1871, la Troisième République s’installe. Depuis le suffrage universel (1848) les politiques doivent séduire les électeurs. À Orthez, le candidat républicain Louis Vignancour et le candidat soutenu par le Pouvoir Charles Chesnelong s’affrontent. Pour séduire le monde rural qui parle gascon, ils vont recevoir le soutien de batalaires (chroniqueurs) qui publient leurs textes en langue locale. Parmi ceux-là, deux vont jouter avec un grand talent : Catdèt de Hourcadut et Hillot de Hourquillat.
Le landais Paul Clavé, docteur de l’université de Toulouse, présente cet échange dans sa thèse La prose béarnaise des origines à 1939, publiée en 1980 seulement, sous le titre Prosateurs béarnais.
Les candidats politiques à Orthez

Charles Chesnelong (1820 – 1899) est un Orthézien brillant. Il commence sa carrière politique dans les rangs des républicains comme membre du Conseil Général des Basses-Pyrénées et maire d’Orthez. Il se rallie à la fin des années 1860 aux conservateurs libéraux.

Louis Vignancour (1841 – 1900), avocat à Pau, sera député des Basses-Pyrénées à partir de 1876. Il fait partie de la Gauche républicaine comme Jules Ferry. C’est un groupe important dans la fin des années 1870.
Les paysans sont déterminants dans la politique

Dans l’époque qui nous occupe, la troisième république se met en place sous la contrainte de Bismarck et de l’Empire Allemand. En 1871, la Chambre des Députés est constituée d’un tiers de républicains (rouge et rose sur le graphique).
En Gascogne, 90% sont conservateurs, bien plus que dans le reste de la France. Car la région est rurale et se méfie des républicains. Par exemple, le candidat républicain Jean David obtient 52 % des suffrages dans la ville d’Auch, et seulement 27 % dans l’ensemble de l’arrondissement. Jules Ferry l’a bien compris puisqu’il répète depuis quelques années : La République sera la République des paysans ou elle ne sera pas.
Oui, les paysans se méfient de la République. Ils se souviennent de la première république quand on a supprimé leurs us et coutumes et honni leur langue, de la deuxième qui a tourné court. De plus, en 1871, les républicains sont bellicistes et les paysans veulent la paix.
La conquête de l’opinion politique

Les républicains veulent démontrer que la République est le rempart de la propriété privée et que la restauration d’une monarchie rétablirait les droits féodaux. En 1871, juste après la défaite, dans une France en grande partie occupée, le contexte ne se prête pas à faire une campagne électorale, alors on prépare l’opinion pour les élections suivantes, celle de 1876.
Les paysans aiment lire les journaux après le repas ou le soir, à la veillée. Et s’ils ne savent pas lire, il y a toujours un voisin, un fils qui les lit pour les autres. Les batalaires politiques s’adressent à eux, dans leur langue.

Le républicain Eugène Larroque publie 28 lettres dans le journal Le Mercure d’Orthez, journal d’opposition, entre le 20 juillet 1871 et le 26 avril 1898 et aussi dans Le Conservateur, L’Indépendant, Le Petit républicain. Afin de mieux toucher les paysans, il invente un personnage, Lou Catdet de Hourcadut bielhot e praubét à Sen-Guirouns (Lo Capdèth de Horncadut vielhòt e praubet a Sent-Guirons – Le Cadet de Four-écroulé vieux et pauvre à Saint-Girons). Saint-Girons du canton d’Orthez.
De l’autre bord, Félix Seignor écrit des lettres dans le Mémorial des Pyrénées sous les traits d’un personnage qui répond à son rival : Lou Hillot de Hourquillat paysaà a Balansú (Lo Hilhòt de Hornquilhat paisan a Balansun – Le Fiston de Four-dressé paysan à Balansun).
Eugène Larroque, le chroniqueur politique républicain

Le jeune chroniqueur politique, né à Orthez en 1832, est un romantique aux cheveux longs et portant le gilet rouge des guides pyrénéens. De son métier, il est banquier. Il a une belle plume qu’il mettra au service de la littérature béarnaise. Pour l’heure, en 1871, c’est la cause républicaine qu’il défend. Et il va jouer sur la défiance naturelle des paysans pour les moussus de la bile (mossurs de la vila – messieurs de la ville) pour faire passer les idées du parti. Dans la première lettre, le 20 juillet, il campe le personnage.
Bèth téms a que souy biélh e ne sorti pas méy de case, lou Hilhot, lou mèy besî, qui ba enta la bile, e qui lèy las noubèles, que-m hè touts lous histoères. | Bèth temps a que soi vielh e ne sòrti pas mèi de casa, lo Hilhòt, lo men vesin, qui va entà la vila, e que lei las novèlas, que’m hè totas lors istuèras. |
(Il y a longtemps que je suis vieux et je ne sors plus de la maison, le Hilhòt, mon voisin, qui va à la ville et lit les nouvelles, me raconte toutes les histoires.)
Catdet est pauvre.
Qu’èy las muralhes de la maysouote toutes henerclades e las bitres de las frinèste coupades, de fayssou que deban lou hoéc que-m uscli las culotes e que-m torri l’esquîe. | Qu’èi las murralhas de la maisoòta totas henercladas e las vitras de las frinèstas copadas, de faiçon que devant lo hoec que m’uscli las culotas e que’m torri l’esquia. |
(J’ai les murs de la maisonnette tous lézardés et les vitres des fenêtres cassées, de sorte que devant le feu je me brûle les pantalons et me gèle le dos.
Felix Seignor, le chroniqueur politique conservateur

Jean Marie Felix Seignor, cet autre chroniqueur politique est né en 1828 à Lagor. Il est greffier au tribunal d’Orthez. Amoureux de la langue natale, il ne cessera de la parler, entre autres lors d’échanges poétiques avec Estaniol, avoué et maire de la ville. Ses poésies ont été publiées dans les journaux régionaux. Et Vastin Lespy les utilisa pour son fameux dictionnaire.
Lou Hillot provoque Catdet dans sa première lettre du 2 mai 1876, il l’invite à débattre.
Si passabes per Balansù, bien bébe u cop à nouste ; é pourtém lou Counserbatou dap la lètre qui héras aquiou-déssus. Adiou Catdet.
Si passavas per Balansun, vien béver un còp a noste ; e porta’m lo Conservator dab la letra qui heràs aquiu-dessus. Adiu Capdèth.
(Si tu passais par Balansun, viens boire un coup chez nous. Porte-moi le Conservateur avec la lettre que tu feras dessus. Au revoir Cadet.)
Entre le 2 et le 16 mai 1876, Hourquillat adresse à son amic Catdèt cinq lettres. Dans la troisième, il insiste : Que crey chéns badina que n’ès pas countén dé you é quém boulérés ha lou mus
(Que crèi shens badinar que n’es pas content de jo e que’m volerés har lo mus.
Je crois sans plaisanter que tu n’es pas content de moi et que tu voudrais me faire la tête.)
Et de rappeler qu’il est paysan comme lui !!
Des échanges pleins de verve et d’humour

Catdèt de Hourcadut illustre ses attaques. Ainsi quand le camp adverse soutient un roi après avoir soutenu un empereur, notre polémiste déclare le 28 juillet 1871 Cambia de mouliès, qu’ey cambia de fripoûs (Cambiar de molièrs, qu’ei cambiar de fripons – Changer de meuniers, c’est changer de fripons).
On peut savourer sa description d’une séance à la Chambre où les Royalistes que trepen (que trepan– tapent du pied) ou que criden en s’amuchan lou punh (que cridan en s’amuishant lo punh – crient en montrant le poing) et où le président que-s tue de ha souna dab las dues mas ue esquire grane coum la dou nouste marre chens poudé ha cara touts aquéths arrauyous.
(Que’s tua de har sonar dab las duas mans ua esquira grana com la deu noste marran shens poder har carar tots aqueths arraujós.
Il se tue à faire sonner avec les deux mains une sonnaille grande comme celle de notre bélier sans pouvoir faire taire tous ces enragés.)
Sa lettre du 26 juillet 1879, Qu’èy sauneyat… (Qu’èi saunejat… – j’ai fait un rêve…) est un bel exemple de littérature. Egaré dans un bois, il assiste à une assemblée où des animaux nocturnes (chats-huants, vipères, corbeaux, crapauds, renards) complotent contre les coqs. D’ailleurs, lue à Edmond Rostand, celui-ci s’en inspirera pour son fameux Chantecler.
Ici, texte complet de cette lettre en graphie originale.
Lo Hillot de Hourquillat n’est pas en reste et écrit avec imagination et finesse. Il s’adresse directement a Catdet comme à un vieil ami. Lui rendant visite un jour et ne le trouvant pas chez lui, il discute avec sa voisine qui lui apprend des choses étonnantes. Ne sabéts doun pas, bous, que bèth tems a, Catdèt qu’ey û gran poulitic ; qu’en perd lou tribalh, lou droumi, lou minya, mès pas malurousemén lou bebe.
(Ne sabetz donc pas, vos, que bèth temps a, Catdèt qu’ei un gran politic ; que’n perd lo tribalh, lo dromir, lo minjar, mès pas malurosament lo bever.
Vous ne savez donc pas, vous, que depuis un bon moment, Cadet est un grand politique ; il en perd le travail, le sommeil, l’appétit, mais malheureusement pas le goût de la boisson)
Dans la dernière lettre que Lou Hillot publia, il imagine que son ami meurt dans le dénuement alors qu’ère nascut richot (qu’èra nascut richòt – il était né assez riche). Celui-ci se livre à lui :
Chens hemne ni maynatyes (né m’a pas yamey bagat d’em marida), que m’en baü e ouèy, soulét é misérable, entre Yanéte é Hillot, ue praübe bézie é u bieilh amic… | Shens hemna ni mainatges (ne m’a pas jamèi vagat de’m maridar) que me’n vau, uèi, solet e miserable, entre Janet e Hilhòt, ua prauba vesia e un vielh amic… |
Sans femme ni enfants (je n’ai jamais eu le temps de me marier) je m’en vais, aujourd’hui, seul et misérable, entre Jeannette et Hillot, une pauvre voisine et un vieil ami…
Et avant de mourir, il confesse à son ami qu’il a pris le parti opposé à Chesnelong parce que celui-ci voulait faire voter une loi contre les ivrognes.
Ici texte complet de cette lettre en graphie originale.
Ici texte complet de cette lettre en graphie classique.
L’amour de la langue dépasse la politique
Le républicain Eugène Larroque rejoindra parmi les premiers l’Escòla Gaston Febus (19e inscrit) alors que son président est Adrien Planté, le successeur conservateur de Charles Chesnelong. Comme le dit Paul Clavé, l’amour du terroir parvint à arrondir les angles et cela fait grandement honneur à ces deux « beroys omis » béarnais. Felix Seignor participera aussi à l’Escòla, lieu où toutes les sensibilités sont présentes pour défendre la langue et la culture gasconnes.
Références
Élections et élus de février 1871 en Gascogne : le triomphe des conservateurs, Céline Piot, 2011
Prosateurs béarnais, Paul Clavé, 1980
Letres poulitics, Catdet de Hourcadut, 1871 – 1898
Aü catdet dé Hourcadut, Le Mémorial, 2 mai 1876, page 2
Aü catdet dé Hourcadut, Le Mémorial, 6 mai 1876, page 2
Aü catdet dé Hourcadut, Le Mémorial, 11 mai 1876, page 2
La mourt dé Hourcadut, Le Mémorial, 16 mai 1876, page 2
La photo à la une est de Félix Arnaudin (1844-1921), grand collecteur de contes des Landes et remarquable photographe (https://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9lix_Arnaudin)
J’ai bien aimé le panorama de l’évolution de la langue gasconne. J’y ai appris beaucoup de choses.
En 2004 que’y fenit un diccionari de la mio lengo mayrano en Astarac (sud du Gers). Nou couneshi pas bien l’echcrituro normalisada e que’y tout echcriu coumo pronounçaouo (pronouçawo) lou monde que benguéouo (benguéwo) aou cafè de la mio grand may, aou bilatge. Que’y tabé counserbat en partido las sounouritats dou francés aprengut a l’echcolo.
Que’y heyt tout aco en memorio de moun pay e de ma may enta que demore uo traço d’aquét parla aou bilatge e tabé, enta que lous miés droles puchquen sabe d’oun benguen.
De corregir:
*culota: culòta
*torri: tòrri
que-m hè touts lous histoères: non seré « que’m hè totas loRs istoèras » ?
Tiò. Qu’avetz rason. Mercés!
Bonjour. J’aimerai avoir un contact avec M. Escola Gaston Febus au sujet de ce qu’il écrit sur Rostand et Chantecler. Merci beaucoup.
Thomas
Bonjour. Vous pouvez écrire à escolagastonfebus@mail.com