Le Duc d’Épernon, un Gascon redouté
Le duc d’Épernon connait une vie riche et longue aux côtés de trois rois de France, Henri III, Henri IV qui meurt dans ses bras, et enfin Louis XIII. Il est surtout un des représentants les plus remarquables et les plus typiques des Gascons. Allons à sa rencontre.
Dans la série des Gascons de renom avec Max Linder, Pierre Latécoère, Jean Bourdette, Jean-Baptiste Sénac, Guillaume Saluste du Bartas, Antoine de Nervèze, Sans Mitarra, Jacques Lacomme, Alexis Peyret, Marcel Amont, Ignace-Gaston Pardies, André Daguin, Jean Laborde, Joseph du Chesne.
Le duc d’Épernon
Jean-Louis de Nogaret de la Valette nait au château de Caumont, dans le Savès (Gers), en 1554. Il est le deuxième de six enfants. Son père Jean est seigneur de La Vallette, seigneur de Casaux et seigneur de Caumont. Sa mère est Jeanne de Saint-Lary de Bellegarde (Saint-Lary-Boujean dans la Haute-Garonne, Bellegarde dans le Gers)
Capdèth de la famille, il devient… cadet de Gascogne. Jean-Louis participe aux batailles des guerres de religion.
C’est d’ailleurs au siège de la Rochelle en 1573 qu’il rencontre Henri, duc d’Anjou, le futur Henri III.
Cinq ans plus tard, il est son conseiller et favori, avec le duc de Joyeuse. Le magistrat Jacques Auguste de Thou rapporte qu’Henri III est éperdument amoureux de notre Gascon. Surtout, il devient son bras droit de par son énergie, sa bonne santé, sa capacité d’action.
L’ascension du duc d’Épernon
Musée de la Cour d’Or – Metz
Son ascension va commencer, il accumule charges et honneurs. Pair de France, chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit, amiral de France, gouverneur de Normandie… Henri III crée même un duché et le fait duc d’Épernon en 1581.
En 1587, il épouse une femme de rang social plus élevé, Marguerite de Foix-Candale, fille d’Henri de Foix, comte de Candale, de Benauges et d’Astarac, dont il aura trois fils.
Le duc d’Épernon a la passion forte, une intelligence hors du commun, la franchise du terroir, le verbe vif. Et il gardera son accent gascon. D’ailleurs le poète Philippe Desportes, chargé de le « dégasconner », ne réussit pas à lui transmettre la préciosité de langage attendue à la Cour.
Terriblement ambitieux, il en est morose. Alors il se paie les services d’un bouffon à gages – l’humour est nécessaire au Gascon ! C’est un homme de (sale) caractère et, comme dira le prédicateur Michel Poncet, on a guère ri à ses dépens que du bout des lèvres, et surtout à distance.
On l’aime ou on le déteste
Leader charismatique, le futur duc d’Épernon devient tout de suite le champion de la noblesse gasconne. Alors qu’il est de plus basse extraction, les Montesquiou, les Castelbajac, les Pardaillan, les Cominges… le soutiendront toujours. Son secrétaire, Guillaume Girard, raconte que lorsqu’il se rendait au Louvre, une escorte de plusieurs centaines d’hommes l’accompagnait, les premiers arrivant au palais alors que les derniers quittaient le palais du duc, rue Plâtrière (environ 500 m).
Très entier, il se fait aussi de solides ennemis ! Comme Sully, d’Aubigné ou Richelieu qui n’hésiteront pas à transmettre à l’opinion et la postérité une image horrible et fausse de l’homme. Il faut dire que le Gascon a la dent dure. Il n’hésite pas à traiter de petit coquin Nicolas de Villeroy, ministre sous Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII. Ou il fait fuir le duc d’Epinac, archevêque de Lyon en l’attaquant sur ses mœurs.
Pourtant, il obtient très largement déférence et respect car il est sincère, fidèle à sa parole, et possède un grand sens de l’honneur. Qualités pas si répandues à la cour !
Le duc d’Épernon et la Ligue
François de France meurt en 1584, ouvrant la possibilité pour Henri III de Navarre de monter sur le trône de France au décès du roi actuel. Le duc d’Épernon perçoit immédiatement le danger d’une guerre de succession. Il va essayer de convaincre le Béarnais de passer à la religion catholique. Mais celui-ci ne s’y résoudra que plus tard. Et les protestants s’indigneront de la démarche.
De 1584 à 1589, il essaie de fédérer les protestants et les catholiques modérés autour d’Henri III, contre la Ligue catholique. Dans un but d’apaisement, il sera écarté. Du tiers du royaume dans ses mains, il ne restera que gouverneur de l’Angoumois.
Henri IV le laissera à distance, ce qui n’empêchera pas notre Gascon de continuer à influer, obtenant par exemple le retour des Jésuites.
Il assiéra aussi son prestige en faisant construire, dès 1598, le château de Cadillac, dont les immenses cheminées recouvertes de marbres sont considérées comme des plus belles de France. Les domestiques surnomment le cabinet de travail du duc, irascible et au sang vif, la moutarde...
L’assassinat d’Henri IV
En fait, les deux hommes se connaissent de longtemps quand le futur roi était retenu en cour de France et le futur duc un simple cadet. Alors leurs relations étaient bonnes. Puis elles furent plus hostiles. Le duc d’Épernon, toujours d’avis tranché, n’a pas une haute opinion d’Henri IV. Un jour, feignant un lapsus, il traitera Louis XIII de petit-fils d’un grand roi, oubliant ainsi le père…
Henri IV reproche au duc son hostilité, et celui-ci répond avec sa franchise habituelle : Sire, votre majesté n’a pas de plus fidèle serviteur que moi ; mais, pour ce qui est de l’amitié, votre majesté sait bien qu’elle ne s’acquiert que par l’amitié. Pourtant Henri IV, dans ses lettres, utilise le mot ami, ce qu’il ne fait que pour d’Épernon et Sully. Il lui écrit même des lettres aimables, évoquant des souvenirs, sans même parler affaires… En même temps, il le fait surveiller !
Le duc d’Épernon est dans le carrosse le 14 mai 1610 lorsque Henri IV se fait assassiner par François Ravaillac. Ravaillac est d’Angoulême. Il n’en faut pas plus aux huguenots Sully, du Plessy-Mornay ou Bourbon-Soissons pour l’accuser d’avoir commandité ce meurtre. Le procès montrera l’inexactitude de la chose.
D’Épernon et la Régence
La mort d’Henri IV ne fait pas pleurer le duc. D’Épernon va même prendre de vitesse tout le monde. Et, moins de deux heures après, obtient du Parlement la transmission du pouvoir à Marie de Médicis, sans tenir compte des dispositions d’Henri IV (qui voulait un conseil de régence). Ce sera malgré tout un retour limité car de nouveaux hommes, comme Concino Concini, vont avoir prise sur la reine. L’opposition ouverte du Gascon l’éloignera du pouvoir.
Le Louis XIII renverse sa mère et remercie les meurtriers de Concini : Grand merci à vous, à cette heure, je suis roi !
Le duc d’Épernon et Richelieu
Voulant des hommes énergiques et d’envergure, en 1622, Louis XIII nomme D’Épernon gouverneur d’Aquitaine. Le duc a 67 ans. Le roi renforce aussi sa garde en la dotant de mousquets (ce sera les mousquetaires). Sa Majesté demanda à Mr d’Épernon six de ses Gardes, pour mettre dans ladite Compagnie.
Le ministre principal Richelieu veut faire table rase de toute force en France et, en particulier des protestants, pour centraliser le pouvoir sur le roi. D’Épernon, défenseur de la féodalité, est son plus redoutable adversaire, critiquant ses choix politiques pour leurs conséquences au niveau local.
Richelieu va chercher à amadouer le duc. S’offrant à lui comme quatrième fils, d’Épernon répond qu’il attend les preuves. Alors Richelieu va chercher à le faire tomber, compliquant son gouvernement en donnant systématiquement raison à ses ennemis, lui tendant des pièges, irritant son humeur déjà exécrable.
Il va surtout chercher à le discréditer dans les opérations difficiles, lors des guerres contre les protestants menées par le prince de Condé. Il va par exemple encourager Condé à charger le duc du désastre de Fontarabie.
Les dernières luttes
Écoutant Richelieu, Louis XIII rattache le Béarn à la France en 1620. Il lance diverses opérations dont les degasts pour anéantir les protestants. Le duc d’Épernon est chargé de les exécuter dans son territoire.
On recrute des gastadors payés à la tâche pour détruire les murailles, faire le degast autour des villes rebelles. Il s’agit de mettre à sac les alentours de ces villes pour éviter tout ravitaillement. Louis XIII écrit de ne pas perdre loccasion de faire le degast des bleds vins et autres fruits es environs et proche des autres villes rebelles… (lettre à l’évêque de Rieux, 21 juin 1629).
D’Épernon cherche une position plus modérée mais n’aura ni la confiance du roi, ni celle des Huguenots. Il n’est plus l’homme de la situation.
À Bordeaux, il se querelle avec l’archevêque Henri de Sourdis et le frappe en public en 1634. Le roi oblige d’Épernon à lui demander publiquement pardon en se mettant aux genoux de l’offensé. Quatre ans plus tard, il est démis de sa charge et meurt en disgrâce en 1642. Il a 87 ans. En plus de ses trois fils légitimes, il laisse quatre enfants, Louise, Louis, Bernard et Jean-Louis. Ce dernier sera légitimé par son mariage avec la mère, Anne de Monier, en 1596, sur son lit de mort.
Le souvenir
Le grand poète gersois Guilhèm Ader lui dédie Lou gentilome gascoun en 1610 : Lou Gentilome gascoun, é lous heits de gouerre deu gran é pouderous Henric Gascoun, Rey de France é de Nauarre. Boudat a Mounseignou lou duc d’Espernoun. / Lo gentilòme gascon, e los hèits de guèrra deu gran e poderós Enric Gascon, rei de França e de Navarra. Bodat a Monsenhor lo duc d’Espernon. / Le gentilhomme gascon, et les faits de guerre du grand et puissant Henri Gascon, roi de France et de Navarre. Dédié à Monseigneur le duc d’Épernon.
Dans le jardin de la cathédrale d’Angoulême, le duc fait dresser la colonne d’Épernon qui rend hommage à son épouse, morte à 26 ans. Ayant légué son cœur à Angoulême, une messe était célébrée à la cathédrale jusqu’à la Révolution.
Ainsi tous les matins, les cloches sonnaient les pleurs d’Épernon pour son épouse, selon la légende.
Anne-Pierre Darrées
écrit en nouvelle orthographe
Références
La clientèle du duc d’Epernon dans le sud-ouest du royaume, Véronique Larcade, 1996
Un Gascon du XVIe siècle, le premier duc d’Epernon, George de Monbrison, Revue des deux mondes, p.142-185
Le foudre de guerre et les fanfarons aux parchemins : le duc d’Epernon bourreau des villes protestantes (1616-1629), Valérie Larcade, 2002
La destinée exceptionnelle d’un « demi-roi » : Epernon, le mignon favori d’Henri III, Yves-Marie Bercé