Le droit d’arromèga ou de sèga dans les Pyrénées

Laruns - Un mariage sortant de l'Eglise (Montaut)
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Les anciennes communautés bénéficiaient de droits établis par leurs Coutumes. Parmi eux, le droit d’arromèga [prononcer arroumègue ou arroumègo] ou le droit de sèga qu’a étudié Monsieur Lafforgue dans deux communautés de haute-Bigorre : Ordizan et Trébons.

Qu’est-ce que le droit d’arroumèga ?

Noce à Laruns - Musée des Beaux-Arts de Pau - Le droit d'arromèga lors des mariages
Noce à Laruns – Musée des Beaux-Arts de Pau

Dans son Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes, Simin Palay nous donne les définitions suivantes de arroumèga  ou de sèga :

Arroumegà,-gàlh ; sm. – Terre couverte de ronces ; ronceraie ; buisson ; (fig.) tas de choses.
Arroumegà-s ; v. – Se déchirer aux ronces.
Arroumegàt,-ade ; s. – Egratignure produite par les ronces ; tas de ronces.

En gascon, l’arromèc ou l’arromèga ou encore la romèga est la ronce, l’arromegar le roncier. Le droit d’arromèga serait donc un droit de ronces ? N’en doutons pas, c’est une bien grande curiosité, fort ancienne en Gascogne.

L’arromèga est un droit d’entrée exigé par les jeunes du village lorsque l’un des deux mariés, se rendant à l’église pour leurs noces, n’est pas du village. Il se concrétise par un arromèc ou un ruban qui barre le chemin. L’étranger au village doit verser son obole, généralement en vin, pour pouvoir passer. Si elle est jugée insuffisante, les nouveaux mariés ont droit à un calhavari (voir l’article correspondant).

 Le droit d’arromèga, un ancien droit municipal

Droit de sèga - Lou Disna - tiré de Caddetou que s'y tourne (Ernest Gabard)
Lou Disna – tiré de Caddetou que s’y tourne (Ernest Gabard)

L’arromèga est souvent officialisée dans les statuts municipaux. À Ordizan, les statuts de 1689 prévoient que « chacun homme estranger n’estant né ny baptisé audit lieu qui voudra y estre voisin, marié et habitant payera d’entrée ou rouméguère une barrique, un pipot et une tasse vin bon et marchand à la communauté suivant l’uzage du lieu et autres circonvoisins. Et chacune des femmes estrangères qui viendront estre mariées audit lieu payeront d’entrée un pipot et une tasse vin ».

À Trébons, le droit d’arromèga est aussi d’une barrique, un pipot et une tasse de vin. Les femmes paient seulement un pipot de vin et 32 sols.

Les mariages soumis à l’arroumèga

Danse des rubans en Bigorre - après avoir payé la sèga, on peut danser
Danse des rubans en Bigorre

On voit que la coutume de faire payer les époux qui ne sont pas du village, est devenu un droit appliqué à tous ceux qui viennent s’y installer. Même le curé doit payer l’arromèga avant d’entrer en possession de sa cure.

En s’acquittant de l’arromèga, l’étranger acquiert « un droit d’usage sur les biens communs et autres émoluments comme les anciens habitants ». Le sacrifice en vaut la peine !

Le droit d’entrée est une institution généralisée. Dans nombre de communautés, celui qui est reçu comme vesiau (communauté des voisins) doit payer un droit d’entrée en argent ou planter des arbres dans les bois communs pour bénéficier des droits et franchises des habitants. Dans ce cas, la qualité de vesiau n’est pas liée à un mariage car il faut résider pendant longtemps dans la communauté et se montrer bon citoyen avant de devenir vesin (voisin, membre à part entière de la communauté).

On poursuit les mauvais payeurs du droit de sègua

Il arrive que les intéressés refusent de payer l’arromèga. Les communautés qui sont sourcilleuses de leurs droits, les poursuivent en justice.

Les tribunaux de première instance donnent souvent raison aux plaignants. Les communautés portent alors l’affaire devant le Parlement de Toulouse qui, lui, leur donne toujours raison.

Tribunal villageois (ca. 1910)
Tribunal villageois (ca. 1910)

Ce droit est entré dans les mœurs, à tel point que le contrat de mariage de Bacquerie d’Orizan qui épouse en secondes noces une femme de Hiis, prévoit que ce sont les parents de la mariée qui paieront l’arromèga. À Barlest, une famille fait l’objet de tracasseries pendant plus de trente ans parce que le chef de famille, venu d’un autre village, a refusé de payer l’arromèga.

À Anclades et à Sarsan, près de Lourdes, les revenus de l’arromèga permettent de payer à tous les habitants, un banquet après la messe de la Toussaint.

La Révolution abolit tous les anciens droits. Les communautés ne perçoivent plus le droit d’arromèga qui contribuait largement à leurs finances. Les traditions ont la vie longue. Ce sont désormais les jeunes des villages qui organisent des arromècs.

Le droit d’arromèga, de sèga ou de barrèra

Ailleurs, le droit d’arromèga prend le nom de sèga ou de barrèra. En Ariège, c’est la romiguèra.

Dans son Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes, Simin Palay nous donne la définition suivante :

Barrère ; sf. – barrière mobile à claire voie.
Sègue ; sf. – Ronce frutescente (Rubus fruticosus, plante). V. arrouméc…

Malgré un nom différent, on voit bien la similitude de la pratique. Palay nous donne ensuite une description de cette tradition.

La sèga selon Simin Palay

 Simin Palay définit le droit d' arromèga ou de la sèga
Simin Palay

« La sèga est un très ancien usage qui se pratique à l’occasion d’un mariage ; malgré quelques différences locales, il consiste généralement en ceci : un ruban est tendu en travers du chemin que le cortège nuptial doit suivre, soit à l’entrée du village si l’un des époux vient du dehors, soit à l’entrée de l’église, soit parfois devant les maisons dont les habitants désirent faire honneur aux époux.

Droit de sèga - Caddetou que s'y tourne (Ernest Gabard)
Caddetou que s’y tourne (Ernest Gabard)

Des jeunes gens habituellement, tiennent un des bouts du ruban tandis que d’autres portent une bouteille de vin du cru et des verres ; ils ont parfois aussi des bouquets destinés aux invités ; le cortège doit s’arrêter devant la sègue, la barrière ; les époux sont invités à trinquer et à boire un coup ; il y a parfois échange de compliments et de souhaits, puis après avoir remis une offrande en argent, la noce est autorisée à poursuivre son chemin. Le ruban, autrefois, était remplacé par des ronces naturelles.

Cet usage ayant donné lieu à des abus, en 1488, Catherine de Navarre le frappa d’interdiction, mais il n’en persiste pas moins, les abus seuls sont abolis ».

 

 

La fin d’une longue tradition

Au XIXe siècle, les autorités luttent contre cette pratique qui leur parait contraire aux libertés individuelles. La tradition de l’arromèga, de la sèga ou de la barrèra s’est définitivement perdue au XXe siècle.

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

Revue de Gascogne, 1924
Dictionnaire du Béarnais et du gascon modernes, Simin Palay, Edicions Reclams, 2020.

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2 réflexions sur “Le droit d’arromèga ou de sèga dans les Pyrénées

  1. Bonjour
    je parle le patois du quercy. Aroumega signifie pour nous amasser en forme de pelote comme on pourrait le faire de branches de ronces. c’est pas un travail fin mais on pare au plus pressé et on y met l’essentiel.
    et la segue est utilisée pour designer une haie faite d’arbustes divers, y compris des ronces. On segue aussi lorsqu’on récolte le blé par exemple. Là par contre on y rentre le moindre grain, c’est la moisson, le plus dur est passé alors autant prendre tout car on ne sait pas de quoi demain sera fait. D’ailleurs quand la cigale se met à dire segue segue sgue… faut pas trainer, c’est l’heure.

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