L’armagnac le nectar des dieux gascons

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L’armagnac est la plus ancienne eau-de-vie de France. Ses nombreuses vertus complétaient et complètent toujours avec bonheur celles du vin. L’histoire et la légende de ce nectar.

Du vin à l’armagnac

Er’ aygo que he ploura / Eth bi que he canta
Er’aiga que hè plorar / Eth vin que hè cantar
L’eau fait pleurer / Le vin fait chanter

Pour éviter les goitres et le crétinisme, dus à l’eau des montagnes, le Gascon préfère boire du vin, nous explique le grand médecin gascon Joseph du Chesne (1546 – 1609). D’ailleurs, les vins de Bordeaux, dont l’origine remonte au premier siècle, ont une réputation qu’on ne rappelle plus.

 armagnac - Hypathie et la distillation
Hypathie (355 – 415)

Plus loin, en Alexandrie, une grande savante grecque, Hypathie (355? – 415) invente une méthode de distillation. L’alambic est ensuite apporté par les Arabes au VIIIe siècle en péninsule ibérique. On distille de tout… à des fins médicinales. Il faudra encore attendre un peu pour consommer le produit de la douce distillation du vin rouge. Et, soyons sérieux, en 1515, pendant que François 1er guerroie à Marignan, les Gascons créent la corporation des vinaigriers distillateurs.

L’armagnac aux quarante vertus

armagnac - Vital du Four chante ses vertus
Maître Vital du Four (1260 – 1327)

Maître Vital du Four (1260 – 1327), né à Bazas, est un prieur franciscain d’Éauze et de Saint Mont, puis cardinal et surtout grand maître en théologie. Il publie Pro conservanda sanitate, livre de médecine pour se tenir en bonne santé, écrit en latin avec des passages en gascon, et dont la seconde notice est consacrée à l’Eau ardente de son pays. Le livre est précieusement conservé au Vatican. Maître Vital du Four, ne trouve pas moins de 40 vertus et efficacités au divin liquide, à condition de l’utiliser avec modération !

Les efficacités

Parmi les différentes efficacités, il y a sa capacité à produire une flamme, dans certaines conditions, sans consumer la substance qu’elle imbibe (comme une mèche) : Dicitur autem ardens, quoniam si pilis capitis superfundatur , uel panno, & applicetur candela ardens , statim inflammabitur , uidebunturque pili capitis uel panus ardere, quamuis de panno aut pilis nihil consumetur, flamma autem tam diu durabit , donec a flamma aqua illa consumpta fit. [Elle est dite ardente parce que si on la verse sur les cheveux de la tête ou sur un chiffon et si on approche une bougie en feu, elle prend immédiatement feu et les cheveux ou le chiffon semblent brûler, alors que ni les cheveux ni le chiffon ne se consument mais la flamme dure jusqu’à ce que l’eau soit toute brûlée.] Pro conservanda sanitate, p. 12.

Ou encore, Vital du Four mentionne  une propriété très utile aux apothicaires : l’eau ardente extrait les vertus des plantes qui y sont mises à macérer.

Les vertus

L’eau ardente stimule l’esprit, rappelle la mémoire du passé, rend l’homme joyeux au-dessus de tout et, si on la retient dans la bouche, elle délie la langue, donne de l’audace. Elle conserve la jeunesse et retarde la sénilité.

L’armagnac calme aussi les maux de dents ou d’oreilles, guérit les plaies et même la lèpre. Si l’on s’en oint la tête, il fait disparaitre les maux de tête, en particulier ceux provenant du rhume. L’onction fréquente d’un membre paralysé le rend à son état normal.

L’armagnac gagne du terrain 

armagnac - François Baco le fait renaître
François Baco (1865 – 1947).

Au-delà de ses vertus thérapeutiques bien établies au Moyen-Âge, l’armagnac se répand au XVIIe siècle et devient un véritable produit de consommation. Petit à petit la Baïse, affluent de la Garonne, se borde de maisons de commerce mettant sur des bateaux quelques bons tonneaux. Hélas, le phylloxera dévaste les vignes de piquepoult (ou Folle Blanche, cépage majeur de l’armagnac) dès 1878. De nouveaux cépages seront implantés comme l’Ugni Blanc, ou le Baco un hybride de piquepoult et de Noah – à l’origine du vin qui rend fou – hybride créé par l’instituteur landais François Baco (1865 – 1947).

 

La reconnaissance AOC de l’armagnac

Enfin, en 1909, un décret, sous la présidence d’un enfant de la région, le Président Fallières, délimite la région de production de l’armagnac. Puis le décret du 06 Août 1936 définit l’Appellation Contrôlée de l’Armagnac et ses trois régions, le Bas-Armagnac, la Ténérèze et le Haut-Armagnac.

La légende de la naissance de l’armagnac

Dans les légendes gasconnes on aime se jouer du Diable, pas si futé que ça tout compte fait. De la même veine que Lo bon Diu e lo Diable [Le bon Dieu et le Diable] rapportée par Félix Arnaudin, on trouve Lo Diable e lo bordèr [Le Diable et le métayer]. Figurez-vous qu’en pleine terre d’Armagnac, un riche paysan meurt sans descendance. Se retrouvant en enfer, le Diable hérite de ses terres. Il lui faut donc un métayer, un bordèr. Un jeune homme se présente et passe marché avec son maître :

– Pèr n’aoueu pas bareuilles, barreu beléou aoutan partatjéssim pr’aouance; l’un se preuyreu ço qu’eus debat le térre, l’aout ço qu’eus a-d-énsus. Pèr jou, quet dichréy chaousi.
– Quém ba, ce rèspoun lou Diable. Qué preuni ço qu’eus a-d-énsus.
– Per n’aver pas baralhas, varré benlèu autant partatjèssim pr’avança; l’un se preiré çò qu’es devath la tèrra, l’aut çò qu’es a d’ensús. Per jo, que’t deish’rèi chausir.
– Que’m va, ce respon lo Diable. Que préni çò qu’es a d’ensús.

Un bordèr bien rusé

– Pour n’avoir pas de dispute, autant vaudrait, je crois, partager par avance ; l’un pourrait prendre ce qui est sous la terre et l’autre ce qui est dessus. Pour moi, je te laisserai choisir.
– Ça me va, répondit le Diable. Je prends ce qui est dessus.

Et bien sûr, le métayer ne sème que raves, navets, carottes et poireaux. Au moment de la récolte, le Diable mécontent, repasse un accord inversé. Et notre métayer de semer blé, seigle et avoine. Devant la colère du maître, le métayer accepte de laisser et ce qui pousse vers le ciel et ce qui pousse sous terre. Alors notre finaud plante de la vigne et récolte le raisin pour lui, laissant le cep au Diable furieux. Celui-ci, dans une énorme colère, se venge et rend le vin tiré de ces raisins imbuvable. Il ne reste à notre Armagnacais que d’aller chercher conseil auprès du curé qui lui suggère de faire brûler ce liquide maléfique.

Le brave homme porte donc son vin au vinaigrier qui le met dans l’alambic. Le vin bouillonne, des vapeurs s’échappent, des gouttes coulent. Diou Biban / Diu Vivant / Dieu vivant, le métayer se retrouve avec une belle eau transparente, une vraie eau… de vie. Il va dans la forêt de Saint-Vincent, patron des vignerons, coupe un chêne en fait un fût dans lequel il jette un morceau de coudrier, cet arbre magique. L’eau prend une belle couleur ambrée que le métayer ne peut s’empêcher de goûter…

Joseph de Pesquidoux chante l’armagnac

armagnac - Joseph de Pesquidoux le chante
Joseph de Pesquidoux (1869 – 1946)

Restaient les glorias*. Ils débouchaient à la file, le café, les brûlots dans des légumiers hérissés de morceaux de sucre, et, portée sur un plateau bordé de petits verres, la dame-jeanne poussiéreuse, la double bouteille d’armagnac. À son aspect, on se leva. Elle datait de 1804, du sacre de l’Homme. Et les allumettes craquèrent, et l’étincelle prit à la fois aux pipes et aux brûlots. Et ceux-ci, instantanément, se couvrirent de flammes jaunes, vertes. rouges, qui rampaient, s’élevaient, se couchaient encore. Tandis qu’un bruit continu de combustion sortait du liquide immobile. Et tous ces feux, au triple reflet, s’en allaient danser. s’en allaient rire sur les lambris, parmi la lueur bleue des bougies renouvelées.

Le maître servit lui-même la dame-jeanne. La liqueur coula, pur filet d’or, d’or femelle, comme apaisé par le temps. Elle était fine, divinement, chaude encore, et moelleuse, sucrée, avec un soupçon de rancio venu du siècle traversé. Un puissant parfum de pruneau émanait d’elle, disait son excellence, d’elle, fille du raisin. Il est l’odeur intime de nos eaux-de-vie. Suave et pénétrant, il s’attache à tout ce qu’elles touchent, aux mains, au bois, au cristal. C’est une affinité mystérieuse entre produits du même sol, où peut-être un arôme particulier circule mêlé aux sèves, comme une âme végétale commune à ses fruits propres.

Extrait de Chez nous en Gascogne, de celui qu’on surnomma le Virgile gascon, Joseph de Pesquidoux

*Gloria = café parfumé à l’armagnac

Bonne année bonne santé

Armanac de la Gascougno prône l' armagnacExtrait du poème Boune Anade! publiée par P. de Cantelauze dans l’Almanac de la Gascougno de 1898:

En hurrupan boste Armagnac
Ta desgourdi  nouste estoumac
Un chic estarit per l’oubratye,
De quoan en quoan, coum bètz guitotz,
Qu’ens refresquibem lengue e potz
E reprenèm nabèt couratye.

 

En hurrupant vòste Armanhac
Tà desgordir noste estomac
Un chic estarit per l’obratge,
De quan en quan, com bèths guitòts,
Que’ns refresquivam lenga e pòts
E reprenèm nabèth coratge.
En humant votre Armagnac
Pour dégourdir notre estomac
Un peu usé par l’ouvrage,
De temps en temps, comme canetons,
Nous nous rafraichissions langue et lèvres
Et reprenions nouveau courage.

… Maître Vital du Four avait donc bien raison !

Références

Contes populaires de la Grande-Lande, Félix Arnaudin, 1887
Le métayer du Diable, Les pins parleurs, 2017
Chez nous en Gascogne, Joseph de Pesquidoux, 1921
Almanac de la Gascougno, 1898
L’image en tête du Château de Maniban provient du site Gers et bastides d’Armagnac à vélo

 

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Une réflexion sur “L’armagnac le nectar des dieux gascons

  1. Quand j’ai fait mon mémoire de fin d’étude à l’école normale d’Agen en 68 il n’y avait pas longtemps qu’on connaissait les « Quarante vertus de l’Armagnac », l’aiga ardent, (l’eau ardente) texte retrouvé dans la bibliothèque du Vatican. J’avais consacré ce mémoire à la vénérable eau de vie guidé par le Directeur de l’UCVA à Eauze. J’avais sillonné les routes du Bas-Armagnac, du Haut Armagnac et de la Ténarèze, rencontré de nombreux producteurs avec des visites mémorables au Château de Cassaigne notamment!

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