L’eau et Bordeaux, vingt siècles d’histoire

Place de la Bourse Bordeaux
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Si on associe Bordeaux au vin, son histoire d’eau mérite aussi de s’y intéresser. Entre les marais et les eaux salées, la ville a dû faire preuve d’ingéniosité pour trouver de l’eau douce.

L’eau aux temps anciens de Bordeaux

Ausonius
Ausonius

Nos ancêtres s’installent dans un méandre de la Garonne, permettant l’accès à l’océan. Pourtant la zone est un marais, mais la Garonne est une voie de communication et le lieu devient une place commerciale. C’est une des routes de l’étain qui permet d’acheminer le métal depuis les mines de Cornouailles. Ce métal est très prisé car il permet de fabriquer le bronze.

En 56 av J.-C., Crassus vainc les Aquitains et Burdigala grandit. On estime la population à 20 000 habitants. Il faut de l’eau douce à consommer, ils utilisent principalement cinq sources.

Ausone, au IVe siècle, écrit un quatrain sur la source Divona :
Salve, fons ignote ortu, sacer, alme, perennis,
Vitree, glauce, profunde, sonore, inlimis, opace!
Salve, urbis genius, medico potabilis haustu,
Divona, Celtarum lingua, fons addite divis!

Salut, source d’origine mystérieuse, sacrée, nourricière, éternelle,
transparente, verte, profonde, chantante, limpide, ombreuse!
Salut, génie de la ville, breuvage curatif,
Divona, en langue celte, source d’ordre divin!

 

Vestiges de l'aqueduc gallo-romain à Sarcignan
Vestiges de l’aqueduc gallo-romain à Sarcignan

Il faut aussi se laver, alors les Romains construisent des aqueducs pour leurs thermes. Encore une fois, Ausone nous renseigne en évoquant un aqueduc qui part de Léognan vers Bordeaux. On peut encore en voir des vestiges à Sarcignan.

Ces constructions seront détruites par les invasions barbares un peu plus tard. Il faudra attendre dix siècles pour recommencer à mettre en place un réseau d’eau.

Enfin, les Romains, comme leurs successeurs, ne dédaignaient pas de se baigner dans la Garonne.

L’alimentation en eau de Bordeaux devient difficile

Au Moyen Age, les eaux des rivières où on s’abreuve sont appelées esteys / estèirs ; elles vont être contenues grâce aux constructions des remparts. La situation reste fragile. La Devèze s’envase ; l’influence des marées entraine une salinité élevée de l’eau. Des puits sont creusés, privés et publics, dans la nappe phréatique.

Bordeaux - les bains publics
Bordeaux – les bains publics

À la fin de XVe siècle, le développement de Bordeaux entraine une dégradation de la ressource. Au XVIIIe siècle, la population double. La qualité de l’eau est affreuse, les pénuries fréquentes. On fait venir l’eau de Mérignac grâce à de grands travaux.

À cette même époque, on interdit la baignade dans la Garonne. Des bains publics sont alors construits. D’abord, en 1763, deux bateaux-bains flottants installés le long du cours du Chapeau rouge et de la place des Quinconces. Puis, en 1799, des bains orientaux, et enfin, en 1826 les bains des Quinconces.

Les bains-douches du Bouscat
Les bains-douches du Bouscat

Deux pavillons furent construits à l’extrémité des allées d’Orléans et de Chartres, les hommes et les femmes avaient des thermes séparés. Des conduites en fonte amenaient l’eau de la Garonne jusqu’à un réservoir au sommet des deux édifices, puis elle s’écoulait dans un bassin de décantation avant d’être distribuée dans les baignoires. Des pompes aspirantes et refoulantes alimentées par des machines à vapeur assuraient le bon fonctionnement de l’ensemble.

De l’eau à domicile au service public

L'eau à Bordeaux - L'aqueduc du Thil franchissant sur un pont la jalle d'Eysines au Taillan-Médoc
L’aqueduc du Thil franchissant sur un pont la jalle d’Eysines au Taillan-Médoc

En 1850, 130 000 personnes vivent à Bordeaux et n’ont que 5 l d’eau par jour et par personne (à comparer aux 250 l/j/pers d’aujourd’hui !). Des marchands à domicile colportent l’eau depuis les fontaines.

Alors, on lance un grand projet en 1835, sur la suggestion de Joseph Louis, directeur de l’établissement hydraulique de la Font de l’Or. Les ingénieurs Mary et Devanne captent les eaux d’une source située du côté du Thil, au Taillan, et construisent un aqueduc jusqu’à Bordeaux.  On utilise des moellons, et il est long de 12 km. Dès 1857, il permet d’acheminer 250 m³ d’eau par heure et alimente 400 bornes fontaines, cinq fontaines monumentales et cinq fontaines Wallace. On l’exploite encore aujourd’hui.

En 1880, la ville achète les terrains contenant les sources de Fontbanne à Budos et construit un aqueduc de 41 km qui apportent par gravité les eaux captées à l’usine du Béquet à Villenave d’Ornon. Avec seulement 4,50 m de différence d’altitude entre le début et la fin de l’aqueduc, sa construction est un exploit. Il est opérationnel en 1887. On utilise l’eau pour alimenter la population et aussi pour nettoyer les rues. Les anciennes fontaines sont peu à peu reléguées au simple agrément. Cet aqueduc fournit encore 15% des besoins de la métropole.

Tracé de l'aqueduc de Budos et Usine du Béquet qui alimente Bordeaux
Tracé de l’aqueduc de Budos et Usine du Béquet

Les fontaines monuments de Bordeaux

Bordeaux - Place de la Bourse - Fontaine des Trois Grâces
Fontaine des Trois Grâces

Il existe déjà des fontaines comme la fontaine de la Grave, dans le quartier St Michel, construite par l’architecte bordelais Richard-François Bonfin en 1784. Mais c’est surtout à partir de 1850 que la ville engage plusieurs constructions de fontaines.

En 1865, l’architecte Louis-Michel Garros et le sculpteur bordelais Edmond Prévot construisent la fontaine du Parlement. Quatre visages de femmes la surmontent alors que, plus bas, L’eau sort de la bouche de quatre barbus. L’aqueduc du Thil l’alimente.

Léon Visconti, en 1869, lance le projet de la fontaine des Trois Grâces, place de la Bourse. Lors de son inauguration, le pauvre curé de la paroisse s’exclame : j’aurai préféré bénir des statues de Saints que des seins de statues.

Enfin citons la fontaine du monument aux Girondins. En 1857, la ville lance un concours pour réaliser une fontaine monumentale place des Quinquonces. C’est Frédéric Bartholdi (le sculpteur de la statue de la Liberté) qui le remporte. En 1887, il propose sa fontaine, Char triomphal de la Garonne. Trop cher. Bordeaux abandonne et c’est Lyon qui la fera construire. Parallèlement, les Bordelais veulent faire construire un monument à la mémoire des députés girondins exécutés pendant la Révolution. Ils rapprochent les deux projets et édifient en 1902 une grande colonne montrant le génie de la Liberté tenant une chaine brisée, flanquée de deux fontaines de part et d’autre. Ironie de l’histoire, les statues représentant huit des principaux députés exécutés ne seront jamais réalisées et leurs emplacements en arrière de chacune des deux fontaines, sur le socle de la colonne, demeurent toujours vides.

Bordeaux - Place des Quinconces - La fontaine des Girondins
La fontaine des Girondins

Les grands travaux du XXe siècle à Bordeaux

On exploite toutes les sources à 40 km à la ronde. De plus, on creuse des forages en nappe profonde à la fin du XIXe siècle pour l’agriculture et l’industrie. La nappe phréatique est de mauvaise qualité et vulnérable. À partir de 1940, Bordeaux cherche de nouveaux approvisionnements et s’intéresse aux nappes profondes dans l’oligocène (100 à 150 m de profondeur) et dans l’éocène (plus de 300 m de profondeur).

Dix ans plus tard, Bordeaux et les communes environnantes mettent en place une gestion commune de l’eau. 120 forages prennent de l’eau dans la nappe de l’Éocène et apportent 35 millions de m3 par an.

En 1992, le prélèvement des eaux profondes de l’Éocène entraine des entrées d’eau salée dans la nappe. Un schéma directeur rééquilibre l’utilisation des ressources.

Schéma de circulation des eaux souterraines en Aquitaine
Schéma de circulation des eaux souterraines en Aquitaine

Quelle eau boivent les Bordelais ?

Les résurgences utilisés dans les houns / honts / fontaines provenaient principalement de la nappe de l’Éocène. Une partie des forages actuels prennent aussi dans cette nappe.

Sous Bordeaux, on trouve des roches datant de l’Eocène, soit de 33 à 65 millions d’années. L’eau qui y circule provient des contreforts du Massif Central et s’écoule vers l’océan. Lors des dernières glaciations, l’eau de pluie et surtout de la fonte des glaces s’est infiltrée dans ces roches et a commencé son cheminement vers l’océan. Mais le chemin est long et l’eau sous Bordeaux a 20 000 ans, c’est-à-dire qu’elle était à l’air libre dans le Massif Central il y a 20 000 ans. Une eau de belle qualité !

Aujourd’hui, l’eau circule moins vite car il n’y a plus que l’eau de pluie qui s’infiltre dans le Massif Central (plus de fonte de glace) et le niveau de l’océan est plus haut, freinant son écoulement.

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

SMEGREG, nappes profondes de Gironde
aqueduc gallo-romain de Villenave d’Ornon à Bordeaux
Champs captants du Thil
SAGE diagnostic

 

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