Ausone est un grand nom de la littérature aquitano-romaine. Sa réputation s’étend bien au-delà de son bordelais natal chéri. Un « pré-Gascon » de renom ! Ayant beaucoup écrit sur lui-même et son pays, on connait bien sa vie. E-F Corpet nous en parle.
Les premières années d’Ausone
Decimus Magnus Ausonius (Ausone) nait en 309 ou 310 à Cossium (Bazas) ou à Burdigala (Bordeaux). Son père, Julius Ausonius, est un médecin réputé. Sa mère, Ӕmilia Ӕonia, est d’une famille des Ӕdui (Éduens, peuples du côté de la Bourgogne) qui s’était réfugiée à Aquae Tarbellae (Dax) en Aquitaine.

Le jeune Decimus a un oncle, Arborius, qu’il aime comme son père : Culta mihi est pietas, patre primum et matre vocatis : Dicere sed rea fit, tertius Arborius. / C’était un pieux devoir pour moi de nommer d’abord mon père et ma mère, mais je me reproche de ne parler qu’en troisième lieu d’Arborius. (Extrait de sa correspondance). Grâce à cet oncle, Ausone est confié à des professeurs à Burdigala : le grammairien bordelais Macrinus, les grammairiens grecs Corinthius et Sperchius (Julius Ausonius, le père, parle mieux le grec que le latin). Les penchants du jeune Decimus l’amènent plutôt vers l’éloquence et on lui donne comme professeurs de rhétorique l’Auscitain Luciolus Staphylius et le Bordelais Tiberius Victor Minervius.
Puis, toujours son oncle Arborius l’appelle à Tolosa pour continuer son apprentissage.
Ausone revient à Burdigala
Après quelques plaidoiries sans grand succès, Decimus devient professeur de grammaire à Burdigala. Il épouse la fille d’un sénateur copain de son père, Attusa Lucana Sabina que l’on décrit noble et belle. Elle lui donne trois enfants : Ausinius qui meurt très jeune, Hesperius qui sera vicaire de Macédoine et une fille dont Decimus n’a pas laissé le nom mais qui fera deux beaux mariages (le préfet d’Illyrie puis le proconsul d’Afrique). Attusa meurt à 28 ans et Ausone ne se remariera jamais.

Ausone reste trente ans professeur à Bordeaux et gardera des liens quasi paternels avec un de ses élèves, le futur saint-Paulin. La longue correspondance entre ces deux personnes donne des informations sur l’histoire, les modes de vies dans la noblesse de l’époque et sur la littérature. Dans l’épître 29, Ausone se désole du choix de Paulin, parti en Espagne : Tu as donc changé de sentiments, Paulin bien-aimé ? Voilà ce qu’ont produit ces forêts de la Vasconie, ces neigeuses retraites des Pyrénées et l’oubli de notre ciel ! À toi donc mes justes imprécations, terre d’Ibérie !
Ausone à la cour de l’empereur

La réputation de professeur d’Ausone amène l’empereur romain Valentinien Ier à lui confier en 367 l’éducation de son fils Gratien promis au trône. L’enfant a huit ans. Ausone rejoindra Valentinien et sa cour installée à Trèves (Allemagne). Ceux-ci sont chrétiens, Decimus, avec diplomatie, le deviendra aussi mais ne partagera jamais cette foi. On peut apprécier le poète qui, par humour ou par flatterie, compare Valentinien, son frère Valens (co-empereur) et Gratien au Père, au Fils et au Saint-Esprit…
Ausone chante la victoire de l’empereur sur les Alemanni, le Danube, la Moselle, Trèves, Mediolanum (Milan)… Il deviendra questeur. Après la mort de Valentinien en 375, Gratien lui ouvre des possibilités nouvelles, une ascension sociale hors pair. Ausone l’honore comme il sied (légende d’une peinture représentant Gratien tuant un lion d’une seule flèche) :
Quod leo tam tenui patitur sub arundine letum, Non vires ferri, sed ferientes agunt. |
Si ce lion reçoit la mort d’une flèche aussi mince, c’est qu’il éprouve la force, non du fer, mais du bras qui le frappe. |

Ausone devient préfet, proconsul, consul. Ses titres valent même à son père, Julius Ausonius, qui approche les 90 ans, d’être nommé préfet d’Illyrie (Albanie actuelle). Et il peut offrir ses vœux de bonne année à Paulin avec ces mots :
Vive, vale, et totidem venturos congere Ianos Quot tuus aut noster conseruere patres, |
Vis, vis bien, et amasse-toi autant de futurs jours de l’an Qu’en ont enchaînés ton père ou le mien. |
Le nid de vieillesse
À la mort de Gratien en 383, Decimus rentre enfin à Bordeaux. C’est là qu’est son âme. Il est riche et il peut consacrer son temps à écrire des poèmes, sans contrainte courtisane, et jouir de sa contrée. On le voit dans ses villas, Lucaniacus, Pagus Novarus… ou à la Villula, où il passe ses dernières années. Il célèbre le pays, dont il a une vision large. Il parle de Carentonus (fleuve Charente), des huîtres de Marennes, d’Iculisma (Angoulême), de Burdigala, du vin. Ausone parle de Divona, déesse celte des sources, qui donna, entre autres, son nom, Divona Cadurcorum, à Cahors.
Salve, fons ignote ortu, sacer, alme, perennis, Vitree, glauce, profunde, sonore, inlimis, opace. Salve, urbis genius, medico potabilis haustu, Divona, Celtarum lingua, fons addite divis! |
Salut, fontaine dont on ignore la source, sainte, bienfaisante, pérenne, Cristalline, azurée, profonde, murmurante, limpide, ombragée. Salut, génie de la ville, qui nous verse un breuvage salutaire, Divona, en langue celte, source d’ordre divin! |
Ausone le poète inspirant des poètes

Ausone le poète a une réputation qui passera les ans, les siècles. Il sera honoré à la Renaissance. On pourra reconnaître par exemple dans la poésie de Ronsard (1524-1585), Mignonne allons voir si la rose, ou dans celle de Malherbe (1555-1628), Consolation à M. Du Périer sur la mort de sa fille (Et rose elle a vécu ce que vivent les roses…) le poème d’Ausone :
Quam modo nascentem rutilus conspexit Eous,
Succedens ævum prorogat ipsa suum.
Et memor esto ævum sic properare tuum.
La puberté pour elles touche à la vieillesse qui les tue.
Celle que l’étoile du matin a vue naître,
à son retour le soir elle la voit flétrie.
Mais tout est bien : car, si elle doit périr en peu de jours,
elle a des rejetons qui lui succèdent et prolongent sa vie.
et souviens-toi que ton âge est passager comme elle.
(Traduction : E. – F. Corpet)
Ausone et son souvenir
Ausone meurt vers 394/395 entre Langon et La Réole.

Après avoir été largement célébré, on reprochera à Ausone, en particulier au XIXe siècle, d’avoir trop parlé de lui, d’avoir déjà la vanité des Gascons. Pourtant, l’historien marseillais Camille Jullian (1859-1933) précise : Ce qui domine chez le plus grand de leurs poètes du IVe siècle, c’est la note, je ne dirai pas égoïste, mais vivante, mais personnelle, l’amour de ce qu’il est, de ce qu’il a fait, de ce qui l’entoure. Il ne rêve pas, il ne pleure pas, il ne se laisse pas aller au courant de capricieuses images ; il voit, il vit ; il est de son temps, il l’aime, il en parle.
Le château d’Ausone, grand cru classé A du Saint-Emilion lui fait encore honneur. Il serait construit à l’emplacement de la villae Lucaniacum, villa qu’Ausone aurait eu de son beau-père.
Anne-Pierre Darrées
Références
Œuvres d’Ausone, tome second, traduit par l’abbé Jaubert, 1769
Œuvres complètes d’Ausone, tome 1, E.-F. Corpet, 1842
Ausone et Paulin de Nole, David Amherdt, 2004
La correspondance d’Ausone et de Paulin de Nole, Pierre de Labriolle, 1910
Ausone et son temps, Camille Jullian
Bonjour,
J’ai trouvé votre article génial. Je rédige des articles sur l’histoire de mon village Archingeay où un sarcophage qui serait (à prendre au conditionnel) celui de la belle sœur d’Ausone si j’en crois l’ouvrage « Recherches topographiques, historiques, militaires et critiques sur les antiquités gauloises et romaines de la province de Saintonge » de Mr Bourignon.
Puis-je en copier quelques extrait ?
Je ne manquerai pas vous citer comme source bien sûr.
Cordialement.
Merci de votre commentaire. Et merci de demander si vous pouvez en copier quelques extraits. Et oui, vous pouvez le faire:-)
Bonjour. Je vous remercie. Si vous le permettez, je ne manquerai pas de vous mentionner. Où êtes vous situé ? Encore merci !
Merci. L’Escòla Gaston Febus a son siège au château de Mauvezin (65130). J’en suis la présidente : Anne-Pierre Darrées. Cordialement,