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Théophile de Bordeu le précurseur

Théophile de Bordeu (XVIIIe siècle), originaire de la vallée d’Ossau, est un médecin novateur et un précurseur. Persévérant, grand travailleur, il impose ses idées dans un milieu hostile.

Théophile de Bordeu choisit médecine

Théophile Bordeu
Théophile Bordeu (1722-1776)

Bordeu nait le  à Izeste (vallée d’Ossau). Son père, est Antoine de Bordeu, médecin, sa mère Anne de Touya de Jurques. Pour fêter sa naissance, Antoine plante un hêtre.

Théophile fait ses études à Lescar, chez les Barnabites, puis part à Montpellier apprendre la médecine. Montpellier est alors le centre le plus réputé sur cette discipline.  On y avait effectué la première transfusion de sang, créé la chimiothérapie, etc.

Théophile est un jeune homme sérieux et travailleur. Il écrit : « Je ne sors que pour dîner, aller à l’anatomie, à l’université, point de mail, point de vin, point de filles. » Une image à modérer car il fait de nombreuses dettes et se moque des remontrances de son père.

Montpellier - La Faculté de Médecine
Montpellier – La Faculté de Médecine

En tous cas, il est extrêmement doué. Il écrit avec son cousin un ouvrage d’anatomie descriptive novateur, Chylificationis historia. En 1743, il présente une thèse de baccalauréat tellement brillante qu’il est dispensé des épreuves préliminaires de la licence et est nommé docteur quatre mois plus tard. Il a 21 ans.

Théophile peine à trouver un premier emploi

Théophile de Bordeu aimerait s’installer à Pau, mais il faut soit être docteur de la faculté de Paris, soit se faire agréger au corps de médecins. Tentant la deuxième solution, il déchante vite et écrit : Pau est une ville exigeante; elle exige autant de soins, autant de courbettes que toute autre grande place et le tout sans profit; on n’y peut ni penser, ni faire, ni dire ce qu’on veut.

Alors, il repart à Montpellier faire un stage (aujourd’hui on parlerait d’internat), ouvre un cours d’anatomie avec travaux pratiques. Mais il veut plus. Il publie alors Lettres sur les Eaux minérales du Béarn, adressées à Madame de Sorbério. C’est un ouvrage sur la médecine thermale qui lui vaudra un grand succès. Peut-être pas tout à fait mérité car les spécialistes détecteront que l’œuvre a été écrite majoritairement par son père, Antoine !

Guillaume-François Rouelle
Guillaume-François Rouelle (1703-1770)

En tous cas, cela lui permet de viser Paris. Là, il suit les cours du chimiste réputé, Guillaume-François Rouelle et de l’anatomiste Jean-Louis Petit. Son parent, Daniel Médalon, médecin de l’infirmerie royale, lui fait faire un stage d’observation à l’Infirmerie royale de Versailles, entre mai 1748 et juillet 1749. Notre jeune homme se fait remarquer en soignant le duc et la duchesse de Biron et en les envoyant à son père pour une cure.

 

Bordeu, protégé du Roi

Louis XV, par Louis-Michel van Loo
Louis XV, par Louis-Michel van Loo

Aussi, jouant de sa récente influence, Bordeu fait nommer son père, dès 1748, inspecteur des eaux de Barèges. Puis, le 5 avril 1749, Louis XV le nomme régent d’anatomie pour la ville de Pau « pour y faire des leçons et expériences publiques, et lui permet de prendre à l’Hôtel-Dieu de ladite ville tous les cadavres dont il aura besoin pour ses démonstrations et préparations, aussi bien que ceux des criminels exécutés. »

Enfin, deux mois plus tard, le roi le nomme intendant des eaux minérales d’Aquitaine.

Théophile de Bordeu perturbe ses collègues

À Pau, les démonstrations du nouveau régent d’anatomie font salle pleine. Mais ce succès ne convient pas aux collègues locaux qui obtiennent qu’on limite ses cours. Alors, Bordeu se détourne de la ville et part en 1751, visiter les stations pyrénéennes. C’est à cette occasion, à Bagnères-de-Bigorre, qu’il rencontre celle qui sera sa maitresse toute sa vie, Louise d’Estrées, demoiselle d’honneur de la comtesse de Mailly, l’ancienne favorite du roi.

Recherches anatomiques
Recherches anatomiques sur la position des glandes et sur leur action (1751)

Bordeu décide une bonne fois de s’installer à Paris. En 1752, il publie le livre qu’il a préparé à Pau : Recherches anatomiques sur la position des glandes et sur leur action. C’est un énorme succès. Dans la foulée, Il publie deux thèses pour obtenir le grade de Docteur-Régent de la Faculté de Paris. Encore une fois, son succès lui attire des difficultés avec ses confrères de la Faculté. Il déclare que c’est une pétaudière où je ne mettrai jamais les pieds si je puis.

Cependant, afin de remercier son père, il lui offre le nouveau titre qu’il vient d’obtenir : médecin de l’hôpital militaire de Barèges. La clientèle du jeune Bordeu s’élargit et il envoie à son père ceux qui ont besoin de prendre les eaux – très à la mode en ce temps-là. Il ne manque pas d’ajouter quelques phrases personnelles ou humoristiques à la recommandation. Par exemple en qualifiant Madame de Pompignan de caillette que cette femme. Ou, dans un esprit trufandèr bien gascon, en écrivant à son père : J’ai vu la princesse de Turenne […] son fils aussi gras que lorsqu’il partit de chez vous, aussi bête que lorsqu’il partit de chez nous.
En 1755, Bordeu est nommé médecin de l’hôpital de la Charité à Paris avec le titre, créé exprès pour lui, d’inspecteur.

La disgrâce

Bordeu pense que la santé n’est pas une simple question de mécanique et de chimie. Il parle de sensibilité des organes. Il définit la fibre nerveuse qui établit la connexion entres les organes : Le filament nerveux pris à part n’est qu’un filament solide, sujet à des allongements et à des raccourcissements alternatifs; les oscillations vont et viennent pour ainsi dire comme un flux et un reflux.

L'usage des eaux de Barèges et du mercure pour les écrouelles ou dissertation sur les tumeurs scrophuleuses
L’usage des eaux de Barèges et du mercure pour les écrouelles ou dissertation sur les tumeurs scrophuleuses (1767)

Si les idées de Bordeu seront confirmées dans le futur, elles sont trop novatrices pour l’époque et heurtent ses collègues. En particulier, en 1756, Bordeu publie un ouvrage qui provoquera de violents débats : Recherches sur le pouls. De plus, il est le médecin le plus couru de Paris, ce qui éveille des jalousies.

Finalement, le 4 avril 1761, à l’assemblée de la Faculté, un collègue parisien, Bouvart, l’accuse d’avoir volé une montre et une boite à un malade, le Marquis de Poudenas. Bordeu demande à se défendre et le 28 avril, explique les faits réels. La Faculté nomme une commission de six membres pour examiner la conduite de Bordeu. Le 23 juillet, la Faculté raye Bordeu de la liste des médecins de Paris, et défend tout confrère de le consulter.
Mais Bordeu ne plie pas, il continue ses recherches et ses publications. Son frère, resté au pays est lui-même attaqué. Théophile lui répond : Et vous allez ainsi fléchissant devant nos grandelets de province ; un homme comme vous qui devriez, mordieu, traiter ces gens-là avec sa lame ; parce que vous êtes pauvre vous les craignez ; vivez de miche et parlez ferme… Je poursuis mes coquins; ils se sauvent dans les broussailles de la chicane, j’irai les poursuivre partout. 

Effectivement, trois ans plus tard, il est enfin lavé de cette accusation mensongère.

Le devant de la scène

Denis Diderot fait de Bordeu un des deux personnages du "Rêve de d'Alembert"
Denis Diderot fait de Théophile de Bordeu, le médecin de d’Alembert dialoguant avec Mme de Lespinasse dans le  « Rêve de d’Alembert » (1769)

La notoriété de Bordeu est, finalement, grandie. Diderot le consulte, comme tous les Encyclopédistes. et il en fait un personnage littéraire. Bourdeu accouche la duchesse de Bourbon du futur duc d’Enghien. Il est appelé au chevet du roi Louis XV à cause de sa grande expérience sur la variole. Mais il ne pourra qu’écrire les bulletins de santé de ses derniers jours.

II se rend chez ses malades en carrosse gris à quatre chevaux. Rejetant les vêtements noirs traditionnels des médecins, il porte un habit de cannelé gris le matin ou noisette galonné d’or le soir, musqué et testonné comme M. de Buffon qu’il imitait par l’élégance de ses manchettes et de son jabot.
Parlant couramment le béarnais, il s’amuse aussi à écrire quelques poèmes dont une sera reprise  par Etienne Vignancour dans son recueil Poésies béarnaises.  Elle s’intitule Houmatye aüs d’Aüssaü, sus lous Truquetaülés de la Ballée.
En 1774, il a une première hémiplégie.

orate ne intetris intentationem
« Orate ne intretis intentationem », planche tirée du « Nouveau recueil d’ostéologie et de myologie dessiné d’après nature par Jacques Gamelin de Carcassonne » (1779)

Paris lui pue au nez, écrit-il. L’été suivant, il prend les eaux à Bagnères sans résultat notable. Il meurt dans la nuit du 23 au 24 décembre 1776. Il a 54 ans. Son domestique le trouve couché sur le côté gauche, appuyant la tête avec la main gauche ; il avait la main droite placée sur son cœur.

Sur sa tombe, Madame de Bussy, prononce ces quelques mots rapportés par le Journal de Paris : La mort craignait si fort M. de Bordeu, qu’elle l’avait pris en dormant.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle

Références

Théophile de Bordeu, Docteur Lucien Cornet, 1922, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus
Theophile de Bordeu, un homme d’esprit, de connaissances éclectiques et sachant séduire, Histoire des sciences médicales, tome LXI n°3, Jean-Jacques Ferrandis et Jean-Louis Plessis, 2007.
Nouveau recueil d’ostéologie et de myologie dessiné d’après nature par Jacques Gamelin de Carcassonne… divisé en deux parties (1779)
Recherches sur les eaux minérales des Pyrénées, par M. Théophile de Bordeu
Recherches sur le pouls par rapport aux crises. Tome 2 / , par M. Théophile de Bordeu
Poésies Béarnaises, Etienne Vignancour, 1860, Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus