Le béarnais à la fin du Moyen-Âge

Fébus et sa cour dans le vicomté du Barn
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Au cours du temps, le roi de France a imposé son dialecte aux autres contrées de langue d’oïl, favorisant ainsi le français par rapport au picard, champenois, berrichon et autres. La Gascogne n’ayant pas connu d’unité politique semblable,  on n’assiste pas à la prédominance d’un dialecte. Quoique… le béarnais entamera cette unification à la fin du Moyen-Âge.  Le grand chercheur Thomas T. Field, University of Maryland (Baltimore), analyse cette période.

Béarn, le culot de Gaston Febus 

Jean Froissard chroniqueur de la vie à la cour du Béarn
Portrait à la sanguine de Jean Froissart dans le Recueil d’Arras (Bibliothèque municipale d’Arras).

La vicomté de Béarn apparaît au IXe siècle par découpage du duché de Gascogne. Après divers rattachements, le Béarn cherche son indépendance. Le chroniqueur Jean Froissart rapporte un dialogue entre Gaston Febus (1331-1391), comte de Foix et vicomte de Béarn et l’envoyé du roi de France, le connétable Louis de Sancerre (1341?-1402). Ce dernier voulant savoir si Febus est pour les Anglais ou pour les Français, le comte ose répondre : Si j’ai refusé de prendre les armes c’est par juste appréciation et juste cause car la guerre du roi de France et du roi d’Angleterre ne me regarde en rien. Je tiens mon pays de Béarn de Dieu et de l’Aigle* et je n’ai que faire de me mettre en servitude ni de provoquer la rancune d’un roi ou de l’autre.

* de Dieu de mon épée et de mon lignage (dans la deuxième version de Froissart)

Coup de bluff, exploitation discutable de la situation, bref, Febus fait un coup de maître. Toque y si gauses (Touches-y si tu oses) aurait-il pu ajouter, puisque telle est sa devise.

Le Béarn et l’écrit

Dès mi-XIIIe siècle, Field nous rappelle que la fonction de notaire se développe à grands pas. Le contrat écrit tend à remplacer l’entente orale. On écrit les traités de paix, les contrats de mariage, les reconnaissances de dette… Les paysans béarnais, lors d’une enquête auprès des serfs commandée par Febus, produisirent des cartas (chartes) qui prouvaient leur affranchissement. Les Ossalois produisirent aussi un grand nombre de documents lors de leurs procès récurrents avec les habitants de la plaine au sujet des terrains de passage des troupeaux, etc.

Puis, les Béarnais commencent à constituer des archives, des inventaires, des comptes, des recueils, à réaliser des enquêtes administratives comme des recensements, à rédiger des droits,  des testaments…

Le béarnais, langue administrative

Jusqu’au XIIIe siècle, l’écrit est en latin. Or, les vicomtes de Béarn ordonnèrent le remplacement du latin par le béarnais dans certains actes de chancellerie. Très vite, pour tout (sauf les écrits internes de l’Église) c’est la langue locale qui prend le dessus. Cependant, en Béarn, comme partout ailleurs, il n’y a pas un béarnais mais des béarnais et il n’y a pas que du béarnais en Béarn !

Jean le bon arrête Charles le Mauvais
Jean le Bon arrête Charles le Mauvais

Par exemple, Charles le Mauvais, roi de Navarre, beau-frère de Gaston Febus, signe à Pampelune un traité d’alliance (contre le roi de France) en 1365 avec Arnaud Amanieu, sire d’Albret. Ce texte comprend des passages en navarrais, en gascon et en français. Karlos por la gracia de Dios, rey de Navarra… / Item que lo dit sennyor ei de Navarre no fera patz ni triube… / Item un autre cercle ou il a quinze croches…

L’historien Jean-Auguste Brutails (1859-1929) publie en 1890 une série de textes de la même époque écrits tantôt en navarrais, tantôt en français ou en gascon. Était-ce lié au notaire, aux signataires ou à des questions de diplomatie ou de prestige ? Toujours est-il que l’on se promène dans les langues et leurs variantes.

Le béarnais de la plaine s’impose

La Tour Moncade à Orthez

Comme partout, le parler du dominant prend le dessus. La cour est à Orthez, la population le long du gave entre Morlaàs et Orthez est nombreuse, bref, le béarnais de la plaine devient la norme pour l’écrit. Cette variante monte en prestige à tel point que les régions de Bigorre et du Pays basque les plus proches du Béarn se mettent à l’utiliser dans leurs écrits. Les colonies parlant gascon le pratiquent en Navarre et en Aragon.

Bien sûr, qui dit extension du béarnais de la plaine, du béarnais écrit standardisé, veut dire affaiblissement des variantes différentes qui resteront uniquement orales. Ainsi on ne voit pratiquement jamais le célèbre article montagnard eth/era dans les textes, et ce même dans des textes plus tardifs jusqu’au XIXe siècle.

Thomas Field suggère d’ailleurs que cette domination du béarnais de la plaine explique les différences des parlers actuels de la vallée d’Ossau par rapport à toutes les autres variétés montagnardes du gascon.

La scripta béarnaise

Les Psaumes de David d'Arnaud de la Salette écrits en béarnais
Los Psalmes de David metuts en rima bernesa (Arnaud de Salette)

Cette langue écrite « normalisée », cette scripta béarnaise se rapproche de la scripta toulousaine des troubadours. Le linguiste Jean Lafitte en montre toutefois les éléments différenciant (p.103 et suivantes). On peut citer le doublement des voyelles en situation finale qui compense la disparition de la finale -n ou -r comme plee (plen / plein) ou senhoo (senhor / seigneur), l’utilisation du -x ou -ix pour exprimer le / ʃ / : medix –prononcer « medich » (en utilisant l’écriture française) – (même)

Bien sûr, cette écriture évoluera dans les siècles suivants, en particulier avec l’influence d’Arnaud de Salette (1540-1579 ou 1594), le moderniste. Il ajoutera des accents comme dans boô (bon), écrira v et non b comme dans votz (voix), il introduira la finale féminine -a à la place du -e, etc. (thèse de Jean Lafitte, p.113 et suivantes).

L’influence du Béarn

Si le béarnais du roi s’étend ainsi, c’est, bien entendu, par l’influence et la puissance de la vicomté et de son seigneur. Car, du comté de Foix à l’océan, le Béarn domine économiquement. De plus, son influence économique s’étend au sud des Pyrénées car les marchands de la vallée d’Aspe étaient très présents en Aragon et les Francos (émigrés du nord des Pyrénées) des villes navarraises étaient souvent d’origine béarnaise ou bigourdane.

Ainsi, le béarnais est la langue dominante pour l’écrit sur la Gascogne et le royaume d’Aragon. En revanche, au-delà, on utilise la langue « internationale », le français. On écrit aux seigneurs de la cour de France ou de la cour d’Angleterre en français.

Même Jean XXII (1244-1334), pape originaire de Cahors, n’avait pas réussi, malgré ses remontrances, à empêcher la montée du français à la cour du roi de France pour les écrits savants. Ainsi, le français va supplanter le latin parmi les gens cultivés, en littérature, puis dans les autres domaines du savoir. Les Béarnais continueront encore à utiliser le béarnais comme langue orale et écrite pour l’administration mais prendront le français pour le domaine culturel. Petit à petit, la langue internationale française gagnera du terrain même en Béarn.

Anne-Pierre Darrées

Références

Comportements linguistiques dans les Pyrénées à la fin du Moyen-Âge : effets de l’écrit, Thomas T. Field, 1989
Gaston Fébus : un grand prince d’Occident au XIVe siècle, Pierre Tucoo-Chala,
Traité d’alliance de 1365, Gabriel Loirette, Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau, 1910, p.237
Situation sociolinguistique et écriture du gascon aujourd’hui, Jean Lafitte, Rennes, Université Rennes 2, , p. 103.

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