De 1909 à 1914, aidé de son fidèle compagnon en amitié Miquèu de Camelat, Simin Palay fonde un journal populaire entièrement en gascon. C’est La Bouts de la Terre d’Armagnac, Biarn, Bigorre e Lanes. La Voix de la Terre d’Armagnac, du Béarn, de la Bigorre et des Landes. Il paraîtra deux fois par mois. Il sera interrompu au numéro 112 pour cause de guerre. Nous vous proposons quelques pages de La Bouts de la Terre….
La fondation de La Bouts de la terre
Simin Palay (1874-1965) et Miquèu de Camelat (1871-1962) se rencontrent pour la première fois à la Félibrée de Tarbes du 14 août 1890. Il en naîtra une grande amitié. Elle les conduira à fonder ensemble l’Escòla Gaston Febus en 1896 et la revue Reclams de Biarn et de Gascougne en 1897.
Très vite, Simin Palay prend ses distances avec Reclams. Il lui parait faire trop de place au français, sous la direction jugée conservatrice d’Adrien Planté.

La crise de 1909 au sein du mouvement du Félibrige aura des conséquences au sein de l’Escòla Gaston Febus. Elle attirait surtout la bourgeoisie et les notables. Dont le préfet Isidore Salles et le ministre Louis Barthou. Les manifestations publiques en étaient facilitées. L’Escòla était accueillie en grande pompe par les municipalités. Mais certains félibres pouvaient oublier le peuple. Or c’était lui qui pratiquait le mieux la langue comme outil de communication.
C’est dans ce contexte que nos deux compères fondèrent à Pau, La Bouts de la terre d’Armagnac Biarn, Bigorre e Lanes. Ce voulait être un journal populaire entièrement en gascon. Créé en 1909, le journal paraîtra deux fois par mois. Il sera interrompu par la guerre à son numéro 112 de septembre 1914. Il était alors en pleine croissance.
L’expérience n’est pas sans rappeler celle de L’Aïoli de 1890,. Ce journal entièrement en provençal créé par Frédéric Mistral paraissait à côté de la Revue Félibréenne souvent écrite en français.
La bouts de la terre, journal populaire en gascon
Ses objectifs sont donnés dans son premier numéro.
Que bouleré esta la Bouts de toute la brabe yent de Biarn e de Gascougne. Tribalhadours de la boutique, dous camps, dous boscs e de las aygues, qu’ey enta bous que l’abém desbelhade. Mestieraus, paysas, bouscassès, bignès, aulhès, pescadous, aci que serats a boste ! De boste bouts que sera heyte la Bouts de la Terre e que b’y recounecherat coum en û miralh.
Il voudrait être la Voix de tous les braves gens du Béarn et de la Gascogne. Travailleurs des boutiques, des champs, des bois et des eaux, c’est pour vous que nous l’avons créée. Artisans, paysans, bucherons, vignerons, bergers, pécheurs, ici vous serez chez vous ! De votre voix sera faite la Bouts de la Terre et vous vous y reconnaitrez comme dans un miroir.
Des articles uniquement en gascon
Paraissent des rubriques régulières dans chaque numéro. Des articles sur la doctrine félibréenne. Des comptes-rendus des fêtes félibréennes. L’Acciou qui mentionne tout ce qui a un lien avec les activités félibréennes. Drin de tout qui rassemble des faits divers liés aux activités félibréennes. La Quinzenada qui regroupe les faits divers. Cantes e Coundes qui publie des chansons et des poèmes issus d’un concours mensuel organisé par La Bouts de la Terre. Ço de bielh, rubrique historique. Ainsi que de la publicité également en gascon car le journal ne peut vivre de ses seuls abonnés.

Trad.: Vous avez mal au dos, à la cuisse, à la main ? Vous avez la jambe raide ou le bras ballant ? Vous voulez guérir ? Partez demain aux eaux de Barbotan.
Nous vous invitons à un voyage au sein de La Bouts de la Terre.
Les actualités en gascon de la rubrique Drin de tot
Des actualités diverses et variées qui concernent tous les parsans / parçans / contrées de la Gascogne.
Une citrouille exceptionnelle
A Momuy, en pays de Lanes qu’an coelhut aquestes dies d’abor ue cuje coume nou-n troben tot die, las noustes daunes au cam ou au casau. Que mesure 1 m 30 de tour e qu’ey lougue de 60 centimètres. De que ha bère escudèle de garbure ! (n° 50 du 15 janvier 1912).
A Momui, en país de Lanas qu’an cuelhut aquestes dias d’abòr ua cuja coma no’n tròban tot dia, las nostas daunas au camp o au casau. Que mesura 1 m 30 de torn e qu’ei longa de 60 centimètres. De que har bèra escudèla de garbura !
A Momuy dans les Landes, on a cueilli ces derniers jours d’automne, une citrouille comme nos femmes en voient peu dans les champs et les jardins. Elle mesure 1 m 30 de tour et 60 cm de long. De quoi faire une belle garbure !
Le menu de la fête de l’Escòla en 1910
Le 16 octobre 1910, l’Escòla Gaston Febus organise une fête à Madiran. Voici le menu servi (n° 21 du 1er novembre 1910) :
Garbure |
Garbura |
Garbure / Saucisses et porcelet sur litière / Fricandeau de Vic / Gigot de Rivière-Basse / Haricots avec leur jus / Salade / Fromage, raisins et gâteaux / Vins de Madiran
Encore un sujet d’actualité rapporté dans le n° 95 du 1er décembre 1913 :
Gn’aute ours de tuat
Quauque tems-a qu’abèn bist patades d’ours dens la bat de Lys à Luchou. L’aute die lous frays Sarrin de St Mamet qu’abèn courrut lous boscs e que s’en tournaben libres coum Clarete, quoan aboun l’ours a quauques pas e u ours de grane traque. L’u qu’ou mande ue bale qui u blesse e que s’anabe yeta sus ets quoan l’aute fray Sarrin hé yase lou heram dab gn’aute cop de fesilh. Lou pès qu’ey de 116 kilos, la balou de 200 Liures e la car que s’ey debitade enço de M. Bigourdan, bouché.
Nh’aute ors de tuat
Quauques temps a qu’avèn vist patadas d’ors dens la vath deu Lis a Luishon. L’aute dia los frairs Sarrin de St Mamet qu’avèn corrut los bòscs e que se’n tornavan libres com Clarèta, quan avón l’ors a quauques pas e un ors de grana traca. L’un qu’u manda ua bala qui’u blèssa e que s’anava getar sus eths quan l’aute frair Sarrin hè jàser lo herum dab nh’aute còp de fesilh. Lo pès qu’ei de 116 quilòs, la valor de 200 Liuras e la carn que s’ei debitada en çò de M. Bigordan, bochèr.
Un autre ours abattu
Il y a quelques temps, ils avaient vu des traces d’ours dans la vallée du Lys à Luchon. L’autre jour, les frères Sarrin de Saint Mamet avaient couru les bois et s’en retournaient bredouilles quand ils eurent l’ours à quelques pas, et un ours de belle taille. L’un lui tire une balle qui le blesse et il allait se jeter sur eux quand l’autre frère Sarrin fit s’effondrer la bête avec un autre coup de fusil. Le poids est de 116 kilos, la valeur de 200 Livres et la viande a été débitée chez M. Bigourdan, boucher.
La Bouts de la terre, Cantes e Coundes en gascon
Le concours mensuel de La Bouts de la Terre.

Cette rubrique publiait les meilleures pièces issues du concours mensuel organisé par La Bouts de la Terre. Simin Palay y a régulièrement publié ses poésies. Des félibres bien connus y ont écrit, tout en continuant à publier dans Reclams : Camelat, Césaire Daugé, Lo Cascarot (surnom de l’abbé Fernand Sarran) ou Labaigt-Langlade.
D’autres auteurs, la plupart inconnus, ont participé à ces concours mensuels dont le but, il est vrai, était de permettre à tous les Gascons de s’exprimer dans leur langue. Parmi eux, Lou Crespèt, Lou Mouraloy de Villecomtal, François Dupont d’Auch, Costalat de Lascazères, Jules de Qu’A. Ribo, Fabian de Gosse, Marie de case, l’Escarabeilhat, l’Arriberés dou Gabe, Lou Gnafre de Bic… On remarquera au passage la passion qu’ont les gascons pour les chafres ou surnoms.
Les histoires trufandècas

La Bouts de la terre publiait également des histoires trufandècas comme celle qui survint à Nay pendant les élections (n° 58 du 15 mai 1912) :
Qu’era au die de las eleccious oun moussu de Luppé es presentabe. Un electou de Nay que crida : « Bibe Luppé ». U tort en lheban la came que respounou : « Bibe l’auta ».
Qu’èra au dia de las eleccions on mossur de Luppé e’s presentava. Un elector de Nai que cridà : « Viva Luppé ». Un tòrt, en lhevant la cama, que responó : « Viva l’auta ».
C’était le jour des élections quand Monsieur de Luppé se présentait. Un électeur de Nay cria : « Vive Luppé » [NdT : l’u-pé = un-pied]. Un boiteux répondit en levant sa jambe : « Vive l’autre ».
Les faits divers en gascon de la rubrique La Quinzenade
Extraits de La Quinzenada du n° 70 du 15 novembre 1912 :
Genos
Genos – Ue baque que s’a hèyt un betèt dàb dus caps. Cade cap non portabe qu’ue aurelhe, mes dus oelhs e u pa de cournichots, la lengue qu’ère hourcadade. La bestiote que s’ey mourte en bade.
Genòs – Ua vaca que s’a hèit un vetèth dab dus caps. Cada cap non portava qu’ua aurelha, mes dus uelhs e un par de cornishòts, la lenga qu’èra horcadada. La bestiòta que s’ei morta en vàder.
Genos – Une vache a fait un veau avec deux têtes. Chaque tête n’avait qu’une oreille, deux yeux, une paire de petites cornes et la langue fourchue. La bête est morte en naissant.
Bagnères
Bagneres – Sou mercat dou bestia ou P.A d’Antist e lou J.M.P de Argelès-Bagneres qu’an hèyt aus pelats qu’ère u gay dous béde. Arré de coupat toutu.
Banhèras – Suu mercat deu bestiar on P.A d’Antíst e lo J.M.P. de Argelèrs-Banhèras qu’an hèit aus pelats qu’èra un gai de’us véder. Arren de copat totun.
Bagnères – Sur le marché aux bestiaux, P.A. D’Antist et J.M.P. d’Argelès-Bagnères se sont battus, c’était un plaisir de les voir. Rien de cassé !
Tarbes
Tarbe – Ue auque que-s passayabe d’aute noeyt cours Reffye. L’inspectou de la poulicie que la boulou bouta en fourrière, mes coum l’auque ère miade per u òmi e coum aqueste cridabe. « Que la m’ey troubade, qu’ey mie ! » Capdevielle, l’inspectou que demourè sourd coum u calhau e qu’enbarrè en preson l’auquè, lou J.M.C de Prechacq. E l’auque ? …
Tarba – Ua auca que’s passejava d’auta nueit cors Reffye. L’inspector de la polícia que la voló botar en forrièra, mes com l’auca èra miada per un òmi e com aqueste cridava. « Que l’a m’ei trobada, qu’ei mia ! » Capdevielle, l’inspector que demorè sord com un calhau e qu’enbarrè en preson l’auquèr, lo J.M.C. de Preishac. E l’auca ? …
Tarbes – Une oie se promenait l’autre nuit cours Reffye. L’inspecteur de police voulut la mettre en fourrière mais comme l’oie était menée par un homme qui criait. « Je l’ai trouvée, elle est à moi ! », Capdevielle, l’inspecteur, restait sourd comme un caillou et mit en prison le gardien de l’oie, J.M.C. de Préchac. Et l’oie ?
La Bouts de la terre, la rubrique L’Acciou et les activités liées au Félibrige
Simin Palay participe à une conférence à Bordeaux sur les poètes gascons (n° 99 du 1er février 1914) :
La counference hèyte a l’Athénée de Bourdèu per Simin Palay
La counference hèyte a l’Athénée de Bourdèu per Simin Palay s’ous pouètes noustes qu’abè hèyt biéne mey de 500 biarnés e gascous en aquère bère bile.
Lou mèste en sapiénce romane, Mous de Bourciez, que la presida, acoumpagnat p’ou coumitat de redacciuo de Burdigala qui abè ourganisat l’amassade. En quauques paraules franques e beroy alissades, coum b’at poudét pensa, Moussu Bourriez que presenta lou nouste mèste d’ahar qui-s bouta labéts à debisa s’ous pouètes biarnés e gascous qui hasèn aunou a la literature e à la patrie, despuch Arnaud de Salettes dinquà Barreyre, Bouzet, Begarie e Lartigue.
M. Poustis, u bayounés qui cante coum sàben canta lous gascous, que gourgueye cansous de Despourri e que l’apaudin à tout coupa. Qu’esté aquero cinq beroys quarts d’ore de gauyou, de pouesie e d’amistat. Au segure, lous biarnés e los gascous de Bourdèu que soun recounechents au balén bigourda Auguste Pujolle, directou de Burdigala, d’ous abé proucurat aquere boune pause.
La conferença hèita a l’Athénée de Bordèu per Simin Palay
La conferença hèita a l’Athénée de Bordèu per Simin Palay suus poètas nostes qu’avé hèit viéner mei de 500 biarnès e gascons en aquera bèra vila.
Lo mèste en sapiença romana, Mos de Bourciez, que la presida, acompanhat peu comitat de redaccion de Burdigala qui avè organisat l’amassada. En quauques paraulas francas e beròi alissadas, com v’ac podetz pensar, Mossur Bourriez que presenta lo noste mèste d’ahar qui’s bota labetz a devisar suus poètas biarnès e gascons qui hasèn aunor a la literatura e a la patria, despuish Arnaut de Salettes drinc a Barreyre, Bouzet, Begarie e Lartigue.
M. Postis, un baionés qui canta com saben cantar los gascons, que gorgueja cansons de Desporrins e que l’aplaudín a tot copar. Qu’estè aquerò cinc beròis quart d’òras de gaujor, de poesia e d’amistat. Au segur, los biarnès e los gascons de Bordèu que son reconeishents au valent bigordan Auguste Pujolle, director de Burdigala, de’us aver procurat aquera bona pausa.
La conférence donnée à l’Athénée de Bordeaux par Simin Palay
La conférence donnée à l’Athénée de Bordeaux par Simin Palay sur nos poètes a fait venir plus de 500 béarnais et gascons dans cette belle ville.
Le maître en sciences romanes, M. de Bourciez, qui la préside, accompagné du comité de rédaction de Burdigala qui avait organisé la réunion. En quelques paroles franches et bien tournées comme vous pouvez l’imaginer, M. Bourriez présente notre maître d’œuvre qui se met alors à parler des poètes béarnais et gascons qui font honneur à la littérature et à la patrie, depuis Arnaut de Salettes jusqu’à Barreyre, Bouzet, Begarie et Lartigue.
Un bayonnais, M. Poustis, qui chante comme savent le faire les gascons, entonna des chansons de Despourrins et fut applaudi à tout rompre. Ce furent cinq quarts d’heures de joie, de poésie et d’amitié. Les béarnais et les gascons de Bordeaux sont reconnaissants au vaillant bigourdan Auguste Pujolle, Directeur de Burdigala, de leur avoir procuré ce moment de plaisir.
Ço de bielh, rubrique historique en gascon
Dans cette rubrique ont été publiés des éléments relatifs à l’histoire de la Gascogne comme, par exemple :
- Lous prèts de las causes de 1699 à 1729 au parsan de Bérens d’après lou libe de resou dou curè tarride (le prix des choses de 1699 à 1729 à Berenx d’après le livre de raison du curé Tarride),
- U gentilòmi biarnès au 17e sècle (Un gentilhomme béarnais au 17ème siècle),
- Testament de Fourticq de Sent-Pée de Lembeye dou 26 octobre 1641 (Testament de Fourtic de Sent Pée de Lembeye du 26 octobre 1641),
- La Passiou de Nouste-Ségnou en Biarnés (la Passion de Notre Seigneur en béarnais).
La Bouts de la terre, la fin de l’histoire

Malgré un succès grandissant, la guerre interrompt définitivement la parution de La Bouts de la Terre d’Armagnac Biarn, Bigorre e Lanes.
Trad.: Le numéro du 1er août venait à peine d’être remis à la poste que la guerre était déclarée à la France par la Prusse. Les tracas qui s’en sont suivis ont retardé ce numéro qui sera, je pense, le dernier d’ici à la fin de la guerre. La famille de la Bouts de la Terre est dispersée en ce moment. Les uns combattent, d’autres sont blessés, d’autres vont partir. Tous les abonnés comprendront que dans ces conditions, un peu de patience est nécessaire.
Le dernier numéro paraît le 1er septembre 1914. Le journal ne sera pas relancé après l’Armistice.
Le succès de ce journal populaire et entièrement en gascon, créé en réaction aux publications jugées trop élitistes, peut parfois nous faire regretter que l’aventure n’ait pas pu se poursuivre. Peut-être manque-t-il encore un journal qui voleré èster la Votz de tot lo brave monde de Biarn e de Gasconha… ?
Serge Clos-Versailles
Références
■ Simin Palay (1874-1965), Jean-Pierre Birabent, Cercle occitan de Tarbes & Éditions du Val-d’Adour, 2004.
■ La bouts de la tèrre – Une tentative de presse régionaliste en Béarn au début du siècle, David Grosclaude, Editions Per Noste.
■ La Bouts de la terre d’Armagnac Biarn, Bigorre e Lanes, Bibliothèque Escòla Gaston Febus (collection avec quelques lacunes).