La Vath d’Aran
La vath d’Aran (val d’Aran) est une vallée des Pyrénées, ouverte sur la vallée de la Garonne. D’ailleurs le fleuve y prend sa source. On y parle le gascon qui y est langue officielle. Pourtant, la vath d’Aran est espagnole. Essayons de comprendre cette curiosité.
Lugdunum comprend la Vath d’Aran
La vath d’Aran est peuplée depuis longtemps lorsque Crassus conquiert la Gascogne en 56 avant J.-C. Les habitants de la vath d’Aran sont les Airenosi et leur capitale est Vetula [Vielha]. Les Romains fondent des bains à Les [Lés] et à Arties où ils exploitent du marbre. Et ils créent une voie partant de Lugdunum Convenarum [Saint-Bertrand-de-Comminges], passant dans la Passus lupi [Le Pas du Loup, vallée de Saint-Béat] et se dirigeant vers Urgell et Esterri d’Anèu. Cet itinéraire s’appelle aujourd’hui le camin reiau [chemin royal].
De plus, la vath d’Aran est intégrée au pagus [territoire] de Lugdunum qui deviendra le comté de Comminges.
Un destin qui balance entre Comminges, Aragon et Catalogne
En 1036, Ramire Ier d’Aragon épouse Gilberte de Foix, héritière de la maison de Comminges. Puis, le 26 juin 1070, les droits de la famille sont vendus à Raymond-Béranger Ier, roi d’Aragon et de Barcelone. La vath d’Aran se met sous sa protection contre le paiement du Galin reiau, tribut d’une mesure de blé par foyer.
De 1175 à 1192, par mariage, la vath d’Aran devient bigourdane, puis, de 1201 à 1213, commingeoise. Après la bataille de Muret (1213), elle ne sera plus séparée du royaume d’Aragon-Barcelone.
Mais, Pierre III d’Aragon s’empare du royaume de Sicile. Alors, le Pape l’excommunie en 1282. Aussitôt, Eustache de Beaumarchés, Sénéchal de Toulouse, envahit la vath d’Aran et construit le château de Castèth-Léon. Il ne sera rendu qu’en 1313 car la menace anglaise en Aquitaine se fait toujours plus pressante.
En conséquence, le roi d’Aragon accorde des privilèges à la vath d’Aran le 30 septembre 1313. C’est la Querimonia.
Pourtant, la vallée ne connaitra pas la paix bien longtemps. Ainsi, le duc Louis d’Anjou et le comte de Comminges attaquent la vath d’Aran en 1390. Le comte de Foix en fait de même en 1396. Puis, les rois de France essaient de nouveau en 1410 et 1473. À chaque fois, les Français sont repoussés. Ce n’est qu’en 1515 que la France accepte définitivement le retour de la vath d’Aran au royaume d’Aragon.
La Quérimonia
Donc, Jacques II d’Aragon accorde à la vath d’Aran en 1313 un ensemble de privilèges appelé la Querimonia. En fait, c’est la confirmation des anciens usages et privilèges.
La vath d’Aran est organisé en six terçons, chacun regroupant un même nombre de communautés. Chaque terçon élit un conseiller et un prudhomme qui siègent au Conselh generau d’Aran que dirige le Sindic generau.
Le Conselh generau d’Aran nomme des officiers publics : le Procureur des pauvres en charge de porter assistance aux pauvres emprisonnés, un Maitre de grammaire en charge d’éduquer les enfants de la vallée, un Médecin, un Apothicaire et un Notaire.
Le roi est seul seigneur en Aran, à l’exception de la seigneurie de Les, érigée en baronnie en 1478, en récompense de la résistance du seigneur de Les contre la tentative d’invasion des Français en 1473. Et le roi nomme un gouverneur, un juge pour les causes civiles et criminelles, un notaire royal et trois bailes chargés de poursuivre les délinquants.
Une économie difficile
Cependant, la vath d’Aran est pauvre. Elle vit de l’élevage et surtout du commerce. Alors, les Aranais sont nombreux aux foires de Saint-Béat, de Luchon, de Castillon et de Seix. Dès 1387, le roi d’Aragon exempte les Aranais de tous droits et péages sur les marchandises. Et la France leur accorde des droits réduits. De plus, en 1552, les Aranais obtiennent la permission de commercer en temps de guerre et de signer des lies et paxeries [lies et passeries] avec leurs voisins.
En raison de leur pauvreté, les Aranais obtiennent du pape Clément VII que l’évêque de Comminges dont dépend la vath d’Aran, ne visite la vallée qu’une fois tous les sept ans. De même, les curés ne peuvent être qu’Aranais. Et les communautés ont le droit de patronage, c’est-à-dire qu’elles proposent à l’évêque une liste de deux ou trois personnes parmi lesquelles il choisit le curé. La dime perçue reste en Aran.
La Querimonia organise les institutions et reste en vigueur jusqu’en 1830, date du rattachement de la vath d’Aran a la province de Lérida. Plus tard, une loi de 1990 recrée le Conselh generau d’Aran. Il est composé de douze conseillers élus. Puis, en 1995, ses compétences sont étendues.
Vue de Vilamos
La Vath d’Aran dans les guerres Franco-Espagnoles
L’Espagne soutient les catholiques pendant les guerres de Religion. La vath d’Aran est attaquée en 1579 et en 1598. Mais les Français sont repoussés.
Plus tard, la Catalogne se révolte contre Philippe IV d’Espagne. C’est la guerre des Segadors (1640-1659). Louis XIII soutient les Catalans et envahit la vath d’Aran. Vielha est incendiée. Près de 15 % des Aranais partent en Catalogne. Et l’affaire se termine en 1659 par le Traité des Pyrénées.
Peu après, survient la guerre de succession d’Espagne (1701-1713). En 1711, des troupes venues d’Aran par le col du Portillon incendient six villages de la vallée de Luchon et emmènent 1 200 têtes de bétail. Alors, les Français prennent le château de Casteth-Léon et soumettent les habitants aux frais d’entretien du château et de la garnison. Mais les Aranais refusent et se voient confisquer 22 mules, 100 vaches, 11 veaux et 350 brebis. De plus, le village de Garos doit loger 500 fusiliers pendant 9 jours. Quand ils repartent, le village est en ruines. Enfin, en 1712, la vallée de Lustou en Couserans est attaquée et le château brulé.
Heureusement, le traité d’Utrecht de 1713 met un terme au conflit. Toutefois, le roi d’Espagne met fin à l’indépendance de la Catalogne et de l’Aragon mais confirme les usages de la vath d’Aran. La paix ne dure pas et la vath d’Aran connait encore des invasions jusqu’en 1720.
Pendant la Révolution française, le général de Sahuquet envahit la vath d’Aran et la rattache à la France en 1793. Deux ans après, la France la rend à l’Espagne en échange d’avantages sur l’ile de Saint-Domingue.
Puis, pendant la guerre d’Espagne, les Français occupent la vath d’Aran de 1808 à 1815. Même, le décret du 26 janvier 1812 la rattache au département de la Haute-Garonne.
La Vath d’Aran aujourd’hui
Ensuite, vient l’époque de la révolution industrielle. Alors, un tramway achemine en France le minerai extrait des mines de Liat. De même, on ouvre une mine de zinc près de Bossòst, qui fermera en 1953.
Enfin, on creuse en 1948 le tunnel de Vielha qui sera ouvert à la circulation en 1965. À noter, on inaugure le nouveau tunnel en 2007.
Le gascon, langue officielle de la vath d’Aran
Après la suppression de la Querimonia en 1830, des écrivains aranais proches du Félibrige commingeois comme R. Nart, J. Sandaran et surtout Jusep Condó Sambeat, se font les chantres des valeurs traditionnelles de la vath d’Aran.
En 1977, Es terçons est une association d’Aranais qui veut préserver l’identité de la vallée face au développement touristique. Elle joue un rôle revendicatif en matière linguistique. Puis, elle se transforme en parti politique Unitat d’Aran – Partit Nacionaliste Aranés, qui remporte les élections municipales de 1979.
Le parti recrée le Conselh generau d’Aran qui n’est pas reconnu par la généralité de Catalogne. Cependant, le statut d’autonomie de la Catalogne stipule que « Dans le cadre de la Constitution espagnole et du présent Statut, les particularités historiques de l’organisation administrative interne du Val d’Aran seront reconnues et actualisées« . Enfin, en 1990, la vath d’Aran retrouve son Conselh generau et reconnait le gascon comme langue officielle dans la vallée.
Depuis, le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne de 2005 reconnait un statut spécifique à la vath d’Aran et précise que « la langue occitane, qui porte le nom d’aranais en Aran, est la langue propre de ce territoire et c’est une langue officielle en Catalogne… ».
Enfin, en 2015, une loi statue sur le régime spécifique d’Aran reconnu comme une « réalité nationale occitane, dotée d’une identité culturelle, historique, géographique et linguistique » et prévoit un droit à l’autodétermination des Aranais.
Terminons en chanson
Terminons par la chanson de Nadau « Adius a la vath d’Aran » :
Enten, enten, l’accordeon,
Dus pas de dança, ua cançon,
Eth haro que s’a alugat,
Sant Joan, Sant Joan, se n’ei tornat.
Val d’Aran, cap de Gasconha,
Luenh de tu, que’m cau partir,
Val d’Aran, cap de Garona,
Luenh de tu, que’m vau morir.
Entend, entend l’accordéon,
Deux pas de danse, une chanson,
Le feu est allumé,
Saint Jean, Saint Jean est revenu.
Val d’Aran, bout de Gascogne,
Loin de toi, je dois partir,
Val d’Aran, bout de Garonne,
Loin de toi, je vais mourir.
Serge Clos-Versaille
écrit en orthographe nouvelle
Références
Wikipédia
« Les Pyrénées centrales du IXe au XIXe siècles, la formation progressive d’une frontière », Christian BOURRET, Editions PyréGraph, 1995.
« Une vallée frontière dans le Grand siècle. Le val d’Aran entre deux monarchies », Patrice POUJADE, Editions PyréGraph, 1988.