Pour beaucoup, Bayonne est la capitale du pays basque. Pourtant, historiquement, sa capitale est Ustaritz. En revanche, Bayonne, Biarritz et Anglet sont gasconnes. Vers 1550, le français remplace le gascon dans les documents officiels. Pourtant, au XVIIIe siècle, un mouvement se dessine pour l’emploi du gascon dans les textes littéraires.
Le gascon, langue officielle à Bayonne au moyen-âge
Les ducs d’Aquitaine, puis rois d’Angleterre écrivaient à leurs sujets de Bayonne en gascon.
Les livres

Le plus ancien ouvrage connu en gascon est le Livre d’or de Bayonne. Il s’agit d’un cartulaire, sans doute réalisé au XIVe siècle, contenant des textes rédigés entre le Xe et le XIIIe siècle. Parmi ceux-là, 106 sont des textes en latin et 36, plus récents du milieu du XIIIe siècle, en gascon :
« Sabude causa sia a tots aquez qui questa present carta veiran e audiran, que io en. B. de Garague reconny e manifesti em veritad per mi e per meis heirs e auieders, e per meis successors que dei dar e pagar au nost ondrable pair Mosseinher l’abesque e au Capito de Sancta Maria de Baiona. VI. Conques de bon froment, … »
De même, le Livre des établissements est un recueil d’actes en gascon, réalisé en 1336 par Arnaud de Biele, alors maire de Bayonne. Il établit les droits et les privilèges de la ville, son régime intérieur et ses rapports avec les seigneurs, villes et pays voisins.
La vie quotidienne à Bayonne
La toponymie utilisée est majoritairement gasconne, surtout dans la ville de Bayonne : arrua nava / rue neuve, arrue dous bascous / rue de basques, arrue dou casted / rue du château, carneceirie / carniceria / boucherie, port nau / port neuf, con de baque / corna de vaca / corne de vache, etc.

En fait, la région fait apparaitre deux zones linguistiques. En particulier, la rédaction des Cahiers de doléances en 1788 se fait à Ustaritz pour le Labourd et à Bayonne pour la partie gasconne. Une représentation unique est alors inenvisageable tant les intérêts sont divergents. D’ailleurs, lors de l’élection des représentants à la fête de la Fédération de 1790, on crée deux bureaux de vote. Les délégués du Labourd s’appellent Dithurbide, Harriet, Detchegoyen, Diharce et Sorhaitz ; ceux de Bayonne s’appellent Lacroix de Ravignan, Mauco, Tauziet, Duffourg et Fourcade.
La première carte linguistique du pays basque, éditée en 1863 par Louis-Lucien Bonaparte, met en évidence que le gascon est encore très majoritaire à Bayonne, à Anglet et à Biarritz. Toutefois, les Basques s’installent à Bayonne au XIXe et au XXe siècles. Alors, l’usage du français gomme les différences linguistiques.
Bayonne et le renouveau du gascon au XVIIIe siècle
Alors que les dialectes sont méprisés, un mouvement se dessine dans la classe bourgeoise de Bayonne pour l’utilisation du gascon dans la littérature.
Par exemple, un tonnelier, Pierre Lesca (1730-1807), écrit plusieurs chansons, dont La canta a l’aunou de la nachence dou Daufin / La canta a l’aunor de la naishença deu Daufin / le chant en l’honneur de la naissance du Dauphin qui lui vaut une récompense des échevins de Bayonne, et Los Tilholèrs / Les bateliers, une chanson, aujourd’hui un hymne à Bayonne. Et le groupe gascon Boisson Divine en donne une version contemporaine.

De même, en 1776, parait un remarquable ouvrage : Fables causides de La Fontaine en bers gascous suivi d’un lexique. Il est plusieurs fois réédité.
Autre exemple : Deldreuil (1796-1852), un Gascon de Bayonne, laisse une trentaine de chansons.
Le foisonnement après Louis-Philippe
La période révolutionnaire donne peu de textes connus. Mais, à partir de 1830, les auteurs gascons foisonnent à Bayonne.
Justin Larrebat (1816-1868)
Il est l’auteur de nombreux recueils de poèmes en gascon, dont Poésies gasconnes édité en 1898 et plusieurs fois réédité depuis. Ici le début d’un poème.
Amous de parpaillouns et flous
Le flou qu’ere amourouse
Et yelouse;
Lou parpailloun luzen
Incounsten.
Le flou toutyour aimabe,
Aperabe
Lou parpailloun aiman
En boulan.
Amours de papillons et de fleurs
La fleur était amoureuse
Et jalouse ;
Le papillon luisant
Inconstant.
La fleur toujours aimait,
Appelait
Le papillon aimant
En volant.
Léo Lapeyre (1866-1907)

Il écrit des poésies en gascon. Et il écrit aussi des pièces de théâtre qu’il joue à Peyrehorade, sa ville natale, et à Bayonne. Citons : Lo horat de la peyre horadada / Lo horat de la pèira horadada / Le trou de la pierre trouée, Coèntas d’amou / Cuentas d’amor / Les ennuis de l’amour, La boussole de Mousserottes et Madame Pontriques en 1904.
Dès la création de Escòla Gaston Febus, Léo Lapeyre adhère (1897). Et il publie dans la revue de cette association, Reclams de Biarn et Gascougne, mais, face à certaines critiques de son édition de poèmes A noste, il s’en éloigne. Voici un extrait d’un de ses poèmes.
Aou cout dou houéc
Toutun se t’adroms, aou cap d’un moumèn
Que-t’ herey un broy poutoun qui chagotte
Et que-t’ déchuderas en arridèn
Aou coût dou hoèc!
Au coin du feu
Cependant, si tu t’endors, au bout d’un moment
Je te ferai un joli baiser qui chatouille
Et tu t’éveilleras en riant
Au coin du feu.
…Et tous les autres

En fait, les pièces de théâtre de Léo Lapeyre inspirent d’autres écrivains gascons, comme Georges Perrier, Léon Lascoutx, Carlito Oyarzun (1870-1930) ou Benjamin Gomès (1885-1959) qui est l’architecte, avec son frère, de la station balnéaire d’Hossegor. Ces deux derniers sont conseillers municipaux de Bayonne. Alors, en 1932, ils initient une fête populaire et traditionnelle qui auront et ont toujours un beau succès : Les Fêtes de Bayonne.

À partir de 1912, la presse locale publie des poésies en gascon de Pierre Rectoran (1880-1952). Théodore Lagravère qui réside à Paris écrit des poèmes dans Le Courrier de Bayonne. Il publie son premier recueil de Poésies gasconnes en 1865. En outre, la presse locale publie J-B Molia dit Bernat Larreguigne et A. Claverie surnommé Yan de Pibole.
Enfin, après la Grande Guerre, des initiatives fleurissent à Bayonne en faveur du gascon. Par exemple, en 1923, Monseigneur Gieure, évêque de Bayonne, Oloron et Lescar, introduit l’étude obligatoire du gascon dans les établissements d’enseignement de son diocèse. Ou encore, en 1926, Pierre Simonet fonde l’Académie gascoune qui publie L’Almanach de l’Academie gascoune de Bayoune.
L’Académie gascoune de Bayoune et Ací Gasconha

L’Académie gasconne de Bayonne, qui s’appelle maintenant Academia Gascona de Baiona-Ador, est fondée en 1926. De 40 membres à l’origine, elle se compose aujourd’hui de 25 membres élus par leurs pairs pour leur connaissance du gascon.
Elle a pour but : « la recherche et le maintien de tous les usages et traditions bayonnaises et du Val d’Adour maritime, et en particulier de la langue gasconne parlée sur ces territoires ».
Active, l’Académie tient un Capitol / Chapitre trimestriel, ouvert au public, au cours desquels elle présente des sujets intéressant l’histoire locale ou le gascon. Les présentations qui sont faites en gascon sont éditées dans L’Armanac Capitol, revue trimestrielle de l’Académie.
De plus, l’Académie travaille en étroite collaboration avec Ací Gasconha, association créée en 1975. Les activités d’Ací Gasconha touchant au gascon sont multiples : gestion d’une bibliothèque, émissions radio en gascon, animation d’une chorale, cours de gascon, ateliers de danse, édition d’un bulletin trimestriel, publication d’ouvrages, etc.
Avec tout çà, qui peut dire que Bayonne, Biarritz et Anglet ne sont pas gasconnes ?
Serge Clos-Versaille
écrit en orthographe nouvelle
Références
Livre d’or de Bayonne, textes gascons du XIIIe siècle, Jean Bidache, 1906, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Les « Tilloliers » de Pierre Lesca, René Cuzacq, 1942, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Fables causides de La Fontaine en bers gascous, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Poésies gasconnes, Justin Larrebat, 1926, Bibliothèque Escòla Gaston Febus
Les Poésies de J.-B Deldreuil, Chansonnier gascon bayonnais, Pierre Rectoran, 1931
Panorama de la littérature gasconne de Bayonne, Gavel Henri, 1948
Aou cout dou houéc, Léo Lapeyre,
Lapeyre, Léo. Auteur du texte. Au pays d’Orthe. Chez nous. A la maison. Dans la plaine. Soucis d’amour. – Aou pèis d’Orthe. A noste. A case. Hen le plène. Coèntes d’amou. 1900.
www.occitanica.eu
Bibliothèque de l’Escòla Gaston Febus : www.biblio.ostau-bigordan.com
Académie gasconne de Bayonne : www.academiagascona.fr
Aci Gasconha : www.acigasconha.asso.fr
Paul Broca – Sur l’origine et la répartition de la langue basque : Basques français et Basques espagnols-1875 – Gallica
Rarement entendu, je me fais un plaisir de transmettre ces pages à mes amis, basques et autres, avec ce commentaire.
C’est l’histoire, elle est écrite, n’en parlons plus. Il est cependant utile de la rapporter, de s’en souvenir. Par ailleurs, on peut être Basque et habiter Bayonne, Anglet, Capbreton, Dax, Pau, Bordeaux, Audenge…car les Gascons sont tolérants et vivent dans un pays qui a vu passer beaucoup de monde. Pays assez melting-pot.
On peut être Basque dans un arrondissement parisien, en Californie, dans la Pampa argentine…On peut être et rester Béarnais, Landais, Girondin, Belge, Alsacien, Gersois, Iserois, Aragonais, Boucalais, Castillan…sans en faire tout un fromage…du pays. Je suis drôle ! Brassens n’appréciait pas mais bon, on aime être de quelque part, pour en sourire.
Mais, on n’y peut plus grand chose, rien n’est plus porteur, plus vendeur, plus séduisant, plus « touristique », plus folklorique, plus gentiment étrange et curieux, plus authentiquement original, plus local que le mot BASQUE. Attirance, succès assurés. D’où l’irrédentisme basque. Je n’ose pas dire colonialisme.
Parenthèse : Les Corses furent de très loin les plus nombreux dans l’administration coloniale française ( au ministère de l’Intérieur aussi ). Il y a une explication. Mais dit comme cela ça devrait faire baisser d’un ton les indépendantistes actuels. Léo Carrère-Gėe
Il me semble que l’acculturation est un fait établi : il existe une langue administrative qui s’impose dans la vie de relation publique (notaires, artisans, bourgeois …) et une langue populaire comme l’euskara que de Lancre entendait dans les rues de Bayonne, au XVIIe siècle, avec le gascon bien entendu et bien d’autres aussi, sûrement !
Tous savent que le premier Lapurdum est lié à Lapurdi (le Labourd) … fragment aquitain d’une zone où Dax et les pays de l’Adour s’imposaient. Et puis Bayonne est un port, et un port fluvial qui draina notamment tout le Bas-Adour. Et c’est formidable !
Aurrera Baiona !