Gaston, que veut dire Febus ?

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Gaston, comte de Foix, vicomte de Béarn, choisit de s’appeler Febus. Pourquoi ce surnom ? Beaucoup de légendes l’entourent. Faut-il les croire ? Certains, comme Pierre Tucoo-Chala, historien de référence pour ce seigneur, ont enquêté.

Surnom ou numéro, reconnaitre le seigneur

Charles le cinquième dit le Sage
Charles le Cinquième dit le Sage (1338-1380)

Pas facile aujourd’hui de s’y reconnaitre dans les noms avant Charles (1338-1380) qui décida de s’appeler Charles le V. Car on ne numérotait les prénoms ni des seigneurs, ni des rois. Par exemple, Gaston, comte de Foix était fils de Gaston, comte de Foix. Et Gaston a eu un fils nommé Gaston… À titre d’exemple d’utilisation des seuls prénoms, le traité d’Orthez (1379), est passé entre Monsenhor Johan per la gracia de Diu, comte d’Armagnac, de Fezensac, […] e Mossen Gaston, per la gracia medisssa, comte de Foix, et Gaston son filh leayau et naturau… / entre Monseigneur Jean par la grâce de Dieu, comte d’Armagnac, de Fezensac, […] et Monseigneur Gaston, par la même grâce, comte de Foix, et Gaston son fils loyal et naturel…

Mais peu importe puisque les contemporains savaient de qui il s’agissait. Parfois tout de même, le roi, les courtisans, le peuple leur donnait un surnom de leur vivant ou après leur mort. Charles (839-888) aurait été surnommé Le Gros, trois siècles plus tard !

Gaston (le troisième comte de Foix) a simplifié la chose en choisissant lui-même son surnom, Febus. Il écrit dans son Livre de chasse : je Gaston, par la grace de Dieu, surnommé Febus, comte de Foys, seigneur de Bearn…

Febus et pas Gaston Febus

Febus prologue du Livre de la Chasse
Gaston Febus, Livre de chasse – Prologue – BnF (fin du XIVe siècle)

On ne trouve pas d’écrit d’époque avec les termes « Gaston Febus ». C’est toujours Gaston tout court, Febus tout court, voire « Gaston surnommé Febus ». Par exemple, il écrit : Ci commence le prologue du libre de chasse que fist le comte febus de Foys seigneur de Béarn (en rouge dans le manuscrit).

Ce surnom, il l’utilise aussi pour sa devise Febus aban, ou pour le florin d’or qu’il fait frapper.  La piécette de moins de 4 grammes représente saint Jean-Baptiste. Une fleur de lys florencée, entourée des lettres Febus comes, orne le revers. De même, grand bâtisseur, il fera graver Febus me fe / Febus me fit, sur ses châteaux.

1358, la naissance de Febus ?

Febus est fait chevalier de l'ordre Teutonique au château de Marienbourg en 1358
Febus est fait chevalier de l’Ordre Teutonique au Château de Marienbourg en 1358

On pense que c’est en 1358 qu’il choisit ce surnom. En effet, il se passe cette année-là des choses importantes pour ce seigneur.

En 1357, alors qu’une trêve entre les Anglais et les Français assure un moment de répit, le Grand Maitre de l’Ordre Teutonique fait appel aux nations de l’Occident pour combattre les infidèles. Aussitôt, Gaston part en Prusse avec quelques compagnons. Il est à la tête d’une notabla armada, selon l’archiviste Michel de Verms (XVe siècle). Peut-être un peu trop notabla car le comte devra emprunter 24 000 écus d’or à des marchands de Bruges : Ajam grandament despendut / nous avons grandement dépensé, dit-il lui-même.

Le livre de chasse, folio 85 - - comment le bon veneur doit chasser et prendre le renne
Le livre de chasse, folio 85 – « Comment le bon veneur doit chasser et prendre le renne »

Dans cette croisade, il fec grans armas, assalts et estorns et sa gloire s’étend. Pourtant son appui aux Teutons ne durera qu’à peine quatre mois. Il va profiter de sa présence dans le nord pour s’adonner à sa passion, la chasse. Ainsi, il quitte la croisade pour aller chasser une bête qu’il nomme lo rongier / le renne, en Lituanie et en Poméranie. Un animal qu’il décrit dans Des desduitz de la chasse aux bestes sauvages. Certaines mauvaises langues ont même dit que Gaston était parti dans ces lointaines contrées plus pour chasser que pour combattre les païens…

En tous cas,  Miégeville, dans sa Chronique des comtes de Foix, rapporte ces vers :

Quand fi en Prucia lo passatge
Contra cels de Sarasine
Per mantenir dels Crestias lo droit usatge.
Febus me fi nommar
Quand je fis en Prusse le passage
Contre les Sarrasins
Pour maintenir aux Chrétiens le droit d’usage
Febus je me fis nommer

Il aurait donc alors choisi son surnom.

Le retour de Prusse, Febus aban!

Chroniques sire JEHAN FROISSART - Le massacre des Jacques à Meaux, en 1358 BnF – département des manuscrits
Chroniques de sire Jehan FROISSART – Le massacre des Jacques à Meaux, en 1358 – BnF

En rentrant chez lui, à Chalons sur Marne, Gaston apprend le soulèvement des Jacques (paysans).

Les duchesses de Normandie et d’Orléans sont enfermées à Meaux avec 300 suivantes. Avec son cousin, le captal de Buch, et 40 lances, ils libèrent ces dames, brûlent Meaux et ramènent les belles à Paris.

Un fait qui renforce sa notoriété, d’autant plus que Froissart précise dans ses Chroniques que n’eussent été ces deux chevaliers, les dames eussent été violées, efforcées et perdues, comme grandes qu’elles fussent.

La signature de Febus du 16 avril 1360
La signature de Febus du 16 avril 1360

Febus est auréolé de gloire. Le surnom lui convient. Parmi les textes qui nous sont parvenus, la signature Febus apparait pour la première fois le 16 avril 1360, lors de la nomination d’un garde-forestier. Ça y est. Gaston est bien devenu Febus.

Quelle est la signification du surnom ? Pourquoi l’a-t-il choisi ? Aucun écrit d’époque ne nous le révèle.

Febus le brillant ?

Au XVIIIe siècle, l’historien Jean-Baptiste de La Curne de Sainte-Palaye fait un lien entre le surnom de Louis XIV, le roi soleil, qui se référait à Apollon et au soleil, et celui de Gaston comte de Foix. En effet Febus c’est, en grec ancien, le nom d’Apollon et il veut dire le brillant. D’ailleurs, le dictionnaire de la langue des troubadours de 1840 précise : Febus, s.m., lat. phoebus, Phébus. Apelavo’l Febus que vol dire bel. […]  L’appelaient Phebus qui veut dire beau.

Gaston Febus
Gaston Febus (extrait du livre de chasse, folio 51v)

Certains ont écrit que le surnom Febus était lié à sa chevelure de flamme qu’il laissait libre puisqu’il ne portait de chaperon, comme l’écrit Froissart, confirmé par les illustrations du Livre de chasse. En 1864, J-M Madaune se demande dans son livre, Gaston Phébus, comte de Foix et souverain de Béarn, si Gaston Phebus doit se traduire par Gaston le brillant ou si ce n’est qu’une trouvaille de troubadour.

Portés par le romantisme, G. Bellanger écrit en 1895 ans la revue de la société des études historiques (tome XIV) : le jeune Gaston III avait reçu dès l’enfance ce surnom de Phébus; il le devait selon les uns à sa beauté, suivant les autres à la beauté de sa chevelure.

Cette appellation de comte soleil pourrait donc bien être un effet de mode !

Febus le chasseur

Peyre de Rius, le troubadour de Febus a écrit un poème sur le comte Febus où il précise clairement les passions du seigneur : Armas, amors e cassa. Trois offices que se reconnait le comte. Mes du tiers office, de que je ne doubte que j’aye nul mestre, combien que ce soit vantance, de celuy vouldray je parler : c’est de chasse… [C’est du troisième office, dont je doute d’avoir eu nul maître, si vaniteux que cela semble, que je voudrais parler, c’est-à-dire de la chasse].

Le livre de chasse, folio 47v - du chien courant et de toute sa nature
Le livre de chasse, folio 47v – du chien courant et de toute sa nature

Gaston a une passion pour la chasse qu’il considère comme une philosophie de vie où l’homme est face à lui-même, ses capacités, ses limites, ses peurs… en-dehors de toutes les tricheries humaines.  Et le comte est reconnu par ses pairs comme un grand chasseur.  Il a 1400 à 1600 chiens de plusieurs races et plusieurs pays. On lui offre des chiens. Froissart vient avec, pour présent, quatre lévriers d’Angleterre que Gaston va nommer Tristan, Hector, Brun et Rolland. Ce qui démontre d’ailleurs sa culture.

La maîtresse avec qui Gaston entretiendra une longue liaison, est  Catherine de Rabat, en Ariège, dont il a quatre fils naturels : Garcia de Béarn, vicomte d’Ossau, Peranudet de Béarn, mort jeune, Bernard de Béarn, et Jean de Béarn appelé aussi Yvain de Foix. Gaston et Catherine partagent le goût de la chasse et des chiens.

Ainsi, il est fort probable que c’est sa grande partie de chasse en Scandinavie qui inspire à Gaston son surnom Febus. Et rêvons un peu. Gaston avait peut-être comme Febus/Apollon la beauté, le goût des arts (le dieu est le conducteur des neuf muses) et de la chasse.

Anne-Pierre Darrées

Références

Louis I, II, III… XIV… L’étonnante numérotation des rois de France, Michel-André Levy, 2014
Origine et signification du surnom de Gaston III de Foix dit Febus, P. Tucco-Chala
Gaston Phoebus en Prusse 1357-58, F. Pasquier
Chroniques des comtes de Foix composées au XVe siècle, Arnaud Esquerrier et Miégeville
Chroniques, Jean Froissart, pp. 377-378 Comment le comte de Foix, le captal de Buch et le duc d’Orléans déconfirent les Jacques, et puis mirent le feu en la ville de Meaux
Lexique roman ou dictionnaire de la langue des troubadours, tome 3 D-K, M. Raynouard, 1840
Autre bibliographie sur Febus

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5 réflexions sur “Gaston, que veut dire Febus ?

  1. Buffon, influencé par Febus, évoque la présence du renne dans les Pyrénées. Sans doute la seule erreur de son œuvre 😉

  2. Bonjour
    J’ aimerais connaitre vos sources concernant la maitresse de Gaston III surnommé Febus. Je m’ intéresse à ce personnage depuis des années et pour l’ instant, je n’ ai trouvé aucun écrit sur Catherine de Rabat ni sur le fait que les quatre enfants batards seraient d’ une même mère.
    Tous renseignements à ce sujet m’ intéressent fortement.
    Merci

    1. Il n’y a pas de source sûre à notre connaissance. Toutefois, de fortes présomptions. Voir entre autres Pierre Tucoo Chala, la tradition orale au village de Rabat, les goûts de Catherine de Rabat, l’absence des femmes (en dehors de sa mère) à la cour de Febus, la thèse de Claudine Pailhès.

  3. nous n’avons pas trouvé de source démontrant l’existence de Catherine de Rabat en tout cas plausible maitresse… nous avons juste trouvé une « rabat » au début 15eme siècle.
    la tradition orale n’est pas fiable et n’est pas à considérer comme source. j’ai pu le vérifier à différentes reprises dans mes recherche et notamment d ans celle que j’effectue en ce moment.

  4. Merci. Intéressant. Le Bulletin de la Société ariégeoise de 1897 propose un long article, avec mention d’une probable héritière de Rabat, femme de Roger de Foix (début XIVe). D’autres l’appellent Jeanne ?

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