Le gascon, culture et langue indissociables ?

Gascon - Culture et langue-à la une
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Devons-nous considérer comme indissociables la culture et la langue d’une région ? Les Gascons ont-ils une culture propre ? Et dans ce cas, les Gascons perdent-ils leur culture en oubliant leur langue ? Quelques réflexions pour la rentrée appuyées sur des travaux dont celui du philologue Léonce Couture.

L’expérience de chacun

Gascon Comprendre : Voudriez-vous une tasse de thé ?
Comprendre : Voudriez-vous une tasse de thé ?

N’avons-nous pas tous fait l’expérience de ce lien entre la culture et la langue, entre la façon de penser et la façon de s’exprimer ? Par exemple, nous pouvons généralement parler ou écrire un texte en anglais et nous faire raisonnablement comprendre d’un natif. Mais demandons à ce natif de traiter la même question que nous avons exposée et ne verrons-nous pas qu’il s’y prend tout à fait autrement que nous ? Sans compter les expressions idiomatiques qui révèlent une tournure d’esprit spécifique !

En fait, les linguistes savent bien que la langue reflète le regard posé par un peuple sur le monde et, en retour, la langue structure la pensée. Une langue fonctionne dans une culture. Et c’est bien normal puisque c’est une culture qui la développe, la fait évoluer.

Geneviève Zarate, agrégée de lettres et coordinatrice du projet Médiation culturelle et didactique des langues du Conseil de l’Europe répond clairement : la langue est une manifestation de l’identité culturelle, et tous les apprenants, par la langue qu’ils parlent, portent en eux les éléments visibles et invisibles d’une culture donnée.

Le génie gascon

L'abbé Couture et le gasconLéonce Couture (1832 – 1902) est un professeur érudit spécialisé dans la philologie, les langues romanes et la littérature gasconne. Reçu comme mainteneur à l’académie des Jeux Floraux de Toulouse, il prononce le 25 juin 1882 son discours d’entrée, discours intitulé Le génie gascon. Ce professeur a passé de nombreuses années à mettre en évidence le génie roman, le génie français, le génie italien… à travers l’étude de la poésie populaire ou cultivée.

Il reconnait deux traits forts aux Gascons, l’esprit militaire et l’esprit pratique. Et de rappeler que Montaigne disait dans ses Essais que le gascon plus que toute autre langue était un langage masle et militaire. L’histoire démontre abondamment que la Gascogne est un magasin de soldats dotés d’une prompte et merveilleuse vivacité et, d’autre part une souple et néanmoins très retenue prudence. Cette prudence qui lui sert au quotidien, en particulier dans les affaires ou la politique, précise Couture.

Couture avoue aussi que le Gascon a aussi l’esprit bravache, hâbleur et fanfaron. Christian Millau dans son Dieu est-il gascon ? affirme : Dieu et le Gascon racontent beaucoup d’histoires. Tous deux sont fiers, susceptibles, prompts à en découdre mais toujours prêts à pardonner, parce que au fond ce sont de bonnes pâtes.

La littérature gasconne

L’esprit gascon s’exprime forcément dans sa littérature. Aussi Couture étudie-t-il avec précision les éléments de reconnaissance de ce peuple qu’il connait bien puisqu’il est lui-même gersois.

L’imagination, la fantaisie sentimentale n’est pas la faculté maîtresse du gascon, comme de l’italien ; tranchons le mot, le gascon n’est pas lyrique retient Couture de ses études sur la poésie. L’article sur les fables de La Fontaine sur ce site en est d’ailleurs un exemple.

Gascon - Lou trumfo de la lengoua gascounoCouture relève que la prose française est claire, logique, ferme, alerte et lui oppose les écrits gascons comme Lou trimfe de la lengouo gascouo du grand d’Astros interprète railleur, familier, rustique ou Les commentaires et lettres de Blaise de Monluc et sa narration vive et passionnée, qui sent la poudre. En poésie, il cite les poèmes des saisons gasconnes toujours de Jean-Géraud d’Astros, qui représente bien la vie provinciale de son temps et la joyeuse humeur de ses compatriotes.

En pratique, Couture retient deux grandes caractéristiques gasconnes dans la littérature régionale :
Le gascon est gnomique et sentencieux ; il a sur tous les sujets des proverbes par centaines.
L
e gascon est encore narrateur, il a la tête épique. Et de citer ses contes merveilleux, homériques ou dantesques (…) presque aucun peuple n’a retenu aussi bien et ne redit aussi vivement ces étranges épopées, où se confondent les traditions mystérieuses de la chute et de la réparation.

On peut se demander combien de proverbes gascons et de contes gascons un Gascon d’aujourd’hui connait encore ? Et, d’ailleurs, quels contes murmurons-nous le soir à nos enfants ? Grimm, Perrault, Andersen…

L’humour gascon

À cet exposé de Couture, pourrions-nous ajouter un dernier élément ? On reconnait aux Anglais un humour particulier, leur Wit (esprit). Les récits gascons regorgent d’humour, dans les expressions, dans les situations. Une extravagance gasconne pour pouvoir parler de tout ? Un esprit léger et railleur comme dit l’abbé Sarran ? Une joyeuse humeur ancrée au plus profond des Gascons ?

En tous les cas, les histoires trufandèras abondent et on rit volontiers deu pèc o deu curè (du benêt ou du curé). L’agilité, la finesse, la vivacité et l’humour des écrits de Mèste Verdièr en sont bien caractéristiques.

Un dictionnaire ne nous dit que la correspondance des mots

Apprendre le gasconComme dit le linguiste Patrick Charaudeau : ce ne sont ni les mots dans leur morphologie ni les règles de syntaxe qui sont porteurs de culturel, mais les manières de parler de chaque communauté, les façons d’employer les mots, les manières de raisonner, de raconter, d’argumenter pour blaguer, pour expliquer, pour persuader, pour séduire.

Le Gascon n’apprenant que le français pense français, raisonne français. On peut exprimer une forme de pensée, c’est-à-dire un discours, dans une autre langue que sa langue d’origine, même si cette autre langue a, en retour, quelque influence sur cette pensée, prévient Charaudeau.

En bref, le Gascon qui veut raisonner gascon ne doit-il pas impérativement se réapproprier la langue et ses tournures typiques ? En ces temps de rentrée scolaire, ne nous faudrait-il pas reprendre le chemin de l’apprentissage du parlar gascon ? Et de réapprendre quelques comptines à transmettre à nos enfants, comme :
Lo pè, lo pè, lo pè, La man, la man, la man, E vira de costat Te vòi potonejar. (version mp3)

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Références

Le génie gascon, Léonce Couture, 1882
Médiation culturelle et didactique des langues, 2003, p. 57, Zarate G., Gohard-Radenkovic, A., Lussier D., Penz H., Strasbourg : Edition du Conseil de l’Europe.
Langue, discours et identité culturelle, 2001/3-4, Patrick Charaudau, p 343

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3 réflexions sur “Le gascon, culture et langue indissociables ?

  1. Je trouve cet article absolument remarquable.
    Je regrette seulement qu’il ne soit pas signé. La modestie n’est pas de mise quand il y a si peu de gens de cette classe pour nous donner la fierté de notre langue et de notre identité.
    Merci en tout cas, et bon courage pour la suite !

  2. Que i aja un faiçon gascona de pensar lo monde, perqué non ? Que i auré dilhèu ua faiçon bearnesa d’ac har parièr, e perqué non bigordana — que i tribalhèi quasi dètz ans de seguida e que m’avisèi que los elejuts bigordans e los eleits ne’s sentivan pas briga gascons e enqüèra mens bearnés ; quan, per rasons professionaus e’m caló mudar en Bearn (e òc « que cau dar lo torn deu camp e sautar la cleda » com ac ditz l’arreproèr) que m’avisèi qu’a la faiçon deus bigordans, los bearnés ne’s sentivan pas briga gascons, tirat ua minoritat qui’s disèn gascons e bearnés, bearnés e gascons e a còps occitans (chic totun) segon lo principi de subsdiaritat lingüistica e dilhèu territoriau. Los qui’s disèn gascons a de bonas qu’èran los deu Bascoat, de Baiona e d’Anglet e deu Baish Ador, e de segur los de las Lanas.
    Per segur, que n’i a qui’ns disen a tot pip-pap, shens nada pròva scientifica, que la lenga ei aus arpunts (que son sus aprestar las soas aunors, beròjas que’n seràn. E qui dura, malaja!) Entad eths la « gasconitat » navèra, s’existeish a la fin finala, que seré ua identitat solada sus praticas sociaus dont la cosina, architectura, etc mes sens la lenga, puish-a que serà morta e sepelida.
    Totun, que la me tròbi, se’m permetetz aquera vulgaritat, de las peludas. Au men punt de vista, au par deus resultats deu darrèr estudi en M.O.P. deu Departament deus P.A., que vedem de plan que la gasconitat en Bearn qu’ei quasi residuau tà non pas díser inexistenta. Los Bearnés de la tasca e los autes, mei anar mei nombrós, hòravienguts (au prumèr sens deu tèrmi) que’s trufan beròi deu nom de la lenga e de la soa grafia. Dauvuns que hican los lors mainatges en las Calandretas o en las seccions blinguas de l’Educacion Nacionau, e ne’s senten pas gascons, ciutadans francés, ce’m sembla; d’autes que’s senten bearnés e qu’apèran màjament la lenga, bearnesa, mes n’espudeishen pas totun la denonimacion lenga d’òc o occitan, d’autes enqüèra que s’estiman mei de se’n trufar.
    Com qué, maugrat totas las declaracions incantatòrias deus uns e deus autes, la situacion qu’ei hèra complèxa.
    Que volerí fenir aqueth textòt en har un vòt qui non serà pas guaire escotat, mes rai qu’ac hèi totun : çò de màger, que m’ac sembla, qu’ei de deishar totun tranquilles los mainatges, gojats e gojatas, qui aprenen la lenga (haut o baish 7,5% de l’ensemble deus mainatges escolarizats en Bearn). Totas aqueras pelejas que son objectivament de mau acceptar e que cavan chic a chic la hòssa on un dia o aute la lenga nosta e serà sepelida.

  3. « les Gascons perdent-ils leur culture en oubliant leur langue ? »
    Sujet difficile, central pour nous, parce que la langue, hélas, tombe dans l’oubli ; et nous aimerions que la Gascogne ne parte pas avec !
    Ma tentative de réponse :
    C’est beaucoup plus difficile de juger si les gascons gardent leur culture que de s’apercevoir qu’ils cessent de parler gascon ! De culture commune, ils n’en ont peut-être jamais eue ; mais plutôt un bassin de vie qui avait eu quelque persistance à travers les siècles et les millénaires…
    C’est ce bassin de vie – pas trop fermé quand même – entre océan, montagne et Garonne qui avait créé une communauté de langue et fait circuler des faits culturels.
    Tout ça disparait.
    Mais nous voulons en garder la mémoire, de la langue comme du reste. Qu’en sortira-t-il ? On voudrait comme une renaissance, mais… Qui sap ?

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