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Les chanteurs montagnards

Le XIXe siècle voit le succès des chœurs d’hommes, les Orphéons. En 1867, on en compte 3 243 en France, regroupant plus de 147 000 chanteurs. Le plus célèbre est, sans conteste, celui des Chanteurs montagnards d’Alfred Roland.

Qui est Alfred Roland ?

Alfred Roland
Alfred Roland

Alfred Roland nait à Paris, le 22 janvier 1797. Il s’intéresse à l’histoire et aux sciences naturelles. Et il s’initie très tôt à la musique. D’ailleurs, il joue de la guitare et du violon. Aussi, sa famille organise des soirées musicales au cours desquelles il découvre des chanteurs de renom, titulaires à l’opéra de Paris.

On le voit, tout le prédispose à devenir musicien. Pourtant, il choisit de devenir fonctionnaire des impôts. Et, en octobre 1832, le voici à Bagnères de Bigorre en tant que « Vérificateur de l’Enregistrement et des Domaines ».

Et voilà ! À Bagnères, on chante à l’atelier, dans la rue, au marché et dans les cabarets. Séduit par les voix magnifiques, il fonde le « Conservatoire de musique et de chant de la ville de Bagnères ». Et il y donne gratuitement des cours de solfège, de diction et de chant.

Ainsi, lors de l’inauguration de son école de musique, le 26 janvier 1833, il donne un concert avec un chœur de 33 de ses élèves. Le succès est immédiat.

Des chants de Roland qui deviendront célèbres

De plus, Alfred Roland écrit les textes qu’il fait interpréter à ses élèves. Certains sont restés célèbres dans le répertoire pyrénéen comme la Tyrolienne des Pyrénées. Ici la version originelle par les Chanteurs Montagnards de Bagnères de Bigorre.

Montagnes Pyrénées
Vous êtes mes amours,
Cabanes fortunées
Vous me plairez toujours,
……

D’abord la tournée régionale

En juillet 1835, Alfred Roland présente sa troupe au concours des sociétés musicales de Toulouse. Là, ils interprètent des pièces de sa composition et remportent un énorme succès. En particulier, il compose une ode, dont le refrain deviendra celui de La Toulousaine, qu’il fait chanter place du capitole à minuit. C’est un triomphe ! Il est acclamé par les auditeurs.

Alfred Roland ne s’arrête pas là. Avec ses chanteurs montagnards, il se produit à Pau, à Orthez, à Dax, à Bayonne où il commande, à ses frais, une diligence pouvant emmener 40 personnes. Cependant, il songe déjà à une tournée nationale.

Alors, il sélectionne 40 chanteurs dont 14 sont des enfants, les plus jeunes n’ont que 8 ans. Avec un bon sens du spectacle, il leur confectionne un habit qui est la tenue des guides pyrénéens : veste bleue au large col blanc arrêté à la taille, pantalon blanc tombant sur des guêtres de laine, béret rouge avec gland de couleur blanche et large ceinture en laine nouée du côté gauche.

Puis la tournée nationale

Les chanteurs pyrénéens de Lourdes
Les chanteurs pyrénéens de Lourdes

Enfin, le 18 avril 1837, Alfred Roland part pour une tournée nationale en commençant par Auch, Toulouse, Perpignan, Carcassonne, puis l’ouest de la France : Poitou, Touraine, Anjou et Bretagne. Pourtant, lors d’un concert, il doit sortir sous la protection des gendarmes car la couleur des costumes des chanteurs rappelle celle des soldats de la République… qui ont laissé un mauvais souvenir aux anciens Chouans !

Peu importe, début février 1838, il est dans le nord : Evreux, Rouen, Lille, Tourcoing, la Belgique et Paris où il reste trois semaines. À Neuilly, il se produit devant le roi Louis-Philippe et toute sa cour.

Stendhal n’apprécie pas ce spectacle. Ainsi, il écrit dans son journal à propos de la musique qu’ils chantent : « Elle est d’une platitude et d’un gauche inimaginables. Il faudrait avoir du génie pour pouvoir se figurer cet excès de vide. [..] Ces pauvres jeunes gens ont le mérite de chanter toutes ces belles choses sans accompagnement. Leur affiche dit qu’ils vont à Paris. Quand ils seraient protégés par tous les journaux, il est impossible qu’un parterre parisien tolère un tel amas de platitude et de contresens. »

Erreur, le public leur fait un triomphe !

Enfin la tournée internationale

Fort de ces succès, en juillet 1838, Alfred Roland et ses chanteurs montagnards sont à Londres et donnent 21 concerts. De plus, la reine Victoria leur fait chanter une sérénade matinale sous les fenêtres de la reine mère pour son anniversaire au palais de Buckingham.

Ensuite, la tournée reprend en Belgique, en Hollande et en Allemagne. Là, un incident faillit tout arrêter. En effet, à Hambourg, un chanteur écrit à ses parents, et ceux-ci croient comprendre qu’il est maltraité. Aussitôt, le député des Hautes-Pyrénées et le Ministre des affaires étrangères s’en mêlent. Alfred Roland écrit une lettre indignée au préfet des Hautes-Pyrénées, signée par tous les chanteurs. Finalement, l’enquête n’aboutit à rien. Le chanteur à l’origine de la lettre maladroite est renvoyé et la tournée reprend.

Bernadotte, Roi de Suède
Bernadotte, Roi de Suède

Suivent le Danemark, la Suède où ils sont chaleureusement accueillis par le roi Bernadotte, Béarnais d’origine. Berlin, Vilnius, Varsovie, Smolensk, Saint-Pétersbourg, Minsk et Vienne.

En 1842, ils sont en Italie. Devant le Saint Père, ils chantent une Messe des montagnards tout simplement composée par Alfred Roland. C’est un triomphe !

Puis, le 24 mars 1842, ils sont de retour à Marseille et entreprennent un nouveau tour de France.

Un peu plus tard, le 4 septembre 1845, ils s’embarquent pour le Moyen-Orient et la Terre Sainte. Ils visitent l’Egypte. Le Médecin chef des armées du Khédive, Charles Chedufau, est un Bagnérais, qui plus est, ami d’enfance de l’un des chanteurs. Le 13 décembre, ils sont à Jérusalem et chantent la Messe des montagnards le jour de Noël à Bethléem.

Enfin, leur tournée les amène à Beyrouth, Damas, Athènes, Constantinople. Revenus à Marseille, infatigables, ils entament un nouveau tour de France de 1846 à 1852. Et leur dernier concert sera devant Napoléon III et Eugénie.

Napoléon III et Eugénie de Montijo
Napoléon III et Eugénie

Que reste-t-il des chanteurs montagnards d’Alfred Roland ?

Des dissensions se font jour dans le groupe. Les anciens veulent rentrer au pays, les nouveaux n’ont pas l’esprit de cohésion du début. Certains chantent pour leur propre compte. Alors, les enfants sont renvoyés à Bagnères et le groupe se disloque.

L'Orphéon de Salies de Béarn
L’Orphéon de Salies de Béarn

Alfred Roland s’installe à Grenoble où il fonde un nouveau chœur : L’orphéon des demoiselles. Mais il meurt le 15 mars 1874.

Si la vogue des Orphéons a disparu, il reste encore des chœurs d’hommes ou mixtes pyrénéens qui perpétuent les chants écrits par Alfred Roland : Chœur d’Oldara, les troubadours du Comminges, l’Orphéon de Luz, etc.

Les chansons d’Alfred Roland font partie du répertoire pyrénéen et tous connaissent quelques airs. Et les chanteurs montagnards d’Alfred Roland existent toujours à Bagnères de Bigorre et ils se produisent régulièrement.

Les Chanteurs du Comminges
Les Chanteurs du Comminges

Serge Clos-Versaille

écrit en orthographe nouvelle

Références

« Le grand voyage des chanteurs montagnards bagnérais (1838-1854) », Bulletin de la Société académique des Hautes-Pyrénées – cycle 2001-2002, Louis Fage