La fin des temps dans le Livre des Oraisons de Gaston Fébus et les Révélations de Constance de Rabastens, Presses universitaires de Provence, Hélène Charpentier, pp 145-162.
Marie Robine et Constance de Rabastens : humbles femmes du peuple, guides de princes et de papes, Editions de la Sorbonne, Madeleine Jeay, pp 579-594.
les Annales du Midi de la fin du XIXe siècle où se trouvait le transcrit en catalan des Révélations de Constance de Rabastens.




Le Missel de Jean de Foix

La Gascogne a produit de magnifiques manuscrits enluminés, comme le Beatus de Saint-Sever rédigé au XIe siècle. Plus près de nous, le Missel de Jean de Foix a été réalisé au XVe siècle.

Mathieu de Foix-Comminges 

Mathieu de Foix-Comminges
Mathieu de Foix-Comminges

Mathieu de Foix-Comminges est le frère de Jean de Grailly. Leur père, Archambaud de Grailly, récupère la succession de Gaston Febus. En 1419, Mathieu de Foix épouse Marguerite de Comminges et devient ainsi comte de Comminges jusqu’en 1449. Néanmoins, quelques mois après son mariage, il fait enfermer Marguerite qui mourra prisonnière. À sa mort, Marguerite lègue le comté de Comminges au roi de France.

Mathieu de Foix et Marguerite n’ont pas d’enfants. Cependant, Mathieu de Foix a un fils illégitime, Jean-Baptiste, surnommé « le bâtard de Grailly » qui sera légitimé peu avant sa mort, en 1498.

Jean de Foix, évêque de Comminges

 Armoiries de Jean de Foix - Liénard de Lachieze - Missel romain
Armoiries de Jean de Foix – Liénard de Lachieze – Missel romain

Ce Jean-Baptiste de Foix devient évêque de Dax de 1459 à 1466, puis évêque de Comminges jusqu’à sa mort en 1501. Bâtisseur, il agrandit le palais épiscopal d’Alan pour en faire une résidence au gout de l’époque.

De plus, Jean-Baptiste de Foix est amateur de livres. Aussi, il fait rédiger un Missel, aujourd’hui à la Bibliothèque nationale. Le Missel est terminé en 1492 ; il est l’œuvre du maitre enlumineur Liénard de Lachieze.

Qu’est-ce qu’un Missel ?

Missel de Jean de Foix - Lachieze
Missel de Jean de Foix – Lachieze

Depuis le VIIIe siècle, un Missel est un livre qui regroupe les textes des lectures, des chants et des prières qui constituent la liturgie de la messe pour tous les jours de l’année. Ainsi, il y a le Missel d’autel destiné au prêtre et le Missel paroissien, plus petit, destiné aux fidèles.

Il est organisé en plusieurs parties en fonction de l’année liturgique et des fêtes chrétiennes (Avent, Noël, Carême, etc.).

En outre, chaque diocèse a son propre Missel. Il relève d’une pratique identitaire par la réunion des rites particuliers à chaque diocèse. Et son usage se généralise entre le XIIIe et le XVe siècle.

Pie V - Bartolomeo Passarotti
Pie V – Bartolomeo Passarotti

Bien sûr, les ordres religieux les plus anciens, comme les Chartreux, les Dominicains, les Cisterciens, les prémontrés ou les Carmélites ont leur propre Missel.

Pourtant, l’édition imprimée du Missel de 1474, très largement diffusée, rend populaire la liturgie du diocèse de Rome. De plus, après le Concile de Trente, le pape Pie V rend obligatoire, en 1570, l’utilisation du Missel romain dans toute l’Église latine.

Depuis, plusieurs éditions ont amené des évolutions dans la liturgie.

Liénard de Lachieze, maitre enlumineur

_Amedeo_IX de Savoie par Antoine_de_Lohny
_Amedeo IX de Savoie par Antoine_de_Lohny

On pense que Liénard de Lachieze est d’origine limousine. On lui attribue des manuscrits réalisés à Poitiers entre 1475 et 1485. Il exerce ensuite son art à Toulouse entre 1490 et 1501.

Il s’inspire du travail d’Antoine de Lonhy qui a réalisé les fresques de l’église de la Dalbade que l’on peut encore admirer au Musée des Augustins à Toulouse. Durant son bref passage à Toulouse (à partir de 1453), il réalise aussi les vitraux de Saint-Sernin, aujourd’hui perdus.

Liénard de Lachieze réalise des enluminures dans Les Annales de Toulouse pour les Capitouls des années 1498 à 1501. C’est à partir de l’analyse de ces enluminures et de celles du Missel de Jean-Baptiste de Foix que l’on a pu lui attribuer la réalisation du Missel.

Liénard de Lachieze - Missel romain - Annonciation-2
Liénard de Lachieze – Missel romain – Annonciation

Le grand maitre enlumineur a travaillé pour Jean de Foix et pour Philippe de Lévis, évêque de Mirepoix, de 1493 à 1537. En particulier, il a introduit dans l’enluminure toulousaine les éléments ornementaux de la Renaissance : peintures de temples à l’antique et d’arcs de triomphe, bordures parsemées d’oiseaux fantastiques et de sentences morales inscrites dans des bandes de parchemins.

On lui attribue plusieurs œuvres aujourd’hui conservées à la Bibliothèque nationale, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, à celles de Poitiers, de Cambridge, de Saint-Pétersbourg, de Melbourne et dans des collections privées.

La Bibliothèque municipale de Toulouse a acquis des fragments isolés d’un Livre d’heures.

Le Missel de Jean-Baptiste de Foix

Page enluminée
Page enluminée

Le Missel de Jean de Foix est un bel ouvrage richement décoré. Outre les éléments de la liturgie et du chant, il comporte un calendrier des douze mois de l’année avec des scènes religieuses et pastorales. Et chaque mois est associé à un signe du zodiaque.

Jean-Baptiste de Foix s’est-il fait représenter dans son Missel ? Tout porte à le croire tant sont nombreux les portraits d’un évêque.

Parcourons quelques pages.

 

 

Les armes de Jean de Foix portées par deux vaches / S'est-il représenté dans cette scène ?
A gauche, les armes de Jean-Baptiste de Foix portées par deux vaches / Dans cette scène de droite, Jean de Foix s’est-il représenté ?

Le mois de juillet. Des scènes bibliques sur la droite. En bas la représentation des moissions et du Lion, signe du Zodiaque
Le mois de juillet. Des scènes bibliques sur la droite. En bas la représentation des moissions et du Lion, signe du Zodiaque

Et, afin que nul n’ignore qu’il est le commanditaire du Missel, Jean-Baptiste de Foix a parsemé le Missel de représentations, toutes différentes, de ses armes et de celles de son diocèse.

Le palais épiscopal d’Alan

Palais des évêques de Comminges, résidence de Jean de Foix, à Alan (31)
Palais des évêques de Comminges à Alan (31)

Jean-Baptiste de Foix aménage, à Alan, en Comminges, une résidence fastueuse au gout de l’époque.

En fait, les Hospitaliers de Saint-Jean  habitent le lieu au XIIe siècle. Plusieurs évêques y font des travaux d’agrandissement mais c’est bien Jean-Baptiste de Foix qui le transforme en véritable palais épiscopal.

Peu à peu, un village se constitue avec de belles maisons des notables de l’entourage des évêques de Comminges.

Au dessus de la porte d’entrée, une vache représente les armes de la Maison de Foix.

La vache du Palais des Evêques de Comminges
La vache du Palais des Evêques de Comminges

Abandonné à la Révolution et vendu comme bien national, le palais de Jean-Baptiste de Foix est voué à la ruine. Heureusement, des travaux de restauration débutent en 1969. Enfin, ses actuels propriétaires, les photographes Mayotte Magnus et son mari Yuri Lewinski, le rachètent en 1998, le restaurent et l’ouvrent à la visite.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Le Missel de Jean de Foix à la fin du XVe siècle, Revue de l’Art, juin 2017, Aurélia Cohendy, p 7-18
Alan, le village et le château
Le palais des évêques du Comminges
Où doit paître la vache d’Alan, L’Illustration, 28 octobre 1920




La vie sexuelle des femmes des Pyrénées

Si la sexualité est assez débridée au Moyen-âge, l’inégalité est flagrante. Les hommes ont tous les droits et les femmes ont obligation de virginité et de fidélité…  même si l’Église essaie de contenir aussi les hommes. Cependant, une exception : les Pyrénées.

Le statut de la femme au Moyen-âge

Rupert von Deutz parle de la vie sexuelle des femmes
Rupert von Deutz (1075-1129)

Ève est créée d’une côte d’Adam. Et elle est responsable du péché originel pour avoir donné une pomme (fruit défendu) à manger à Adam. D’ailleurs, début XIIe, le moine et théologien liégeois Rupert de Deutz rappelle qu’elle le lui a fait manger à force de l’importuner par son entêtement féminin […].

Ainsi la femme, fille d’Ève, démarre mal dans notre monde. Elle est considérée faible, portée sur la luxure et elle reste sous la domination de l’homme. En particulier, elle ne peut exercer le pouvoir – sauf s’il n’y a pas d’héritier mâle –, elle ne peut entrer dans les lieux où il y a des actions de justice, etc.

Rappelons que la femme est femme de 14 à 28 ans. Avant, c’est une fillette, après, une vieille dame. L’éducation est différente selon le genre. Chez les nobles, on entraine les garçons à faire la guerre et on instruit les filles. Ainsi, elles apprennent au moins la lecture, l’écriture et les travaux d’aiguille. Parfois, elles apprennent le latin, la médecine ou les sciences.

La virginité est une valeur. Toutefois, tout dépend de son statut social : la jeune fille noble est, par essence, plus pure que celle du peuple. Il faut dire que le droit du sang dans la noblesse et la bourgeoisie patriarcale est essentiel dans la transmission du patrimoine. En revanche, le viol des filles non nobles est très pratiqué. Aussi, en milieu rural, on s’intéresse plus à la fertilité qu’à la virginité. Dans tous les cas, la femme sera étroitement surveillée.

La vie sexuelle à l’époque médiévale

Albrecht Classen (1956- ) a écrit sur la sexualité féminine au Moyen-Age et sur la ceinture de chasteté
Albrecht Classen (1956- ), auteur de The Medieval Chastity Belt: A Myth-making Process (2008)

La vie sexuelle n’est pas un sujet tabou au Moyen-âge. D’ailleurs, il nous faut peut-être oublier quelques clichés. Par exemple, le médiéviste Albrecht Classen (1956- ) montre, après une étude détaillée, que la ceinture de chasteté n’a jamais existé. Ce serait une métaphore de la fidélité et de la pureté.

Plus tard, à partir du XVIe siècle, on trouve des illustrations montrant un mari qui installe une ceinture de chasteté à sa femme, l’amant, avec la clé, étant caché derrière le lit… Illustrations aujourd’hui considérées comme humoristiques. D’ailleurs, le British Museum qui présente de tels objets, explique : il est fort probable que la plupart des modèles conservés aient été fabriqués au XVIIIe ou au XIXe siècle comme objets de curiosité pour les personnes les plus graveleuses ou de plaisanterie pour celles de mauvais gout.

Des écrits sur la sexualité

Le Roman de la Rose parle de sexualité
Étrange cueillette dans Le Roman de la Rose via BNF ms. Français 25526 fol. 106v

Le Roman de la Rose (XIIIe siècle) illustre bien cette liberté au moyen-âge vis-à-vis de la vie sexuelle : une enluminure représente une femme faisant une cueillette étonnante !

Ou encore, El Mirall del fotre [Le Miroir du foutre], édité au XIVe siècle en Catalogne, est un manuel pour faire l’amour. Ainsi, il présente des remèdes pour améliorer les performances, des façons d’augmenter la production de sperme (masculin ou féminin), d’obtenir la jouissance des femmes et des hommes et aussi les dangers de l’excès de sexualité. L’auteur précise qu’il s’est inspiré des traités érotiques arabes et du kamasutra. Un extrait :

 

Si per ventura la minva és deguda a la congelació i a la fredor de l’esperma, curar amb coses que l’escalfen i l’esclareixen. Si la minva és deguda a la flacciditat, a la impossibilitat que té el penis d’aixecar-se, observar si ha perdut la sensibilitat. Si empetiteix, l’home pateix de flaquesa del membre i és gairebé impossible que es curi. Si la flacciditat és deguda a un defalliment de cor, l’home que pateix d’això està impossibilitat, no pot tenir erecció, i aviat mor. És aquesta mena de persones que la gent titlla d’«efeminats» perquè tenen una veu petita i femenina i pocs pèls.

[Si par hasard la diminution est due au gel et au froid du sperme, guérissez-le avec des choses qui le réchauffent et le nettoient. Si la diminution est due à la flaccidité, à l’impossibilité pour le pénis de se relever, observez s’il a perdu sa sensibilité. S’il devient émacié, l’homme souffre d’une faiblesse du membre et est presque impossible à guérir. Si la flaccidité est due à une insuffisance cardiaque, l’homme qui en souffre est incapable, ne peut pas avoir d’érection et meurt rapidement. C’est ce genre de personnes que les gens appellent « efféminées » parce qu’elles ont une petite voix féminine et peu de cheveux.]

L’exception pyrénéenne

La mécréance du sortilège de Pierre de Lancre
L’incrédulité et mescréance du sortilège plainement convaincue…  de Pierre de Lancre (1622)

En fait, là où l’Église s’implante, elle encadre les comportements, précisant les positions acceptables, les jours interdits, condamnant les viols, etc.

Pourtant, ces exigences ne semblent pas atteindre les Pyrénées ! Ainsi, le magistrat bordelais, Pierre de Rostegui de Lancre (1553-1631) est outré des comportements dans nos montagnes. En particulier, il note que les Basques essayent les femmes plusieurs années avant de les épouser. Et, la cause lui parait évidente : le pays basque est un pays de pommes et les femmes sont portées à croquer la pomme. D’ailleurs, il précise qu’elles sont des Ève qui séduisent continuellement les fils d’Adam, vivant toutes nues en toute liberté et naïveté dans les montagnes du Pays basque… Voir aussi l’article Les siècles noirs de la sorcellerie en Gascogne.

Plus tard, le Bordelais Louis de Froidour (1625-1685), grand maitre des Eaux et Forêts, déclarera sans détour :  les Bigourdanes sont des grandes putains. De même, il notera que les Béarnais laissent un excès de liberté sexuelle […] à la jeunesse.

Ces jugements moraux restent des jugements d’hommes de culture patriarcale et inégalitaire.

Les femmes en Vasconia et la sexualité

Isaure Gratacos
Isaure Gratacos

Isaure Gratacos défend l’idée que la femme vasconne (en gros des deux côtés des Pyrénées) occupait une place égale à celle de l’homme dans la société traditionnelle.

En fait, l’historienne précise que la latinisation des vallées est très tardive et que les Vascons gardent leur coutumes. Or, les Vascons forment une société sans État et non patriarcal. Une des traductions directes est le droit d’ainesse absolue, c’est-à-dire que l’ainé·e, homme ou femme, héritait. Voir l’article Héritières et cadettes des Pyrénées.

Ainsi, la culture locale s’oppose clairement à la vision chrétienne. Par conséquent, la faute originelle n’existe pas, et la virginité n’a aucune valeur dans les Pyrénées. On est dans un traitement équitable et libre des hommes et des femmes. Et, malgré la christianisation, cela va persister jusqu’au début du XXe siècle.

Divers travaux le confirment : à Saint-Savin, les naissances prénuptiales sont très supérieures à celles des autres villages de France (enquête entre 1739 et 1789).  Environ 30 % des conceptions ont lieu avant mariage au XIXe siècle. Notons que la paternité d’un homme d’église n’est pas rare.

Les traditions de liberté sexuelle subsistent

Isaure Gratacos note que des traditions anciennes subsistent encore début XXe siècle. Par exemple, la fête de la Saint-Jean reste dans les montagnes une fête préchrétienne, celle de la fécondité et de la vie. Ainsi, elle rapporte des propos d’une Pyrénéenne : Après le feu, il y avait plus de baisers que de prières.

Elle rapporte aussi un jeu usuel nommé Quate cantons [quatre coins]. Des garçons et des filles célibataires se rencontraient et des couples disparaissaient derrière les buis.

Enfin, une autre pratique était en vigueur : la “capture” par un groupe de femmes dont des célibataires, d’un homme se déplaçant seul et ceci à des fins d’utilisation sexuelles par l’une d’entre elles. Une étrange coutume au bénéfice d’une cadette restée célibataire.

Feu de Saint-Jean
Feu de Saint-Jean

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

The Medieval Chastity Belt: A Myth-making Process, Albrecht Classen, 2008
Les siècles noirs de la sorcellerie en Gascogne, Anne-Pierre Darrées, 2018
Dans les Pyrénées, la liberté sexuelle existait plus qu’ailleurs, CQFD, Jean-Sébastien Mora,2020
À quoi ressemblait le sexe au moyen-âge ?
Les femmes au moyen-âge, Histoire pour tous, Viviane, 23 mars 2021
El mirall del fotre




Les chansons historiques de Gascogne

Les troubadours écrivaient des chansons historiques, racontant des faits d’histoire. Au cours des siècles, les Gascons garderont ce gout et en feront des chansons populaires.

Les chansons historiques des troubadours

Evidemment, les troubadours ont écrit beaucoup de chansons racontant des faits historiques. Parmi les plus connues et les plus anciennes, citons la complainte sur la mort du roi Richard Cœur de Lion (1157-1199) de Gaucelm Faidit (1150?-1205?).

Extrait de 2’40 de la complainte sur la mort du roi Richard Cœur de Lion (complainte entière 11′ Troubadour Gaucelm FAIDIT, Lament for Richard I, king of England, La douleur – G.Le Vot – YouTube)

Fortz chausa es que tot lo major dan
e-l major dol, las ! q’ieu anc mais agues,
e so don dei totztemps plaigner ploran,
m’aven a dir en chantan, e retraire —
Car cel q’era de valor caps e paire, 
lo rics valens Richartz, reis dels Engles,
es mortz — Ai Dieus ! cals perd’ e cals dans es !
cant estrains motz, e cant greus ad auzir !
Ben a dur cor totz hom q’o pot sofrir…

C’est une chose fort cruelle, la plus grande douleur
et le plus grand deuil, hélas ! que j’ai jamais éprouvés
et que je dois désormais toujours déplorer en pleurant,
ce que j’ai à dire et retracer en un chant.
Car celui qui de Valeur était le chef et le père,
le puissant et vaillant Richard, roi des Anglais,
est mort. Hélas ! Dieu ! quelle perte et dommage !
quel mot étrange et qu’il est cruel à entendre !
Bien dur est le cœur de celui qui peut le supporter…

Les chansons historiques souvenirs

Chansons et danses de Gascogne de Gaston Guillaumie
Chansons et danses de Gascogne de Gaston Guillaumie

Gaston Guillaumie (1883-1961) a rassemblé certaines de ces chansons historiques de la Gascogne, ou très célèbres en Gascogne, dans son Anthologie de la littérature et du folk-lore gascons. Il n’a malheureusement consigné que leur version française. Parmi les thèmes les plus fréquents, il y a les guerres. Par exemple, la chanson de Renaud de Montauban, un des Quatre fils Aymon, était très chantée dans le nord de la Gascogne. Renaud rentre chez lui pour mourir et la chanson commence ainsi :

Quand Renaud de la guerre vint
Il tenait son ventre dans ses mains,
— Mon fils Renaud, réjouis-toi,
Ta femme est accouchée d’un roi.

Ou encore celle, conservée en vallée d’Ossau, qui parle d’un connétable envoyé en 1550 en Guyenne pour combattre les Anglais. Elle débute par :

Près des tours de Marmande,
Il y a un gentil guerrier,
Landéridette,
Il y a un gentil guerrier,
Landéridé.

Les satires et autres trufandisas

Tout aussi descriptives mais plus moqueuses sont les chansons historiques sur les guerres de religion. Par exemple, Justin Cénac-Moncaut (1814-1871) recueille Mon ami Pierre, où la belle Jeanneton attend vainement son ami Pierre, mort et enterré sous un romarin.  Toutefois, en l’examinant de plus près, les paroles sont chargées de sens. Voici le début : En revenant de Nantes, / Passant par Avignon. Nantes fait référence à l’édit de Nantes et Avignon au schisme d’Avignon. En fait, la chanson est une satire contre le catholicisme !

Plus tard, la chanson qui raconte la captivité de François 1er en Espagne après sa défaite à Pavie en 1526 connait un énorme succès. Elle peut être lue comme une simple description ou comme une moquerie.

Quand le roi partit de France / Conquérir d’autres pays / Vive la rose /
Conquérir d’autres pays, / Vive la fleur de lys. / Arrivé devant Pavie, / Les Espagnols l’ont pris.

La bataille de Pavie (1523)
La bataille de Pavie (1523)

Henri III de Navarre, futur Henri IV de France
Henri III de Navarre, futur Henri IV de France

Bien sûr, de nombreuses chansons parlent d’Henri IV, dont la savoureuse Le meunier des tours de Barbastre. Henri IV le séducteur se déguise en meunier, ramasse une rose tombée du corsage d’une paysanne et demande un baiser en salaire. La belle, ne reconnaissant pas le roi, l’éconduit.

La protestation politique

Charles de Gontaud, duc de Biron (1562-1602) - chanson historique pour son exécution
Charles de Gontaud, duc de Biron (1562-1602)

Le maréchal Charles de Gontaut, duc de Biron (1562-1602) est originaire de Saint-Blancard dans l’Astarac. Il porte une grande amitié et un fort dévouement à Henri IV. Il se montre un soldat remarquable, se couvre de gloire et, même, sauve la vie du roi. Lo noste Enric le remerciera en le nommant amiral, maréchal, gouverneur de la Bourgogne puis duc. Pourtant, en 1599, Biron complote avec le duc de Savoie contre le roi.

Il est arrêté, jugé, condamné à mort. Ces évènements déclenchent les passions et une chanson historique La mort de Biron restera populaire. Aussitôt, il est défendu de la chanter, sous les peines les plus sévères… ce qui n’impressionnera pas les Gascons.

La chanson parle de Biron sur l’échafaud qui demande à un page de dire au roi de venir voir l’exécution. Le roi vient et Biron lui rappelle qu’il lui a sauvé la vie par trois fois.

Premièrement, devant Lyon,
Secondement, dans la Lorraine,
Troisièmement, devant Paris,
Trois fois je t’ai sauvé la vie.

– Biron, tu as trop tard parlé,
J’en ai perdu la souvenance,
Si tu avais parlé plus tôt,
Moi, la vie, je t’aurais sauvée.

Nos ancêtres ne semblaient pas avoir d’illusion sur les promesses des grands de ce monde…

La dernières chansons historiques

A faut espérer q'eu jeu la finira ben tot (1789)
A faut espérer q’eu jeu la finira ben tot (1789)

Après Henri IV, les Gascons abandonnent la chanson historique. Elle renaitra à la Révolution. Elles sont souvent écrites dans un patois qui mélange le gascon et le français. Celles de la Révolution exaltent le paysan et le berger. La chanson des paysans par exemple liste dans les six premières strophes les souffrances de leur condition, puis se termine par :

De ton faix de misère,
Tu te déchargeras pourtant,
Et bientôt tous crieront :
Vive le paysan !

L’Empire

Puis, le ton change avec l’Empire. La chanson populaire n’exalte pas les guerres napoléoniennes mais exprime plutôt la lassitude des levées d’hommes, les départs, les absences, les souffrances, les deuils,  les déceptions des retours.  On retrouve ces thèmes dans Où sont-ils ?

Où sont-ils ces gentils garçons, / Qui, l’an dernier, veillaient avec nous, / Faisant cuire des marrons / Et mangeant avec nous des galettes ?
Hélas ceux qui vont en Russie / Souffleront sur leurs pauvres doigts, / Mais ceux qui vont en Italie / Cuiront leur peau au soleil.
C’est bien beau que la jeunesse / Aille ramasser son faix de lauriers ! / Ils viendront un jour à la messe, / Avec leur pompon de grenadiers.
[…]
Pierre me voulait en mariage, / L’empereur rompit le marché. / Par mon âme ce serait dommage / Qu’on me le rendit endommagé.
[…]
voyez-le ce grand Bonaparte, / Celui-ci n’a pas peur pour sa peau. / Sur le cheval du roi de Prusse, / Son bel habit de drap anglais, / Garni d’une pelisse russe, / Et doublé d’un cœur de Français, / C’est le plus grand homme de guerre / Que ‘on ait jamais couronné, / Mais il sera plus beau encore, / Quand mon Pierre sera revenu.

Les campagnes de Napoléon susciteront des chanson politiques à la gloire des soldat - Napoléon à la bataille de la Moscova
Napoléon à la bataille de la Moscova

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Corpus des troubadours, Union Académique Internationale, Institut d’Estudis Catalans
Chansons et danses de la Gascogne, Anthologie de la littérature, n°7, Gaston Guillaumie, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus




Théophile de Bordeu le précurseur

Théophile de Bordeu (XVIIIe siècle), originaire de la vallée d’Ossau, est un médecin novateur et un précurseur. Persévérant, grand travailleur, il impose ses idées dans un milieu hostile.

Théophile de Bordeu choisit médecine

Théophile Bordeu
Théophile Bordeu (1722-1776)

Bordeu nait le  à Izeste (vallée d’Ossau). Son père, est Antoine de Bordeu, médecin, sa mère Anne de Touya de Jurques. Pour fêter sa naissance, Antoine plante un hêtre.

Théophile fait ses études à Lescar, chez les Barnabites, puis part à Montpellier apprendre la médecine. Montpellier est alors le centre le plus réputé sur cette discipline.  On y avait effectué la première transfusion de sang, créé la chimiothérapie, etc.

Théophile est un jeune homme sérieux et travailleur. Il écrit : « Je ne sors que pour dîner, aller à l’anatomie, à l’université, point de mail, point de vin, point de filles. » Une image à modérer car il fait de nombreuses dettes et se moque des remontrances de son père.

Montpellier - La Faculté de Médecine
Montpellier – La Faculté de Médecine

En tous cas, il est extrêmement doué. Il écrit avec son cousin un ouvrage d’anatomie descriptive novateur, Chylificationis historia. En 1743, il présente une thèse de baccalauréat tellement brillante qu’il est dispensé des épreuves préliminaires de la licence et est nommé docteur quatre mois plus tard. Il a 21 ans.

Théophile peine à trouver un premier emploi

Théophile de Bordeu aimerait s’installer à Pau, mais il faut soit être docteur de la faculté de Paris, soit se faire agréger au corps de médecins. Tentant la deuxième solution, il déchante vite et écrit : Pau est une ville exigeante; elle exige autant de soins, autant de courbettes que toute autre grande place et le tout sans profit; on n’y peut ni penser, ni faire, ni dire ce qu’on veut.

Alors, il repart à Montpellier faire un stage (aujourd’hui on parlerait d’internat), ouvre un cours d’anatomie avec travaux pratiques. Mais il veut plus. Il publie alors Lettres sur les Eaux minérales du Béarn, adressées à Madame de Sorbério. C’est un ouvrage sur la médecine thermale qui lui vaudra un grand succès. Peut-être pas tout à fait mérité car les spécialistes détecteront que l’œuvre a été écrite majoritairement par son père, Antoine !

Guillaume-François Rouelle
Guillaume-François Rouelle (1703-1770)

En tous cas, cela lui permet de viser Paris. Là, il suit les cours du chimiste réputé, Guillaume-François Rouelle et de l’anatomiste Jean-Louis Petit. Son parent, Daniel Médalon, médecin de l’infirmerie royale, lui fait faire un stage d’observation à l’Infirmerie royale de Versailles, entre mai 1748 et juillet 1749. Notre jeune homme se fait remarquer en soignant le duc et la duchesse de Biron et en les envoyant à son père pour une cure.

 

Bordeu, protégé du Roi

Louis XV, par Louis-Michel van Loo
Louis XV, par Louis-Michel van Loo

Aussi, jouant de sa récente influence, Bordeu fait nommer son père, dès 1748, inspecteur des eaux de Barèges. Puis, le 5 avril 1749, Louis XV le nomme régent d’anatomie pour la ville de Pau « pour y faire des leçons et expériences publiques, et lui permet de prendre à l’Hôtel-Dieu de ladite ville tous les cadavres dont il aura besoin pour ses démonstrations et préparations, aussi bien que ceux des criminels exécutés. »

Enfin, deux mois plus tard, le roi le nomme intendant des eaux minérales d’Aquitaine.

Théophile de Bordeu perturbe ses collègues

À Pau, les démonstrations du nouveau régent d’anatomie font salle pleine. Mais ce succès ne convient pas aux collègues locaux qui obtiennent qu’on limite ses cours. Alors, Bordeu se détourne de la ville et part en 1751, visiter les stations pyrénéennes. C’est à cette occasion, à Bagnères-de-Bigorre, qu’il rencontre celle qui sera sa maitresse toute sa vie, Louise d’Estrées, demoiselle d’honneur de la comtesse de Mailly, l’ancienne favorite du roi.

Recherches anatomiques
Recherches anatomiques sur la position des glandes et sur leur action (1751)

Bordeu décide une bonne fois de s’installer à Paris. En 1752, il publie le livre qu’il a préparé à Pau : Recherches anatomiques sur la position des glandes et sur leur action. C’est un énorme succès. Dans la foulée, Il publie deux thèses pour obtenir le grade de Docteur-Régent de la Faculté de Paris. Encore une fois, son succès lui attire des difficultés avec ses confrères de la Faculté. Il déclare que c’est une pétaudière où je ne mettrai jamais les pieds si je puis.

Cependant, afin de remercier son père, il lui offre le nouveau titre qu’il vient d’obtenir : médecin de l’hôpital militaire de Barèges. La clientèle du jeune Bordeu s’élargit et il envoie à son père ceux qui ont besoin de prendre les eaux – très à la mode en ce temps-là. Il ne manque pas d’ajouter quelques phrases personnelles ou humoristiques à la recommandation. Par exemple en qualifiant Madame de Pompignan de caillette que cette femme. Ou, dans un esprit trufandèr bien gascon, en écrivant à son père : J’ai vu la princesse de Turenne […] son fils aussi gras que lorsqu’il partit de chez vous, aussi bête que lorsqu’il partit de chez nous.
En 1755, Bordeu est nommé médecin de l’hôpital de la Charité à Paris avec le titre, créé exprès pour lui, d’inspecteur.

La disgrâce

Bordeu pense que la santé n’est pas une simple question de mécanique et de chimie. Il parle de sensibilité des organes. Il définit la fibre nerveuse qui établit la connexion entres les organes : Le filament nerveux pris à part n’est qu’un filament solide, sujet à des allongements et à des raccourcissements alternatifs; les oscillations vont et viennent pour ainsi dire comme un flux et un reflux.

L'usage des eaux de Barèges et du mercure pour les écrouelles ou dissertation sur les tumeurs scrophuleuses
L’usage des eaux de Barèges et du mercure pour les écrouelles ou dissertation sur les tumeurs scrophuleuses (1767)

Si les idées de Bordeu seront confirmées dans le futur, elles sont trop novatrices pour l’époque et heurtent ses collègues. En particulier, en 1756, Bordeu publie un ouvrage qui provoquera de violents débats : Recherches sur le pouls. De plus, il est le médecin le plus couru de Paris, ce qui éveille des jalousies.

Finalement, le 4 avril 1761, à l’assemblée de la Faculté, un collègue parisien, Bouvart, l’accuse d’avoir volé une montre et une boite à un malade, le Marquis de Poudenas. Bordeu demande à se défendre et le 28 avril, explique les faits réels. La Faculté nomme une commission de six membres pour examiner la conduite de Bordeu. Le 23 juillet, la Faculté raye Bordeu de la liste des médecins de Paris, et défend tout confrère de le consulter.
Mais Bordeu ne plie pas, il continue ses recherches et ses publications. Son frère, resté au pays est lui-même attaqué. Théophile lui répond : Et vous allez ainsi fléchissant devant nos grandelets de province ; un homme comme vous qui devriez, mordieu, traiter ces gens-là avec sa lame ; parce que vous êtes pauvre vous les craignez ; vivez de miche et parlez ferme… Je poursuis mes coquins; ils se sauvent dans les broussailles de la chicane, j’irai les poursuivre partout. 

Effectivement, trois ans plus tard, il est enfin lavé de cette accusation mensongère.

Le devant de la scène

Denis Diderot fait de Bordeu un des deux personnages du "Rêve de d'Alembert"
Denis Diderot fait de Théophile de Bordeu, le médecin de d’Alembert dialoguant avec Mme de Lespinasse dans le  « Rêve de d’Alembert » (1769)

La notoriété de Bordeu est, finalement, grandie. Diderot le consulte, comme tous les Encyclopédistes. et il en fait un personnage littéraire. Bourdeu accouche la duchesse de Bourbon du futur duc d’Enghien. Il est appelé au chevet du roi Louis XV à cause de sa grande expérience sur la variole. Mais il ne pourra qu’écrire les bulletins de santé de ses derniers jours.

II se rend chez ses malades en carrosse gris à quatre chevaux. Rejetant les vêtements noirs traditionnels des médecins, il porte un habit de cannelé gris le matin ou noisette galonné d’or le soir, musqué et testonné comme M. de Buffon qu’il imitait par l’élégance de ses manchettes et de son jabot.
Parlant couramment le béarnais, il s’amuse aussi à écrire quelques poèmes dont une sera reprise  par Etienne Vignancour dans son recueil Poésies béarnaises.  Elle s’intitule Houmatye aüs d’Aüssaü, sus lous Truquetaülés de la Ballée.
En 1774, il a une première hémiplégie.

orate ne intetris intentationem
« Orate ne intretis intentationem », planche tirée du « Nouveau recueil d’ostéologie et de myologie dessiné d’après nature par Jacques Gamelin de Carcassonne » (1779)

Paris lui pue au nez, écrit-il. L’été suivant, il prend les eaux à Bagnères sans résultat notable. Il meurt dans la nuit du 23 au 24 décembre 1776. Il a 54 ans. Son domestique le trouve couché sur le côté gauche, appuyant la tête avec la main gauche ; il avait la main droite placée sur son cœur.

Sur sa tombe, Madame de Bussy, prononce ces quelques mots rapportés par le Journal de Paris : La mort craignait si fort M. de Bordeu, qu’elle l’avait pris en dormant.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle

Références

Théophile de Bordeu, Docteur Lucien Cornet, 1922, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus
Theophile de Bordeu, un homme d’esprit, de connaissances éclectiques et sachant séduire, Histoire des sciences médicales, tome LXI n°3, Jean-Jacques Ferrandis et Jean-Louis Plessis, 2007.
Nouveau recueil d’ostéologie et de myologie dessiné d’après nature par Jacques Gamelin de Carcassonne… divisé en deux parties (1779)
Recherches sur les eaux minérales des Pyrénées, par M. Théophile de Bordeu
Recherches sur le pouls par rapport aux crises. Tome 2 / , par M. Théophile de Bordeu
Poésies Béarnaises, Etienne Vignancour, 1860, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus