L’épizootie bovine de 1774 en Gascogne : une lutte efficace
Depuis Bayonne, l’épizootie, ou peste bovine, s’abat en 1774 sur toute la Gascogne. La lutte s’organise et s’avère efficace. Suite et fin de l’affaire. Première partie du dossier ici.
Les consuls et jurats contre l’épizootie bovine
La vigilance des consuls devait être constante pour surveiller les communications, visiter les étables, faire assommer et enterrer les bêtes attaquées par l’épizootie bovine. Ensuite, il leur fallait vérifier les fosses et les faire recharger. Parfois, ils étaient eux même fauteurs de contagion en réunissant les bestiaux de la communauté pour vérifier leur état.
Le Roi aide les populations
Le roi ayant promis de payer le tiers de la valeur des bêtes mortes de la peste bovine, les consuls nommèrent des experts chargés de l’estimation des bestiaux, parfois contestées car variant du simple au double. Comme le relève l’intendant d’Auch dans une lettre à son subdélégué à Nogaro. « Dans l’état que vous m’envoyez des bestiaux assomés et de leur évaluation, il ma paru extraordinaire de voir un brau estimé 70 # lorsque l’autre n’est porté qu’à quinze et que le bœuf n’est évalué que 60 # ».
Beaucoup demandèrent à être provisoirement déchargés de leurs fonctions car eux-mêmes avaient du bétail attaqué par l’épizootie. On nommait souvent à leur place des personnes qui n’avaient pas de bétail comme à Valence sur Baïse.
L’administration suit les opérations
Les opérations d’assommement des bêtes attaquées par l’épizootie bovine étaient consignées sur un procès-verbal,
comme ici à Arbéost le 16 juillet 1775
« L’an mil sept cens soixante quinze et le seizième du mois de juillet par devant nous jurats de la parroisse d’arbeost ayant été requis par marie Lapoulede du meme lieu de nous transporter chez lui pour examiner une vache quil sobsonoit être attaquée de la maladie epizootique et tout de suite nous nous y sommes transportés avec le nommé dominique Loth et anthoine Lescuretes que nous avons pris pour experts lesquels ont declaré que la dite vache etoit attaquée de la ditre maladie en consequence nous dits jurats avons fait assomer la dite vache après lui avoir fait couper le cuir et anterrer conformément aux ordonenses apres que la dite vache atté estimée la somme de Scavoir sy de lage de sept ans – 73 #.
Le tout atté fait enpresence du sieur Sansoucy sergent au regiment de foix enfoy dequoy avons signé le presens consul n’ayant scu signer fait la croix +. Bares consul »
ou à Aspin d’Aure, un certificat de bonne santé
Le secours des vétérinaires pour combattre l’épizootie bovine
Très vite, des vétérinaires de la toute jeune École Royale Vétérinaire furent envoyés sur place pour étudier la maladie et chercher les moyens de s’en préserver. Le plus célèbre d’entre eux est Felix Vic d’Azir.
Il parcourut toute la Gascogne. Il en vint à la certitude que le seul moyen de combattre efficacement l’épizootie bovine était de « tuer les malades dès les premiers signes de la contagion » à condition de « payer le paysan » à la moitié de la valeur des animaux. Car il fallait tout faire pour prévenir la dissimulation des bêtes atteintes.
Il publia plusieurs méthodes qui servirent à la mise en œuvre du plan de lutte contre l’épizootie. Méthode pour l’abattage des bestiaux, méthode pour confectionner les fosses, méthodes pour désinfecter les étables, etc.
Des remèdes jusqu’alors peu efficaces
Jusque-là, on employait des remèdes qui s’avéraient peu efficaces. Les autorités envoyaient des recettes imprimées aux jurats et aux consuls des communautés.
C’est ainsi que le sénéchal d’Oloron envoya cette recette le 9 août 1774 : « Il faut faire prendre à la Bête malade, matin & soir, avec la corne, un seau d’eau tiède, dans laquelle on mettra un gobelet d’huile & deux onces et demie de sel de nitre. Il faut aussi donner par jour aux bêtes, trois lavemans d’une décoction de mauves, à laquelle on ajoutera un demi gobelet d’huile ».
Se rangeant aux conclusions de Vic d’Azyr, le roi décida de l’abattage des troupeaux attaqués par la maladie. Il voulut indemniser les propriétaires en payant le tiers de la valeur des bêtes. Il fit appel aux régiments pour former des cordons sanitaires pour isoler les provinces touchées. A l’intérieur de ce cordon, des détachements occupaient les paroisses touchées par l’épizootie, procédaient à l’abattage des bêtes attaquées, à leur ensevelissement dans des fosses et à la désinfection des étables.
Les régiments employés à lutter contre l’épizootie
De septembre 1775 à octobre 1776, les régiments furent placés le long des cours d’eau de l’Adour et de la Garonne pour former un grand cordon. A l’intérieur de ce dispositif, des cordons plus réduits isolaient les provinces. Au début, ils contribuèrent à propager la maladie avec leurs vêtements de laine en se rendant dans les étables et en communiquant l’épizootie de l’une à l’autre. On les équipa rapidement de vêtements de toile. Leur zèle les conduisait parfois à abattre des troupeaux sains et à brûler des granges en voulant les désinfecter.
Des soldats à la charge des populations
Ils étaient à la charge des communautés qui leur devaient « le logement et l’ustencille ». Le roi accorda une gratification de 2 sous par jour à chaque soldat affecté à la lutte contre l’épizootie et une indemnité de 15 sous pour chaque bête assommée. Le tout à la charge des communautés qui durent emprunter pour pouvoir payer.
Parfois, les soldats exigeaient un paiement complémentaire. Ou ils tentaient d’extorquer des fonds pour leur propre compte, comme à Buros ou à Saubolle. Ou en séquestrant, au besoin, le consul comme à Samatan. Jusqu’à ce que la communauté fournisse un cheval pour le voyage à Toulouse d’un caporal. Des rixes éclataient avec parfois mort d’homme.
Leur présence occasionnait des désordres. Les habitants occupés à la garde bourgeoise n’étaient pas tranquilles de savoir leurs épouses et leurs filles à proximité des soldats. Les registres des mariages et des naissances de 1776 nous laissent de nombreux témoignages de leur passage.
Ils partirent en octobre 1776, au grand soulagement des populations, après que l’épizootie se fut arrêtée.
Le secours de la religion pour contrer l’épizootie
Les curés prirent une part très active dans la diffusion des procédés de lutte contre l’épizootie bovine. Un avis leur fut distribué en 1775 : « Vous êtes chargés de l’instruction des peuples, vous êtes les premiers témoins de leurs besoins & de leurs malheurs ; c’est à vous qui les soulagez dans leurs misères, qui les consolez dans leurs calamités ; c’est à vous de leur faire connoître les maux qu’ils ont à craindre et les moyens de s’en préserver ».
Les évêques interdirent les processions et toute manifestation de piété collective qui rassemblait des paroissiens et des bestiaux. Ils les invitèrent à dire des messes, à dire des prières publiques pour éloigner le mal et à exposer le Saint Sacrement. Le culte de Saint-Roch connut un essor remarquable.
Le 30 novembre 1774, Terraube « délibere que la communauté dans la meme confiance que sesd. ancettres, renouvele sa veü par des prieres publiques pendant neuf jours qui commenceront dimanche prochain par une procession generalle qui sera faitte à l’issue de vepres dans le present lieu pendant laquelle seront chantées des littanies du saint, à laquelle Monsieur le marquis sera prié d’assister, ses officiers de justice,
Et ou assisteront les consuls en robe, et que pendant les dits neuf jours il sera célébré une messe à l’honneur du Saint, ou assistera toute la paroisses tant que faire se pourra, pour que par lintercession du saint, il plaize à Dieu apaiser la maladie contagieuze qui commence de ravager les bestiaux dans la juridiction, auquel effet Mr le curé sera prié de vouloir seconder nos veux, et nos dezirs en faisant la ditte procession à lad. heures d’apres vepres, et en cellebrant lad. messe pendant lesd. neuf jours à l’heure quil indiquera … »
Les évêques aident les populations sur leurs propres deniers
Les prélats s’intéressèrent aux malheurs des propriétaires. L’archevêque de Toulouse, Étienne-Charles de Loménie de Brienne, offrit une indemnisation pour chaque bête morte sur sa propre fortune. A l’Isle Jourdain, le 2 janvier 1775, le prélat envoie un de ses grands vicaires en inspection. Il fait verser 200 livres à un propriétaire qui venait de perdre un bœuf.
L’évêque de Bayonne fit venir, à ses frais, des vaches de Bretagne pour remplacer les bêtes mortes de la peste bovine. L’évêque de Dijon, précédemment en poste à Auch, envoya des milliers de moutons pour compenser les pertes.
Une épidémie terrible, une lutte efficace
Cette épizootie a été terrible dans nos campagnes de Gascogne. Elle a cependant permis de réels progrès dans la lutte contre les maladies du bétail. Les principes mis en œuvre en 1774-1776 sont toujours d’actualité. Ils ont servi pour lutter contre la dernière grippe aviaire. Confinement des animaux, périmètres d’interdiction, interdiction des circulations d’animaux, interdiction des ventes au marché. Abattage systématique dans les élevages touchés, désinfection des bâtiments, indemnisation des agriculteurs.
Références
École royale vétérinaire. (Traitement pour l’épizootie qui règne sur les bêtes à cornes.) – 1770, Claude Bourgelat
Exposé des moyens curatifs et préservatifs qui peuvent être employés contre les maladies pestilentielles des bêtes à cornes, Félix Vicq d’Azyr
Recherches historiques et physiques sur les maladies épizootiques, M. Paulet
Oeuvres de Turgot-203- l’épizootie et les épidémies, Benoît Malbranque, 2018