Pierre Latécoère, ingénieur bigourdan visionnaire
Pierre Latécoère, grand nom de la construction aéronautique. Audacieux, ingénieux, sachant s’entourer, il est incontestablement un Gascon de renom. Avec Jean Bourdette, Jean-Baptiste Sénac, Guillaume Saluste du Bartas, Antoine de Nervèze, Sans Mitarra, Jacques Lacomme, Alexis Peyret, Marcel Amont, Ignace-Gaston Pardies, André Daguin, Jean Laborde, Joseph du Chesne.
Pierre-Georges Latécoère
Son père, Gabriel, nait à Bagnères de Bigorre en 1836. Il fonde des ateliers de menuiserie mécanique et fait fructifier son entreprise jusqu’à employer 150 ouvriers à la fin du XIXème siècle. Sa mère est Jeanne Pujol, née à Varilhes en Ariège. La famille Latécoère habite la villa Gabriel, dont il subsiste le portail.
Pierre-Georges, second des trois enfants, nait à Bagnères de Bigorre en 1883. Sa mère a 30 ans, son père 47. Il fait ses études d’ingénieur à Paris, à l’École Centrale des Arts et Manufactures. Après la mort de son père, en 1905, il reprend avec sa mère l’entreprise familiale. Son activité a évolué pour fabriquer principalement du matériel ferroviaire. Inventif, il alimente l’usine avec une électricité fabriquée à partir de sciure de bois.
Il s’agrandit en ouvrant une nouvelle usine aux Pont des Demoiselles à Toulouse afin de répondre à la commande de 1500 wagons de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi.
Latécoère s’intéresse aux avions
Le 3 février 1911, Louis Blériot arrive de Pau et atterrit dans la plaine de Gerde, tout à côté de Bagnères. De quoi donner de nouvelles idées à notre ingénieur.
Lors de la première guerre mondiale, non mobilisé à cause de sa mauvaise vue, Pierre-Georges décide de participer à l’effort de guerre. L’usine de Bagnères fabrique des cuisines roulantes, très appréciées des poilus. Et il crée deux entreprises à Toulouse. L’une fabrique des obus, l’autre des avions, la Société Industrielle d’Aviation Latécoère. C’est une première dans la ville rose.
Et c’est pour Latécoère une découverte, car il ne connait rien en aéronautique ! D’ailleurs l’Armée lui affecte Emile Dewoitine, surnommé Mimile-bras-de-fer, de retour du front russe (1917). Le 5 mai 1918, le premier avion de l’usine Latécoère, le Salmson 2A2, décolle de Montaudran, un aérodrome aménagé par des prisonniers de guerre allemands. Dewoitine ingénieur diplômé de l’École Bréguet, créera sa propre entreprise aéronautique à Toulouse en octobre 1920.
Latécoère se heurte à l’incrédulité
Déjà, l’industriel imagine une ligne France-Sénégal pour transporter des marchandises et du courrier. Ce sera un Vosgien, René Cornemont, pilote de guerre, qui inaugurera le jour de Noël 1918 le voyage Toulouse-Barcelone sur un avion de reconnaissance utilisé pendant la guerre, le Salmson 2A2. Latécoère est dans l’avion.
Comment de petits appareils pourraient-ils traverser des tempêtes ou des montagnes ? Il faut convaincre les incrédules. Le 19 mars 1919, avec le pilote Lemaître, il franchit la distance de Toulouse à Rabat avec des escales à Barcelone, Alicante et Malaga. Le maréchal Lyautey l’attend sur le champ d’aviation. Latécoère lui remet le Journal Le Temps arrivé le matin même à Toulouse et un bouquet de violettes pour la Maréchale.
Il ne reste plus à Latécoère qu’à créer les Lignes Aériennes Latécoère, qui deviendront quelques années après (1927), la Compagnie Générale Aéropostale, si bien glorifiée par Antoine de Saint-Exupéry dans Vol de nuit. Le nouveau patron sera un banquier d’Angoulême, Marcel Bouilloux-Lafont.
La mise en place des Lignes Aériennes Latécoère
Il réunit hommes et matériel, récupère quinze avions d’observation Bréguet 14, des biplans utilisés pendant la guerre, devenus inutiles. Il recrute des pilotes de guerre, des gens qui n’avaient peur de rien. Fin 1919, ils ont déjà porté 9 124 lettres du Maroc vers la France.
Comme tous les grands créateurs, Latécoère réalise des choses dites impossibles. Dans ce bouillonnement du début de siècle, il sait faire rêver. Ainsi, en 1919, il engage pour sa ligne Toulouse-Rabat, Didier Daurat, un aviateur qui se révèlera prestigieux. Celui-ci rapporte cette phrase du Bigourdan : J’ai refait tous les calculs, ils confirment l’opinion des spécialistes : notre idée est irréalisable. Il ne nous reste qu’une seule chose à faire : la réaliser !
En octobre 1920, sous la direction de Daurat, la ligne est ouverte au transport de passagers. Montaudran devient la première aérogare de France.
Latécoère un innovateur et un aventurier
Latécoère reste un ingénieur génial. Il conçoit de nombreux avions, toujours plus performants. Il commence avec le Laté 1, monomoteur destiné au transport de la poste, et termine avec le géant Laté 631, en passant par le Laté 32, premier hydravion.
En 1927, il remplace les Bréguet 14 qui volent à 120km/h par des Laté 25 et 26 qui, eux, volent à 200 km/h, portent 600 kg et ont beaucoup moins de pannes.
Un peu avant, en 1924, il rencontre Jean Mermoz, un jeune pilote tout juste sorti de l’Armée. Il l’embauche le 13 octobre. Daurat le reçoit à contre-cœur, préférant des pilotes de lignes sérieux à des acrobates de cirque.
Pourtant, à travers l’Atlantique le 9 mai 1930, Mermoz, Dabry et Gimié effectuent sur l’hydravion Laté 28 (baptisé Comte-de-La-Vaulx) la première liaison postale aérienne Sud.
Ils décollent de Saint-Louis du Sénégal avec 100 kg de courrier, réussissent, en restant au ras de l’eau, à franchir les terribles cumulonimbus de la Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) dite Pot-au-Noir. Enfin, ils arrivent à Natal au Brésil. Ils ont effectué 3 450 kilomètres. Le vol a duré 21 heures et 15 minutes. L’avion, novateur, était équipé d’instruments de vol : radio T.S.F. et radionavigation (radiogonio). Des techniques déjà connues mais pas vraiment utilisées pour les vols.
L’Aéropostale fixe désormais une liaison Toulouse-Santiago du Chili, parcourue en quatre jours et demi.
Les hydravions
Latécoère croit particulièrement aux hydravions et va en construire un grand nombre. Parfois c’est un exemplaire unique, le suivant améliorant le précédent.
L’hydravion présente des avantages : pas besoin de construire des pistes, nombreux lacs, pas ou peu de limite de distance pour décoller et réutilisation des infrastructures portuaires déjà en place. Il faut dire que personne ne croit trop au développement d’une aviation commerciale et donc personne ne veut investir dans des pistes en béton.
Quant aux passagers, ils sont rassurés par l’hydravion. Ils pensent qu’ils pourront toujours amerrir en cas de panne. En pratique, c’est peu probable, la houle n’étant pas de nature à stabiliser un hydravion.
Quelques hydravions célèbres
Le Laté 298 est un bombardier torpilleur, monoplan, fabriqué à Anglet. Il sera construit en 127 exemplaires (la plus grosse production des avions Latécoère).
Le Laté 300, appelé Croix du sud, est construit en série. Latécoère a mis au point des nageoires (flotteurs le long de la coque) qui permettent de décoller en mer houleuse dans les passes du bassin d’Arcachon.
Sorti en 1935, le Latécoère 521 est le premier jumbo du monde. Il est appelé Lieutenant de vaisseau Paris en l’honneur de Paulin Paris qui réalisa des records de vitesse sur hydravion. Il permet de transporter 72 personnes dans un grand confort puisqu’il y a des cabines de luxe équipées de cabinets de toilette, une cuisine, un salon… En 1939, Henri Guillaumet, assure sur le Laté 521 la liaison directe New York-Biscarosse, soit 5 875 km dont 2 300 km avec un moteur stoppé. Cela représente tout de même une moyenne de 206 km/h.
Le Latécoère 631
Avec ses 75 tonnes, le Latécoère 631, est le plus grand hydravion de l’époque. Il est fabriqué à Biscarosse, dans une base de montage et d’essais en vol créée en 1930 par l’entreprise Latécoère. Il peut transporter 50 passagers et 6 tonnes de fret. Cet appareil permettra de faire sans escale Saint-Etienne (Mauritanie) – Fort de France (Martinique) soit 4 700 km en un peu plus de 16 heures. Ce sera une belle réussite technique.
Ci-dessous une vidéo des Actualités Françaises sur le premier vol du Latécoère 631 à Biscarosse, le 30 mars 1945.
De l’Aéropostale à Air France, la fin de l’aventure de Pierre Latécoère
En 1930, L’Aéropostale est forte de 200 avions, 17 hydravions, 1500 employés dont 51 pilotes. En 1933, l’Aéropostale fusionne avec quatre autres compagnies françaises pour devenir la SCELA (Société Centrale pour l’Exploitation des Lignes Aériennes). Rebaptisée très vite Air France.
En 1939, Latécoère vend les sites de Montaudran, Anglet et Biscarosse à Louis Breguet. Il construit une usine pour fabriquer le Laté 631.
Pierre-Georges Latécoère meurt en 1943. La Société Industrielle d’Aviation Latécoère disparait avec le concepteur génial.
Les débuts de l’aviation sont coûteux en vies
Malgré des ingénieurs inventifs, des techniciens habiles et des aviateurs courageux, les pannes ou les accidents sont nombreux. Les aviateurs sont souvent obligés de se poser pour réparer. Ils se font parfois agresser par les populations. Par exemple, un avion de la ligne Toulouse-Rabat dut se poser. Les Maures les capturèrent et réclamèrent une rançon.
Le premier accident mortel de la même ligne a lieu en 1920. Pris dans une tempête, le pilote Jean Rodier et le mécanicien François Marty-Mahé, à bord d’un Salmson, tombèrent en mer, au large de Port-Vendres.
Depuis sa création jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, la compagnie déplore près de 130 morts sur ses 13 000 km de la ligne, soit 1 mort tous les 100 km !
Quelques accidents sont restés dans la mémoire comme celui de Guillaumet le 13 juin 1930 dans les Andes, à proximité de la Laguna del Diamante (lagune du diamant). Il marchera en plein hiver austral à 3 250 m d’altitude, pendant 5 jours pour atteindre une zone habitée. Récupéré par Saint-Exupéry, il lui dira : ce que j’ai fait, je te le jure, aucune bête ne l’aurait fait. Saint-Exupéry évoquera cette aventure dans Terre des Hommes (1939).
Le 1er août 1948, un Laté 631 s’abimera en mer, faisant 52 victimes, la totalité de l’équipage et des passagers.
Et Antoine de Saint-Exupéry, le pilote distrait (à tel point que certains hésitaient à monter avec lui) sera le pilote le plus vieux, lors de sa mort à 44 ans.
Le souvenir de Latécoère
Il existe aujourd’hui un raid Pierre-Georges Latécoère, qui reprend le trajet mythique Toulouse – Dakar.
Références
Gabriel Latécoère
Crash flying boat,
Histoire de l’Aéropostale
L’aéropostale
Latecoere.com