Hier, lors de la veillée de Noël, on chantait la naissance de Jésus ; aujourd’hui, la fête est tournée vers les enfants. Pourtant, des textes d’il y a cent ans relatent des veillées plus proches de ce que vivaient les familles au quotidien.
Les premiers noëls
Noël vient des mots latins dies natalis, autrement dit jour de naissance. Et ce serait au IVe siècle qu’on a commencé à célébrer ce jour. Une célébration modeste qui n’a rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui.
Bien plus tard, les noëls, c’est-à-dire les chants autour de la nativité, vont faire leur apparition. Nous sommes au Moyen-âge. Ce sont surtout des chants populaires – et non liturgiques – et même des chants dansés. Et on les interprète souvent lors de la veillée.

Certains de ces chants sont écrits par des hommes d’Église comme le célèbre in dulci jubilo du mystique allemand Henri Suso (1296-1366).
In dulci jubilo,
Nun singet und seid froh!
Unsers Herzens Wonne
Leit in praesepio;
Und leuchtet wie die Sonne
Matris in gremio.
Alpha es et O!
Dans une douce jubilation, / Chantez maintenant et soyez joyeux! / La joie de notre cœur / Repose dans la crèche; / Et [elle] luit comme le soleil / Dans le sein de la mère. / Tu es l’alpha et l’Omega!
Des chants aux contes

À partir du XVIe siècle, à côté des chants, se développent d’autres formes : histoires dialoguées, légendes, contes. Elles seront racontées à la période de Noël, à la veillée. Au XIXe, les contes pour enfants explosent. Et les aspects humains prennent le pas sur les aspects divins. De la même façon, le père Noël supplante le petit Jésus pour les cadeaux aux enfants.
Ainsi, Kinder- und Hausmärchen [Contes de l’enfance et du foyer] des frères Grimm sort le 20 décembre 1812. Les thèmes ne sont plus la naissance de l’enfant-Dieu, ils sont plutôt éducatifs, mettant en avant des enseignements de morale. Le recueil des frères Grimm contient par exemple le très célèbre Blanche-Neige.
Les noëls gascons

La Gascogne, comme d’autres régions et pays, développe les chants, les Nadaus [Noëls] et les contes. Ce peut être des contes originaux ou des contes inspirés (les thèmes se retrouvent souvent) ou encore des traductions de contes connus. Ainsi, au début du XXe siècle, le Docteur Auguste Cator (1862-1918) de Fleurance dans le Gers, fait paraitre en gascon un recueil de contes choisis de Perrault.
D’ailleurs, les Edicions Reclams offrent cette année un livre numérique à lire ou télécharger sur son site, le conte Lo gat botat [Le chat botté], traduit par Auguste Cator, avec sa version en français.

Les veillées de Noël
En attendant la messe de minuit, pendant la veillée, on chante, on se dit des contes, on raconte. Ainsi, dans des anciens exemplaires de la revue Reclams de Biarn et Gascougne, on trouve des récits racontant la vie. Des récits qui témoignent à la fois des douleurs vécues et de l’espoir qui animent leurs auteurs.
Par exemple, un Armagnaquais, Bernés-Lasserre, va écrire un sonnet patriotique en 1916, La Nadau dous nostes.
La Nadau deus Nòstes
Dens lou sé de Nadau, per dessus las tranchados
Passeran lous aynats tout caperats de hèr;
Per lou cèl enlusit, de Belfort à la mer,
Esmalheran de flous las toumbos lèu fermados.
E lous souldats beyran, en loungo troupelado,
Lous guerriès d’autes cops s’abança, recouberts
Per l’alo dous fanious, dens lou malo councert
Que canto per es souls la grano Renoumado.
— O, peluts de Biarn, de Lanes, e Gascougno !
O, sublimes bouès d’uo santo besougno,
Eternelle glori ! campanos souneran.
Quand la Ney de Nadau, en signo de bictouèro,
Lusiran, coum estellos, bostos crouts de guerro
Sur le cô d’Henric, de Fébus e d’Artagnan !
Dens lo ser de Nadau, per dessús las tranchadas / Passeràn los ainats tot caperats de hèr; / Per lo cèl enlusit, de Belfòrt a la mer, / Esmalharàn de flors las tombas lèu fermadas.
E los soldats veiràn, en longa tropelada, / Los guerrièrs d’autes còps s’avançar, recobèrts / Per l’ala deus fanions, dens lo mala concert / Que canta per eths sols la grana Renomada.
– Ò, peluts de Bearn, de Lanas, e Gasconha! / Ò sublimes boès d’ua santa besonha, / Eternelle glòri! campanas soneràn.
Quan la Neit de Nadau, en signa de victoèra, / Lusiràn, com estalas, vòstas crotz de guèrra / Sur lo còr d’Enric, de Febus e d’Artanhan!
Le Noël des Nôtres
Dans le soir de Noël, par-dessus les tranchées / Passeront les ainés tout recouverts de fer ; / Par le ciel éclairé, de Belfort à la mer, / Orneront de fleurs les tombes bientôt fermées.
Et les soldats verront, en longue troupe armée, / Les guerriers d’autrefois s’avancer, recouverts / Par l’aile des fanions dans le mâle concert / Qui chante pour eux seuls la grande Renommée.
– Ô poilus de Béarn, de Landes et de Gascogne ! / ô sublimes âmes d’une sainte besogne, / Éternelle gloire ! Les cloches sonneront.
Quand la Nuit de Noël, en signe de victoire, / Luiront comme des étoiles, vos croix de guerre / Sur le cœur d’Henri, de Fébus et d’Artagnan.
Les récits des veillées : douleur et espoir
D’autres récits, plus tragiques, sont publiés, comme en 1909 Soubeni de Nadau / Sovenir de Nadau [Souvenir de Noël] de Léon Arrix qui gagna la médaille d’argent du concours de Salies.
Là, l’auteur raconte que des histoires s’échangeaient en attendant la messe de minuit. En panne d’inspiration, les personnes se retournent vers l »ancienne. Bam, à bous, mayboune; diset-s’en ûe, qu’en débet sabé d’aquéres hort biélhes qui soun las mielhous. / Vam, a vos, mairbona; disetz-nse’n ua, que’n débetz saber d’aqueras vielhas qui son las mielhors. [Allons, à vous, bonne-maman : dites nous en une, vous devez en savoir de ces vieilles qui sont les meilleures.]
Et la pauvre femme dit qu’elle n’en connait plus, qu’elle est trop vieille. Puis, elle raconte une histoire vraie, une histoire qu’elle a vécue. Il s’agit de la mort de son fils un anyoulou de cinq ans / un anjolon de cinc ans [un petit ange de cinq ans]. Cela se passe pendant la période de Noël. Pour réconforter l’enfant, tout en lui tenant la main, elle lui raconte que s’il meurt il aura, pour aller au ciel, des ailes comme les anges du paradis. L’enfant lui répond : que demandèrey au boun Diu dé-m decha biene-t bédé é qu’arribérèy dab las ales d’û anyou ou d’û béroy ausèt. / que demandarèi au bon Diu de’m dèishar viéne’t véder e qu’arribarèi dab las alas d’un anjo o d’un beròi ausèth. [je demanderai au bon Dieu de me laisser venir te voir et j’arriverai avec les ailes d’un ange ou d’un bel oiseau.]

L’année suivante, pour Noël, la mère repense à son enfant décédé. Et là, ûe beroye tourterèle blangue que-s biénè de pousa sus la hourque déu ridèu déu brès, é aquiu, que démourè ûe pausote en m’espian. / ua beròia torterela blanca que’s vienè de posar sus la horca deu ridèu deu brèc, e aquiu, que demorè ua pausòta en m’espiant. [une jolie tourterelle blanche vint se poser sur la fourche du rideau du berceau, et là, elle resta un moment en me regardant.]
La mère caresse la tourterelle qui lui fit entendre rou-crou-ou. Toutes les autres années, la mère attend l’oiseau lors de la veillée de Noël, mais l’oiseau ne viendra plus.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Coundes causits de Perrault, Auguste Cator
Reclams de Biarn et Gascougne, 15 de Decembre 1916, La Nadau dous nostes, p.67
Reclams de Biarn et Gascougne, novembre 1909, Soubeni de Nadau, p. 262
Escòla Gaston Febus : Noël aujourd’hui en Gascogne
Escòla Gaston Febus : La veille de Noël en Gascogne
merci toujours très intéressant