Expression très surprenante ! S’agit-il vraiment d’une vache ? Les vaches parleraient-elles ? Meuh non ! Peu probable ! Alors, quelle étymologie pour cette expression ? Le mot « gavach », comme certains auteurs le proposent ? Regardons de plus près, les Gascons sont concernés…
Parler vache !
On imagine assez mal que l’on parlait comme une vache ! Serait-ce une expression mal comprise en français ? Le CNRTL écrit : « Parler français comme une vache espagnole (probablement déformation de Parler français comme un Basque l’espagnol), Parler fort mal le français. » On peut effectivement noter une relative proximité des sons vache et basque (en prenant en compte la prononciation b des v occitans), cette hypothèse est donc possible mais elle n’est pas confirmée par des textes ou ouvrages anciens.
En revanche, l’idée de faire allusion à des personnes qui parlent mal l’espagnol parce qu’elles sont étrangères ou qu’elles parlent un autre idiome est assez plausible. La vache serait-elle plutôt un gavach ? C’est ce qu’affirment certains étymologistes. Et l’expression initiale serait alors Parler français comme un gavach l’espagnol.
Qui sont les gavachs ?

Le lexicographe Sebastián de Covarrubias y Orozco (Tolède, 1539-1613) écrit le premier grand dictionnaire de castillan, le Tesoro de la lengua castellana o española en 1611. Voici la définition qu’il donne à gavachos :

GAVACHOS, ay unos pueblos en Francia, que confinan con la provincia de Narbona; Strabon y Plinio los llaman Gabales. Caesar Gabalos. A éstos llama Belteforestio Gavachus y nosotros Gavachos. Vide Abraham Ortelio, verbo Gabales. Esta tierra debe ser mísera, porque muchos de estos gavachos se vienen a España y se ocupan de servicios baxos y viles, y se afrentan quando los llaman gavachos. Con todo esso buelven a su tierra con muchos dineros, y para ellos son buenas Indias los reynos de España.
Donc Gavachos serait le nom donné par les Castillans à des habitants venus de la province de Narbonne [il semblerait que c’était alors surtout du Gévaudan] pour exercer en Espagne des emplois de basse condition.
Gavacho et gavach
Un peu plus tard, on trouve trace de ce même mot pour désigner d’autres personnes du sud de la France. En effet, le Diccionario de Autoridades tome IV, de 1734, reprend le sens du mot Gabacho pour des habitants du nord des Pyrénées, du côté du Gave, venus en Aragon et ailleurs pour exercer des emplois de basse condition : Es voz de desprecio con que se moteja à los naturales de los Pueblos que están à las faldas de los Pyrenéos entre el rio llamado Gaba, porque en ciertos tiempos del año vienen al Reino de Aragón, y otras partes, donde se ocupan y exercitan en los ministerios mas baxos e humildes.
Enfin, la Real Academia Española précise que le mot gavacho ou gabacho provient de l’occitan gavach, personne qui parle mal. Pour sa part, Etymologie-occitane.fr nous dit : Au XVe siècle il y a des attestations de l’occitan gavag ou gavach « ouvrier étranger ».
Que veut dire gavach ?

Dans l’Anthologie gabaye et gavache, Freddy Bossy (1954-2010), linguiste spécialiste du poitevin-saintongeais, relève les premières attestations du mot gavache :
« – catalan : « gavag : jecur avis » (‘estomac d’oiseau, gésier’) au XIIIe s. ;
– occitan : gavag (1436, Montagnac), gavach (1468, Cahors), avec le sens ‘étranger’ ;
– français : guavasche (Rabelais, Tiers Livre, 1546), avec le sens ‘couillon’ ;
‑ poitevin-saintongeais : « Quioux gavaches / Sont trop lasches / Pre teni fort » (Rolea, XIII, v. 82 ; 1646) ; s’agissant de la victoire sur les Espagnols à Rocroi (1643), gavache a ici le double sens de ‘lâche, vaurien’, et de ‘sale étranger’. »
Cela conforte la signification chez nous du mot gavach : étranger. Tous les étrangers ?
Les Gavachs, ceux du nord

Le grand linguiste catalan Joan Coromines i Vigneaux (1905-1997) confirme dans l’édition abrégée du Diccionario crítico etimológico de la lengua castellana (1954-57) que ce nom péjoratif désigne les Français depuis 1530, qu’il viendrait de l’occitan gavach. Élément complémentaire, il le relie à « montagnard grossier » et aussi à « originaire d’une région nordique qui parle mal la langue nationale ».
Quant aux Gascons, ils gratifient du même nom les gens venus du nord de la Garonne : Quand, du XIIe au XVe siècle, les seigneurs et les rois appelèrent des gens des pays saintongeais et poitevin pour repeupler les régions orientales du Bordelais ruinées par les guerres, les nouveaux venus furent considérés en terre gasconne comme des étrangers et affublés du nom de « gavaches » (L. Papy, Aunis et Saintonge, Paris, Arthaud, 1961, p. 37).
Wikipedia nous apprend que ce mot s’est exporté bien au-delà de nos régions : Gabacho, es una forma despectiva de referirse a los vecinos del norte. En España se refiere a lo Francés, en México a todo lo que tenga que ver con Estados Unidos. / Gabacho est une forme méprisante de se référer aux voisins du nord. En Espagne ce sont les Français, au Mexique ce sont les habitants des Etats-Unis.
Bref le Gavach c’est toujours celui qui vient de plus au Nord, c’est d’ailleurs ce que souligne Robert Lafont. En Espagne, les gabachos sont les Français ou au moins ceux du sud de la France, en Catalogne française les gavatx ce sont les Narbonais, pour les Narbonais ce sont les Bitterois, en Languedoc les gavachs sont les Auvergnats ou les Rouergats et dans le Médoc ce sont les Charentais comme en témoigne le Glossaire de langue gabache de l’abbé Urgel.
Hablar en gabacho

Il semble que le mot gavach ou gabacho n’est pas toujours utilisé de façon péjorative. Il s’est banalisé avec le temps. Par exemple, dans le Gers, un gavach est simplement une personne étrangère au pays.
La présence des Français en Espagne est telle que le mot gabacho va aussi évoluer. Il en vient à définir les Français et hablar en gabacho finit par signifier parler français. Par exemple, le poète Nicolás Fernández de Moratín (1737-1780) voulut exprimer qu’un enfant apprend sa langue et la parle, même si elle est difficile comme le français, alors qu’un adulte, même après bien des efforts, n’y arrive pas vraiment. Aussi il écrivit en 1778 Epigrama Saber sin estudiar / Epigramme Savoir sans étudier :
Admiróse un portugués de ver que, en su tierna infancia, todos los niños en Francia supiesen hablar francés. Arte diabólico es –dijo torciendo el mostacho – que para hablar en gabacho un fidalgo en Portugal, llega a viejo y lo habla mal, y aquí lo parla un muchacho. |
S’étonna un Portugais
de voir que, dans leur tendre enfance, tous les enfants en France savaient parler français. L’art du diable est – dit-il en tordant la moustache – que pour parler en gabache un Fidalgo au Portugal, même vieux le parle mal, Et là, c’est un garçon qui parle. |
Et les autres expressions pour exprimer le mal parler ?
Reverso propose quelques façons de dire Parler le français comme un gavach l’espagnol :
Pays | Langue | Expression équivalente | Traduction littérale |
---|---|---|---|
Pays de Galles | cy | siarad Wenglish | parler angl-ois (Welsh + English) |
Allemagne (Bavière) | de | Ein schauerliches Französisch sprechen | Parler un francais effroyable |
Allemagne | de | radebrechen | (écorcher)(baragouiner) |
États-Unis | en | To butcher French | Abattre le français |
Angleterre | en | To murder French language | Assassiner la langue française |
Espagne | es | Hablar un francés macarrónico | Parler un français macaronique |
Canada (Québec) | fr | Parler l’anglais comme une vache espagnole | |
France (Nord) | fr | Donner des coups de pied à la France | |
Pays-Bas | nl | krom Nederlands spreken | parler néerlandais courbé |
Belgique (Flandre) / Pays-Bas | nl | Koeterwaals spreken | Parler une langue incompréhensible (étym.: langue rhéto-romane de Chur) |
Pays-Bas | nl | Het frans radbraken | Soumettre le français au supplice de la roue |
Turquie | tr | Fransizcayi katletmek | Assassiner le français |
Références
Tesoro de la lengua castellana o española, , 1611
Diccionario de Autoridades tome IV, 1734
Anthologie gabaye et gavache, Freddy Bossy
La leçon de Nérac: du Bartas et les poètes occitans (1550-1650), Philippe Gardy
Nous avons en Gascogne des puits dits « gavachs », dont la particularité est d’être couverts d’une maçonnerie voutée. On suppose qu’ils ont été introduits par les populations venues du nord effectivement, Poitou et Gévaudan, pays d’élevage, et qu’ils permettaient d’éviter que le bétail ne s’approche de l’eau, au risque de la souiller ou d’y chuter.
Très intéressant ! Merci.
En catalan du Roussillon: « esquixar la roba de sant Francés » (déchirer la robe de saint François) : écorcher le français
Quelle belle expression !