Le Gersois Jean-Baptiste Sénac, premier médecin du roi Louis XV, est le fondateur de la cardiologie. Un précurseur éclairé, à ajouter à la liste des Gascons de renom, avec Guillaume Saluste du Bartas, Antoine de Nervèze, Sans Mitarra, Jacques Lacomme, Alexis Peyret, Marcel Amont, Ignace-Gaston Pardies, André Daguin, Jean Laborde, Joseph du Chesne.
Jean-Baptiste Sénac
Jean-Baptiste Sénac nait en 1693, probablement à Lombez. Sa famille paternelle est d’Aux en Pardiac (aujourd’hui Aux-Aussat) à côté de Miélan. Sénac y est d’ailleurs le nom le plus fréquent (deux habitants sur cinq). C’est une famille bourgeoise possédant quelques terres. Son grand-père, Pierre, est notaire et son père, Jean-Bernard, avocat.
Sa mère, Marie Corregé (ou Courrèges), est fille de notaire. Le jeune couple s’installe dans le village de la femme, Ariès en Magnoac (aujourd’hui Ariès-Espenan), où celle-ci a une métairie.
Les études

Après son enfance à Ariès, Jean-Baptiste va au collège d’Auch, tenu par les Jésuites. Puis, cassant la tradition familiale, il entreprend des études de médecine, à Leyde (Hollande), premier centre médical d’Europe à cet époque, où il a le célèbre Herman Boerhaaven (1668-1738) comme professeur. On trouvera trace de son enseignement dans les premiers écrits de notre Gersois. Puis, à Londres, il suit les cours de John Freind (1675-1728), le géant du Collège de Médecine londonien.
On ne sait pas vraiment pourquoi il fait ses études à l’étranger, même si le marquis d’Argenson écrit en 1752 que c’est parce qu’il est protestant. Ce qui est tout à fait plausible.
Enfin, de retour en France, il est nommé docteur en médecine à Montpellier en 1719, puis reçu maitre es arts à Toulouse le 13 mars 1721.
Le mariage

Jean-Baptiste Sénac se marie à Blaye le 10 aout 1721 avec Marie-Thérèse Tanet, fille de marchands (qui commerçaient avec la Hollande) et grands notables. Le couple part pour Paris dès l’année suivante. Là, Sénac demande à être reçu médecin par la faculté sans soutenir de thèse, ce qu’on appelle aujourd’hui une équivalence. La faculté refuse.
Il a quitté la Gascogne, il n’y reviendra pas mais il y achètera des terres, la seigneurie de Meilhan et celle d’Ozon.
Avec Marie-Thérèse, il aura trois enfants : Jean en 1723, Thérèse en 1729, Gabriel en 1736. Ce dernier sera intendant et écrivain. Voltaire dit d’ailleurs de lui, le 4 juillet 1756 : Faites de la prose ou des vers, Monsieur, donnez-vous à la philosophie ou aux affaires, vous réussirez à tout ce que vous entreprendrez.
Ses débuts de médecin

En 1723, Jean-Baptiste Sénac entre à l’Académie Royale des Sciences sur la recommandation de deux grands médecins, le Provençal Joseph-Guichard du Vernay et le Danois Jacob Benignus Winsløw. En parallèle, il commence à restituer ce qu’il a appris et publie Nouveau cours de chimie suivant les principes de Newton et de Stahl, puis ses premières découvertes dans le Journal de Trévoux, et dans le Journal des Savants.
Ou dans des communications à des Académies, comme la très intéressante Observations sur le mouvement des lèvres ou encore sa Réflexion sur les noyés. Jusqu’alors, on croyait que l’eau envahissait l’intérieur du corps, provoquant la mort. Sénac montre que la trachée réagit quand elle reçoit de l’eau, en la rejetant. Comme quand un liquide passe par le « mauvais trou ». La mort résulte ainsi du défaut de respiration, des convulsions de la trachée et des ruptures des vaisseaux pulmonaires.
Ses discours sont si remarquables qu’il est reconnu très vite et devient docteur de la Faculté de Médecine de Reims en 1725, bachelier de la Faculté de Médecine de Paris en 1726, médecin du roi en 1727.
Sénac s’intéresse au cœur

Sa curiosité est telle que notre médecin s’intéresse à tout, les mouvements du corps, la prévention de la peste… Pourtant, les grandes avancées concerneront le cœur.
Dans son très complet Traité de la structure du cœur, de son action et de ses maladies, Jean-Baptiste Sénac précise qu’il est intrigué par le cœur auquel on donna tant de propriétés : centre de l’intelligence, des passions, oracle. Un organe si merveilleux a occupé long-tems les anciens Philosophes… dit-il. Mais il ne veut pas aller sur ce terrain, Le fond de mes recherches étoit destiné à l’Académie, et il ne regardera que l’aspect médical. Ce à quoi il s’intéresse, ce sont les maladies du cœur, maladies fréquentes, difficiles à connoître et à guérir, l’écueil ordinaire de tant de malades & de tant de Médecins.
Il étudie les lésions du cœur, établit par l’autopsie des liens entre des troubles du rythme cardiaque et des insuffisances des valves. Il identifie des signes fonctionnels liés aux affections du cœur, comme l’œdème des jambes, l’arythmie, l’asthénie ou l’insuffisance pulmonaire. Bref, il met la cardiologie en route !
Sénac et la Faculté de Médecine

Très ouvert et progressiste, Sénac embrasse les nouveaux courants dès lors que les démonstrations sont concluantes. Ce qui l’oppose parfois à la prudence ou au conservatisme de la Faculté. En bon Gascon, il a le parler direct. Ainsi, la première phrase de son traité de chimie : Il regne des préjugez ridicules parmi les sçavans comme parmi les ignorans ; le peuple peu capable d’éxaminer, suit des opinions répanduës par l’ignorance & reçûës par la crédulité ; on trouve dans les sçavans les mêmes idées fortifiées par un long travail, confirmées par la honte de les désavoüer, soûtenuës enfin par l’entêtement.
Ainsi, il est le premier à présenter les thèses de l’Allemand Georg Ernst Stahl (1659-1734) qui considère que la médecine doit être séparée de la chimie, même si elle s’en sert pour les médicaments, et qu’elle ne peut non plus être uniquement fondée sur la mécanique comme le soutient Newton. Selon ce novateur, le corps est un organisme dont toutes les parties collaborent à un objectif commun. Il donne ainsi une place importante à l’âme, au psy dirait-on aujourd’hui.
Un autre exemple est le soutien que Sénac apporte au docteur Théodore Tronchin qui pratiquait l’inoculation. Cette méthode, ancienne mais remise au point en 1762 par le Britannique Daniel Sutton, consistait à mettre en contact le patient avec de la substance prélevée sur les vésicules d’une personne faiblement atteinte de la variole. Les résultats sont suffisamment probants pour notre Gascon, même s’il la reniera plus tard face aux risques insuffisamment maitrisés (certains disent parce qu’il était jaloux du succès de Tronchin).
Les honneurs

En 1744, Toulouse décide de lui rendre honneur et l’anoblit en l’élisant capitoul. Mais, finalement, son coup d’éclat aura lieu au printemps 1745. Sénac réussit deux paracentèses du myocarde sur le maréchal Maurice de Saxe, qui commandait l’armée royale de Flandre. Moins d’un mois après l’opération, celui-ci gagne la décisive bataille de Fontenoy. Sénac devient médecin des armées en Flandre.
En 1751, il est nommé premier médecin du duc d’Orléans, et en 1752, premier médecin du roi.
Il aura aussi la charge de surintendant des Eaux et Fontaines Minérales et Médicinales du Royaume.
Il s’éteint le 20 décembre 1770 à Versailles. Il a 77 ans. Louis XV, malgré ses 60 ans, refusera de prendre un nouveau premier médecin.
Le souvenir

Jean-Baptiste Sénac n’a laissé que très peu de trace de ses origines et de sa vie. Était-il gêné par la modestie de son milieu alors qu’il évoluait parmi les nobles ? Il écrit : Le génie n’appartient à aucune nation ; il est semé par le hasard parmi la stupidité et l’ignorance. En tous cas, il précise qu’un bon philosophe n’est pas ébloui par l’éclat des grandeurs.
Le peintre Diego Rivera (1886-1957) fera figurer Jean-Baptiste Sénac montrant son traité, au premier plan de sa fresque Histoire de la cardiologie à l’entrée de l’Institut de cardiologie de Mexico. Un bel hommage !
Références
Nouveau cours de chimie suivant les principes de Newton et de Stahl, Jean-Bastiste Sénac, 1723
Sur les noyés, Jean-Bastiste Sénac, 1725
Traité de la structure du cœur, de son action et de ses maladies, T.1, M. De Sénac, 1741
Traité de la structure du cœur, de son action et de ses maladies, T.2, M. de Sénac, 1783
Du lieu de naissance et des attaches gasconnes de Sénac, premier médecin de Louis XIV. G. de Monsembernard, Bulletin de la Société Archéologique, Historique, Littéraire et Scientifique du Gers, 4e trimestre 1987, p.407-437
Histoire de la cardiologie, Pascal Gueret, 2016