Certains écrivains prennent le risque d’écrire en gascon, en sachant que le nombre de lecteurs potentiels est faible. Quelle flamme motive ces écrivains ? À quoi ressemble la littérature gasconne actuelle ? Nous vous proposons d’explorer quelques romans des dernières décennies. Aujourd’hui, Arantxa d’Eric Gonzalès.
Arantxa, l’histoire
Plantons le cadre du roman. Nous sommes en 1986. Un jeune étudiant, Alan, licencié en occitan, apprend par un copain l’existence de documents écrits dans la langue d’oc à Vitoria-Gasteiz, au pays basque espagnol. Une occasion pour l’étudiant de s’offrir une année de quasi-vacances au frais d’Erasmus ! Un coup de fil au professeur de l’Université et le coup est monté.
N’ayant aucune envie de s’intéresser au vieux papier, il se trouve une colocation, et il part à la découverte de la question basque. Durant toute l’année scolaire, Alan approfondira le sujet. Et, au détour d’un escalier d’université, Alan rencontre une jeune fille dont il tombe profondément amoureux, Arantxa. Une jeune fille très engagée dans la lutte basque.
Du folklorisme à l’actualité
Un premier point à remarquer dans Arantxa est le thème même choisi par l’auteur. Car c’est probablement la marque du nouveau roman gascon. En effet, fin XIXe siècle, le mouvement du Félibrige a été essentiellement tourné vers la collecte et la transmission de la culture et de la langue. Les écrivains d’alors ont impulsé une renaissance romantique et naturaliste de la littérature en langue d’oc, que ce soit Frédéric Mistral en Provence, Miquèu de Camelat en Gascogne et bien d’autres.
Par cette préoccupation folkloriste, la campagne, dernier lieu de culture régionale, est à l’honneur. On va y puiser la connaissance de la langue, des idiomes, les coutumes, la mémoire du peuple, de son histoire, de ses contes. Et on écrit avec lyrisme, émotion, pour les personnes de la campagne. Les personnages sont souvent aussi des gens de la campagne.

Arantxa rompt avec cette littérature et nous projette dans la grande tradition du roman moderne européen, du roman « sur » l’amour comme le précise le critique littéraire Pierre Lepape. Tout d’abord, l’auteur, Eric Gonzalès, un écrivain pour qui l’écriture en gascon est une évidence, situe son roman, non pas en Gascogne, mais de l’autre côté de la frontière, chez ses voisins, dans le pays basque espagnol. Pays et langue qu’il connait bien. Les personnages sont principalement des étudiants, la majorité des événements se passent en ville. L’amour des deux protagonistes est indissociable du contexte social, en l’occurrence de ce que l’on appelle les années de plomb du pays basque.
Arantxa, l’impossible libération
Tout en douceur, le roman Arantxa nous propose des contrastes. L’engagement politique d’Arantxa, par exemple, est entremêlée avec son histoire personnelle, celle, tragique, de son père et de son opposition au franquisme, sa condition sociale difficile qui tranche avec celle d’Alan, dont la vie et celle de sa famille sont plus tranquilles, plus aisées.
Le livre mêle aussi la limpidité de l’histoire d’amour et la confusion du contexte social : les comportements des groupes politiques qui vont du compromis avec le gouvernement en place jusqu’à la lutte armée, la quasi indifférence des colocataires d’Alan, l’activisme des membres de l’ETA dont les motivations sont très différentes et personnelles. Les tensions, les désirs, les jalousies sont des moteurs puissants et terribles dans le groupe de la jeune Arantxa.
En face, Alan voit, constate, ne juge pas. Au début, les amoureux évoluent dans ce contexte social et presque sans se préoccuper de son influence sur leur histoire. Puis ils essaieront d’échapper à cette société menaçante, et ils n’y parviendront pas. Arantxa raconte l’histoire d’une impossible libération. Et, en même temps, le roman exalte la puissance de l’amour qui sera finalement salvateur. Deux faces d’une même histoire qui coule avec la légèreté de la jeunesse.
Toujours au bord
L’auteur conduit sa narration de façon chronologique et limpide. L’écriture est sobre, vive, la langue est fluide. Cependant, ce qui frappe le plus, c’est la position même du personnage principal, Alan, qui reste au bord…
Alan, poursuivant pourtant des études d’occitan, n’aura pratiquement pas la curiosité du vieux manuscrit, objet officiel de son étude. Il dit d’entrée qu’il ne vient pas pour cela et en restera sur cette position au bord de ses études.
Alan souhaite comprendre la question basque et s’y intéresse. Il lit les journaux de tous bords, pose des questions. Pourtant il dit lui-même peu progresser dans cette compréhension. Trop complexe ? Trop fermée ? Trop liée à l’histoire de l’Espagne et du franquisme pour la comprendre « hors sol » ? En tous les cas Alan restera, de son aveu, au bord de la question.
Enfin, Alan s’investit dans son amour pour Arantxa. Mais, celle-ci, échaudée par une précédente histoire de confiance mal placée, ne se livrera pas et le laissera au bord de leur histoire. Une position que va assumer Alan et peut-être même magnifier.
Un sujet d’actualité ?
Quand Arantxa a été écrit, c’était un sujet d’actualité. L’est-il encore ? Oui, assurément, si l’on en croit le succès remporté en 2016, par Patria, le roman sur fond de conflit basque écrit par l’Espagnol Fernando Aramburu.
Peut-être même, le recul favorise le regard. Alors, n’est-ce pas l’occasion de revenir sur Arantxa, roman publié en gascon en 1999 et réédité en 2014 ?
En voici la très belle première phrase du roman Arantxa :
Que coneishoi a Arantxa per escunce*, com se la vita e m’avè volut balhar ua mustra de la soa futilitat : per escunce.
*per escunce = per escàs, par hasard. (précisé dans le lexique en fin d’ouvrage)
Références
Arantxa, Eric Gonzalès, 228 p, 9€
Tornat sus Arantxa, Jornalet
… quoan qu’ém bajuts Gascoû, la lénco mayrala, la lénco dou co, qu’éy biue en nousaoùtes… Que-ns mouriram noû pas de-n pas està legits… més de-n pas escrìwe…
Osca per Arantxa e per l’artìcle !