Joseph Lacomme, c’est un Gersois illettré et ingénieux qui a l’intuition des maths ! C’est un homme capborrut et irascible, une force de la nature. Joseph Lacomme, est-ce un Gascon de renom ? C’est surtout un destin peu ordinaire !
Joseph Lacomme, une enfance miséreuse

Joseph Lacomme naît à Crastas (Crastes), petit village du côté d’Auch, le 3 mars 1792. Son père meurt alors qu’il n’a qu’un an. Cinq ans plus tard, sa mère se remarie mais reste dans une grande misère. Bien sûr pas question d’aller à l’école. Alors, à six ans, il garde les dindons et il mendie. C’est un enfant courageux. Une famille des laboureurs le prend trois ans après comme domestique. En effet, il est connu dans le village pour être valent e esberit (vaillant et éveillé). Il est même particulièrement adroit et inventif : il arrange et fabrique des outils pour faciliter le travail des champs.
Ainsi, il se fait remarquer et un tisserand le prend comme apprenti. Là encore, il propose des améliorations aux outils utilisés et devient habile dans son métier. Son adresse, sa créativité, son ingéniosité poussent le maitre à en faire un compagnon.
Une vie qui s’annonce souriante

Son service militaire se passe dans les armées de Napoléon, en Espagne. À son retour, il se marie et s’installe comme tisserand. Son affaire se développe, il perfectionne le métier à tisser, les navettes. Il engage des ouvriers qu’il forme lui-même.
Il aurait pu s’en tenir à ce destin souriant, mais Joseph Lacomme a soif de comprendre, plus encore, d’inventer.
Alors, le destin va lui jouer un drôle de tour. Il a 44 ans, nous sommes en 1836. Lacomme fait creuser un puits et s’interroge : « J’étais un jour occupé à creuser un puits, je me proposai cette question: Quelle quantité de matériaux me faudrait-il pour couvrir la surface du fonds de ce puits? »
Se renseignant auprès d’un professeur de mathématiques à Auch, à sa grande surprise, celui-ci lui répond : « La science des mathématiques est insuffisante aujourd’hui pour résoudre ce problème exactement. » Car c’est la fameuse quadrature du cercle, un des trois grands problèmes de l’Antiquité non résolu : comment construire un carré de même aire qu’un cercle ?
Impossible ? Alors Joseph Lacomme vend tout, ses biens, ses métiers, ses outils, il congédie ses ouvriers et va passer ses jours à tenter de résoudre le problème.
Joseph Lacomme : j’ai résolu la quadrature du cercle

Le premier problème de Lacomme c’est qu’il est illettré, aquiu qu’ei l’alh! (voilà l’os) Alors, il se rend à Auch. Il recopie les chiffres au-dessus des portes d’une rue; il apprend ainsi les chiffres bien sûr, et plus, il comprend le système décimal. Enfin, il découvre des moyens simples de faire les opérations, multiplication, division. Il devient rapidement un grand calculateur. Son arithmétique n’est pas celle de l’Académie. Elle est la sienne propre.
Il se lance alors dans des expériences pratiques. « Il trouva, au moyen de plusieurs expériences pratiques, en en faisant construire des solides creux, tels que des cubes, des cylindres et des sphères, en les remplissant d’eau et en les pesant, que le véritable rapport de la circonférence au diamètre est comme 25 est à 8, rapport exact en effet, et qui ne donne point de reste après la troisième décimale ».
Rendez-vous ce soir aux Carmes

Un an plus tard, il annonce avoir résolu la quadrature du cercle. Un érudit local lui conseille d’aller à l’Académie des Sciences de Toulouse. Mais les savants sont sceptiques et échaudés de recevoir quelques hurluberlus.
« Rendez-vous ce soir aux Carmes, je cuberai le bassin du jet d’eau ! » leur jette-t-il. Il prépare sa démonstration au bord du bassin, toute la nuit, mais se fait bientôt arrêter par des sergents de ville. L’affaire se termine par sept jours au pain et à l’eau dans une prison de la ville rose. Les Autorités décident alors de le renvoyer à Auch, chez les fous. Pieds nus, sous une pluie battante – on est en janvier – le malheureux est transféré à l’Isle Jourdain où on lui retire ses vêtements mouillés et où on le jette nu sur la paille. Un gendarme a pitié de lui et lui apporte une bouteille de vin. Ça réchauffe !
Le lendemain matin, il remet ses vêtements encore humides et gelés. Arrivé à Auch, le préfet l’interroge et, en particulier, lui pose diverses questions de mathématiques. Convaincu de ses compétences, il le remet en liberté. Joseph part à Bagnères de Bigorre se refaire une santé.
Objectif Paris
En 1839, il donne quelques cours d’arithmétique à Bordeaux et s’installe agriculteur à Guitres, à côté de Libourne. Son ingéniosité fait merveille et son affaire est florissante.
Pourtant, Lacomme garde une amertume, une insatisfaction de son passage à Toulouse. En 1854, il décide de rejoindre Paris. Il a 62 ans ! Par l’entremise d’un de ses élèves parisiens séduit par son enseignement de l’arithmétique, il peut enfin soumettre son raisonnement au Comité des Sciences de Paris. Le rapport, rédigé par l’architecte Dalmont, expose en détail son expérience, qui reprend la méthode d’Archimède. L’expérience est vérifiée, jugée exacte. Et Joseph Lacomme reçoit le 17 mars 1856, la médaille du mérite de 1ère classe du Comité des Sciences.
« Eh bien, j’ai résolu ce grand problème, le désespoir de tous les savants mathématiciens, des Archimède, des Legendre, des Métius et des Bezout; aucun d’eux n’a donné le rapport exact du diamètre à la circonférence, et je l’ai trouvé par des moyens qui m’ont valu les épithètes de fou, d’extravagant, de tête fêlée, et moi, j’ai répondu: Bien plus sot est celui qui ne me comprend pas. »
Et la vérité mathématique dans tout ça ?
Notre Gersois, Joseph Lacomme, est persuadé d’avoir résolu la quadrature du cercle. D’autres avant ou après lui, l’ont aussi pensé. A vrai dire, Joseph Lacomme a fait une expérience éblouissante mais, une expérience n’est pas une loi. Elle ne permet parfois qu’une solution approchée.
Le mathématicien allemand Carl Louis Ferdinand von Lindemann démontre en 1882 que la quadrature du cercle n’est pas possible. Mais n’allons pas trop vite. Car le Hongrois Miklós Laczkovich démontre en 1989 qu’il est possible de découper un disque en un nombre fini de surfaces et de les réassembler pour qu’elles forment exactement un carré… L’énigme reste donc entière.
Références
Nouveau système d’arithmétique et de géométrie, Joseph Lacomme, 1869
Les mystères du Gers, Patrick Caujole, 2013