Château de Mauvezin et Escòla Gaston Febus
Le château de Mauvezin, chef-lieu de la viguerie du comté de Bigorre, va jouer un rôle pendant tout le Moyen Âge. Il appartient depuis 1907 à l’Escòla Gaston Febus. Il fallait bien que la revue Reclams lui consacre un nouveau hors-série.
Spécial château de Mauvezin
L’Escòla Gaston Febus est une association de promotion de la culture de Gascogne. Elle produit, depuis 1897, une revue littéraire, Reclams. Elle est aussi propriétaire du château de Mauvezin depuis 1907. Un château qu’elle a restauré comme en l’époque de Gaston Febus. Il méritait bien un numéro spécial !
Ce château a une grande histoire dont un épisode particulièrement chahuté (seconde moitié du XIIIe siècle) est décrit dans la revue. On vous y raconte aussi la vente à l’Escòla et les travaux de restauration. C’est l’occasion de rappeler les fêtes, les discours des membres de l’Escòla, les poésies inspirées par le lieu. Vous y découvrirez la fin du poème Lo casteth de Mauvezin que Césaire Daugé (1858-1945) a écrit en 1911 et dont un exemplaire est toujours au château, dans la bibliothèque de l’Escòla. Et bien d’autres choses encore, comme le poème Eth bon e eth mau… vin du poète aranais Xavi Gutiérrez Riu (1971- ) ou une page (fictive) du journal de Febus sur ses derniers jours au château…
Plutôt que de vous dévoiler l’immense richesse du numéro spécial, bilingue et joliment illustré, voici un extrait qu’un ancien félibre, qui signe L. (Jean-Victor Lalanne ?), a publié sur la revue Reclams en mai 1910. C’est alors qu’il visite le château.
Rêverie sur le château de Mauvezin
Appuyé contre la main courante je me laisse aller à de longues rêveries sur l’histoire du château. Une page de Froissard me revient à la mémoire, celle où le chroniqueur raconte le siège et la prise du château, en juin 1373.
Le Prince Noir, à la tête des Anglais, s’était emparé du château en 1370. Trois ans plus tard, le duc d’Anjou, frère du roi, pénétra en Bigorre. Envoyant l’un de ses corps, sous les ordres de Du Guesclin, vers le château de Lourdes, également occupé par les ennemis, il vint lui même devant Mauvezin, à la tète d’une dizaine de mille hommes. Le château était défendu par un chevalier Gascon, Raimonnet de l’Espée, au service des Anglais.
Froissard nous montre l’armée du roi de France, campée durant six semaines « en ces beaux prés, entre Tournay et le Chastel » sur le bord « la belle rivière d’Arros qui leur couroit claire et roide, dont ils étaient servis eux et leurs chevaux. » Les assiégés ne se rendirent que lorsque « la douce eau leur manqua. »
…
Mais le jour commence à baisser ; le disque du soleil disparait lentement derrière le clocher de Cieutat : à une certaine distance, la vue des objets se modifie, leur contour devient indécis, leur forme fantastique. Au loin, dans les prairies de Gourgue et de Ricaud, il me semble apercevoir les tentes de l’armée assiégeante, ses chariots, ses chevaux qui vont s’abreuver dans l’Arros. Cette masse sombre qui s’avance là bas au sud de Tournay, n’est-ce pas un nouveau corps d’armée qui vient s’ajouter aux assiégeants ? Ne serait-ce pas plutôt un parti d’Anglais qui accourt pour faire lever le siège ?
De la plaine de confuses rumeurs s’élèvent vers le château ; les hommes d’armes s’agitent dans le lointain. Voici du côté de Bonnemazon, un corps d’archers et d’arbalétriers qui semblent profiter des replis du terrain pour dissimuler leur marche en avant vers les remparts. Plus à droite, sur la route de Lescadieu, n’est-ce pas une compagnie de chevaliers vêtus de leur heaume et de leur cotte de mailles qui marchent en ordre pour nous attaquer du côté de l’ouest ? Dans la direction du nord, sur la lisière du bois de Gourgue, mon imagination exaltée aperçoit nettement des groupes d’artilleurs poussant sur des affuts roulants leurs bombardes et leurs canons cerclés de fer.
Et tout à coup, j’entends le son strident de plusieurs trompes et, à travers l’ombre du crépuscule, je vois, à quelques pas des murailles, plusieurs machines de guerre qui s’avançaient en soufflant bruyamment, conduites par des guerriers vêtus de peaux de bêtes. Je vais donc assister à un de ces « faits d’armes, appertises grandes en beau lancis de lances » dont parle Froissard.
… « Le soleil est couché, me dit mon compagnon en me poussant du coude, il est temps d’aller dîner. » Ce barbare avec ses préoccupations gastronomiques, a rompu le charme. Je sors de ma rêverie et je descend en maugréant les escaliers de la tour, tandis que les automobiles que, dans mon exaltation, j’avais prises pour d’antiques catapultes, traversent en tempêtes les rues de Mauvezin.
Hommage au château
L’auteur de cet article, signé simplement L., termine son bel article par ces mots.
Avant de quitter ces lieux, je griffonne ce sonnet que me dicte une muse novice :
Quand tu reposeras dans ce manoir antique
Que tu nous as donné dans un geste royal,
Les muses garderont tes restes, 0 Bibal,
Et leurs voix chanteront un sublime cantique.
Nous viendrons visiter ce castel héraldique.
Nous, tes nombreux amis, disciples de Mistral.
Nous te dirons des vers, Mécène au cœur loyal,
Et nous mettrons des fleurs sur la tombe rustique.
Ton nom sera pour nous un cri de ralliement
Ton donjon un abri, source de dévouement
Où pourra s’abreuver le cœur des Gascons libres.
Couché comme un géant sur un rempart d’airain,
Tu dormiras en paix sous le regard divin,
Et ton âme entendra les accents des Félibres.
L.
Bonne flânerie sur les courtines du beau château…
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
A Mauvesin, Reclams, mai 1910 p. 100-103
Spécial Mauvezin, Reclams, décembre 2020
Lou Castet de Maubesin, Cesari Daugèr, 1911