
Dans leur scriptorium (atelier d’écriture), les moines rédigent ou copient des manuscrits enluminés d’une exceptionnelle qualité. Parmi ceux parvenus jusqu’à nous, nous avons le Beatus de Saint Sever, rédigé sous l’abbatiat de Grégoire de Montaner (1028-1072). Il est le seul exemplaire que nous connaissons au nord des Pyrénées.
Qu’est-ce qu’un Beatus ?
Un Beatus est un manuscrit rédigé en Espagne entre le Xe et le XIIe siècle. Le moine Beatus recopia les Commentaires de l’Apocalypse de Jean, rédigés au VIIIe siècle au monastère de Saint-Martin de Liebana dans les Asturies. Celui-ci avait l’ambition de donner un texte accessible, compréhensible, dans un langage courant.
L’Apocalypse de Jean est écrite pendant les persécutions de Néron et de Dioclétien contre les chrétiens. Sous une forme poétique, elle dévoile l’avenir révélé à une âme sous forme d’espérance. Elle est destinée à montrer à ceux qui souffrent comment le Bien suprême se trouve au bout d’un long chemin de souffrances. Étymologiquement, Apocalypse veut dire « révélation ».

L’Apocalypse de Jean devient le symbole de la résistance des chrétiens d’Espagne. Elle annonce la fin des persécutions et la Reconquête contre les Musulmans. Facile à comprendre pour les croyants, elle prend une importance considérable en Espagne au point de supplanter les Évangiles.
On connaît une trentaine de Beatus décoré d’enluminures éclatantes, dont seulement une vingtaine nous sont parvenus.
Le Beatus de Saint Sever
Conservé à la Bibliothèque Nationale de France, c’est le seul Beatus connu au nord des Pyrénées. Il est d’une beauté et d’une richesse picturale supérieure aux manuscrits peints en France à cette époque et sera qualifié d’œuvre exceptionnelle par l’éditeur scientifique allemand actuel, Peter K. Klein. Comme il se doit, il contient le Commentaire sur l’Apocalypse du moine Beatus, ainsi que le Commentaire de Saint Jérôme et le Livre de Daniel.

Le Beatus de Saint Sever contient 296 folios (format 365×280 mm) décorés de 108 enluminures peintes avec des encres de couleur vive et de l’or. Le moine Stephanius Garsia le rédige et laisse son nom dans un codex. Il témoigne de la richesse et de la puissance de l’abbaye au XIe siècle.
La mappemonde de Saint Sever

Dans l’œuvre, on trouve une mappemonde représentant le monde évangélisé par les Apôtres avec l’emplacement de Saint Sever et des principales villes. Avec 280 noms, elle est deux à quatre fois plus plus riche que les autres de l’époque, témoignant d’une grande érudition. La Gascogne y occupe une place importante.
La terre australe est commentée : « En plus des trois parties du monde, il y a une quatrième partie au-delà de l’océan, dans la direction du sud et inconnue de nous à cause de la chaleur du soleil. Dans ces régions, on prétend fabuleusement que vivent les Antipodes ».

On pense que le Beatus de Saint Sever fut rédigé à la suite du don d’un Beatus espagnol fait à l’abbaye par le duc de Gascogne. Le Beatus est écrit en wisigoth, il doit être transcrit en latin. Les enluminures reprennent des thèmes populaires au nord des Pyrénées.
Il prend une importance considérable dans la liturgie de l’abbaye de Saint Sever car on retrouve les illustrations du Beatus dans les décors architecturaux de l’abbatiale, notamment le tympan du portail nord du transept (Christ en majesté).
L’abbaye
Guillaume Sanche (972- après 998) est comte puis duc de Gascogne en 977. Après sa victoire de Taller sur les Normands, il fonde à Saint Sever une abbaye nantie de nombreux privilèges et richement dotée, sur un oratoire dédié à Saint Sever. Cap de Gasconha, elle est au centre de sa politique et de son pouvoir.
Son fils Sanche Guillaume appelle le bigourdan Grégoire de Montaner, alors moine de Cluny, pour diriger l’abbaye. Celui-ci y rédige sa Passion car l’abbaye des ducs de Gascogne ne peut se contenter de vénérer un saint local.

L’abbaye de Saint Sever suit la règle de Saint Benoît. Pourtant, elle ne s’affilie à aucun ordre et gardera son indépendance jusqu’à la Révolution de 1789. En 1104, la Pape Pascal II la dote de privilèges (liberté d’élection de l’Abbé, exemption de service militaire, droit de nommer des abbés dans ses dépendances, etc.). En 1307, Clément V, le pape gascon, concède à l’Abbé le port des ornements épiscopaux, en dehors de la présence de l’évêque.
Les possessions de l’abbaye
L’abbaye de Saint Sever possède de vastes domaines. Elle fonde des prieurés à Roquefort, Mont de Marsan, Saint Genès, Saint Pierre du Mont, Nerbis, Morganx, Buzet, Mimizan. L’étendue de ses domaines explique en partie le peu d’implantation des autres ordres religieux en Gascogne.
L’abbaye de Saint Sever possède aussi la seigneurie sur la ville de Saint Sever. Les rapports se tendent et une révolte éclate en 1208 contre les moines qui exigent trop de taxes. Par exemple, lors des funérailles, ils exigent une redevance sur l’usage de la croix, des encensoirs, des habits sacerdotaux, la sonnerie des cloches, le dépôt du défunt dans l’église et sur l’emplacement au cimetière. Les moines ne veulent pas céder. Les habitants tentent de les affamer en les privant de vivres. Il fallut un synode pour régler le différend.
D’autres révoltes auront lieu. Les Huguenots pillent l’abbaye en 1549, 1569, 1571, massacrent les moines en 1572 et la brûlent en 1598. À la Révolution, elle compte encore 15 moines.

Références
Le Beatus de Saint Sever, église des Landes
Beatus, Wikipedia
Saint Sever – Millénaire de l’abbaye, Colloque international des 25-26 et 27 mai 1985. Comité d’études sur l’histoire et l’art de la Gascogne, 1986
Chartes et documents hagiographiques de l’abbaye de Saint-Sever (Landes), 988-1359, Georges Pon et Jean Cabanot