L’humour gascon de Jean Castex

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Le Gascon aurait-il un humour spécial ? Oui, selon Jean Castex qui le présente en détail dans son livre, L’humour gascon. Explorons la chose.

Un humour gascon inattendu ! 

de l'humour gascon chez le mari cocu de Madame de Montespan
Françoise de Rochechouart de Mortemart ou Madame de Montespan

Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin est marquis de Montespan (en Comminges) et d’Antin (en Magnoac) ainsi que seigneur d’Épernon (proche de l’Ile de France). En 1663, il se marie avec la belle et raffinée Françoise de Rochechouart de Mortemart. Hélas, Monsieur de Montespan n’a pas de fortune à offrir. Aussi part-il à la guerre pour offrir à sa bien-aimée le confort qu’elle mérite.

Pendant ce temps la jeune épouse obtient une place de dame d’honneur de la Reine à Versailles. Elle change son prénom pour celui d’Athénaïs. Quand Louis-Henri revient, c’est pour trouver sa femme enceinte des œuvres royales. Certes la famille a bénéficié de largesses du roi mais cela ne suffit pas à l’époux. Sa riposte laisse sans voix les courtisans de Louis XIV.

La riposte de bravoure et d’humour
Avec beaucoup d'humour gascon, le marquis de Montespan accepta son cocufiage
Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan

Au temps du Roi-Soleil, avoir sa femme dans le lit du monarque était pour les nobles une source de privilèges inépuisable. Le jour où Louis XIV jeta son dévolu sur Mme de Montespan, chacun, à Versailles, félicita le mari de sa bonne fortune. C’était mal connaitre Louis-Henri de Pardaillan, marquis de Montespan…

Gascon fiévreux et passionnément amoureux de son épouse, Louis-Henri prit très mal la chose. Dès qu’il eut connaissance de son infortune, il orna son carrosse de cornes gigantesques et entreprit de mener une guerre impitoyable contre l’homme qui profanait une union si parfaite. écrit Jean Teulé.

Car un Gascon sait faire preuve de bravoure et d’humour.  M. de Montespan organise les funérailles de son amour, fait ériger une tombe avec une croix en bois et deux dates 1663-1667. Il prend des vêtements de deuil. Il remplace les plumets de son carrosse par des andouillers de cerfs. Et il traite publiquement le roi de canaille. Une audace jamais vue !

L’humour gascon, qu’es aquò ?

Montespan est-il un original ou un Gascon pur souche ? Autrement dit, les Gascons ont-ils un humour particulier, différent de leurs voisins ? Jean Castex, né en 1929, nous aide à nous y retrouver. Le Gascon n’est pas un Provençal nous dit-il. Ce n’est pas un Cyrano comme l’a dépeint le Marseillais Edmond Rostand. Le Gascon n’est pas non plus un Languedocien qui parle par besoin, même pour ne rien dire, selon les propos de René Nelli.  Jean Castex situe le Gascon plus bruyant que le Périgourdin et moins parpalèr [bavard] que le Toulousain.

Selon les besoins de sa cause, le Gascon aurait la réserve aimable, la promesse facile, l’art de parler. Et même, le Gascon peut avoir le verbe impertinent comme l’Aragonais et lancer vers le Ciel autant de blasphèmes, ou à peu près, que de prières.

Il traduit dans son humour des caractéristiques de son esprit : batailleur, osé, direct, au langage illustré. Bruno Roger-Vasselin précise. Il identifie les différentes formes d’humour que Montaigne utilise dans Les essais : drôlerie, plaisanterie, boutade, truculence, bouffonnerie, aplomb et jubilation.

L’humour, un principe de santé

Étienne de Vignolles, dit La Hire,  compagnon de Jeanne d'Arc
Étienne de Vignolles, dit La Hire, compagnon de Jeanne d’Arc

Le Gascon a besoin de rire et de faire rire. Que cau arríser com un pòt de cramba espotringlat [Il faut rire comme un pot de chambre ébréché]. Il aime la légèreté des propos. Il aime raconter. Tout est sujet à rire, même les moments dramatiques. La célèbre tirade du landais Etienne de Vignoles (1390?-1443), dit La Hire est-elle une effronterie, une hâblerie ou de l’humour ? Sire Dieu, à l’heure du péril, faites pour La Hire ce que La Hire ferait pour vous s’il était Dieu et que vous fussiez La Hire. 

Charles-Yves Cousin d’Avallon (1769-1840) conclut. Vivent les Gascons ! Présence d’esprit, hardiesse poussée, s’il le fut, jusqu’à l’effronterie, habileté à trouver des expédients pour se tirer d’un pas délicat, voilà leurs qualités. Cette présence d’esprit, il en donne maints exemples dans son livre, comme Le Gascon maitre d’hotel:

Un Gascon maitre d’hotel d’un prince et le servant à table, répandit la sauce sur la nappe. Le prince lui dit en riant : j’en ferais bien autant. Je le crois bien, mon prince, répondit le maitre d’hotel, je viens de vous l’apprendre.

La boutade et la sentence

Portrait présumé de Michel de Montaigne
Portrait présumé de Michel de Montaigne

Montaigne le défend, le Gascon est un expert de  la boutade, cette pointe dans l’art de dire, cette saillie d’esprit originale, imprévue et souvent proche de la contre-vérité (définition du CNRTL). C’est cette charge qui secoue l’auditeur, l’allégresse qui s’exalte et la politesse qui s’efface, comme écrit élégamment Bruno Roger-Vasselin.

Jean Castex précise que l’humour gascon a quelque chose d’incisif, ce qu’il appelle la senténcia [sentence].
Il s’agit d’un mot ou d’une courte phrase couperet. Là où le français dira faire des étincelles, le gascon, s’il est plus imagé encore, paraîtra plus ambigu. Il dira hèr petar eths herrets : faire « sonner » les fers.

Cette senténcia est reçue comme une drôlerie en Gascogne, et, souvent, comme une agression par des étrangers.

La gasconnade

Gasconiana, ou recueil des hauts faits et jeux d'esprit des enfants la Garonne, sur l'humour gascon
Extrait de « Gasconiana, ou recueil des hauts faits et jeux d’esprit des enfants la Garonne » de Charles-Yves Cousin d’Avallon

On a parfois confondu humour et vantardise. Et le terme de gasconnade porte un côté négatif. Cousin d’Avallon rapporte que des spectateurs du Cid de Corneille répétant la célèbre phrase Rodrigues as-tu du cœur ? un Gascon répondit Demandez seulement s’il est gascon cela suffit ; dès lors, une expression Rodrigues es-tu gascon ? était devenue à la mode.

Pourtant, il s’agit plus souvent d’une moquerie de soi-même que de vanterie. Le livre d’Avallon, La fleur des gasconnades, est recommandé à toute personne qui s’intéresse à sa santé.

Je suis venu si vite disait un habitant de la Gascogne qui avait couru à une œuvre de charité, je suis venu si vite que mon ange gardien avait de la peine à me suivre.

La trufanderia, autre forme d’humour gascon

Souy tan sadout que n’èy pa mèy nat arrouncilh au bénte. Soi tan sadot que n’èi pas mei nat aronchilh au vente. J’ai tant mangé que je n’ai plus aucun pli au ventre (lexique du gascon parlé dans le Bazadais, de Bernard Vigneau)

Ce qui est notable et qui permet d’affirmer qu’on est bien dans l’humour, c’est que le Gascon n’hésite pas à se mettre en scène et à à se moquer de lui-même. Castex rapproche cet humour de celui des Anglais plus que de ceux d’autres Européens.  La comparaison est, avouons-le, plutôt flatteuse.

L’uelh deu gat

Un autre trait caractéristique du Gascon est sa méfiance naturelle. Que cau sauvà’s ua pèra entà la set [il faut se garder une poire pour la soif] nous rappelle le Landais Césaire Daugé (1858-1945). Les Gascons se méfient, ont l’art de la synthèse, l’habileté à croquer, nous dit encore Jean Castex. Et il est vrai que les sobriquets des villages et des personnes en sont de beaux exemples. Rappelons-nous que ceux qui vivent près de l’Adour sont appelés los graolhèrs [les mangeurs de grenouille]. Ou encore, avec Roger Roucolle, que, dans le coin d’Agos Vidalos, Que vau mes estar crabèr a Agò que curè a Viscòs [Il vaut mieux être chevrier à Agos que curé à Viscos]

Finalement, on retiendra avec Jean Castex le mot de Simin Palay : mès, en aqueste garce de bite, lou mès urous et qui s’en crémes en aquesta garça de vita, lo mes urós eth qui se’n cred… [mais, dans cette garce de vie, le plus heureux est celui qui s’en croit…]

Anne-Pierre Darrées

écrit en orthographe nouvelle

Références

Jean Teulé, Le MontespanJulliard, 352 p. (ISBN 978-2260017233). Grand Prix Palatine du roman historique, prix Maison de la Presse 2008, prix de l’Académie Rabelais.
L’ironie et l’humour chez Montaigne, Bruno Roger-Vasselin, 2000
La fleur des gasconnades, Charles Yves Cousin d’Avallon, 1863
Gasconiana, ou recueil des hauts faits et jeux d’esprit des enfants la Garonne, Charles Yves Cousin d’Avallon, 1801
L’humour gascon, Jean Castex, 1985

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