Parmi les légendes gasconnes, La tor de Poyalèr [La tour de Poyaler] est bien caractéristique. Légende ancienne où l’amour et la ruse triomphent du diable…
La tor de Poyalèr existe bel et bien

À Sent-Aubin dans les Landes, existe le quartier de Poyaler. En 1936, il comprend 164 habitants. On peut y voir une tour bâtie sur un tuc de 96 m, déjà occupé par nos ancêtres les Aquitains, et qui domine les plaines de la Güauga [Gouaougue] et du Lots [Louts]. Le château, construit au XIIIe siècle, appartenait à la famille de Cauna. Au XVIe siècle, il passe à la famille de Bénac, et c’est ce nom qu’emprunte la légende…

Pour en savoir plus, l’abbé Meyranx nous en livre une description dans sa Monographie de Mugron. « C’était un grand donjon carré, percé dans le haut de longues et étroites meurtrières, couronné de créneaux aussi lourds que trapus, entrecoupés aux quatre angles d’échauguettes découvertes. La partie ouest de ce donjon, montre encore un mâchicoulis posé en encorbellement, à la hauteur de second étage. Des corbeaux de soutènement fixés sur les autres côtés, indiquent que tout le carré était muni du même système de défense. Des constructions, en contrebas, flanquaient cette tour. Enfin des murs épais, en fermaient la circonvallation. Un pont-levis, dont les terrassements n’ont pas encore disparu, en fermait l’entrée. Trois poternes, dissimulées dans l’épaisseur des remparts, ouvraient trois issues sur l’escarpement nord, ouest, et midi du mamelon.«
Les légendes gasconnes sataniques

Tout le monde le sait, le Diable est un être maléfique d’un pouvoir égal à Dieu. Pourtant, dans nos contes populaires, il est souvent un peu pegòt [sot]. Et quelques rusés savent s’en jouer.
Ce peut être un bordèr [métayer] qui devient propriétaire de la terre qu’il cultive, en étant plus malin que le Diable. Cette légende sympathique, Le métayer du diable, est pleine d’humour gascon. Notons toutefois que si le métayer roule le Diable, il n’échappe à sa malédiction qu’avec l’aide du curé du village.
Dans Lo diable colhonat [Le diable trompé] c’est la femme qui sauve son homme en étant plus futée que lui. Enfin, dans La tor de Poyalèr, c’est un seigneur qui est le vainqueur.
La légende de la tor de Poyalèr

Or donc, la tor de Poyalèr avait été construite par des fées en une nuit. Son propriétaire, Monsieur de Bénac ne vivait que pour guerroyer et est donc bien désœuvré quand la paix revient. Il s’occupe au jeu et perd tout ce qu’il veut. Pour se refaire, il épouse une jeune dame dont il dépense la dot.
Honteux, il va voir un sorcier qui lui indique comment rencontrer le diable. Il offre son âme à ce dernier contre une richesse infinie. Tout se passe bien. Mais le temps passant, ni le jeu ni son épouse ne lui apportent plus de réconfort. Heureusement, Pierre l’Ermite vient prêcher la croisade et Monsieur de Bénac s’en va combattre l’infidèle.
Prisonnier des infidèles

S’il s’honore dans cette guerre, il est fait prisonnier et n’en revient pas. Sept ans passent. Au pays, on pousse la jeune veuve à se remarier, ce qu’elle finit par accepter. Le diable s’en va annoncer la nouvelle au prisonnier et lui propose de le ramener au château avant les noces contre une seule demande : Que-m deras de tout so qui-t hiquin sus la taule enta disna. / Que’m daràs de tot çò qui’t hiquin sus la taula entà disnar. [Tu me donneras de tout ce que l’on mettra sur la table pour ton diner.]
Déguenillé, maigre, barbu, Monsieur de Bénac revient chez lui où il n’est d’abord reconnu que par son chien et son cheval. Les noces sont annulées et on offre un repas au seigneur revenu. Celui-ci n’accepte que des noix dont il jette les coquilles sous la table. Furieux, le diable déguisé en chien sous la table, s’en va en laissant un grand trou dans le mur que nul maçon ne pourra jamais boucher. Et, afin de ne plus avoir de problème, notre seigneur fait bâtir une chapelle. E que biscou urous dab la youène dame qui badou bielhe bielhe à nou pas abé mey nat cachau. / E que viscó urós dab la joena dama qui vadó vielha vielha a non pas aver mei nat caishau. [Et il vécut heureux avec la jeune dame qui devint si vieille qu’elle n’avait plus aucune dent.]
La tor de Poyalèr et Bernard de Bénac

Bernard de Bénac, le seigneur qui apparait dans cette histoire, hérite du domaine en 1578. La légende est pourtant plus ancienne, puisque Césaire Daugé la situe aux alentours de l’an 1000. On ne sait pourquoi on retint son nom. Toujours est-il que – le Gascon est-il superstitieux ? – cette légende se renforça au cours du temps, confortée par l’apparente malédiction qui poursuivit la lignée. En effet, divers malheurs frappèrent des hommes d’Eglise du lieu au XVIIe siècle. Le peuple en conclut que les esprits malfaisants, les sorcières hantaient toujours le village.
Ajoutez à cela que les édifices religieux furent détruit par la foudre par deux fois au XIXe siècle, et encore par deux fois au début du XXe siècle. Et que l’on exécuta dans ce lieu maudit des résistants français pendant la Seconde Guerre Mondiale. Tous ces évènements malheureux ont donné de la force à la légende diabolique qui est restée très vive.
Les autres légendes du diable

La Gascogne n’a pas l’exclusivité du thème. Par exemple, Der Bauer und der Teufel [Le paysan et le diable] des frères Grimm est très proche de notre métayer du diable. En Irlande, Stingy Jack ou Jack O’Lantern, un vieil ivrogne, réussit à tout obtenir du Diable sans rien donner en retour. Mais il sera puni et par le Diable et par Dieu et finira par errer entre le monde des vivants et celui des morts, porteur d’une torche faite de braises de l’enfer enfouies dans un navet.
Globalement, si nos légendes sont proches, elles sont souvent plus légères. On y trouve l’influence de l’Église qui se pose comme rempart ultime contre le Maléfique, mais le curé gascon reste blagueur ou, au moins, tolérant. Est-ce l’esprit trufandèr de nos ancêtres qui s’exprime ?
La légende gasconne court les chemins
De toute façon, comme nous prévient l’abbé Cesari Daugèr en début de son livre, La tor de Poyalèr, les contes courent le pays, s’ornant de variantes.

Bey-ne, counde, bey-ne courre per la Gascougne
Qui, lou cap hens lou cèu, a lous pès hens la ma.
Debise à tout oustau coum la bielhe mama :
Ne-t copis pas lou cot en nade baricougne.
Vèi-ne, conde, vèi-ne córrer per la Gasconha
Qui, lo cap hens lo cèu, a los pès hens la mar.
Devisa a tot ostau com la vielha mamà :
Ne’t còpis pas lo còth en nada bariconha.
Va, petit conte, va courir la Gascogne
Qui a le front dans le ciel et les pieds dans la mer.
Parle à chaque foyer le langage de la vieille mère :
Garde de te briser dans quelque fondrière.
Références
La tour de Pouyalè, Cesari Daugèr, Escòla Gaston Febus, 1907
Le métayer du Diable ou la légende de l’Armagnac, les Pins parleurs
Jack o’Lantern, Guide Irlande