La lèpre ou le mal de Saint Loup
À l’égal d’autres pays, la lèpre a touché la Gascogne et nos ancêtres ont aussi invoqué la protection de saints comme Saint Loup. Pourtant le rapport des Gascons à cette terrible maladie présente quelques singularités.
Saint Loup
Face aux adversités et aux maladies, la population recherche protection. Pour les maladies de peau, on peut invoquer plusieurs saints comme Saint Roch ou Saint Loup. Certes, Saint Loup n’est pas de Gascogne mais sa notoriété est grande. Ainsi, il est patron de l’église de Mauvezin d’Armagnac. À ses pieds, la fontaine Saint Leu guérit goitres, loupes…
De même, plusieurs fontaines guérisseuses en particulier dans les Landes lui sont dédiées. Par exemple, Félix Arnaudin (1844-1921) a décrit et photographié les cinq sources miraculeuses de Sabres dont l’une était dédiée à Saint Loup. Ou encore, la source Saint Loup à Bergouey compte parmi ses miracles la guérison d’un goitre d’un habitant de Rion des Landes en 1948.
La lèpre
La lèpre est une maladie connue depuis des temps anciens (les premières descriptions datent de 600 avant Jésus Christ). Elle est aussi citée dans la Bible. Elle déclenche des peurs terribles, probablement pour sa sévérité et pour les déformations qu’elle génère. On craint la contagion et l’on s’écarte des porteurs du mal. Plus tard, l’Eglise mettra en place une politique d’isolement des malades pour sauvegarder la santé des gens sains.
Aujourd’hui, on sait que c’est une maladie due à une bactérie qui incube longtemps (5 ans) et peut se transmettre par contacts étroits et fréquents avec les personnes infectées. Dans les années 1980, on comptait encore 5,4 millions de cas de lèpres dans le monde selon l’Institut Pasteur. Elle recule lentement.
Elle touche la peau, les nerfs périphériques, la muqueuse des voies respiratoires, les yeux.
Le mal de Saint Loup
En Gascogne, au moyen-âge, ce mal, on l’appelle lo malandrèr [le mal aller, mal indéfini et persistant] du mot latin malandria, malandrie / lèpre, ou parfois lo mau de sent Lop [le mal de saint Loup], probablement en référence au saint protecteur.
Françoise Bériac, professeure à l’université de Bordeaux, relève dans sa publication sur Le vocabulaire de la lèpre dans l’ouest de la langue d’oc : Peire, malaude de la malaudia de… [Pierre, lépreux de la léproserie de…]. Elle cite encore des donations (Amanieu d’Albret en 1244, Jourdain du Puy en 1259) à des Hospitaliers gérant des léproseries : a Dieu et als senhors malaudes del espitau de Nondieu.
D’autres noms sont utilisés. À L’Isle Jourdain, on parle d’infirmi de Sancti Lazari. On utilise aussi gaffet, gafo, gahet [dérivés de griffe] peut-être pour faire référence aux déformations des mains.
Les cagots
Dans notre région, les personnes touchées de lèpre, puis les populations « impures », nommées cagots, sont gardées à l’écart pendant des siècles. Une ségrégation assez terrible. Par exemple, les Fors de Navarre et du Béarn leur interdisent de marcher pieds nus, de danser avec les autres, de cultiver la terre ou d’avoir des bêtes. Ils ne peuvent boire aux fontaines publiques et doivent se marier entre eux.
En Chalosse, la fontaine des cagots leur permet d’avoir de l’eau sans polluer celle des autres habitants. En fait, ces personnes, ces intouchables, inspirent toutes les peurs : elles dégagent une odeur désagréable, elles sont nuisibles, elles empoisonnent l’eau, etc.
Enfin, au XIVe siècle, la lèpre commence à décliner lentement.
Le mal de Saint-Loup revient sous le nom de pellagre
En 1730, en Asturies, le docteur Gaspar Casal détecte une maladie qu’il appelle « mal de la rosa », rebaptisée à Paris « lèpre des Asturies ». Peu de temps après, Puizati diagnostique « le mal lombard ». Et c’est en 1769 que Francisco Frappolli, du grand hôpital de Milan, qui rassemble toutes ces maladies sous le nom de pellagra [pellagre].
Jean Hameau (1779-1851), médecin de La Teste-de-Buc, observe une une nouvelle endémie qui touche les « miséreux » ; il l’appelle « le mal de La Teste » et reconnait la pellagre. Elle devient une spécificité landaise. D’ailleurs Marchant écrit en 1847 : Les habitants des Landes sont prédisposés à la pellagre par leur constitution.
La maladie alimente les croyances : par exemple, elle pousserait au suicide et au meurtre. Les journaux s’en font écho. Par exemple, le 20 mai 1888, Le Républicain landais rapporte qu’une femme meurt sous les coups de son mari atteint de pellagre.
Les querelles entre médecins font rage. Elles débordent dans la sphère publique et politique. Les médecins utilisent leur compétence scientifique pour intervenir dans le domaine de la gestion publique, nous dit Bernard Traimond, chercheur à l’université de Bordeaux. La Société d’Agriculture s’en mêle. L’insalubrité des sols, la consommation de maïs, la propriété collective des sols, la pauvreté sont accusées et on lance – ou on justifie – un aménagement des Landes. Ainsi, les fonctionnaires de Napoléon III se félicitent que la pellagre, cette maladie ethnique, ait disparu grâce à leurs actions et à celles de l’ingénieur Jules Chambrelent (1817-1896) qui, en assainissant les Landes, améliore les conditions de vie des habitants.
Bernard Traimond, dans son ouvrage L’irruption d’une maladie: La pellagre dans les Landes de Gascogne au XIXe siècle, montre aussi comment on a utilisé cette maladie pour donner une image des Landes misérables.
Le banc de loup
Autrefois, les cagots, les pellagreux, les atteints du mau de sent Lop n’ont pas le droit d’exercer certains métiers. En revanche ils peuvent toucher la pierre ou le bois. Et on en trouvera un grand nombre parmi les maçons, les charpentiers, les cordiers, les tisserands ou les vanniers. Ils réalisent la charpente du château de Montaner pour Gaston dit Febus ou celle de la cathédrale Sainte Marie d’Auch.
Alors, le banc de travail sur lequel ils s’assoient pour travailler sera parfois appelé banc de lop [banc de loup]. Aujourd’hui on parle de banc de vannier ou de banc à planer.
C’est un petit banc à trois pieds, un devant deux derrière, ayant une bascule (sorte de pédale en bois) que l’on pousse avec le pied, On peut ainsi coincer la pièce à travailler ou permettre à la tête de loup de saisir le feuillard et, ainsi, travailler librement.
Aujourd’hui, on a un peu oublié la lèpre qui continue pourtant de sévir dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine. La journée mondiale des lépreux a lieu le dernier weekend de janvier. Elle permet de penser au tistalh de malauts [litt. panier de malades / quantité de malades] et aux 200 000 lépreux qui meurent chaque année.
Anne-Pierre Darrées
écrit en nouvelle orthographe
Références
L’irruption d’une maladie: La pellagre dans les Landes de Gascogne au XIXe siècle, Bernard Traimond, 1992, pp. 43-55
La pellagre des Landes dans le passé et dans le présent, thèse de Francis Louis Marie Le Fers, 1807
Les cagots et leurs congénères, Revue des deux mondes, 1878
Le vocabulaire de la lèpre dans l’ouest des pays de langue d’oc, Françoise Bériac, 1984