D’Astros, le plus gascon des poètes gascons
Léonce Couture surnommait Jean-Géraud d’Astros l’Hésiode gascon. Jean-François Bladé l’annonçait comme le plus gascon des poètes gascons. Surtout, Jean-Géraud d’Astros est un humaniste et un des derniers à avoir écrit dans l’esprit des poètes antiques.
Joan-Giraud d’Astròs
Jean-Guillaume est né le 1er aout 1594 à Sent-Clar de Lomanha, dans le hameau de Joan Dòrdis. Son père est tailleur de campagne. Il court la vallée de l’Arrats et prend ses premières leçons auprès du curé de Sent-Clar. Peut-être a-t-il continué ses études à Leitora [Lectoure] puis à Aush. En tous cas, les cònsols de Sent Clar le nomment regent [instituteur]. Puis il termine ses études au séminaire de Tolosa, où, à 22 ans, il embrasse la prêtrise. Tout de suite, il est nommé vicaire dans son village qu’il ne quittera plus. Vivant de peu – il plaisante volontiers sur sa bourse vide – il frappe à la porte des châteaux pour demander sense bergougno / sense vergonha [sans honte] de quoi boire ou manger. Il sollicitera plusieurs fois le duc d’Epernon, alors gouverneur de Guiana [Guyenne].
Jean-Guillaume est décrit comme un homme de taille moyenne, chétif et d’un physique ordinaire, si ce n’est une légère bosse. Il est chaleureux, curieux, en particulier des découvertes de son temps, bon vivant et plutôt impressionnable. Ses écrits sont puissants, élégants, variés, frais et imagés comme souvent chez les Gascons. Sa langue est riche et Pierre Bec (1921-2014) le déclare comme un des poètes gascons les plus intéressants.
Les poètes sont au gost deu jorn
Les poètes gascons ont alors le vent en poupe comme Guillaume Ader (1567?-1638) né à Lombèrs (Savés), puis, un peu plus tard, l’Astaracais Louis Baron (1612-1662) ou encore l’Auscitain Gérard Bédout (1617-1697).
Pourtant, notre vicaire talentueux va s’essayer doucement à la poésie. Ses premières productions sont des Nadaus [Noëls]. Simples, naïfs, aux airs entrainants, ils connaissent un grand succès dans la population et seront longtemps chantés en Lomanha et ailleurs. Certains exhortent à ne pas se laisser aller à la morosité de la dureté des temps, d’autres à faire la fête.
Sur l’Ayre deou Branle de quate / Sur l’aire deu branle de quate [Sur l’air du branle de quatre – branle : danse qui « balance »]
Hestejo, hestejo plan Nadau,
E per hesteja carrejo,
Carrejo, carrejo lèu, Bidau
Bin per hesteja Nadau.
Hesteja, hesteja plan Nadau,
E per hestejar carreja,
Carreja, carreja lèu, Bidau
Vin per hestejar Nadau.
Fête, fête bien Noël,
Et pour fêter apporte,
Apporte, apporte vite, Bidau
Du vin pour fêter Noël.
Petit cathachisme gascon de d’Astros
Tôt, il écrit un catéchisme gascon en 23 leçons pour les enfants ignorants intitulé L’ascolo deou chrestian idiot. [Attention idiot veut dire à cette époque en gascon « qui n’a pas de connaissances », il ne s’agit nullement du sens de « stupide »]. Il est approuvé par les théologiens de Tolosa le 19 juillet 1644. Il avertit l’écolier :
Idiot tu qu’aprenes un coundé,
Qu’aprenes un tros de cansoun,
E mile peguessos deou moundé
Qué s’an rime n’an pas rasoun,
Digues, quit goüardara d’aprené
Aquestes mots que’t hén entené
So qu‘és de Diou é de ton ben.
Idiòt tu qu’aprenes un conde,
Qu’aprenes un tròç de cançon,
E mile peguessas deu monde
Que s’an rime n’an pas rason
Digas, qui’t guardarà d’apréner
Aquestes mòts que’t hèn enténer
Çò qu’es de Diu e de tòn ben.
Ignorant toi qui apprends un conte,
Ou un brin de chanson,
Et mille sottises du monde
Qui, si elles ont rime, n’ont pas de raison
Dis, qui t’empêchera d’apprendre
Ces mots qui te font comprendre
Ce qui est de Dieu et de ton bien.
Lou trimfe de la lengouo gascouo de d’Astros
Chef d’œuvre de d’Astros, Lou trimfe de la lengouo gascouo [Le triomphe de la langue gasconne].
Dans la première partie qu’on appelle communément Las sasous / Las sasons [les saisons], un pastou de l’Arrats / un pastor de l’Arrats [un berger de l’Arrats] esperan l’ouro d’alarga / esperant l’ora d’alargar [attendant l’heure de partir], voit les quatre saisons venir à lui et lui demander arbitrage sur laquelle est supérieure. Et chacune d’étaler ses qualités.
Dans le même esprit, suit un Playdeiat deous elomens daouant lou pastou de l’arrasts / Plaidejat deus elements davant lo pastor de l’Arrats [plaidoyer des éléments devant le berger de l’Arrats]. Ainsi Lou Houec, l’Ayre, l’Ayguo e la Térro / Lo huec, l’aire, l’aiga e la tèrra [Le feu, l’air, l’eau et la terre] exposent leurs forces.
En fait, tous ces textes exaltent la nature et l’amour – amour de Dieu, amour pour Dieu et amour humain.
La première pièce de théâtre en gascon
De ce que nous en connaissons aujourd’hui, Jean-Géraud d’Astros serait l’auteur de la première pièce de théâtre sociale en gascon : La Mondina. En effet, il écrit une comédie dans laquelle il révèle son amour des gens et son sens social. Les pauvres y ont des excuses de se réconforter dans le vin, c’est le fruit de leurs conditions de vie difficiles. De même, l’auteur trouve plutôt moral que les riches payent pour les pauvres, en particulier les impôts. Pas si fréquent à son époque !
Il faut dire que d’Astros connait ce réconfort dans le vin : son chai est son cabinet de travail et il conseille le vin comme remède. Mais il n’est pas épicurien, plutôt, comme l’a dit Léonce Couture, un poète de la bonne humeur.
Modeste, il refuse les invitations du duc d’Epernon sous prétexte d’être mal habillé avec ses sabots et sa soutane usée. En revanche, il partage avec la population les malheurs des guerres et obtient du duc que Sent Clar soit exempté du passage des troupes, des réquisitions et des corvées.
La mort de Jean-Géraud d’Astros
Jean-Géraud d’Astros est dans la misère, il a été écarté de sa charge, on ne sait pourquoi. Il se sent vieux (53 ans), a la man empeguido de fret / la man empeguida de fred [la main engourdie de froid] en réalité quasi paralysée. Mais il déclare :
Mous membres an tan malananso
Qu’aquo n’es pas en ma pouchanso
De beü un cop dab lou bras dret.
Mos membres an tan malanança
Qu’aquò n’es pas en ma pochança
De bever un còp dab lo bras dret.
[Mes membres sont si mal en point
Qu’il n’est même plus en mon pouvoir
De boire un coup avec le bras droit]
et précise qu’il lèvera son verre du bras gauche s’il ne peut le faire du bras droit !
Le 1er janvier 1647, il écrit des étrennes du nouvel an en vers. Et en avril, il écrit Lou cant deou cinné / Lo cant deu cigne [le Chant du cygne] au jeune fils du duc d’Epernon, c’est-à-dire sa dernière pièce. Pierre Bec nous offre ce très beau texte dont voici un extrait (graphie originale non présentée).
Atau canti jo, vielh e blanc coma lo cicne
E de la gaia Arrats hèu retronir lo bòrd ;
Mes d’ara ‘nlà mon cant es l’assegurat signe
Que jo m’apròchi de la mòrt.
Ainsi je chante, vieux et blanc comme le cygne,
Et de l’Arrats joyeux fais retentir le bord ;
Mais désormais mon chant est le plus sûr signe
Que je m’approche de la mort.
Le souvenir du poète d’Astros
Le poète meurt le 9 avril 1648. Il a écrit son épitaphe (extrait du chant du cygne) :
Si ma vita, passant, t’a jamès hèit arríser,
Non plores pas ma mòrt, que nat subject non i a,
Jo’t pregui solament per mon repaus de díser
Lo Pater e l’Ave Maria.
Si ma vie, passant, t’a jamais fait rire,
Ne pleure pas ma mort, nul motif il n’y a,
Je te prie seulement pour mon repos de dire
Le Pater et l’Ave Maria.
L’église de la commune de Sent Clar s’appelle l’église de Dastros, et le square de Dastros attenant abrite son buste en bronze. À Aush, un autre buste, en pierre cette fois, trône au Jardin Ortholan.
Pour le tricentenaire de sa mort, en 1948, la mairie pose une plaque de marbre sur le vieux presbytère, lou gabinet escurit / Lo gabinet escurit [le cabinet obscur] du poète. Le 19 juin 1994, le linguiste astaracais Xavier Ravier (1930-2020) prononce un discours pour les quatre-cents ans de sa naissance.
Anne-Pierre Darrées
écrit en orthographe nouvelle
Références
L’ascolo deou chrestian idiot, JG d’Astros, 1645
Dictionnaire de la conversation et de la lecture, tome LVIII, W. Duckett, 1845
Fêtes du tricentenaire du poète gascon JG Dastros, Bulletin de la Société archéologique historique littéraire & scientifique du Gers, M. le chanoine Charles Bourgeat, 1949