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Gascons de renom : Joseph du Chesne, chimiste et médecin

En cette nouvelle année, l’Escòla Gaston Febus propose d’ouvrir une nouvelle série : Gascons de renom. Une occasion de découvrir ou revisiter nos célèbres ancêtres. Le premier épisode est consacré à l’immense Joseph du Chesne qui restera une référence pour tous les chimistes.

Joseph du Chesne

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Joseph du Chesne, du beau nom de sieur de la Violette, nait à Lectoure en 1546. Son père, Jacques, est chirurgien. Le jeune Joseph fait ses études à Bordeaux. Il y côtoie un autre Gersois, Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas (1544–1590). À 20 ans, il entreprend des études de médecine à Montpellier sous l’enseignement de grands professeurs comme Rondelet.

Mais la chasse aux Huguenots est ouverte et le jeune Joseph quitte la région.

Un Gascon brillant exilé auprès des meilleurs de son époque

Paracelse, un des maîtres de Joseph de Chesne
Paracelse, un des maîtres à penser de Joseph du Chesne

Cet exil sera une aubaine pour notre Joseph du Chesne car il rejoint l’Allemagne où il rencontre les plus grands. L’étudiant apprend avec le scientifique allemand Jakob Schegk qui aura une grande influence sur son élève, le Danois Petrus Severinus qui l’initie aux thèses du grand médecin innovateur suisse Paracelse (1493–1541). Il fréquente le libraire éclairé Arnold Birckmann, etc.

En 1575, à 29 ans, il passe son doctorat à Bâle. Il épouse alors une riche héritière française, Anne Trye. Sa femme le convainc de se convertir au calvinisme et ils s’installent à Genève.

Dans sa belle carrière, du Chesne écrira de nombreux livres de chimie et de médecine. Et il aura de vives querelles avec des scientifiques traditionnels !

La querelle avec Jacques Aubert lance Joseph du Chesne

Le médecin français Jacques Aubert écrit un livre sur les métaux et les médicaments d’origine chimique. Il y fustige les adeptes de Paracelse  en pointant du doigt ses théories sur les forces surnaturelles. Du Chesne répond dans un court traité en latin, montrant un esprit ouvert et averti. Il écarte les aspects ésotériques de Paracelse pour ne développer que la pharmacopée. L’ouvrage est traduit en anglais et en français, réédité. Bref, notre Gascon s’impose comme tête de proue des modernistes.

Toutefois, jusqu’à sa mort en 1609, à 63 ans, le médecin chimiste devra constamment défendre sa position.

Le grand miroir du monde

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En 1587, Joseph du Chesne publie un poème en alexandrin, alliant philosophie et chimie, Le grand miroir du monde. Dédié à Henri, roi de Navarre, faisant hommage à la Gascogne, il cite même quelques vers en gascon (Plan hé bau més, que babilla ta plan… / Plan hèr vau mes que babilhar tanplan…). Ce sera une référence pour tous les chimistes du XVIIe siècle. On y reconnait dans sa construction La sepmaine ou Création du monde de son camarade huguenot et gersois Guillaume du Bartas.

Le long ouvrage est découpé en dix livres, le premier parle de Dieu, autheur & createur du monde, avec ces premiers vers:
Ie chante l’Eternel, Pere de l’univers
Ie descri la nature et ses effects diuers
(NB : Ie= Je)

Les principes élémentaires de la chimie

Chacun des livres suivants parle d’un thème précis. Le livre V aborde les principes élémentaires de la chimie. Les anciens parlaient de quatre éléments. Du Chesne précise dans sa préface : Ie monstre [=Je montre] que l’Air n’est autre chose qu’une exhalaison d’Eau, & que la Terre contient le Feu; que les quatre qualites se treuuent dans ces deux elements. […] Ie monstre aussi quels sont les trois principes Elementaires, scauoir le Sel, le Souphre & le Mercure. Son mode opératoire pour extraire ces trois principes à partir de l’Eau ou de la Terre deviendra un classique pour les chimistes qui suivront.

Les plus intéressantes de ses trouvailles concernent la compréhension du Sel (on dirait aujourd’hui des sels) comme premier principe moteur de la nature. Par exemple, c’est le sel issu de l’urine ou du fumier (nitre, salpêtre) qui fertilise la terre – notons que nos engrais actuels contiennent toujours des sels. Notre savant montre comment séparer le métal et semi-minéral des sels par des méthodes de sympathie & antipathie, comment utiliser des sels en médecine, dans quels lieux (bains) où on peut les trouver en Europe (livre VI)…

Le Sel

Parlons du Marc, cendreux, qui demeure au vaisseau :
Vous en tirez un Sel par le moyen de l’Eau
C’est le Sec agissant, qui mesme est si caustique
Qu’il brusle comme Feu la chair, quand on l’applique
Au bras du Catharreux. L’autre qui ne dissout
C’est le Sec patient, qui n’est que terre au goust.
(extrait Livre V, p 172)

Un diététicien et un hygiéniste avant l’heure

Joseph du Chesne – Du pourtraict de la santé – Table des matières (1606)

Notre médecin gascon considère que les maladies sont engendrées par des semences comme des végétaux, ce que reprendra plus tard la théorie microbienne. Certains ont d’ailleurs vu en lui un précurseur de Pasteur. Comme le montre la table des matières ci-dessus, son ouvrage, Diaeteticon Polyhistoricum (en français Le pourtraict de la santé) écrit en 1606 et dédié à Henri de Bourbon est un traité d’hygiène pour vivre sainement et longtemps. Sa vision lie harmonie universelle et pratique alchimique au service de la guérison des malades, un équilibre que l’on retravaille de nos jours… C’est un ouvrage dans un français lisible aujourd’hui et nous invitons nos lecteurs à le découvrir en VO.

Ses conseils, alors révolutionnaires, de se laver les dents, le visage et de se moucher ne surprennent plus l’homme du XXIe siècle. Essentiel, le bien manger est source de santé et de longévité. Joseph du Chesne développe minutieusement les pratiques alimentaires de la Gascogne. Il les considère parmi les meilleures, au vu de la santé des Gascons. J’escris particulierement ce traicté pour servir à ma patrie, annonce Du Chesne. Les descriptions qui suivent (3ème partie de l’ouvrage) sont surtout des pratiques gasconnes. C’est probablement une des sources les plus complètes et les plus anciennes pour connaître las nostas costumas de minjar.

Joseph du Chesne, conseiller et médecin d’Henri IV

Henri IV prend Joseph du Chesne comme conseiller et médecin

En 1584, notre chimiste médecin deviendra conseiller et médecin ordinaire du futur roi Henri IV. Cela ne l’empêchera pas d’être encore et toujours en querelle avec la Faculté de médecine qui ne reconnait pas les propriétés du Sel. Il écrira un énorme traité très détaillé, immédiatement censuré par la Faculté.

Dès 1587, Joseph du Chesne sera élu au Conseil des Deux-Cents, assemblée législative de Genève. Il accomplira plusieurs missions diplomatiques et deviendra ami avec l’ambassadeur de France en Suisse, Nicolas Brûlart de Sillery.

Puis, en 1607, un ouvrage de pharmacopée résumera les apprentissages de toute sa vie, La pharmacopée des dogmatiques réformés, avec un catalogue des médicaments rangés en 31 familles (vins, sirops, pilules, vomitoires…) et des 9 méthodes de préparation (distillation, macération…).

Il meurt deux ans après, en 1609.

Références

Le grand miroir du monde, Joseph du Chesne, 1587
Diaeteticon polyhistroricum, Josephi Quercetani (Joseph du Chesne), 1625
Le pourtraict de la santé, Joseph du Chesne, 1627
La pharmacopée des dogmatiques réformés, Joseph du Chesne, 1630
Revue d’histoire de la pharmacie, Joseph du Chesne, Dr P. Lordez, 1947, p. 154-158.
Camence n°14, Un médecin géographe, Violaine Giacomotto-Charra, décembre 2012
La tradition médicale en Gascogne, Reclams, 1989