Antoine de Nervèze ou le bien parler à la cour d’Henri IV

Nervèse fréquente la cour de Henry IV
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Les Gascons savent parler, l’histoire le confirme. Certains furent remarqués dans toute la France et au-delà. Ainsi, Antoine de Nervèze, aujourd’hui oublié, fut surnommé le roi des orateurs.  Dans la série Gascons de renom, avec Sans Mitarra, Jacques LacommeAlexis PeyretMarcel AmontIgnace-Gaston PardiesAndré DaguinJean LabordeJoseph du Chesne.

Antoine de Nervèze

Melchior de Prez protecteur de Nervèze
Melchior des Prez-Montpezat

La vie de ce poète nous est mal connue. Jean-Paul Barbier-Mueller, un Genevois, a rassemblé quelques éléments biographiques dans son article publié dans Seizième siècle.

Par recoupement, on peut penser que le poète serait né avant 1559 du cousté du midy, vers les monts Pyrénées, comme il l’écrit lui-même. Son père est mort alors qu’il était encore jeune et il fut probablement envoyé chez des amis ou parents à Poitiers. Il s’attira les sympathies de Melchior des Prez-Montpezat, gouverneur et sénéchal du Poitou. Puis de son fils, Emmanuel-Philibert, le futur marquis de Villars. Il l’évoque dans ces vers :
Villars auprès de qui mes plus jeunes années
Ont doucement suivi le cours des destinées

Nervère devient le secrétaire du Prince de Condé
Henri II, prince de Condé

Adulte, il devient secrétaire d’Henri II de Bourbon, prince de Condé jusqu’à 1606-1607. Ensuite, il passe au service d’Henri IV de France, jusqu’à son assassinat en 1610.

Or, dès 1600, le roi avait autorisé Marguerite de Valois à revenir à Paris. Elle tient un salon fameux dans son hôtel, quai Malaquais.

L’hôtel de Marguerite de Valois à Paris

Son ex-mari le roi, la deuxième épouse Marie de Médicis et le futur Louis XIII sont des visiteurs fréquents.

Nervèze y vient souvent et devient vite la référence en matière de bon langage. On parlera d’ailleurs du « style Nervèze ».

Nervèze meurt en 1622.

L’oeuvre de Nervèze

Dès jeune homme, Nervèze écrit. En 1597, il transmet au libraire parisien, Antoine du Breuil, le privilège royal d’imprimer ou faire imprimer toutes ses œuvres. Autrement dit, l’exclusivité. Bonne affaire pour l’imprimeur car l’auteur est prolifique et vite célèbre !

Admirateur de Ronsard, Nervèze est l’auteur d’une douzaine de romans, de très nombreuses œuvres poétiques et autres. Ses premiers livres content des amours tragiques. Ils seront plus teintés de chevalerie par la suite. Comme cette réécriture d’une histoire tirée de l’épopée italienne Orlando furioso (Roland furieux) de L’ Arioste (1474-1533).

Nervèze et le roman sentimental

Gravure tirée des Amours de Clorinde (Amours diverses – 1617 – BNF)

Nervèze est le père, sinon le meilleur représentant du roman sentimental, qui sera de mode à cette époque. Adrienne Petit précise : Le roman sentimental se caractérise par une langue, rhétorique et fleurie, passée à la postérité sous le nom de « style Nervèze », du nom du maître du genre, Antoine de Nervèze. Cette prose à la syntaxe sinueuse, qui fait foisonner les discours oratoires – déplorations comme harangues – et les figures de style, est au service de l’expression des mouvements de l’âme et du movere [Utiliser l’émotion pour guider les conduites humaines].

On peut apprécier l’auteur dans cet extrait des Amours de Palmélie, destiné à susciter l’émotion chez le lecteur  :

« En quel gouffre de miseres me voy-je precipitee ? Quel sanguinaire destin qui (moissonnant les plus agreables fleurs de mon espoir) ne laisse en leur place que des cruelles épines ? De quoy me sert ceste vie, puis qu’elle est stérile de plaisirs, & ne sert que de matiere aux infortunes ? Qu’elle fatalité (avide de mon sang) m’y faict voir à regret le Soleil ? O mort ! qui n’est redoutable qu’à ceux qui sont contents, ne viendras tu point au secours de ceste Demoiselle, que la douleur & son desir t’ont vouée ? viens à moy, doux refuge de mes malheurs & ne me refuse point ta secourable rigueur que je reclame avec passion & attents avec impatience. C’est la raison que je meure, Amour, tu le veux bien, puis que tu m’as appris à vivre miserable. »

Le Nervèze moraliste

Cartas morales de Nevèze traduit en espagnol
Cartas Morales y Consolatorias del Senor de Narveza. Traduzidas en lengua Castellana por Madama Francisca de Passier y por por Cesar Oudin, Secretario Interprete de su Magestad Christianissima (Henri IV).

Nervèze publie aussi des ouvrages de philosophie morale. D’ailleurs cette philosophie à la fois morale et religieuse est présente dans tous ses livres, même ses romans d’amour. Son premier roman en témoigne, Les chastes et infortunées amours du baron de l’Espine et de Lucrèce de La Prade. Dans ce roman, Lucrèce, après la mort de son amant, s’interroge sur le meilleur choix pour elle. Et elle va s’interdire le suicide.

En fait, on retrouve là une dénonciation indirecte des mœurs de la Cour, non par la critique mais par l’exemple de hauts sentiments.

La religion est un cadre d’action

Gravure tirée des Amours de Clorinde (Amours diverses – 1617 – BNF)

Bruno Méniel a étudié le rôle de la religion dans l’oeuvre romanesque de Nervèze : Les protagonistes butent inéluctablement contre une de ces questions. Est-il loisible de s’opposer à ce qu’un père décide pour vous ? Doit-on accepter un mariage arrangé ? Le suicide offre-t-il une issue ? Faut-il choisir la vie conjugale ou la clôture ? Or les réponses à apporter à ces questions dépendent de la représentation que l’individu se fait de sa position dans le monde, de son rapport à autrui et à Dieu. Autrement dit, chez Nervèze, celui qui entend prendre une décision qui orientera toute son existence se pose une question religieuse.

L’étonnant exemple d’Olimpe

Un exemple est particulièrement intéressant, par la position qu’il propose. C’est le roman Les Amours d’Olimpe, et de Birene. Olimpe, mariée de force par son père, fait tuer son époux le jour de ses noces. Nervèze, à travers le narrateur, condamne les parents qui choisissent le mari de leur fille en fonction de leurs seuls intérêts :

Ces accidens font une belle leçon aux peres et meres, qui ne regardans qu’à leurs advantages, veulent que leurs filles servent d’appuy à leurs fortune, et forçans leurs volontez en mariage, martyrent leur contentement, et réduisent ces affections contraintes en des mortelles repentances. Et ces rigueurs sont le plus souvent les instruments de leur ruïne, et de leur blasme. Celles-là que je puis à bon droict appeller malheureuses, sont captives en leur liberté, et semblent estre plustost nées pour leurs parens que pour elles-mesmes. Il n’y a point de liberal arbitre pour leur volontez, lequel elles pourroient justement nier si leur foy le leur pouvoy permettre.

Le Nervèze civilisateur

Le guide des courtisans de Nervèze
Le Guide des Courtisans

Connu pour la qualité de son langage, et cherchant à raffiner le comportement et le langage de la cour, Nervèze écrit le Guide des courtisans. Le texte commence par : I entreprens un combat plein d’honneur & d’vtilité: I’aurai pour but de mon dessein la gloire de la Cour & le bien des Courtisans; pour armes une plume, pour champ de bataille ma solitude, & pour ennemis la Vanité, la Faintise, la Mesdisance, & l’Impiété. Il met en avant dans ce guide l’importance de l’émotion et de l’expression de cette émotion.

Maurice Magendie, dans La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté, voit surtout dans le style Nervèze, une réaction contre la vulgarité ambiante. Une volonté d’affiner les mœurs, de réguler les passions, d’installer la politesse. Frank Greiner, agrégé de lettres, normalien, l’exprime clairement : Le beau langage a ici une fonction civilisatrice. Son rôle n’est pas seulement de masquer la réalité grossière ou rugueuse sous de riches apprêts mais de transfigurer par de beaux discours des passions violentes.

Point trop n’en faut ?

François_Maynard

Le poète toulousain, membre de l’Académie française,  François Maynard (1582-1646) l’appelle le roi des orateurs. Et pourtant, disciple de Malherbe, il est assez éloigné d’un Nervèze. En revanche, Nicolas des Escuteaux (1570-1628), lui reproche de trop en faire et le traite de mignon des dames. En fait, Nervèze et Escuteaux raffinent tant leur style qu’on les accuse tous deux de « parler phebus » (Exprimer avec des termes trop figurez & trop recherchez, ce qui doit estre dit plus simplement, dictionnaire de l’Académie française, 1694).

Et peut-être le second avait-il une pointe de jalousie car il semblerait que les dames portaient plutôt leurs différends devant Nervèze. La Gazette de Paris de 1649, affirme même qu’avec ces dames, qui l’eût voulu contredire, eût été chassé comme un péteux de la compagnie.

L’opposition de Malherbe

François de Malherbe critique du style Nervèze
François de Malherbe

François de Malherbe est tout le contraire de Nervèze. C’est un homme froid, brutal, tyrannique et  profondément opposé aux poètes sensibles. Au-delà de Nervèze, c’est tout la génération des poètes baroques qu’il décrie et qu’il rejette. Il entraînera d’ailleurs la littérature française dans l’art classique, et les auteurs précédents dans l’oubli. Marie de Gournay (1565-1645), grande femme de lettres, les défendra dénonçant l’arrogance anarchique des prétendus novateurs, les traitant d’ignorants. Mais en vain.

Références

Seizième siècle, Jean-Paul Barbier-Mueller, 2011, 7, p. 297-306
Le guide des courtisans, Nerveze, 1606
Amours diverses. Divisees en dix histoires . Par le sieur de Nerveze, 1617
Le style Nervèze, langue des passions et langue de cour, Adrienne Petit
Les métamorphoses de la charité dans les romans d’Antoine de Nervèze, Bruno Méniel, 2012

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