Si la pomme de terre est devenue un légume de consommation courante, sa culture ne s‘est développée que tardivement en Gascogne. Bien souvent, elle servait de nourriture aux animaux.
Le long voyage de la pomme de terre

La pomme de terre vient du Pérou où elle est cultivée par les Incas. Avec le maïs, elle constitue là-bas la base de l’alimentation.
Les conquistadors ramènent la pomme de terre en Espagne et l’appellent turma [truffe] ou plus tard papa et enfin patata. Petit à petit, elle voyage d’un pays à l’autre. Puis, la trufa (nom dans certaines contrées gasconnes) ou « truffe de terre » arrive en France, par le pays basque, vers 1620 et sert à la nourriture des animaux. Par ailleurs, un moine franciscain la ramène d’Espagne et introduit sa culture dans le Vivarais.

Dans son Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, l’agronome Olivier de Serres (1539-1619) la nomme « Cartoufle ».
Au début, la pomme de terre suscite la méfiance. D’ailleurs, en 1630, le Parlement de Dole l’interdit car elle serait vectrice de la lèpre. Et, en 1748, le Parlement de Paris interdit sa culture car on la soupçonne d’apporter la peste.

Heureusement, Antoine Parmentier (1737-1813) rend la pomme de terre populaire auprès d’une population régulièrement touchée par la famine. Pharmacien militaire, il participe à la guerre de Sept ans. Puis, prisonnier des Prussiens, il découvre les vertus de la pomme qui sert à la nourriture des prisonniers : « Nos soldats ont considérablement mangé de pommes de terre dans la dernière guerre ; ils en ont même fait excès, sans avoir été incommodés ; elles ont été ma seule ressource pendant plus de quinze jours et je n’en fus ni fatigué, ni indisposé ».
La ruse de Parmentier
La France est touchée par la famine en 1769 et 1770. L’Académie des sciences de Besançon lance un concours : « Indiquez les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation ». Et Parmentier reçoit le premier prix pour son mémoire consacré à la pomme de terre !

Enfin, en 1772, la faculté de médecine de Paris déclare la pomme de terre sans danger et lève l’interdiction de sa culture de 1748.
Selon la légende, le roi Louis XVI aurait mis des terres à la disposition de l’Académie d’Agriculture de Paris pour cultiver la pomme de terre. Les cultures sont gardées le jour, mais pas la nuit. Ainsi, cela suscite la curiosité de la population et les tubercules sont volés pendant la nuit, ce qui contribue à la diffusion de la culture de la pomme de terre.
En tous cas, le roi porte des fleurs de pommes de terre à la boutonnière et félicite Parmentier. « La France vous remerciera un jour d’avoir inventé le pain des pauvres » lui dit-il.
Toutefois, la pomme de terre ne reste qu’une culture d’appoint dans les jardins. Mais les famines de 1816 et 1817 vont généraliser sa culture.

Un lent développement de la pomme de terre en Gascogne

Turgot (1727-1781) est Intendant du Limousin et y implante la culture de la pomme de terre qui contribue à atténuer la disette de 1770. Alexis-François-Joseph de Gourgues, Intendant de Montauban en fait autant dans sa généralité. De même, elle est signalée en pays de Foix en 1773 et à Pamiers en 1778.
Pourtant, la pomme de terre arrive tardivement en Gascogne. Elle apparait en Comminges en 1780 où elle devient vite la principale ressource alimentaire des habitants. En Couserans, elle couvre 33 % des surfaces agricoles sous le 1er Empire, ce qui fait dire au préfet de l’Ariège qu’elle est devenue « l’unique aliment des gens de la montagne ».
Mais on dédaigne la pomme de terre dans les zones de culture du maïs. Dans certains districts de montagne, comme celui de Bagnères de Bigorre, elle est encore inconnue en 1793. En Béarn, elle sert surtout à l’alimentation des animaux jusqu’en 1817.
D’ailleurs, au début du XIXe, elle couvre 2 685 ha dans les Basses Pyrénées, 5 569 ha dans les Hautes-Pyrénées, 20 000 ha en Ariège.
En gascon, la pomme de terre a plusieurs noms : Trufa, Turra, Mandòrra, Tomata, Patana, Patata, Pataca ou encore Poma de tèrra.

La crise de la pomme de terre en 1845 en Couserans
Hélas, en 1845, une maladie ravage les cultures de pommes de terre en Couserans. La semence pourrit dans le sol et au moment de la récolte, les pommes de terre entassées se gâtent. Les 4/5e de la récolte sont perdus. L’année suivante, la récolte se trouve encore amputée des 3/5e. Or, elle est devenue le principal aliment des populations en zone de montagne.
Dans le canton de Saint-Lizier, « la récolte est nulle ». On estime le déficit à 1 300 000 hl sur le département.
Des risques de révolte
Le déficit de récolte provoque une vague de misère sans précédent. Dès le mois de janvier, il n’y a plus de réserves. Le prix de l’hectolitre de pomme de terre qui est de 2 F passe à 8 F. Le préfet écrit : « Je ne sais pas comment nous arriverons au mois de juin, époque à laquelle on commence à faire quelques récoltes ».
Il écrit encore, le 22 décembre 1845 : « je ne veux pas tromper le Gouvernement par des exagérations, ce que j’ai déjà vérifié m’effraie. Je ne crains point d’assurer que plus de 25 000 personnes touchent au moment de n’avoir plus d‘aliments. […]; mais qu’importe à cette population le prix du blé ? Elle ne mange jamais de pain ; la pomme de terre, le maïs, le sarrasin sont son unique nourriture ; elle est sans ressources, sans argent pour acheter ».
Les autorités redoutent une insurrection comme celle des Demoiselles de 1830. À Camade, près du Mas d’Azil, une troupe armée attaque le château de Salins et emporte l’argent et le pain qu’ils y trouvent. À Labastide de Sérou, on affiche un placard sur la vitrine de la pharmacie : « Chargé par un comité qui est déjà organisé dans d’autres départements de vous prévenir que le gouvernement cherche à vous faire mourir de fin, pour obvier à tout cela, il faut vous entendre et marcher, d’accord, car l’union fait la force …. ». Finalement, la situation reste calme.
Les conséquences de la crise de 1845
La famine a des conséquences terribles. Dans le Couserans, on signale une augmentation des enfants trouvés, une recrudescence des vols et des épidémies de petite vérole, une hausse de la mortalité. Partout, des mendiants frappent aux portes.
Pourtant, le gouvernement n’accorde aucune aide et compte sur de futures bonnes récoltes.

Le manque de pommes de terre, allié aux mauvaises récoltes de céréales de 1847, provoque une émigration massive. Le préfet écrit que « dans l’arrondissement de Saint-Girons, la disette est si absolue que le tiers de la population s’est temporairement résignée à un exil volontaire, à une émigration de plusieurs mois, pour aller chercher dans des contrées plus heureuses du travail et du pain ». La population de l’Ariège baisse à partir de 1847.
À Massat, 404 habitants sont partis sur les 630 que compte le quartier de Liers, 216 sur 425 du quartier de Biert, 286 sur 376 du quartier de Port, 259 sur 400 du quartier de Saraillhé, etc.
Le chômage est à son comble. L’intensification des constructions de chemin de fer occupe plusieurs milliers de chômeurs dans les autres régions de la Gascogne. Elles sont également touchées par les mauvaises récoltes de céréales. En Ariège, il existe peu de projets de lignes de chemin de fer. Toutefois, le préfet lance un important programme routier qui va atténuer les conséquences de cette crise.
Serge Clos-Versaille
écrit en orthographe nouvelle
Références
Les Pyrénées au XIX° siècle, de Jean-François Soulet – Editions Sud-Ouest, 2004.
La pomme de terre a traversé l’Atlantique au 16e siècle.
Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Olivier de Serres, 1600.
Wikipédia