La première papèterie en Gascogne

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La première papèterie de Gascogne est probablement à Caüsac d’Ador [Cahuzac-sur-Adour] dans le Gers. Fantaisie ou sens du progrès?

Gilbert Loubès s’intéresse à la papèterie 

G. Loubès - la première papeterie de Gascogne à CAHUZAC sur Adour (1492)
G. Loubès – la première papèterie de Gascogne à CAHUZAC sur Adour (1492)

Cette histoire, nous la connaissons grâce à Gilbert Loubès, ordonné prêtre en 1951 et exerçant dans le diocèse d’Auch. Il a une passion pour l’histoire médiévale du département et on lui doit une quinzaine de livres et articles, comme L’énigme des cagots, Routes de la Gascogne médiévale, Abbayes et monastères le Gers monastique, etc.

En particulier, il va s’intéresser à l’arrivée de l’imprimerie en Gascogne et publier, en 1973, La première papeterie de Gascogne à Cahuzac-sur-Adour (1492). Un travail fouillé, avec bien des surprises.

D’où vient le papier ?

T'sai Lun ou Cai-lun, l'inventeur chinois du papier
T’sai Lun ou Cai-lun, l’inventeur chinois du papier

On attribue à T’sai Lun (ou Cai-Lun), de la cour impériale chinoise, l’invention du papier en l’an 105 en mélangeant du tissu, des écorces d’arbre et des filets de pêche. Plus tard, en 751, grâce à la capture de deux papetiers chinois, le califat de Bagdad fabrique du papier mais en employant du chanvre et du lin.

Au début du XIIe siècle, les Arabes envahissent l’Espagne et apportent le papier. Et pendant longtemps, c’est au royaume de Valence que les marchands languedociens s’approvisionnent. Puis, au milieu du XIVe siècle, la fabrication commence en Champagne. C’est le grand centre français du papier. Il faut attendre la fin du XVe siècle pour voir une généralisation des papèteries.

Fabrication du papier dans le Royaume de Bagdad
Fabrication du papier dans le Royaume de Bagdad

Précisons qu’au moyen-âge, la méthode de fabrication reste celle développée par Bagdad. Des chiffonniers courent la campagne pour récupérer de vieux habits ou de vieux chiffons de lin et de chanvre. Puis ils les vendent aux meuniers à papier. Comme on était assez économe dans ces époques, arriver à acheter même des vieilles guenilles n’était pas si simple et pouvait occasionner quelques disputes. De là est née l’expression « se battre comme des chiffonniers ».

Cahuzac sur Adour

Le Chateau de Cahuzac sur Adour
Le Chateau de Cahuzac sur Adour

Le village se situe dans l’ouest du département du Gers, dans le bassin de l’Adour.

Là, au XVe siècle, un marchand de blé a un moulin sur les terres de Géraud de Saint Lanne, seigneur de Cahuzac. Le moulin est sur deux niveaux, ses murs sont constitués de moellons (petites pierres) du pays et recouverts d’enduit. Et ce moulin aura une histoire inattendue dont on a trace par des papiers conservés chez le notaire local.

La fausse papèterie de Cahuzac

Une pachère ou digue
Une paishèra ou digue

Un différent entre le comte d’Armagnac et Géraud de Saint-Lanne débute le 9 mai 1492. L’année précédente, une crue aurait emporté la « papèterie » du comte d’Armagnac. Il charge donc son procureur, Nicolas de Mediavilla (ou Miegeville), de la faire rebâtir.  Saint-Lanne s’y oppose et chasse les maçons, prétendant être le propriétaire des lieux. Différents historiens voient là une trace de la première papèterie de Gascogne.

Schéma d'alimentation d'un moulin à eau
Schéma d’alimentation d’un moulin à eau

 

Pourtant, Gilbert Loubès, en étudiant l’original de l’acte, découvre une erreur d’interprétation. Le texte original est en latin, il dit « …paxeriam in aqua vocata Lado in gressu banniui molendini Riscle… » [sur la rivière appelée l’Adour, au départ du canal du moulin de Riscle… ].Mais, paxeria ne veut pas dire papèterie précise l’historien (ce serait papereria) ; il y voit plutôt le mot gascon pashèira (prononcé pachère ou pachèro), qui veut dire digue. D’ailleurs la lettre du seigneur de Cahuzac, écrite en bon gascon, confirme la chose : Mossenh lo procurayre cum bastitz vos aqui aquera payxera qui mes preiudicable… [Monsieur le procureur comment bâtissez-vous ici cette digue qui m’est préjudiciable]

Il n’en fallait pas plus à l’abbé gersois pour fouiller tous les actes du notaire de Cahuzac. Et il découvre cet autre acte, écrit dans un mélange de latin et de gascon, qui commence par : La Rendament deu molin deu poppe de Cahuzac apartenen au noble Guiraud de Sent Lana, seinhor deudit loc de Cahuzac. [L’arrentement du moulin à papier de Cahuzac, appartenant à noble Géraud de Sainte-Lanne, seigneur dudit lieu de Cahuzac.]

La vraie papèterie de Cahuzac

Moulin à foulon
Moulin à foulon

Il y a donc un moulin à papier, c’est-à-dire une papèterie, à Cahuzac en 1492 ! Gilbert Loubès rassemble les informations.

En fait, le seigneur de Cahuzac passe un contrat avec un Champenois de Troyes, l’endroit de France qui développe les papèteries depuis quelques années. Est-il novateur ? A-t-il le sens de affaires ? Toujours est-il qu’en 1492, il installe sa papèterie, la première de Gascogne, dans un batan [moulin à foulon] préexistant.

Rappelons que le moulin à foulon permet de remplacer jusqu’à 40 ouvriers fouleurs à pied ou à main. Le moulin à foulon est appelé mail à la limite entre les pays d’oc et d’oil, paraire ou parador en languedocien ou en provençal, batan en Gascogne et en Espagne.

La préparation du papier

La préparation du papier nécessite de l’eau et des meules. Facile donc de détourner une partie du moulin à cet usage.

En effet, à l’époque, le meunier commence par trier les chiffons de lin et de chanvre en fonction de leur nature et de leur couleur, les débarrasse des boutons, défait les ourlets. Ensuite, il les découpe en pedaçons [petits morceaux] les lave et les blanchit au soleil.

Pressage du papier au Moulin de la Rouzique
Pressage du papier au Moulin de la Rouzique

L’étape suivante consiste à les mettre à tremper les laissant fermenter dans un poiridèr [pourrissoir]. En macérant, les pedaçons dégagent une odeur forte qui ressemble à l’odeur d’un chou qu’on fait cuire. Puis le meunier écrase ces bouts de chiffon bien ramollis avec les meules du moulin jusqu’à obtenir une pâte blanchâtre, la pâte à papier.

Il ne reste plus qu’a préparer le papier. Pour cela, le meunier, étale la pâte sur un tamis où elle va sécher et devenir des feuilles de papier un peu épaisses et irrégulières. Enfin, le meunier les écrase avec une presse.

Nos méthodes industrielles gardent ces mêmes étapes, même si on part aujourd’hui des fibres cellulosiques du bois. On peut encore voir cette préparation ancienne dans quelques moulins comme le moulin de la Rouzique en Bergeracois.

L’expansion des papèteries en Gascogne

Coupeuse mécanique des chiffons (1873)
Coupeuse mécanique des chiffons (1873)

Il est probable que cette papèterie ne dura qu’un temps car on n’en trouve plus mention dans les siècles qui suivent. En 1665, Cahuzac ne compte plus qu’un moulin à trois mules, donc un moulin plus traditionnel pour faire des farines de céréales.

Pourtant, ce moulin existe toujours, sur la rive gauche de l’Adour. même si son usage a évolué au fil du temps. Et il est probable que le moulin à papier était sur la partie gauche du bâtiment actuel.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Le moulin de Cahuzac
L’histoire du papier, Sarah Cantavalle, 2019
Les moulins du papier en France
La première papeterie de Gascogne à Cahuzac-sur-Adour (1492), Abbé G. Loubès, 1973, bibliothèque Escòla Gaston Febus.

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