Quelle était la place de la femme dans la littérature d’oc ? Quelle est-elle aujourd’hui ? Les Edicions Reclams vous proposent de découvrir les paroles de femmes, celles de 36 poétesses d’oc contemporaines, rassemblées et présentées par Pauline Kamakine.
Les femmes dans la littérature

Avant d’arriver aux poétesses d’aujourd’hui, rappelons-nous rapidement la place de la femme dans la littérature d’oc. Et d’ailleurs, est-elle la même que celle des femmes de langue d’oïl ? Le chercheur informaticien Frédéric Glorieux a fait une étude statistique sur les livres de la Bibliothèque Nationale de France (BNF). On voit que, sur le territoire français, les femmes publient 1% des titres à l’époque baroque, 2% à la période classique. Il faut attendre le XXe siècle pour une vraie présence des femmes.
Trobairitz, la poétesse du Moyen-Âge
En pays de langue d’oc, la femme, souvent mécène des artistes, est aussi autrice. Au moins vingt-trois trobairitz ont passé les siècles. Elles sont surtout du Languedoc ou de la Provence. La Provençale Beatriz de Dia (1140?-1175?) ou l’Auvergnate Castelloza (1200?-?) sont probablement les plus connues. Toutefois, la première serait Azalaïs de Porcairagues, femme noble originaire de Montpellier. Selon sa vida [biographie] elle écrivit pour En Gui Guerrejat, Gui le Guerrier , frère de Guillem VII de Monpeslher. E la dòmna si sabia trobar, et fez de lui mantas bonas cansós. [Elle savait composer et écrivit pour lui de nombreuses belles chansons.]
En voici un extrait.
Ar em al freg temps vengut, Que ‘l gèls e’l nèus e la fanha, E l’aucelet estàn mut, Qu’us de chantar non s’afranha ; E son sec li ram pels plais, Que flors ni folha no’i nais, Ni rossinhols non i crida Que la en mai me reissida. |
Nous voici venus au temps froid, Avec le gel, la neige, la boue. Les oiseaux se sont tus, Ils ne veulent plus chanter. Les branches sont sèches, Elles n’ont plus ni fleur ni feuille. Le rossignol ne chante plus, lui qui en mai me réveille. |
La poétesse de l’époque baroque au XXe siècle

Toujours en pays de langue d’oc, les femmes écrivaines sont rares, très rares à l’époque baroque ou classique qui, pourtant, marque un renouveau littéraire. La Gascogne joue d’ailleurs un rôle de leader dans ce renouveau, mais on est bien en peine de citer un nom féminin.
Citons quand même la Languedocienne Suzon de Terson (1657-1685) qui, malgré sa courte vie, marquera par la beauté de ses 81 poèmes.
Tu non n’aimas gaire, Tant de mal me’n sap. Cap que tu non me pòt plaire, E tu m’aimas mens que cap. |
Tu ne m’aimes guère, C’est mon infortune. Aucun plus que toi ne peut me plaire, Et tu m’aimes moins qu’aucune. |
On peut mentionner encore Perrette de Candeil, Marguerite Gasc, Melle de Guitard ou Marie de Montfort. Dramatiquement peu en vérité !
Heureusement, dès le XIXe siècle, elles vont s’exprimer dans le mouvement du félibrige. Cette arrivée des femmes – cette fois-ci trop nombreuses pour être citées – a lieu bien avant celle en France du nord. Parmi les plus proches de notre époque, on citera la Limousine Marcela Delpastre, la Languedocienne Loïsa Paulin, ou la Bigourdane Filadèlfa de Gerda. Extrait de « A ta hiéstreto »:
Si soulomens èri ra douço briso Qui ba, souleto, en eds bos souspira, D’aro en adès, à ta hiéstreto griso, 0h! qu’aneri ploura… |
Si solament èri ‘ra doça brisa Qui va, soleta, en eths bòsc sopirar, D’ara en adès, a ta hièstreta grisa, Oh ! qu’anerí plorar… |
Si seulement j’étais la douce brise, / Qui va, seulette, aux bois soupirer, / D’ici à naguère, à ta fenêtre grise, / Oh ! je m’en irais pleurer…

La poétesse d’oc à l’époque contemporaine

Heureusement, les femmes sont vivantes et la poésie d’oc aussi ! Pauline Kamakine, une jeune poétesse d’origine bigourdane, a décidé de rassembler ses consœurs et a proposé aux Edicions Reclams de les présenter dans un florilège. Un projet qui a séduit le Conseil d’Administration. Pauline a donc épluché les publications, les concours de poésie et battu le rappel sur les réseaux sociaux. Elle a reçu immédiatement le soutien de L’Escòla Gascon Febus et de l’Espaci Occitan de Dronero (Italie).

En quelques semaines, Pauline avait identifié plus de 70 poétesses, toutes plus motivées les unes que les autres. Elles sont de partout : Auvergne, Gascogne, Languedoc, Limousin, Provence, Valadas Occitanas (Italie). Certaines sont très connues comme Zine ou Aurelià Lassaca, d’autres ont simplement publié dans des revues locales. Trop nombreuses pour les présenter en une seule fois, les Edicions Reclams ont décidé de réaliser deux tomes, dont le premier vient de paraitre. il s’intitule Paraulas de Hemnas.
Faire connaissance avec les poétesses

Les expressions sont très diverses, et les sujets sont aussi divers. Pauline Kamakine a essayé de caractériser chacune pour la faire découvrir au lecteur et a choisi quelques poèmes représentatifs des sentiments ou des préoccupations du moment de la poétesse.
Certaines expriment leur profond attachement au pays, sujet universel. D’autres proposent des thèmes plus spécifiques, comme une réflexion sur la femme – parfois inattendue comme « Sei vielha » de Cecila Chapduelh. Ou encore elles parlent de la relation à un membre de la famille. C’est le cas de l’émouvant « Paire, mon paire » de Silvia Berger, « Ma perla, mon solelh… » de Caterina Ramonda, ou encore de « Metamorfòsa » de Benedicta Bonnet.
Beaucoup montrent un sens de la simplicité, de la vérité et expriment une sensibilité profonde, intime, offerte sans artifice, comme ‘L’eishardiat » de Danièla Estèbe-Hoursiangou.
L’amour de la langue et la difficulté des langues
La poésie peut être un genre plus difficile à lire que la prose. Et tout le monde n’est pas à l’aise avec les spécificités du pays niçard ou du Val d’Aran, ou de nos voisines à l’est des Alpes. La richesse des mots peut aussi surprendre comme « La vidalha e lo lichecraba » de Nicòla Laporte. Celle-ci a voulu jouer sur l’articulation et la subtilité de prononciation des mots en -ac, -at, -ec, -et, etc.
Aussi, le livre propose face à face le texte en graphie classique et sa traduction en français, une traduction effectuée souvent par l’autrice et toujours validée par elle. Pour les textes des Valadas Occitanas, une traduction en italien rend le livre accessible à nos voisins. Enfin les graphies originales normalisées, quand il y en a, ont été respectées.
Pour acheter le livre cliquer ici ou écrire aux Edicions Reclams, 18 chemin de Gascogne, 31800 Landorthe. reclamsedicions@gmail.com
Bonne lecture aux curieux !
Anne-Pierre Darrées
écrit en nouvelle orthographe
Références
Femmes de lettres, démographie, Frédéric Glorieux, 2017
Azalaïs de Porcairagues
Ar em al freg temps vengut, Azalaïs de Porcairagues
Poésies diverses de Demoiselle Suzon de Terson [texte manuscrit]
Posos perdudos, Philadelphe de Gerde
Paraulas de Hemnas, Pauline Kamakine, 2020