C’est aujourd’hui, 6 décembre 2021, le centenaire de la mort de Félix Arnaudin. L’occasion de se souvenir de ce grand photographe.
La vocation de Félix Arnaudin

Félix Arnaudin est né à La Bohèira [Labouheyre] dans les Landes, le 30 mai 1844. Son père est concessionnaire des forges de Pontenx et possède quelques propriétés. Ils vivent dans la maison du Monge. Le jeune Félix va au collège pendant 3 ans (1858 à 1861), à Mont-de-Marsan, sans grand enthousiasme. Heureusement, au retour chez lui, il fréquente l’abbé Cassiau et continuera à s’instruire avec lui.
Il commence par travailler avec son père mais ne montre ni gout ni aptitude pour ce métier de commerce. En fait, il traine sans trouver sa voie.

Pourtant, les choses vont changer. Il publie, en 1873 dans la Revue de Gascogne, un article qui raconte la mort étrange de Bernard de Pic de Blais de la Mirandole (1725-1760). Partant de propos (légende ?) qu’il a recueillis, il creuse les archives pour en découvrir les fondements et les expose dans la revue sous le titre Une branche des Pic de la Mirandole dans les Landes, p 259-267.
Jean-Baptiste Lescarret (1819-1898) l’encourage et le présente à l’Académie de Bordeaux. Lescarret est avocat, professeur d’économie politique et sociale, membre de sociétés savantes et auteur de romans. Il a aussi écrit un essai pour dénoncer la plantation systématique des pins maritimes (1858). Une opinion que les deux hommes partagent.
Le tournant décisif

Félix Arnaudin s’éprend de Marie Darlanne (1856-1911) qui est au service de sa mère dans la maison familiale. Mais, la liaison est découverte et Marie est chassée en 1874. Félix a 30 ans. Il commence un journal qu’il tiendra pendant 40 ans.
Ne pouvant oublier Marie, il s’installera finalement avec elle à partir de 1881, et restera à ses côtés jusqu’à sa mort. La famille refuse cette mésalliance et Félix ne l’épousera pas.
Félix est un rêveur. Heureusement, il vit des revenus des métairies. Pourtant, en cette année 1874, le destin se précise. Félix achète son premier appareil photographique.
Félix Arnaudin l’ethnologue

Parcourant à vélo son pays, il va collecter un nombre impressionnant d’informations. Un collectage d’autant plus précieux que la forestation voulue par Napoléon III est en train de profondément chambouler la région.
Il procède de façon méthodique. Il établit un questionnaire qui lui permet d’interroger précisément les habitants de la région. Ensuite, il remplit des fiches d’enquête.

Il recueille méticuleusement des contes, des proverbes, des chants. Entre 1888 et 1910, il interroge 340 personnes. Il recueille plus de 150 mélodies et publie trois volumes de chants. Il note aussi les mots gascons utilisés, l’histoire, l’archéologie ou encore l’écologie de sa région.
En réalité, s’il a beaucoup amassé, il publie peu, quelques articles, une poignée de livres à faible tirage.
En 1912, il écrit dans Chants populaires de la Grande Lande : « Que de choses aimées dont chaque jour emporte un lambeau ou qui ont déjà disparu et ne sont plus qu’un souvenir ! «

Un exemple de collectage : Trop, trop
En janvier 1913, Félix Arnaudin publie dans la revue Reclams de Biarn e Gascounhe (p 17) une chanson Trop, trop / Tròp, tròp. que l’on peut chanter lentement comme berceuse ou un peu plus vite pour en faire une chanson de danse.
Trop, trop
S’i ère luouat lou moyne,
Trop, trop,
S’i ère luouat matin
Carque soun sac su’l’ayne, – E hay ent’aou moulin, – Trop, trop…
I hadè’n tchic de brume, – S’i a perdut lou camin. – Trop, trop…
S’i a stacat lou soun ayne, – Eus mountat sus un pin. – Trop, trop…
Le garralhe ére seuque, – Toumbe lou jacoubin. – Trop, trop…
Que s’i’a dehéyt le coueche, – Disé qu’ére lou dit. – Trop, trop…
Lés heumnes dou besiatje, – An entinut lou crit. – Trop, trop…
L’uoue porte le guélhe, – E l’aoute lou tcharpit – Trop, trop…
E l’aoute le ligasse, – Pèr li liga lou dit. – Trop, trop…
S’i ère luouat lou moyne, – S’i ère luouat matin.

…
Trop, trop S’était levé un moine. – Trop, trop, – S’était levé matin.
Il charge son sac sur l’âne. – Il va vers le moulin. – Trop, trop…/
Il faisait un peu de brouillard. – Il a perdu son chemin, – Trop, trop…/
Il a attaché son âne. – Il est monté sur un pin, – Trop, trop…
La branche était sèche. – Tombe le jacobin. – Trop, trop…
Il s’est démis la cuisse. – Il disait que c’était le doigt. – Trop, trop…
Les femmes du voisinage. – Ont entendu le cri. Trop, trop…
L’une apporte le chiffon. – Et l’autre de la charpie. Trop, trop…
Et l’autre la bande pour lui lier le doigt. Trop, trop…
S’était levé le moine. Trop, trop… S’était levé matin.
Comment ne pas reconnaitre les paroles de la comptine Compère Guilleri ? Et ce n’est peut-être pas si étrange. Philippe Guillery, le capitaine des voleurs, nait en 1566 en Bas-Poitou, village Les Landes. Il passe ses dernières années à Bordeaux, avant d’être reconnu et roué de coups en 1608.
Félix Arnaudin, l’imajaire
Félix Arnaudin constitue un répertoire détaillé d’images. Car il se considère comme un imajaire [un imagier] et non un photographe, mot qu’il a en horreur le considérant comme un des « plus détestables emprunts à mon goût, que le français ait pu faire au grec ».
Les quatre premières années (1874-1878), il fait une soixantaine de sorties autour de chez lui et produit 216 négatifs.

À sa mort, ce sont presque 2 500 images qui sont répertoriées. Il s’intéresse aux paysages qui représentent la moitié de ses photos. Ainsi, il photographie des champs, des lagunes, des pins, des mottes témoins du passé.
Il donne aussi une bonne place à l’habitat, fermes, maisons, moulins, et aussi à des témoignages anciens comme des églises, des sources et fontaines aux vertus médicinales, des bornes de sauveté.
Enfin, il s’intéresse aux portraits de personnes ou à des scènes de vie quotidienne. Ces images sont des mises en scène murement réfléchies par notre imagier.

Le souvenir
Sa passion, son amour pour le pays, son sens de la collecte paraissent étranges à son entourage. Il est surnommé lo pèc, un nom affectueux ou moqueur pour qualifier une personne simple ou niaise.
Le 30 janvier 1921, Félix Arnaudin écrit : « Dans ma pauvre vie de rêveur sauvage, toutefois anxieux de notre passé local, je n’ai guère reçu d’encouragements ; l’indifférence et les railleries, un peu de tous côtés, en ont volontiers pris la place ».

Certains de ses manuscrits, confiés au professeur de l’université de Bordeaux, Gaston Guillaumie (1883-1960), sont perdus.
Le fonds d’archives est maintenant consultable à l’écomusée de Marquèze, dans les Landes.
Plusieurs ouvrages ont été publiés sur Félix Arnaudin. Citons la Grammaire gasconne du parler de la Grande-Lande et du Born à travers les écrits de Félix Arnaudin, Renaud Lassalle, Editions Des Regionalismes, 2017.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle.
Références
Les fonds de Félix Arnaudin (1844-1921), collecteur et photographe des « Choses de l’ancienne Grande Lande », Florence Galli-Dupis, 2007
Chants populaires de la Grande Lande, Le monde alpin et rhodanien, Georges Delarue, 1973, pp. 171-172
Choses de l’ancienne grande Lande, Félix Arnaudin
49 images de Félix Arnaudin sur Wikimedia Commons