Mangerez-vous un chapon au repas de Noël ? D’ailleurs, est-ce traditionnel ? Histoire et gastronomie.
Le chapon…

Mais, un chapon, qu’ei aquò ? En fait, le chapon est un jeune coq que l’on castre, puis que l’on nourrit de céréales et, le dernier mois, de produits laitiers. Cela développe peut-être son appétit car le coq se met alors à manger énormément jusqu’à atteindre cinq ou six kilos.
Afin de limiter la consommation de poularde grasse et économiser le grain, on aurait imaginé, à Rome, en l’an 162 av. J.-C., de donner du lait à des jeunes coqs. En tous cas, c’est ce que nous dit Pline l’Ancien (23-79) dans le livre X de son Naturalis historia [Histoire naturelle]. Par la suite, les Romains nous ont probablement apporté ce plat.
… un grand succès
En tous cas, le succès du chapon ne se démentit pas au cours des siècles. D’ailleurs, Guilhem IX d’Aquitaine (1071-1126), que l’on considère comme le premier troubadour, écrit un poème Farai un vers, pos mi sonelh dont un couplet précise :

A manjar mi deren capos,
E sapchatz agui mais de dos;
Et no·i ac cog ni cogastros,
Mas sol nos tres;
E·l pans fo blancs e·l vins fo bos
E·l pebr’ espes.
Ils m’ont nourri de chapons,
Et sache que j’en ai eu plus de deux;
Et il n’y avait ni cuisinier ni cuisiniers,
Mais seulement nous trois;
Et le pain était blanc et le vin bon
Et le poivre abondant.
Deux chapons pour trois personnes, quel luxe ! Ou quels estomacs !
Le repas de Noël ne peut commencer qu’après le jeûne !

L’ethnologue barcelonais Joan Amadès (1890-1959) nous dit que Noël était, dans les temps anciens, en période de jeûne.
Pourtant, grâce à un tour de passe-passe, nos ancêtres ont pu se régaler de chapon au repas de Noël…
Influit pel corrent popular, lo concili d’Aquisgran tengut en 817 convenguèt que los capons devián pas èsser considerats coma de carn e aital, donc, los fidèls ne podián manjar per Nadal, sens trencar l’abstinéncia.
Influencé par le courant populaire, le concile d’Aix-la-Chapelle tenu en 817 convenait que les chapons ne devaient pas être considérés comme de la viande et que les fidèles pouvaient donc les manger à Noël, sans rompre l’abstinence.
Les premières recettes de chapon
Parmi les livres de cuisine qui nous sont restés du Moyen-âge, on trouve le chapon farci provenant du livre de cuisine catalan, Llibre de Sent Soví, 1324.
A FARSIR CAPONS:
Si vols farcir capons, aytantost com los capons seran morts fets los plomar lo pus gint que sapiats ab los peus e ab lo coll e traets lo gavaix per lo coll que lo pits no sia escorxat, e trae ne lo ventrell e ço qui es dedins. E puys metets los dits per los pits e pertits la cuyr de la carn, e puys metets los en aygua tebea un poch; el farsir pren porch fresch menys de conna e deves lo lombrigol e un poch de molto si t vols e carnsalada grasa, e, corn lo hauras molt capolat e puys picat en un morter, mit hi ous cruus e salsa a picar e ages un poch d agras e sagi de porch fresch fus per mills metra a farcir, e puys mit ho enfre la carn e lo cuyr e puys enastats los e ligats los be e unta los mentre couran ab ous e ab safra debatuts ab del sagi fus, e fets salsa de pahons lo lir no nie (?).

En gros, après avoir plumé et vidé le chapon, le cuisinier, anonyme, propose de le farcir avec de la chair de porc. Œufs, vinaigre, parfums de safran et de sauge complètent le tout. Finalement, une base toujours en vigueur par chez nous.
La concurrence au chapon

Si, dans les temps anciens, seule la poularde était une vraie concurrence au chapon, on trouvera rapidement l’oie. Ainsi, la Cançon de la Crosada [Chanson de la Croisade] précise (CXIX) :
A l’intrat de setembre, cant fo passatz aost,
Asetzeron Moissac de totas partz mot tost.
Lo coms Baudoïs i fazia gran cost:
Mota auca i manjet e mot capo en rost,
Aisi co m’o contè sos bailes e·l prebost.
À l’entrée de septembre, quand aout fut passé,
Ils assiégèrent activement Moissac de toutes parts.
Le comte Baudouin y faisait grande dépense :
Il y mangea force oies, force chapons rôtis,
Ainsi que me le contèrent son bailli et le prévôt.
La recette de chapon de Gascogne
Puis, avec la découverte de l’Amérique, la dinde fera son apparition. Notons que, plus grosse, elle peut nourrir plus de personnes.

Actuellement, quelques historiens de la cuisine publient des livres des plus intéressants. Citons ceux de l’archéologue toulousaine Sylvie Campech (1964- ) ou du cuisinier écrivain catalan Vicent Marqués (1950- ). Ce dernier recherche depuis 40 ans toutes les données possibles sur la cuisine en Catalogne ou dans le sud de la France. Outre ses livres, l’écrivain publie des recettes sur le site du Jornalet.
Donc, voici le chapon farci que l’on trouve dans toutes les régions du sud de langue d’oc, collecté par Vicent Marqués.

Base du chapon farci
Ingrédients: pour le farci, mélange de viande (ou de jambon, parfois de poulet), saucisses, pain frit à l’ail, foie de volaille, un œuf, une demi-douzaine d’ail et des herbes. Pour six portions, un chapon d’environ 2 kg, du poivre, du sel, de la graisse d’oie et de la ficelle de cuisine.
Préparation: Nettoyez et flambez le chapon, salez et poivrez l’intérieur. Mélanger les ingrédients du farci et en remplir le chapon (ce mélange peut être un peu doré au préalable). Ensuite on va le coudre, lui attacher les pattes, le saler, le poivrer, et l’enduire de graisse. Puis on le met au four ou dans une casserole. Si vous choisissez la casserole, versez une cuillerée de graisse et retournez régulièrement le chapon d’un côté de l’autre. Il peut être garni de champignons ou de toutes sortes de légumes frits, à l’étouffée, ou mijotés dans la même casserole.
Pourtant, au-delà de cette base commune, chaque région apporte sa touche particulière. Par exemple, en pays nissart, on ajoutera quelques figues à la farce. Et, en Gascogne, on ajoute à la farce une tranche de foie gras, un petit verre d’armagnac et une cuillerée de graisse d’oie. Retrouvez-vous la volaille farcie de votre enfance ?
Le réveillon et le repas de Noël

Pour finir, souvenons-nous que, dans la tradition chrétienne, il faut jeûner pour pouvoir célébrer à sa juste valeur l’arrivée de Jésus le 25 décembre. D’ailleurs, le pape Léon le Grand (390?-461) nous le rappelle dans ses sermons. Le jeûne permet de surmonter ses vices, de résister au Démon et de s’approcher de Dieu. « Car le jeûne a toujours été la nourriture des vertus », rappelle-t-il.
Donc on ne parlera de repas, de réveillon, qu’au retour de la messe de minuit. Ce pourra être des châtaignes grillées et des saucisses grillées par exemple. Mon grand-père s’en léchait les babines !
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Quelles sont les origines des recettes de Noël selon les traditions chrétiennes?
Llibre de Sent Soví, 1324
La chanson de la Croisade contre les Albigeois, Paul Meyer, 1875
Lo gal de Nadal, La bona taula, Jornalet, Vicent Marqués, 24/12/2017