Diversité et liberté vont de pair. Et puisque c’est l’époque des vœux, en ces temps de restrictions de toutes sortes, que diriez-vous de promouvoir la diversité de nos langages ?
La diversité du français et la langue d’oïl
On a parfois l’impression que le français est une langue uniforme sur tout le territoire. Et qu’il faut s’aligner sur un vocabulaire « officiel », seul digne d’être écrit, voire parlé. Heureusement, il n’en est rien. Si l’on regarde les traces qu’ont laissées les dialectes de langue d’oïl, il y a déjà une belle diversité d’expressions et de mots. Par exemple, en s’appuyant sur le franco provençal, on pourrait dire : si nous appondons [mettons bout à bout] quelques mots régionaux, sûr que les autres seront franc [complètement] perdus.

Aujourd’hui, en ce 29 décembre, il bruine, il pleuvine, il pleuvasse, il pluviote, il brouillasse, il crachine, bref il pleut un peu. Du moins, ce sont les synonymes de pleuvoir que proposent les dictionnaires comme celui du CNRTL. Et bien, avec quelques régionalismes, la linguiste française Henriette Walter (née en 1929 à Sfax, en Tunisie) nous donne l’occasion d’enrichir nos expressions. Ainsi, nous dit-elle, il bergnasse (Berry), il bérouine (pays Gallo), il brime (Poitou), il broussine (Lorraine), il chagrine (Normandie), il mouzine (Champagne), il rousine (Sarthe), etc.
Certes, c’est moins compréhensible par tout francophone mais c’est tellement plus savoureux ! Et qu’importe si nous, nous mangeons de la doucette alors qu’un Bourguignon mange de la pomâche, un Charentais de la boursette, un Lyonnais de la levrette et un Champenois de la salade de chanoine. Malgré les vingt noms différents recensés sur notre hexagone, nous nous régalons tous de valerianella olitoria, autrement dit de mâche.
Des mots gascons dans le français

Le gascon, comme d’autres langues ou dialectes, a influencé le français. La linguiste suisse Eva Buchi relève des mots d’origine du sud de la France avec leur définition. Par exemple :
– le floc : boisson de couleur blanche ou rosée, élaborée à partir de moût de raisin (Gers).
– la lagune : étendue d’eau au fond d’une petite dépression naturelle (Landes)
– le gnac : combativité (Hautes-Pyrénées)
– la pignada : pinède (des Pyrénées Atlantiques jusqu’en Gironde)
Et si nous continuions à influencer la langue nationale ? Ainsi, quelques mots gascons, francisés ou pas, abarrégés [égaillés] dans un discours, ne seraient-ils pas de beaux signes de notre identité ?
Mangeons donc de la cèbe [oignon], du cébard [jeune pousse d’oignon] ou de l’aillet [jeune pousse d’ail] en insistant bien sur le t final. De même, préparons nos plats dans une toupie [faitout]. Et quand la petite a le tour de la bouche barbouillé de sauce, osons lui dire : « tu es moustouse ».
Après le repas, il sera temps de s’espatarrer [s’affaler] dans un fauteuil en buvant un armagnac sans s’escaner [s’étouffer] et en gnaquant [mordant] dans les dernières coques à la padène [gâteaux à la poêle].
Alors, nous pourrons traiter le fiston de pébé de drolle, ou de poivre de drolle plutôt que de lui dire « espèce de poison » parce qu’il a empégué [empoissé] tous nos papiers de confiture après avoir pris son quatre heures [gouter] ?
Et surtout, n’hésitons pas à repapier, rapapiéger, papéger, péguéger ou papouléger autrement dit à radoter.
Des régionalismes gascons pour la diversité

Nous pouvons aller plus loin et orner nos discours de quelques régionalismes bien expressifs. D’ailleurs, en cette période des vœux, n’est-ce pas le moment de réveiller nos gasconnismes ?
Mon père me fait venir chèvre : mon père me tourne en bourrique.
Porte moi la veste : apporte-moi ma veste.
Viens donner la main : viens donner un coup de main.
J’en ai un sadoul : j’en ai assez.
Tâche moyen de te libérer : fais en sorte de te libérer.
Il s’en croit : il est prétentieux.
Ça date du rei ceset [en prononçant le t final] : ça date de Mathusalem.
etc.
Pour continuer dans la diversité, on peut aussi prendre des expressions qui ne sont pas tout à fait correctes mais qui nous parlent. Par exemple, disons
Je te défends de toucher mon pot de confiture : je te défends de toucher à mon pot de confiture.
Je ne pardonne personne : je ne pardonne à personne.
J’aime rêver au bord de la rivière même si hier je manquai tomber à l’eau : j’aime à rêver au bord de la rivière même si hier j’ai manqué de tomber à l’eau.
Avec Léo nous sommes allés au marché : Léo et moi nous sommes allés au marché.
Certes les deuxièmes expressions sont plus chic mais pourquoi ne pas revendiquer les premières ? Nous serons aussi bien compris et nous utiliserons des expressions de chez nous. Après tout, c’est bien comme ça que l’on fait évoluer une langue. Et il n’y a pas de raison que nous ne laissions pas notre empreinte.
Ils ont osé la diversité
À la cour d’Henri IV, on se dispute pour savoir si on dit cuiller (en prononçant le r final comme dans fer) ou cuillère. Le roi est clair le mot est masculin, et c’est bien la première forme. Malherbe (1555-1628), lui, résiste en répondant que tout puissant qu’était le roi, il ne ferait pas qu’on dît ainsi en deçà de la Loire. Le temps a fait son ouvrage et on peut aujourd’hui dire les deux.

Notons aussi qu’à peine plus tard, le grammairien Gilles Ménage (1613-1692) remarque que le petit peuple de Paris prononce cueillé, la cueillé du pot, et que les honnêtes bourgeois y disent cueillère. Et je crois bien que de nos jours encore, la prononciation de ce mot est diverse : cuillère, cueillère voire culhère pour certains de chez nous.
Enfin, un écrivain reconnu comme François Mauriac (1885-1970) fait dire, dans Nœud de vipères, au père de Robert : pourquoi que je te fixe comme ça ? Et toi, pourquoi que tu ne peux pas soutenir mon regard ?
Et pourquoi que nous n’en ferions pas autant ?
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Le français d’ici, de là, de là-bas, Henriette Walter, 1998
Les gasconismes corrigés, Desgrouais, 1746
Nouveaux gasconismes corrigés, Etienne Villa, 1802
Les emprunts dans le Dictionnaire des régionalismes de France, Eva Buchi, 2005
Gasconismes faut-il se soigner ? Escòla Gaston Febus
Mélenchon comprendrait-il Montesquieu ? Escòla Gaston Febus
Attention, Eva Buchi fait une erreur de genre sur le mot « pignada » (gascon pinhadar = plantation de pins) : c’était LE pignada, même quand on utilisait le mot en français, et il faut défendre son genre masculin contre l’erreur courante qui met maintenant un féminin parce que ça se termine par un a !
https://gasconha.com/locs/spip.php?paraula4
Quant aux mots floc et gnac, certes bien connus en gascon, ils ont peut-être une origine qui dépasse la Gascogne.
flòc : https://gasconha.com/locs/spip.php?paraula725
nhac : https://gasconha.com/locs/spip.php?paraula6
E bona annada / boun’annado !