Deux historiens, Denis Cucuron et Jean-Paul Ferré, se penchent sur la petite histoire, celle que chacun a vécu. Dans des endroits reculés, comme dans nos Pyrénées, on pourrait croire que les gens étaient en marge des guerres. Or, il n’en était rien. Et les témoignages, parfois émouvants, recueillis dans deux livres, Ceux de Betchat dans la grande guerre et Les Couseranais racontent 39-45, montrent que les habitants n’ont pas oublié.
Des regards d’historiens et de collecteurs de témoignages
Denis Cucuron, ancien professeur d’histoire, est originaire de Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne). Il écrit dans La mémoire de l’Arbas et fait des recherches approfondies sur la grande guerre.
Jean-Paul Ferré, professeur d’histoire et d’occitan, président d’Eth Ostau Comengés, habite Betchat (Ariège). Il a écrit plusieurs ouvrages, romans et contes en gascon, livres sur le patrimoine culturel immatériel du Comminges et du Couserans, documentaires ethnographiques.
Ces deux historiens vont collecter, avec l’aide d’Eth Ostau Comengés, des témoignages.

Betchat plonge dans la guerre de 14

En 1910, Betchat compte 1120 habitants, environ trois plus qu’aujourd’hui. Le choc, c’est surtout le début de la guerre de 14, la violence, les pertes humaines. Le souvenir a conservé la tragique bataille de Bertrix, dans les Ardennes belges, le 22 août 1914 et les effroyables pertes du 17e Corps d’Armée du général Arthur Joseph Poline (1852-1934) auquel on avait affecté les Betchatois.
Ils se souviennent de « Vous avez donc peur ! » ou des « Je vous emmène à la boucherie ! » À la fin de la bataille, le régiment compte 524 hommes, sur les 3 348 qui ont quitté Montauban le 4 août.
Le monument aux morts de Betchat mentionne 36 soldats. Heureusement, d’autres sont revenus. Qui sont ces hommes dont on honore la mémoire chaque année ? Que faisaient-ils avant la guerre de 1914 ? Comment certains sont morts et sait-on où se trouve leur corps ? Ont-ils encore des descendants ? Jean-Paul Ferrré a recueilli les histoires personnelles de ces hommes, comme celle de Guillaume Fournié, parti s’installer non loin, à Saleich, et les raconte dans son livre ou lors de ses conférences.
La brutalité de la guerre de 40 à Betchat comme ailleurs

Le Rapport de la Commission de recherches des crimes de guerre rapporte des événements :
« Le 10 juin 1944, les Allemands ont attaqué le maquis de Betchat à la pointe du jour. Ils étaient commandés par un officier grand, blond, âgé de 45 ans. Ces Allemands étaient des SS cantonnés à Pinsaguel, ayant leurs blindés à Muret et venaient de la direction de Boussens. Ils étaient renforcés par des Allemands de St Girons et la Milice.
Marsoulas d’abord
Le maquis de Betchat qui était prévenu de l’attaque s’était porté à Marsoulas (Hte Garonne) et lorsque les Allemands sont montés à l’attaque du village, ils ont été attaqués à coups de fusils et de grenades.

Surpris, les Allemands se sont repliés à une maison à mi-côte, utilisant ensuite leurs mortiers et leurs armes automatiques, ils sont repartis à l’attaque du village où ils ont massacré 25 personnes dont 4 enfants et pillé tout le village. Les maquisards purent s’enfuir dans les bois, à l’exception de 2 qui étaient montés sur le toit d’une église et qui furent tués au cours de l’attaque.
Puis Betchat
Les Allemands sont ensuite venus à Betchat, où ils aperçurent à la lisière le nommé Joube Jean-Marie qui essayait d’éteindre l’incendie allumé dans sa grange par une bombe incendiaire. Ils l’abattirent à coups de mitraillette sans aucune explication.
Un peu plus loin, apercevant Mr Rives Jean-Marie rentrant chez lui, ils l’abattirent également à coups de mitrailleuses.
Mr Sajoux Philippe qui se trouvait devant sa porte, fut également blessé par le même tir. Les Allemands cernèrent, puis occupèrent le village.
Dans le village, se trouvaient 5 prisonniers allemands et 3 femmes capturées quelques jours avant par le maquis de Betchat. Ces prisonniers étaient gardés par le nommé Sirgant Pierre, maquisard qui avait mission de les abattre en cas de fuite; mais l’attaque du village fut si brusque que Sirgant ne put s’échapper ni remplir sa mission. Il fut pris par les Allemands, brutalisé, martyrisé, puis fusillé.
Les Allemands ont ensuite pillé toutes les maisons incendiées : la grange de Mr Rivals, la maison de Mr Ducos Augustin et la grange de Mr Soula Bernard. Ils sont repartis le soir.
Le 12 juin, ils étaient de retour pour incendier la maison de Mr Ceres, prétextant qu’il y avait un dépôt de munitions.
Ils revinrent quelques jours plus tard pour incendier la maison de Mr Galin, prétextant que c’était un refuge de maquisards, puis piller les maisons »

La guerre de 14-18 et la mémoire de Betchat

Jean-Paul Ferré revient sur le monument aux morts de Betchat, son histoire, les polémiques. Le conseil municipal de Betchat et son maire Lucien Martres décident, dès la fin de la Grande Guerre, de construire un monument aux morts. Régis Broué, l’architecte de Saint-Girons, membre de la commission d’esthétique, le conçoit. Le décret présidentiel donne le feu vert le 5 septembre 1920.
On le dressera près de l’église, sur le plateau qui domine la commune, et il regardera vers le village. Certains habitants contesteront cet emplacement. Toutefois, Paul Laffont (1885-1044), Ariégeois, né au Mas-d’Azil et secrétaire d’Etat aux PTT, présidera son inauguration le 27 août 1922. Tous admirent la statue de la « France victorieuse », du sculpteur lillois réputé Jules Déchin (1869-1947) et du tailleur de pierre Pierre Armengaud. Après la guerre de 1939-1945, on ajoutera la plaque dédiée aux morts de ce dernier conflit sur sa face sud.
Les Couseranais racontent 39-45
Ce livre passionnant est un recueil de témoignages de personnes nées entre 1920 et 1945 dans plusieurs endroits du Couserans. Chacun se souvient et raconte une anecdote parfois légère comme Jules, parti avec ses amis pêcher à la main qui eurent une grande peur à l’arrivée des Allemands ! Ou raconte une histoire plus douloureuse, plus difficile.
Les récits permettent de suivre les différentes situations de la guerre, le départ des soldats, la vie en prison, le Service de Travail Obligatoire (STO), la vie sous l’occupation, la résistance, la répression, puis la fin de la guerre. Ils sont en gascon, traduits en français et expliqués pour en comprendre le contexte.
La particularité de ce livre, c’est qu’un CD l’accompagne, un CD qui permet d’écouter les personnes interviewées. Ces enregistrements audio donnent vie aux histoires racontées, transmettant les émotions de ceux qui se souviennent. Et l’auditeur se surprend à écouter comme il écouterait un membre de sa famille, un intime.
Vous pouvez écouter un extrait du CD : « Jules raconte une partie de pêche dans le Salat, lors de laquelle ses jeunes amis et lui ont eu une peur bleue… »
et vous trouverez ici le bon de commande du livre et du CD
Deux livres à part sur la guerre
Les deux auteurs, par la proximité et le côté si personnel des témoignages, par la présentation de l’état d’esprit, du sens partagé des acteurs de l’époque, nous donnent un regard humain, social de l’époque. Cette histoire, c’est le vécu d’habitants jusque là bien loin de la France.
Les livres peuvent être achetés dans la plupart des librairies du Comminges et du Couserans, et également à Foix (chez Majuscule) ou commandés à cette adresse :
Eth Ostau Comengés – Antenne du Couserans – Eth Bosquet – 09160 Betchat.
Ceux de Betchat dans la Grande Guerre (20 € + 7 € de port)
Les Couserannais racontent 39-45 (15 € + 5 € de port).
NB : si vous commandez les deux livres, le port sera de 7 €.
Chèque à l’ordre de : Eth Ostau Comengés
Et comme écrivit le merveilleux poète de Luchon, Bernard Sarrieu (1875-1935) Es cansous es mès bères, des têts umas qu’es triguen as haudères / Eras cançons mes bèras, deths tets umans que’s trigan aras haudèras / Les chansons les plus belles s’arrêtent aux rebords des toits humains.
Références
Ceux de Betchat dans la grande guerre, Denis Cucuron et Jean-Paul Ferré
Les Couserannais racontent 39-45, Denis Cucuron et Jean-Paul Ferré, 2019
Hommage à Paul Lagarde et à tous nos « metayers » ariégeois morts pour la France, Denis Cucuron, 2016
Monument aux morts, Betchat
La bataille de Bertrix, Michel Florens