Antòni Nogués, médecin et chirurgien barcelonais, apprend l’aranais au moment de prendre sa retraite. S’éloignant des exercices scolaires, il s’essaie à une autre méthode : apprendre la langue en traduisant les grands classiques des autres pays ! Si l’essai est difficile, il persiste et nous offre ainsi, en gascon du val d’Aran, plusieurs livres de référence.
Qui est Antòni Nogués ?
Antòni Noguès nait le 24 septembre 1943, à Torrent de Cinca, village de la province de Huesca en Aragon (Espagne). Il suit des études de médecine à l’université de Barcelone puis de Lérida. Il se spécialise dans la microbiologie clinique. Une orientation qu’il conservera toute sa vie professionnelle. Au cours de sa carrière, il travaille dans plusieurs hôpitaux : interne à l’hôpital de la Mer de Barcelone, puis médecin microbiologiste à l’hôpital de Bellvitge, enfin pendant 22 ans chef du service Microbiologie à l’hôpital universitaire Arnau de Vilanova à Lérida.
Parallèlement, il est membre d’un groupe de recherche et enseigne à la Faculté de Médecine de Lérida. Il publie plusieurs ouvrages pour faire partager le fruit de son travail. Bref, une vie professionnelle bien remplie !
La retraite approche
À l’approche de la retraite, Antòni Nogués s’intéresse à cette langue que l’on parle à côté de Lérida et qui s’appelle l’aranais. Il explique lui-même sa démarche : iniciauments, per pur curiosèr de conéisher ua lengua que se parlaue près des nòstes tèrres. Ara prumeria me calec estudiar peth mèn compde, pr’amor que non i auie “quòrum” entà hèr es corsi d’aranés ena UdL. Comencè damb eth « Cors d’Aranés”, editat peth Conselh Generau, eth “Petit Diccionari” de Frederic Vergés, es “Vèrbs Conjugadi” e era “Gramatica Aranesa” d’Aitor Carrera. [initialement, par pure curiosité de connaître une langue qui se parlait tout à côté. D’abord il me fallut étudier par moi-même parce qu’il n’y avait pas le « quorum » pour mettre en place le cours d’aranais à l’UdL*. Je commençai avec le Cours d’Aranais, édité par le Conseil Général, le Petit Dictionnaire de Frédéric Vergés, le Verbes Conjugués e la Grammaire Aranaise d’Aitor Carrera.]
* UdL : Université de Lérida
Noguès cherche l’inspiration
Après cette première découverte de la langue, Antòni Nogués attaque, en 2011, les différents niveaux proposés à l’Université de Lérida. Et, en bon chercheur, il lit tout ce qu’il trouve écrit en aranais. Parmi les exercices proposés, un lui plaît bien, la rédaction : Ua des activitats en estudi der aranés èren es redaccions. Qu’ei ua activitat fòrça interessanta que te permet exprimir en aranés aquerò que vòs racondar.
Pourtant, Un dia, de pòca imaginación entà endonviar fantasies, agarrè eth prològ d’un libre qu’auia sus era taula e l’arrevirè. E me n’encuedè de qué aquerò complie eth prètzèth d’exprimir causes en aranés, sense auer de dedicar eth temps en endonviar istorietes. [Un jour de peu d’imagination pour inventer des fantaisies, j’attrapai le prologue d’un livre qui était sur la table et je le traduisis. Et je me rendis compte que cela me permettait d’exprimer des choses en aranais, sans avoir de temps à passer à inventer des petites histoires.]
Antòni Nogués traduit les grands classiques
E atau comencèc tot. Es prumèrs libres arreviradi èren es qu’auia a man ena mia estatgèra. Era lectura en aranés de çò qu’auia arrevirat me provoquèc ua satisfacción enòrma.

Ainsi, Antòni Nogués, jeune retraité prend les livres à portée sur son étagère et les traduit en aranais. Il y prend un très grand plaisir. Un jour, même s’il ne se sent pas bien sûr de la qualité de sa langue, il décide d’envoyer une de ses traductions à Jusèp Loís Sans Socasau, Président de l’Institut d’Estudis Aranesi-Acadèmia aranesa dera lengua occitana, du Val d’Aran. Celui-ci l’encourage. Et Nogués consacrera désormais plusieurs heures par jour à ces traductions. Il utilise pour traduire toute sa rigueur et ses méthodes scientifiques. Il s’améliore de jour en jour jusqu’à devenir une référence.
Antòni Nogués livre 7000 pages de traduction

Outre le volume et la qualité de son travail, le microbiologiste souhaite que ce soit utile pour le plus grand nombre. Antòni Nogués remet la totalité de ses traductions à l’Académie Aranaise de la Langue Occitane afin qu’elles soient mises à disposition gratuitement sur le Net.
Ainsi tous les mois depuis le 1er janvier 2019, l’Académie publie un livre que l’on peut télécharger en commençant par Ana Karenina en trois tomes.
Es jubiladi qu’an er auantatge de poder hèr, lèu tostemps, çò que vòlen e les agrade mès. Plan, donc, entà jo, eth hèt d’arrevirar, çò que liegi, ar aranés, qu’ei un gòi impagable [La retraite présente l’avantage de pouvoir faire, à peu près tout le temps, ce qu’on veut et qui plaît le plus. Donc, pour moi, le fait de traduire ce que je lis en aranais est une joie inouïe] précise le traducteur.
Les titres traduits et ceux à disposition :
Guerra e patz de Lev Nicolàievic Tolstoi
Anna Karenina de Lev Nicolàievic Tolstoi,

Eth Latzèret de Tormes,
Es Frairs Karamazov, Fiódor M. Dostoievski,
Eth Buscon, Francisco de Quevedo,
Era Gitaneta, Miguel de Cervantes,
Era illustra serventa, Miguel de Cervantes,
Condes, Hans Chistian Andersen,
Es aventures de Tom Sawyer, Mark Twain,
Eth gelós extremenh, Miguel de Cervantes,
Eth licenciat Vidriera, Miguel de Cervantes,
Rinconete e Cortadilho, Miguel de Cervantes,
Crim e Castig, Fiódor M. Dostoievski,
Es Miserables, Victor Hugo
Eth mercadèr de Venècia, Shakespeare
Hamlet, Shakespeare
Era divina comèdia, Dante Alighieri
To be or not to be
Traduire n’est pas simple, car il ne s’agit pas de changer les mots d’une langue par une autre, mais de garder le sens, l’expression, le rythme, la musique… du texte. À titre d’exemple, regardons le début si connu de la tirade d’Hamlet, acte III scène IV.
To be, or not to be, that is the question:
Whether ’tis nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune,
Or to take Arms against a Sea of troubles,
And by opposing end them…
Quatre traductions
Bien des traductions ont été données de ce célèbre passage :
Existir ó no existir: esta es la cuestión ¿Cuál es más digna acción del ánimo, sufrir los tiros penetrantes de la fortuna injusta, ú oponer los brazos á este torrente de calamidades y darlas fin con atrevida resistencia? Traduction en espagnol de Fernández de Moratin en 1603. Le traducteur préfère le mot existir (exister) plutôt que ser (être). Un grand débat qui continue de nos jours.
Être ou n’être pas, voilà la question… Qu’y a-t-il de plus noble pour l’âme ? supporter les coups de fronde et les flèches de la fortune outrageuse ? ou s’armer en guerre contre un océan de misères et, de haute lutte, y couper court ? Traduction en 1864 de François Guizot, membre de l’Académie Française et provençal.
Etre, ou ne pas être : telle est la question. Y a-t-il pour l’âme plus de noblesse à endurer les coups et les revers d’une injurieuse fortune, ou à s’armer contre elle pour mettre frein à une marée de douleurs ? Traduction d’André Gide, 1959. Celui-ci s’éloigne beaucoup plus du texte original.
Èster o non èster, vaquí era qüestion. Quina ei mès digna accion der anim: patir es trets penetrants dera fortuna injusta, o opausar esbraci ad aguest torrent de malastres, e dar-les punt finau damb gausada resisténcia? Traduction d’Antòni Nogués en gascon aranais.
À lire, à copier
Merci Monsieur Antòni Nogués d’avoir enrichi notre langue des traductions de tous ces ouvrages ! Il nous reste à les savourer et à s’inspirer de votre démarche pour en faire autant et enrichir ainsi notre bibliothèque commune.
Merci l’Institut d’Estudis Aranesi d’avoir mis ces travaux à la disposition de tous.
Les citations d’Antòni Noguès proviennent de l’article de Jusèp Loís Sans Socasau sur le site de l’institut.
Références
Reclams n°850, Antòni Nogués o ua faiçon originau d’apréner lo gascon, 2019, p51
Colleccion Antòni Nogués, Institut d’Estudis Aranesi, 2019
*E me n’encuedè de qué> E m’encuedè que (castilhanisme)
*aramais> aranais
*esbraci> es braci
*er anim> era arma (castilhanisme)
*extremenh> d’Extremadura