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Les toponymes de Gascogne

Toponymie gasconne - Bénédicte et Jean-Jacques Fénié
Toponymie gasconne – Bénédicte et Jean-Jacques Fénié

Les toponymes sont les noms des lieux. En Gascogne comme ailleurs, les noms remontent parfois très loin et témoignent de son passé. Peut-être aimeriez-vous connaitre l’origine du nom de votre commune ou d’un lieu-dit ? Suivons Bénédicte et Jean-Jacques FENIÉ, les spécialistes de la toponymie gasconne.

Les toponymes anciens

Le Pic du Gar
Le Pic du Gar

Certains toponymes sont très anciens, remontant à une époque où on ne parlait pas encore gascon. Ils concernent surtout des reliefs et des cours d’eau.

Par exemple, la racine gar- qui peut se traduire par pierre ou caillou, se retrouve dans Garos, le pic du Gar et sans doute dans Garonne. Il a pu donner le gascon garròc qui signifie rocher, hauteur, mont. En basque, il donne garai avec la même signification.

La racine pal- qui peut se traduire par rocher escarpé, se retrouve au col de Pau en vallée d’Aspe et sans doute aussi dans le nom de la ville de Pau.

De même, le nom de cours d’eau gascons remonte à ces temps lointains : Adour, Neste, Gave, Ousse, Oussouet, Losse, Baïse.

Les Aquitains occupent le territoire entre l’Ebre et la Garonne.

Le lac d'Oredon
Le lac d’Oredon

Les Aquitains nous ont laissé des noms en os/osse que l’on retrouve surtout dans le val d’Aran et dans les pays qui bordent l’Atlantique. Citons Andernos, Biscarosse, Pissos, Biganos.

Citons aussi Ixone (brêche, crevasse) qui a donné Ilixone : Luchon. Alis (eaux argileuses) a donné Eauze. Ili (ville) et Luro (terre basse) a donné Iluro : Oloron. Iu ou èu (lac de montagne en gascon) a donné èu redon (lac rond : Orédon), èu verd (lac vert : Aubert). Ces deux derniers exemples montrent aussi comment les noms gascons ont été francisés au cours du XIXe siècle.

À noter, les Celtes ont peu pénétré en Gascogne, sauf le long de la Garonne et en val d’Aran. Cambo (méandre) a donné Cambo en pays basque. Condomages (marché de la confluence) a donné Condom.

Les toponymes d’origine latine

Signalisation bilingue des rues à Agen
Signalisation bilingue des rues à Agen

Ce sont les plus nombreux.

Acos, en latin acum (domaine de ….), associé à un nom de paroisse donne Arzacq, Aurignac, Listrac, Marciac, Pessac, Pontacq, Préchac.

Acum qui donne an, est spécifique de la colonisation romaine. On le retrouve dans le Gers dans Biran, Corneilhan, Orbessan, Aignan, Courrensan, Samaran, …. autour de Saint-Bertrand de Comminges dans Aventignan, Barbazan, Saléchan, Estansan ….,  autour de Tarbes dans Aureilhan, Artagnan, Juillan, Madiran, …. et autour de Bordeaux dans Draguignan, Caudéran, Léognan, ….

Villa (domaine) donne Bilhère, Vielle-Aure, Vielle-Adour, Vielle-Tursan. Vic (village) donne Vic en Bigorre. Vic-Fezensac semble plus tardif.

En revanche, les invasions du Ve siècle et l’implantation des Wisigoths en 418 nous ont laissé Gourdon, Goutz (colonies de Goths), Boussens, Maignaut-Tauzia, Estarvielle, Ségoufielle, Gaudonville (village de Goths).

Les toponymes gascons

À partir de l’an mil, les toponymes anciens se raréfient et ceux gascons deviennent de plus en plus nombreux. Leur sens est plus facile à saisir pour qui connait la langue.

L’essor de la population entraine la formation des sauvetats [sauvetés]. Ainsi : Saub=veterre, Lasseubetat… (n’oublions pas que le v se prononce b dans certaines parties de la Gascogne). Et des castelnaus [castelnaux]. Ce qui donnera : Castéra-Loubix, Castéra-Verduzan, Castets, Castex, Castelbon, Castetner, Castillon, Castelnau…

Commune de Came (Pyrénées-Atlantiques)
Commune de Came (Pyrénées-Atlantiques)

Plus tard, aux bastides du XIIIe siècle, on donne des noms prestigieux : Barcelone, Grenade, Pavie, Plaisance, Valence … ou celui des personnages qui les ont créées : Arthez d’Armagnac, Créon d’Armagnac (fondée par Amaury de Craon), Beaumarchés (fondé par Eustache de Beaumarchés), Hastingues (fondée par le sénéchal de Hastings), Rabastens (fondée par Guillaume de Rabastens).

Toutefois, les éléments du relief restent à l’origine de nombreux toponymes gascons. Mont [hauteur] donne Mont, Montegut, Montardon, Monclar, … Sèrra [colline] donne Serre-castèth, Sarremezan, … Poei [petite éminence] donne Pey, Pouey, Puch, Piau, Pujo, Pouyastruc, … Arrèc [sillon] donne Arricau, … Assosta [abri] donne Soustons, … Aiga [eau] donne Ayguetinte, Tramezaygues, … Averan [noisette] donne Abère, Averan, … Casso [chêne] donne Cassagne, Cassaber, Lacassagne, …. Castanha [châtaigne] donne Castèide, Castagnède, Castagnon, … Hau [hêtre] donne Faget, Hagetmau, … Bòsc [bois] donne Le Bouscat, Bosdarros, Parlebosc, … Hèn [foin] donne Héas, Hèches, … Casau [métairie] donne Cazaux, Cazarilh, Cazaubon, Cazaugitat…

Mais après l’an mil, c’est aussi l’époque de l’essor du christianisme en Gascogne. Et les noms de saints se généralisent : Saint-Sauveur, Saint-Pé, Saint-Emilion, Saint-Girons, Saint Orens, Saint-Boé, ….

Comment conserver les toponymes gascons ?

Département de la Haute-Garonne
Département de la Haute-Garonne

S’intéresser à la toponymie de sa commune, c’est s’intéresser à son histoire, à son identité. Et nombreux sont les Gascons qui s’y intéressent.

Pourtant, l’exercice est rendu difficile par la francisation des noms au cours du XIXe siècle. Par conséquent, il faut rechercher dans les documents anciens (terriers, compoix, cadastres, actes notariés) pour retrouver l’évolution de leur orthographe et leur signification ancienne.

Ce travail de recherche réalisé et complété par une enquête de terrain auprès de la population, il est tentant de redonner aux routes, aux chemins et aux lieux-dits, leurs noms gascons. Après tout, n’est-ce pas préférable de renouer le lien avec notre histoire plutôt que de leur donner des noms de fleurs (rue des coquelicots, rue des pervenches, …) ? Ou de leur donner des noms d’artistes dont peut-être peu de gens ont entendu parler ?

Le rôle décisif du conseil municipal

Osmets - Ausmes
Osmets – Ausmes

C’est le conseil municipal qui peut donner une dénomination aux voies et chemins de la commune, ou aux lieux-dits, dans le cadre de ses attributions prévues à l’article L 2121-29 du code général des collectivités territoriales. Ses décisions sont exécutoires de plein droit, dès que les formalités légales sont accomplies et qu’elles ont été transmises au préfet (article L. 2131-1 du CGCT).

Les communes de plus de 2 000 habitants doivent notifier au centre des impôts fonciers ou au bureau du cadastre, la liste alphabétique des voies publiques et privées de la commune (décret n° 94-1112 du 19 décembre 1994). Il en est de même des modifications apportées (changement de dénomination d’une voie ancienne, création d’une voie nouvelle), dans le mois qui suit la décision, par l’envoi d’une copie de cette décision.

Les pressions sont fortes pour ne pas adopter le gascon ! Lors des opérations Numérues qui consistent à donner des noms de rues et des numéros aux maisons pour faciliter l’intervention des services publics, notamment des pompiers, La Poste intervient pour donner des noms français au prétexte que les facteurs ne savent pas lire le gascon. Pourtant, le courrier arrive bien dans les communes qui ont donné des noms gascons à leurs voies et chemins…

La loi Molac autorise l’utilisation des langues régionales

Bayonne - signalisation trilingue français, basque et gascon
Bayonne – signalisation trilingue français, basque et gascon

La loi n° 2021-641 du 21 mai 2021, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite « Loi Molac », apporte certaines clarifications relatives à l’emploi des langues dites « régionales ».

Si l’on a surtout parlé de la censure des articles concernant l’enseignement des langues régionales, on ne peut passer sous silence son article 8 qui stipule que : « Les services publics peuvent assurer sur tout ou partie de leur territoire l’affichage de traductions de la langue française dans la ou les langues régionales en usage sur les inscriptions et les signalétiques apposées sur les bâtiments publics, sur les voies publiques de circulation, sur les voies navigables, dans les infrastructures de transport ainsi que dans les principaux supports de communication institutionnelle, à l’occasion de leur installation ou de leur renouvellement ».

Après les incertitudes juridiques, la signalétique bilingue est désormais reconnue par la loi. Rien ne s’oppose plus à ce que les communes mettent une signalisation bilingue à l’entrée de leur commune ou sur les bâtiments municipaux.

Alors, Gascons, à vos panneaux !

Références

Toponymie gasconne, Bénédicte et Jean-Jacques FENIÉ, Editions Sud-Ouest, 2006.