La pibala [prononcer pibale] ou piba est l’alevin de l’anguille (Anguilla anguilla). Elle offre un mets raffiné et maintenant luxueux. Elle fait l’objet d’une pêche traditionnelle, mais ses effectifs sont en chute libre en raison d’un intense braconnage. Les mesures de protection font espérer un renouveau de la pibala.

La migration de la pibala
Dans sa vie, l’angèla (anguille) fait deux migrations. Elle pond dans la mer des Caraïbes puis ses larves entament une longue migration de 6 000 km, portées par le Gulf Stream, jusqu’aux côtes françaises et espagnoles. Après 1 an de voyage, elles arrivent de fin octobre à fin avril. Elles mesurent quelques centimètres et pèsent de 20 à 30 grammes.

Les pibalas s’engagent dans les estuaires et remontent les rivières à la recherche d’eau douce. Elles n’aiment pas la lumière. La nuit, elles sont en surface et s’enfoncent dans l’eau ou dans la vase le jour. Pourtant, elles réalisent des prouesses car elles sont capables d’escalader des barrages verticaux de quelques mètres.
Elles vivent dix ans dans les cours d’eau, les mares, les étangs et les fossés où elles connaissent quatre métamorphoses successives, avec des changements de couleur du jaune au gris et argenté, avant de devenir adultes.
L’angèla a des embryons de poumons. Sinon, elle respire par la peau et les branchies. Cela lui permet de parcourir plusieurs kilomètres sur un sol humide à la recherche d’étangs ou de mares isolées.
Enfin, elle redescend les cours d’eau pour regagner la mer des Caraïbes pour frayer et pondre, avant de mourir.

La pêche de la Pibala

La migration de la pibala donne lieu à une pêche traditionnelle à pied le long des cours d’eau. On utilise le pibalèr ou pibalor, sorte d’épuisette tamis qui permet de pêcher les pibalas de 1 à 5 cm. Souvent « plat du pauvre », elle complète l’alimentation des populations. Quand il y en a trop, on les donne aux poules.

À noter : lorsque le temps est doux en avril, on dit en Médoc qu’il pibaleja [prononcer pibalège].
Aujourd’hui, c’est un mets recherché qui peut couter 1 000 € par kg, à tel point que les industriels commercialisent le « Gula », à base de morue d’Alaska, qui imite la pibala et à des prix plus raisonnables.
Pêche, sur-pêche et braconnage
À partir de 1967, l’État autorise la pêche en bateau. On estime que 3 à 4 000 tonnes de pibalas sont pêchées chaque année.
Puis, à partir des années 1970, un marché s’organise. Des pêcheurs professionnels prélèvent jusqu’à 4 000 tonnes de pibalas par an. Cette sur-pêche réduit considérablement la population et on n’en pêche plus que 110 tonnes en 2010.
D’ailleurs, il existe un marché en Espagne ou en Russie. Le marché asiatique, plus récent, recherche des pibalas vivantes pour les élever et les vendre, une fois adultes, en Chine, au Japon, en Corée et à Taïwan. Comme jusqu’ici, il n’est pas possible de faire reproduire les angèlas en captivité, le braconnage est intense.
En 2021, on a démantelé un trafic international après plusieurs années d’enquête. Plus de 46 tonnes de pibalas ont été exportées frauduleusement en Chine où le prix du kilo atteint 5 000 €. On a arrêté des mareyeurs français et un gérant de « société écran » espagnole. L’affaire commence par l’arrestation de trois Chinois, lors d’un banal contrôle routier en Ariège, avec 50 kg de pibalas dans leur coffre. La justice les condamne à 5 ans de prison, dont 3 avec sursis et à 20 000 € d’amende.
Le braconnage est la principale cause de la chute de la population de pibalas et d’angèlas. Elle est de 75 % en 30 ans. L’espèce est considérée comme menacée.

L’angèla et la pibala sont protégées
L’angèla et la pibala sont protégées depuis 2009, au titre des espèces menacées de disparition. En France, l’arrivée de pibalas en 2019 correspond à 5 % des effectifs constatés en 1989.
Un système de licences et de quotas, réglemente strictement, la pêche, réservée à la consommation personnelle et au repeuplement des rivières. Faisant suite à un règlement européen de 2007, la France approuve en 2010 un plan de gestion de l’anguille. Il prévoie la lutte contre le braconnage, l’amélioration de la continuité écologique, la réduction de la pêche, la réduction de la pollution et des mesures de repeuplement.

La pêche professionnelle se réduit de moitié en 10 ans. Cependant, la lutte contre la pollution est plus difficile : l’angèla est un poisson gras qui accumule les polluants solubles dans les graisses, pollution lumineuse car la pibala est sensible à l’éclairage artificiel, pollution thermique due aux rejets d’eaux chaudes de certaines usines. En revanche, rien n’est fait contre le silure, grand prédateur de pibalas et d’angèlas.
La pêche de la pibala se déroule sur 5 mois, du 1er décembre au 15 avril, en contrepartie de la déclaration des prises et des ventes aux Affaires maritimes. Les bateaux ne doivent pas dépasser 10 mètres, une puissance de 150 cv et les tamis à mailles ne peuvent dépasse un diamètre de 1,20 mètre.
Dans les Landes, sur les 57 pêcheurs titulaires d’une licence en 2000, il n’en reste plus que 4 en 2005.
Une remontée de la population

La Fédération de pêche de la Gironde conduit, au canal du Porge, un programme de suivi de la population d’angèlas et de pibalas. Il s’agit de les capturer à leur passage dans le canal pour en compter la population.
Ce suivi montre une diminution importante de 2008 (95,9 kg) à 2011 (23,5 kg), puis une remontée en 2012 (135 kg) et 2013 (349 kg), suivie d’une nouvelle diminution de 2014 à 2016 pour arriver à seulement 40 kg.
Depuis 2017, la population remonte régulièrement. En 2019, 92,5 kg d’angèlas ont été capturées, dont 77% de pibalas.
Le Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM) recommande de ne plus pêcher de pibalas pour permettre la reconstitution de l’espèce. L’État attribue des quotas annuels de pêche : 57 tonnes en 2021.
La Fédération Nationale de la Pêche et des associations de protection de la nature ont saisi, en mai 2021, le Conseil d’Etat pour dénoncer les quotas.
Certains experts recommandent d’interdire la pêche de la pibala en bateau, l’interdiction de la pêche de l’angèla quand elle repart en mer, de réduire à 2 mois la période d’autorisation de la pêche.
Serge Clos-Versaille
écrit en orthographe nouvelle
Références
Fédération de pêche de la Gironde
Centre culturel du pays d’Orthe
Wikipédia