Pey de Garros

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Pey de Garros est le premier poète de la Renaissance Gasconne et un poète qui affirme son patriotisme. Il espère des rois de Navarre l’autonomie et la victoire du gascon. Il mourra avant de voir Henri III devenir roi de France.

Pey de Garros, lo lectorés

Pey de Garros nait à Lectoure (Armagnac) entre 1525 et 1530, d’une famille de noblesse de robe depuis deux siècles. Il obtient une licence de droit à Toulouse.

En 1553, de retour à Lectoure, il est élu consul, à la suite de son père. Son destin semble tracé. D’autant plus que, deux ans après, les consuls de Lectoure l’envoient les représenter à l’enterrement d’Henri II.

Jeanne d'Albret nomme Pey de Garros conseiller à la cour
Jeanne d’Albret (1528-1572) nomme Pey de Garros Conseiller à la Cour

Quatre ans plus tard, un doctorat de droit en poche, il devient avocat. Et comme l’Armagnac dépend de la maison d’Albret – donc de Jeanne d’Albret (1528-1572) – celle-ci le nomme Conseiller à la Cour et il siège au présidial d’Armagnac.

Cependant, cette même année, il écrit Chant royal de la Trinité qui lui vaut une violette aux Jeux floraux de Toulouse. Le chant royal était une forme ancienne de poème inventé dans le nord de la France au XIVe siècle.

Notons que depuis plus de quarante ans, le Collège de Rhétorique de Toulouse ne décerne plus de prix pour des poèmes en occitan. En revanche, le premier chant royal couronné aux Jeux Floraux de Toulouse date de 1539.

Pey de Garros est un patriote gascon

Les idées protestantes courent la Gascogne. Afin de tenter de les stopper, en 1551, le Parlement de Toulouse condamne un notaire lectourois pour avoir édité un livret contraire au catholicisme, brule un menuisier pour hérésie… Mais cela n’arrêtera pas la progression de ce mouvement.

Blaise de Monluc (1501 1577)
Blaise de Monluc (1501-1577)

De plus, en Gascogne, les huguenots ne reconnaissent pas le roi de France. D’ailleurs, Blaise de Monluc, rapporte les propos de l’un d’entre eux : Un gentilhomme… m’avoit mandé, que, comme il leur [aux paysans huguenots] avoit remonstré.. qu’ils faisoient mal, et que le roy le trouveroit mauvais, qu’alors ils lui respondirent : Quel roy ? Nous sommes les roys ! Celui-là que vous dites [Charles IX] est une petit reyot de merde…

En tous cas, en 1560, peut-être après un séjour à l’Ecole Protestante de Lausanne, notre poète embrasse ces nouvelles idées. Et il se met au service de la cour de Navarre. Car, pour lui, langue et nation sont liées, et l’indépendance du Béarn lui parait une garantie. En fait, il espère que Jeanne d’Albret sera l’instigatrice de cette nation gasconne.

Pey de Garros incite à l’utilisation du gascon

Poesias Gasconas de Pey de Garros (1567)
Poesias Gasconas de Pey de Garros (1567)

Amy lecteur, Noz deux langages principaux, sont le François celtique et lé Gascon. Ie parleray du nostre. (extrait de Poesias gasconas)

Pey de Garros entame un combat pour le gascon et incite les poètes à employer cette lenga mesprezada [langue méprisée]. Il l’affirme clairement dans une lettre qu’il écrit à un jeune poète (extrait de Poesias gasconas) :

[lenga] Damnada la podetz entene.
Si degun no la vo dehene :
Cadun la leixa e desempara,
Tot lo mon l’apera barbara
E, qu’es causa mas planedera,
Nosauts medix nos truphan d’era.

[langue] Comme perdue vous pouvez la considérer
Si personne ne veut la défendre :
Chacun l’abandonne ou la maltraite.
Tout le monde l’appelle barbare ;
Et, chose bien plus déplorable,
Nous-mêmes nous nous moquons d’elle.

Texte complet ici.

Pey de Garros défend une langue harmonisée

Sa vision de la Gascogne est large, comme il l’écrit dans les Poesias gasconasIl y a quelque diversité de langage, termination de motz, et pronuntiation, entre ceulx d’Agenois, Quercy, autres peuples de deça, et nous : non pas tele que nous n’entendions l’un l’autre : Aussi nostre langage par un mot general est appelé Gascon.

Comme Pey de Garros souhaite une Gascogne unifiée et indépendante, il se lance dans un travail d’harmonisation des parlers gascons, qu’il appelle « conférence ».

André Berry, poète (1902-1986) consacre sa thèse à Pey de Garros (1948)
André Berry, poète (1902-1986) consacre sa thèse à Pey de Garros (1948)

André Berry montre dans sa thèse, L’œuvre de Pey de Garros (éditée en 1997) que le poète lectourois a élaboré un nouveau système graphique justement à cette époque où une forte rénovation du français est en cours. Ainsi, il va à la fois s’appuyer sur la graphie traditionnelle de l’occitan et utiliser les habitudes de la scripta française.  Pourtant, il ne sera pas suivi par d’autres Gascons et son système graphique sera abandonné.

Affirmer une identité

Les Gascons sont réputés pour leur adresse aux armes. Aussi, Pey de Garros les exhorte à exceller de même dans le domaine de l’esprit, et il va s’attacher à donner l’exemple.  De façon claire, il va favoriser l’émergence d’une littérature gasconne.

Joachim du Bellay, gentilhomme angevin 'vers 1522-1560)
Joachim du Bellay, gentilhomme angevin (vers 1522-1560)

Pey de Garros ne veut pas imiter la Pléiade française, surtout après les propos désobligeants de Joachim du Bellay qui, en 1549, dans son Deffense et Illustration de la langue française, a rejeté les poèmes des Jeuz Floraux de Thoulouze en considérant qu’ils ne servaient qu’à porter temoingnaige de notre ignorance.

Alors, il va soit inventer des formes nouvelles, soit s’inspirer du modèle latin. Ainsi, il écrit en 1565, Les Psaumes de David, viratz en rythme gascoun [les Psaumes de David, traduits en vers gascons], dédiés à Jeanne d’Albret et publiés à Toulouse chez Jacques Colomès. En réalité 58 psaumes seulement.

Psaumes de David viratz en rythme gascon per Pey de Garros (1565)
Psaumes de David viratz en rythme gascon per Pey de Garros (1565)

Robert Lafont (1916-2010), écrira des Psaumes qu’ils sont « le coup d’éclat de la Renaissance gasconne et la première œuvre de la littérature occitane moderne ».

Puis, en 1567, il édite, toujours chez Jacques Colomès, les Poesias gasconas [poésies gasconnes], dédiées à Henri de Navarre (1567). Elles sont composées de quatre parties : Vers eroics (vers héroïques), Eglogas (églogues), Epistolas (épitres), Cant nobiau (chant nuptial). 

Lire en ligne sur Gallica.

Les églogues

Egloga 3 (extrait) de Pey de Garros
Egloga 3 (extrait)

Ces huit églogues, absolument magnifiques, témoignent des malheurs de l’époque, des guerres de religion. Elles rappellent celles de Virgile qui racontaient les guerres civiles de la république romaine.

Pey de Garros met en scène des personnages comme, par exemple, dans la troisième églogue, Menga [celle qui domine] dans laquelle on reconnait la reine de Navarre, Ranquina [celle qui boite] qui représente la ville de Lectoure, Vidau [celui qui a le pouvoir sur la vie] donc Charles IX, et Mairasta [la marâtre] c’est-à-dire Catherine de Médicis.

Ranquina – Lectoure – est la belle endormie agressée par la France et qui rêve d’un temps plus doux.  Menga vient la réveiller :

E sur aqui deixidá m’és venguda.
Que plassia a Diu peu ben deu monde trist,
Que sia vertat çó que domín jo e vist.

Et là-dessus tu es venue me réveiller. / Plaise à Dieu, pour le bien du triste monde, / que ce que j’ai vu en dormant soit la vérité.

Lo cant nobiau, dernier poème

Dans ce poème, Pey de Garros décrit un mariage gascon. C’est, à l’époque, très novateur. Mais ce qui est extraordinaire c’est qu’il ressemble à s’y méprendre au mariage gascon décrit par Jean-François Bladé trois siècles plus tard !

Tout d’abord il invite les dauzeras peu dauradas [donzelles aux cheveux d’or] à aller cueillir la jonchée pour revenir en chantant accueillir l’épousée :

Sus! Anatz , hilhas de Laytora,
La nobia qui ven arculhí,
Tornatz, gojatas, de bon’ora,
Qui la juncada vatz cullí;

Sus ! Allez filles de Lectoure, / Accueillir l’épousée qui vient, / Revenez, filles, de bonne heure, / Qui allez cueillir la jonchée ;

Puis, le poète demande aux donzels d’aller au bois rejoindre les donzelles.

Corretz desbrancá la ramada
Gentius compaños boscasses,
Au torná peu long de la prada
Sautatz, gaujos, e solasses.

Courez ébrancher la ramée / Gentils compagnons bocagers, / Au retour le long de la prée / Sautez joyeux et folâtres.

Au troisième, au moment où la nobia entre dans le bois, on invite les musiciens à saluer le cortège.

Comensatz de galanta aubada
Las amyänsas saludá

Commencez d’une aimable aubade / à saluer les épousailles

Enfin, le nobi est sorti de sa maison et accueille sa nobia. L’arculhensa [accueil] se fait entouré de monde et avec les compliments du poète.

L’espos dam sa longa seguensa
En miles plazes convertit
Per ha la sperada arculhensa
Magniphicament es sortit.

L’époux avec sa longue suite
Incité à mille plaisirs
Pour faire l’accueil espéré
Est sorti magnifiquement.

Pey de Garros et la postérité

En 1572, Blaise de Monluc occupe la ville de Lectoure et Pey de Garros part s’installer à Pau comme avocat de la cour souveraine du Béarn. Il meurt à Pau entre 1581 et 1583.

Léonce Couture (1832-1902) redécouvre Pey de Garros
Léonce Couture (1832-1902) redécouvre Pey de Garros

Il sera redécouvert au XIXe siècle, grâce à Léonce Couture (1832-1902). Aujourd’hui, sa renommée est suffisante pour que des exemplaires soient gardés dans plusieurs villes du monde : le premier à Aix-en-Provence, Paris, Vienne, Genève, Chicago et le deuxième à Albi, Toulouse, Versailles, Paris, Londres.

Pourtant, dans sa ville, seule une petite rue piétonne porte son nom. Et une fontaine, qu’il partage avec son frère Jean.

O praube liatge abusat,
Digne d’èste depaïsat,
Qui lèishas per ingratitud
La lenga de la noiritud,
Per, quan tot seré plan condat,
Aprene un lengatge hardat…

(Ô pauvre génération abusée / Digne d’être chassée du pays, / Qui laisses par ingratitude / la langue de ta nourrice / Pour apprendre, tout compte fait, un langage fardé…)

Références

« Est-ce pas ainsi que je parle ?” : la langue à l’œuvre chez Pey de Garros et Montaigne, Gilles Guilhem Couffignal, 2016
Entre Gascogne et France : l’idéologie de Pey de Garros dans les Poesias gasconas de 1567 et l’ethnotypisme linguistique du Faeneste, Jean-Yves Casanova, 1995
Pey de Garros, poète lectourois, chantre de la langue gasconne, Alinéas, 2021
Pey de Garros, Actes du colloque de Lectoure, 1981
Psaumes de David viratz en rhytme gascon, Pey de Garros, 1565

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