Nos aïeux racontaient les mystères de Noël à leur façon, a còps escarrabilhada, gailharda e crostillosa [parfois pleine d’humour, joyeuse et libre]. Louis Lafont de Sentenac a collecté pour nous quelques noëls du XVIIIe siècle.
Les noëls en Ariège
Louis Lafont de Sentenac est trésorier de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts. Il a recueilli des textes, des noëls du XVIIIe siècle en Ariège. Et il les présente dans son ouvrage, Recueil de noëls de l’Ariège en patois languedocien et gascon, publié en 1887.
De plus, cet ouvrage a obtenu une médaille de vermeil au Congrès des Félibres d’Aquitaine, tenu à Foish (Foix) le 18 mai 1886.

Notons que le département de l’Arièja [Ariège] est la réunion de parçans différents : le comté de Foish [Foix], la seigneurie de Mirapeish [Mirepoix], le Coserans [Couserans] autour de Sent Guironç [Saint-Girons] et Sent Líser [Saint-Lizier]. Ainsi, l’auteur nous précise que trois idiomes y sont présents : celui de Foix (Foix et Pamiers), le languedocien de Mirepoix, le gascon du Couserans.
Une tradition plus large des chants de Noël

Selon la tradition catholique, les anges chantent les premiers noëls au-dessus de la crèche pour célébrer la naissance du Christ. Mais on ne sait pas de quand datent ces chants. Toutefois, le plus ancien noël français conservé, Entre le bœuf et l’âne gris, est du XVIe siècle. De même, plus près de chez nous, le Toulousain Pèire Godolin (1580-1649) en a écrit plusieurs dont Nouel.
Ces chants sur la Nativité ont bien sûr un sens religieux. Pourtant, ils sont destinés avant tout à une utilisation populaire, car Noël est une fête populaire. Ainsi, ils sont en langue vulgaire et de musique simple pour rester accessible à tous.
D’ailleurs, Louis Lafont de Sentenac écrit dans sa préface : la langue romane vulgaire, qui a joué aussi un rôle brillant, a donné naissance à un grand nombre de poésies, et principalement à des cantiques connus sous le nom de Noëls, « récits naïfs et touchants créés par le peuple et conservés par lui dans le sanctuaire du cœur ; plusieurs ont traversé les siècles et sont arrivés jusqu’à nous. »
Recueil de noëls de l’Ariège
L’ouvrage présente 69 noëls en languedocien (de Foix, Pamiers, Mirepoix…) et seulement 9 nadaus [noëls] en gascon coseranés, en gascon du Couserans.
- Revelhatz-vous cheria
- Ah! Quin mainatge!
- Celebren la neishença,
- L’angel Gabriel
- Ara que Diu es descenut
- Nadau! Per amor de Maria
- Helas qu’una novèla
- Hilhetas sortish de la tuta
- Senheton qu’es nescut.
En fait, les phrases, les mots sont ceux du parler quotidien. Car, même si l’on parle d’événements religieux, ce sont des chants profanes. Par exemple, voici le début du quatrième chant :
L’angel Gabriel
Ba anouça à Mario,
Bierj’ aymablo :
Bous bengui anounça
Lou Hill de Diu bous cau pourta.
L’angel Gabriel
Va anonçar a Maria,
Vièrja aimabla:
Vos vengui anonçar
Lo Hilh de Diu vos cau portar.
L’ange Gabriel / va annoncer à Marie, / Vierge aimable : / je viens vous annoncer / Le Fils de Dieu il vous faudra porter.
Côté graphie, Sentenac précise qu’il a retenu celle de la grammaire béarnaise de Lespy. En effet, en 1887, aucune norme n’existait encore : Pour l’orthographe, nous avons adopté celle de nos philologues méridionaux. L’abbé Couture, Luchaire et Bladé n’écrivent pas Diou, Faouré, Fill, Païré, mais bien Diu, Faure, Filh, Payre, selon l’antique usage.
« Nadal Tindaire » par Gilbert Rouquette
Le chant IX, un dialogue entre bergers
Le chant de Noël IX, Senheton qu’es nescut présenté ici, est un exemple de la simplicité voire de la fraicheur et la candeur de ces textes.
Segnetou qu’es nescut ! / Senheton qu’es nescut!
Grafia de Sentenac
Segnetou qu’es nescut !
Ount ? ount ? ount !
A Bethleem.
Chœur des bergers
Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable !
Ja y bau, ja y bau
Ana adoura Jesus coum’ cau.
Un seul
Bos y ana tu, Jouan-Guillem,
Adoura Jesus en Bethleem,
Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Ja y bau, ja y bau
Adoura Jesus coum’ cau.
Autre
Bos y ana tu, Bourthoumiu,
Ana adoura le Hil de Diu,
Aquech Diu tant adourable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Ja y bau, ja y bau
Adoura Jesus coum’ cau.
Tous
Bourthoumiu et Juan-Guillem,
Anem toutis à Bethleem,
Aquech Diu qu’es tant aymable
Que n’ey nescuch dins un estable,
Sans plus tarda, sans plus tarda :
Anem toutis per l’adoura.
Grafia classica
Senheton qu’es nescut!
Ont? ont? ont!
A Bethleem.
Chœur des bergers
Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable!
Ja i vau, ja i vau
Anar adorar Jesus com’ cau.
Un seul
Vòs i anar tu Joan-Guilhem,
Adorar Jesus en Bethleem,
Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable,
Ja i vau, ja i vau
Adorar Jesus com’ cau.
Autre
Vòs i anar tu, Borthomiu,
Anar adorar lo Hilh de Diu,
Aqueth Diu tant adorable
Que n’ei nescut dins un estable,
Ja i vau, ja i vau
Adorar Jesus com’ cau.
Tous
Borthomiu e Joan-Guilhem,
Anem totis a Bethleem,
Aqueth Diu qu’es tant aimable
Que n’ei nescut dins un estable,
Sans plus tardar, sans plus tardar:
Anem totis per l’adorar.
Le petit Seigneur est né !
Le petit Seigneur est né !
Où ? où ? où !
À Bethleem.
Chœur des bergers
Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable !
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.
Un seul
Tu veux y aller toi, Jean-Guilhem,
Adorer Jésus à Bethleem,
Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable,
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.
Autre
Tu veux y aller toi, Berthoumieu,
Adorer le Fils de Dieu,
Ce Dieu si adorable
Qu’il en est né dans une étable,
Hop j’y vais, hop j’y vais
Adorer Jésus com’ il se doit.
Tous
Berthoumieu et Jean-Guilhem,
Allons tous à Bethleem,
Ce Dieu est si aimable
Qu’il en est né dans une étable,
Sans plus tarder, sans plus tarder :
Allons tous l’adorer.
(Noël du Couserans, du XVIIIe siècle)

Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
Recueil de Noëls de l’Ariège en patois languedocien et gascon, Louis Lafont de Sentenac, 1887.