Depuis le partage en 843 entre les petits-fils de Charlemagne, l’empire Franc, utilisant héritage et expansion, a grossi jusqu’à devenir la France d’aujourd’hui. Chaque province est conquise d’une façon différente. Zoom sur le sud et le sud-ouest.
Tout commence en Île de France
Pierre Derveaux, dans son livre Provinces de France, propose de suivre la construction de cette France depuis Hugues Capet, province par province.
Sans remonter aux Parisiens de l’époque de Julius Caesar, c’est en 987 que le premier Capet devient roi de France. En fait, roi d’un bout d’Île de France ! Pourtant, le royaume est vaste, au moins en théorie. Car, en réalité, les vassaux considèrent que les terres sont les leurs, et certains sont plus puissants que le roi.
Par exemple, cette même année, Sans Guilhèm (Sanche Guillaume de Gascogne) refuse l’hommage à Hugues Capet et le prête au roi de Navarre, Sancho le Grand, à qui il donne la basse-Navarre !
L’extension sur les provinces centrales
Les Capétiens vont user de tous les ressorts, la guerre bien sûr, et aussi d’une politique matrimoniale astucieuse pour rentrer en possession des terres de leurs vassaux. En particulier ils vont profiter des fiefs tombés en quenouille, c’est-à-dire sans héritier mâle.
Comme on peut l’attendre, l’extension du domaine royal va se faire d’abord sur les provinces qui entourent l’Île de France, vers Blois, la Picardie, la Normandie… Ces évolutions se déroulent dans les XIIe et XIIIe siècles. Fort de ces terres, le roi va grignoter ses voisins.
Languedoc, la première province française du sud
La croisade dite des Albigeois (1209-1229) fera entrer violemment et rapidement le Languedoc dans le domaine royal. En 1224, Amaury de Montfort cède ses terres conquises dans la croisade (Albi, Béziers, Carcassonne) au roi de France, Louis VIII le Lion. Les choses vont encore balancer entre Carcassonne et France. Ainsi Raimond II Trencavel récupèrera ses terres deux fois. Mais, il finira par céder en 1247, sa vicomté de Carcassonne au roi de France contre une rente.

En 1229, le frère de Saint-Louis, Alphonse de Poitiers, épouse Jeanne, la fille du comte de Toulouse. L’Église prend tout de suite position en créant l’université de Toulouse. Jeanne meurt sans enfant et le roi de France met en place un gouvernement sur place. Tout est prêt. Philippe le Hardi n’aura plus qu’à tout réunir au domaine royal en 1271.
Plus tard, le Languedoc retrouvera un peu d’autonomie comme « pays d’états » (province dotée d’une assemblée de trois ordres, clergé, noblesse et tiers état, chargée de négocier les impôts) et ce, jusqu’à la Révolution.
La Bigorre, convoitise et bagarre
À l’inverse du Languedoc, la Bigorre sera un enjeu pendant plusieurs siècles, changeant plusieurs fois de main. C’est un imbroglio terrible.
Tombé dans la famille de Montfort à cause du mariage de la comtesse Peiròna (Pétronille) avec Guy de Montfort, fils du chef de la croisade dite des Albigeois, la province vivra des péripéties incroyables.
Pourtant le testament de Peiròna, peu de jours avant sa mort en 1251, est clair: ego domina Petronilla, comitissa Bigorre, constituo heredem in dicto comitatu Bigorre dominum Esquivatum, nepotem meum, filium filie mee domine Aalis (moi Dame Pétronille, comtesse de Bigorre, établis héritier dudit comté de Bigorre Seigneur Esquivat, mon petit-fils, fils de ma fille, dame Alix). Mais Simon V de Montfort considère que Peiròna en lui demandant de gouverner à sa place (elle s’était retirée en fin de vie dans l’abbaye de l’Escaladieu) lui a donné le comté. Et Gaston VII de Béarn y prétend au nom de sa femme Mathe de Matha, fille de Peiròna.
Le roi d’Angleterre s’invite au débat

Pour compliquer, Henri III, roi d’Angleterre, seigneur d’Irlande et duc d’Aquitaine a une idée. En 1253, il exhibe un document de donation datant de 1062 à l’église du Puy-en-Velay (Auvergne) de Bernat, alors comte de Bigorre, que l’on peut lire comme un hommage. André Delpech, grand connaisseur de l’affaire, juge peu probable la donation de cette province dont personne n’aurait parlé pendant 200 ans et dont l’Eglise n’aurait jamais réclamé un sou ! Ce serait plutôt un faux (l’affaire n’est pas unique). Et, d’ailleurs, Henri III, magnanime, propose à l’évêque de lui racheter les droits !

Cette bagarre redoublera à la mort d’Esquivat, sans héritier direct, en 1283. Laure, sœur d’Esquivat, n’arrivant pas à se faire reconnaitre, demande justice au roi d’Angleterre, sans grand succès, puis au roi de France. Il y aura procès. Le Parlement de Paris s’appuie sur le soi-disant acte de 1062 pour déclarer l’évêque du Velay suzerain. Ça tombe bien, celui-ci a cédé ses prérogatives séculières au roi de France ! Finalement, Charles IV Le Bel rattache la Bigorre au domaine royal en 1322.
Mais ce serait sans compter sur les Anglais ! Le comté passe au roi d’Angleterre par le traité de Brétigny (1360). Le roi de France le reprend en 1370. Puis, Jean Ier, comte de Foix, l’obtient contre son ralliement au dauphin, Charles VII, en 1425. Le comté suivra ensuite les péripéties de sa nouvelle maison.
Gascogne, Béarn et Foix
Une troisième histoire, différente des deux précédentes. Comme partout, il y a dans les sud-ouest des bagarres aux frontières, des changements d’appartenance lors de successions, des histoires finalement habituelles. Et finalement, cette région rejoindra la France par décision de son seigneur…
En 987, Sans Guilhèm s’est clairement exprimé en faveur du roi de Navarre. En 1036, le duché de Gascogne passe, par mariage, aux comtes de Poitou et ducs d’Aquitaine. La Gascogne est secouée par des luttes intestines. En particulier lors des oppositions Plantagenêts-Capétiens, la partie ouest est plutôt pro-anglaise, la partie est, pro-française. Certains, comme le Béarn, arrivent à conserver leur autonomie.
Quelques contrées vont rejoindre la France. Marguerite de Comminges, par exemple, lègue son comté au roi de France en 1454. Louis XI confisque le comté d’Armagnac en 1481, mais il reviendra à Henri d’Albret (Henri II de Navarre) en 1525.
Henri II de Navarre et le Béarn

Finalement, les mariages et les héritages vont rassembler les différentes provinces dans la main d’Henri II de Navarre (1503-1555). De sa mère Catherine de Navarre, il a la Navarre, le Béarn, la Bigorre, l’Andorre. De son père Jean d’Albret, le Périgord et Limoges, de son grand-père l’Albret et de son mariage, l’Armagnac et Rodez. Un joli territoire !
Ce sera son petit-fils, Henri III de Navarre (Henri IV de France), qui donnera en 1607 ses possessions à la France. La coutume veut que le nouveau roi intègre ses biens personnels à la couronne de France. Exception faite pour le Béarn, la Navarre et le Donezan (Ariège). Louis XIII, fils d’Henri IV, en finira en 1620 avec cette exception.
Les parlements de Toulouse et de Bordeaux sont complétés d’un parlement à Pau en 1620 pour le Béarn et la Basse Navarre, et d’un à Foix pour le distinguer de Guyenne et Gascogne.
La région restera globalement hostile aux nouveaux possesseurs. Richelieu, nommé gouverneur de Guyenne et Gascogne, n’y met pas du sien. Il veut abattre toute force en France et, par son intolérance, entretient les rebellions des Gascons.
Le Roussillon et la Catalogne et le Traité des Pyrénées

La France continuera à s’agrandir. Par exemple, Le Roussillon et la Catalogne rejoindront le royaume en 1659 par le traité des Pyrénées, signé entre Louis XIV et Felipe V d’Espagne, sur l’île des Faisans à l’embouchure de la Bidassoa.
Savoie, la dernière province conquise

La France rattache la dernière province, la Savoie, en mars 1860 par le traité de Turin. Après signature, la question est posée, en avril, à la population : La Savoie veut-elle être réunie à la France ? 130 533 voix sur 130 839 exprimés (135 449 inscrits) ont répondu « oui ». Un engouement ou une consultation prétexte ? Le débat fit rage.
Références
Provinces de France, Pierre Derveaux, 1991
Procès pour la possession du comté de Bigorre (1254-1503), Lucien Merlet, Persee, 1857, pp. 305-324
Traité de Turin le 24 mars 1860 entre la France et la Sardaigne
Pétronille de Bigorre, André Delpech, 1996
Très intéressant accéléré de notre histoire régionale. Il aurait-peut être été complémentaire de dire comment la Haute Navarre a été conquise par l’Espagnol.
Bonne idée d’article complémentaire. Merci.
Je ne nie pas l’intérêt historique ou culturel, mais je m’inquiète…
A quoi bon recenser toutes les nostalgies, si l’on ne s’inscrit pas dans la modernité pour défendre la Gascogne et sa (ses) culture(s)?
Restera-t-il encore des jeunes, dans quelques années, pour reprendre le flambeau, à ce rythme?
Auriez-vous des suggestions à nous faire ? Voir nos activités sur la page correspondante du menu : L’escòla / Les activites de l’escola gaston febus