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Saint Georges et Sent Jòrge

Fêté le 23 avril ou le 3 novembre, Saint-Georges est le patron de la chevalerie chrétienne et du royaume d’Angleterre. Il terrasse en général un dragon, montrant la victoire de la foi sur le démon. On l’honore aussi en Gascogne et Sent Jòrge sera un cri de guerre des Gascons.

Georges de Lydda

Icône de Saint Georges, 13e siècle
Icône de Saint Georges, 13e siècle

Né entre 275 et 280 dans une famille de noblesse grecque à Mazaca en Capadocce, il va très vite occuper de hautes fonctions : tribun commandant de régions difficiles comme la Palestine, la Syrie, l’Égypte, la Libye, puis préfet.

Parallèlement, en 303, l’empereur romain Dioclétien décide d’anéantir la chrétienté. Il ordonne de détruire les églises et de s’attaquer à leurs évêques. Georges, chrétien, ne réussissant pas à faire changer d’avis l’empereur, rend son glaive et quitte son poste de Nicomédie. Il rentre chez lui à temps pour accompagner sa mère mourante et distribue son argent aux pauvres.

Puis il retourne en Nicomédie en passant par Lydda terrorisée par des pillards perses. Il tue leur chef Nahfr d’un coup d’épée ou d’un coup de lance, capture les brigands. En échange, il a obtenu la conversion de la population locale à la foi chrétienne. Or Nahfr signifie dragon, serpent. Georges a abattu le dragon.

Arrivé en Nicomédie, l’empereur lui intime l’ordre d’arrêter ses actions pro-chrétiennes. Il refuse et détruit une tablette exigeant le culte d’Apollon. Il est arrêté, supplicié et… survit ! Alors il est décapité le , à l’âge de 22 ans. Des fidèles apporteront sa dépouille à Lydda le 3 novembre.

La légende dorée de Saint Georges

Jacques de Voragine racontera l'histoire de Saint Georges dans la Légende dorée, vers 1480.
Jacques de Voragine prêchant, détail d’une miniature du Maître de Jacques de Besançon tirée d’un manuscrit de la Légende dorée, vers 1480.

C’est au XIIIe siècle que Jacques de Voragine, archevêque de Gênes, écrit un livre intitulé La légende dorée. Là, Georges de Lydda délivre la ville de Silène (Lybie) d’un dragon qui dévore animaux et deux jeunes gens par jour, tirés au sort.  Le jour où Georges arrive, c’est la fille du roi qui a été désignée. Les habitants ayant accepté le baptême, Georges tue le dragon et sauve la belle. Il s’agit maintenant de la victoire de la foi sur le démon.

Que ce soit par les croisés ou par Jacques de Voragine, la légende de Saint Georges est populaire au moyen-âge. Les rois aragonais par exemple vont adopter Saint Georges pour la Reconquista. Il faut dire que l’église catalane ne voulait pas reconnaitre les prédications de Saint Jacques mises en avant par le royaume de León.

Cris de guerre

Saint Georges sera le cri e guerre à la bataille de Nájera
Bataille de Nájera, enluminure tirée des chroniques de Jean Froissart, BNF

Guilhem Pépin propose une étude approfondie du sujet. Il note que le cri de guerre des ducs d’Aquitaine, au XIIe siècle était probablement Aguiana ! Ce mot est confirmé par le poète normand Wace (né vers 1100) qui écrit : Peitou e Gascuinne [ount nunAquitaine (Le Poitou et la Gascogne [avaient pour nom] Aquitaine). Cri qui évoluera en Guiana !

En se rapprochant des Anglais, le cri deviendra Guiana! Sent Jòrge! ou, parfois, Sent Jòrge! Guiana! Cri confirmé dans plusieurs récits de guerre dont, par exemple, celui où le Prince Noir et ses troupes anglo-aquitaines vont battre les Franco-Castillans à la bataille de Najéra le 3 avril 1367.

Le culte de Sent Jòrge 

Retablo del Centenar de la Ploma en la Capilla de Valencia dónde tradicionalmente se realizó la primera Misa cristina
Retablo del Centenar de la Ploma

Saint Georges, tueur des pillards de Lydda, deviendra le champion de la Reconquista, à laquelle les Gascons participent. Il est le mata-moros en Espagne, ou mata-mòros en gascon, le tue-maures (matamore) en français.

Le premier tableau qui met en scène saint Georges matamore est issu d’un retable appelé Centenar de la Ploma, du nom d’une confrérie d’arbalétriers qui en passe commande (début XIVe siècle).

 

le roi Édouard III (1312-1377) développe le culte de Saint Georges
Edouard III d’Angleterre (1312-1377)

Le leader irlandais Michael Collins affirme que “Georges a été adopté comme saint patron des soldats après qu’il a été rapporté qu’il avait été vu par l’armée des Croisés à la bataille d’Antioche en 1098”. En tous cas, le roi Édouard III (1312-1377) développe le culte de Saint Georges auprès de ses sujets anglais et gascons. Ainsi, Guilhem Pépin rappelle qu’un grand nombre de Gascons vinrent pour participer au grand tournoi ouvert à tous organisé à Windsor en 1358 le jour de la fête de saint Georges (23 avril).

L’anglo-Gascogne choisit Sent Jòrge

Les Gascons du parti anglais crieront Guiana! Sent Jòrge! pendant tout la guerre de Cent Ans (1337-1453). Une guerre pendant laquelle l’enjeu entre Anglais et Français est principalement la Gascogne.

Charles VII
Charles VII

En 1442 le roi de France, Charles VII (1403-1461) mène campagne en Guyenne. Mi-octobre,  4000 Français et Gascons de Gascogne orientale, s’installent aux alentours de Saint-Loubès. Le vendredi 26 octobre 1442, Edward Hull, connétable de Bordeaux, passe en revue 400 Anglais venus en bateau avec lui et 1000 Gascons. Ils chargent par surprise le camp des Français en poussant leur cri de guerre, Guiana! Sent Jòrge! En deux heures, 800 hommes et 1000 chevaux sont tués, les autres s’enfuient, rapporte un témoin anglais alors à Bordeaux. Les chiffres sont toujours à considérer avec prudence, les vainqueurs et les vaincus comptant différemment…

L’étendard de Sent Jòrge flotte sur les châteaux qui tournaient anglais. Bordeaux remplace sa bannière par celle de Sent Jòrge au début du XVe siècle.

Les exemples dépassent les situations de combat militaire. Les Gascons anti-Français et pro union anglo-gasconne utilisent Sent Jorge! pour exprimer leurs opinions. Ainsi, les Archives départementales des Pyrénées Atlantiques gardent un document qui déclare que Pèire Gaillard, Limousin,  fut accusé en 1408 d’avoir insulté les troupes du vicomte de Limoges en criant à leur passage Guiana! Sent Jòrge!

L’alliance Duché de Gascogne – Angleterre 

Saint Georges est le cri des Bordelais pendant la guerre de la gabelle
Bordeaux au 16ème siècle

En 1548, les habitants de Bordeaux se révoltent contre la gabelle (taxe royale sur le sel) en criant Guienne! Ils prennent alors le drapeau à croix rouge sur fond blanc de Saint Georges.
En fait, on peut penser que l’Aquitaine n’a guère envie de s’allier aux Français. Peut-être trouve-t-elle à la fois plus d’autonomie et plus de richesse dans son alliance avec une Angleterre moins prédatrice ?

Anne-Pierre Darrées

écrit en nouvelle orthographe

Références

Les cris de guerre Guyenne! et Saint Georges!, Guilhem Pépin, 2006, tome CXII, pages 263 – 281
Saint-Georges contre les Maures, Lidwine Linares, 2011, p17-32
Le combat de Saint-Loubès (26 octobre 1442),  Vincent Haure,  2016